A qui pouvons-nous attribuer la responsabilité de l’impact des écrans sur la santé des enfants ? Faut pas pousser bébé dans les ordis Libération – Par Olivier Monod et Nathalie Raulin – Mercredi 29 janvier 2020 Une nouvelle étude publiée ce mercredi détaille les dangers d’une exposition trop banalisée des tout-petits à la télévision, aux smartphones et aux tablettes. Et montre que les parents sont souvent peu ou mal informés. Que disent les scientifiques ? Avec un temps de retard sur un usage exponentiel, les scientifiques tentent de comprendre les tenants et les aboutissants du phénomène. Troubles du langage, baisse du quotient intellectuel, retard de développement, augmentation de la sédentarité, les études foisonnent sur les possibles effets délétères d’une exposition prolongée des enfants aux écrans. Mais la plupart de ces travaux étant de «qualité moyenne voire moins que ça» de l’avis de l’épidémiologiste de l’Inserm Jonathan Bernard, coauteur de l’étude publiée ce mercredi, leurs conclusions sont souvent sujettes à caution. […] Il y a un consensus : il faut en éloigner les bébés. «Au premier âge de la vie, le développement est social et émotionnel, pas cognitif, martèle Bruno Falissard, pédopsychiatre, professeur à la faculté de médecine Paris-Saclay. Un bébé a impérativement besoin d’une interaction humaine et d’abord avec ses parents. Substituer les écrans à cette relation, c’est entraver ses apprentissages nécessaires.» C’est donc ralentir ou compromettre son développement. Quel est le rôle des parents ? Dans cette affaire d’écrans, les parents sont souvent les premiers fauteurs de troubles. Serge Tisseron, psychiatre membre de l’Académie des technologies, initiateur dès 2007 d’une pétition contre la télévision pour les moins de 3 ans, explique : «Un adulte qui utilise son smartphone en présence de son bébé provoque autant de troubles chez lui que s’il le plaçait devant un écran, car il va moins communiquer : il va utiliser des phrases plus courtes, des mimiques plus pauvres, privant ainsi son enfant d’une interaction riche.» Sans compter qu’en grandissant, l’enfant va souvent reproduire le comportement des adultes. «Les petits ont tendance à imiter leurs parents. Si ces derniers ont le nez collé sur leur écran, ils vont faire de même», confirme Olivier Pascalis. Télévision, smartphone, tablette… Les parents à cran Entre les études qui pointent les risques d’une trop longue exposition des enfants aux écrans et la pression d’une société de plus en plus connectée, les jeunes parents tâtonnent. «On a des copains jeunes parents qui sont à fond sur l’alimentation. Nous, notre cheval de bataille, c’est les écrans», sourit Edouard, professeur d’éducation physique installé à Nantes (Loire-Atlantique). A 35 ans, ce père d’un garçon de 15 mois a commencé à se questionner sur la place des écrans dans son foyer avant même la naissance de son fils : «J’ai l’impression que ça peut créer une addiction encore plus forte que celle au sucre. On a lu pas mal de choses là-dessus avec ma femme, et on est persuadés que cela peut créer des troubles du langage ou du comportement.» […] En début d’année, Edouard et sa femme ont également décidé de se débarrasser de leur télé : «Ça faisait dix ans qu’on ne la regardait plus. C’est aussi un moyen de lui montrer que la télé n’est pas importante», argue Edouard, pour qui il s’agit d’un «outil commercial aliénant». «Quand j’étais gamin, on avait une télé dans chaque pièce, des chambres à la cuisine. Je prenais mon petit déj devant les dessins animés. Ça me divertissait, mais aujourd’hui, qu’est-ce qu’il me reste de tout cela ?» s’interroge-t-il. Virginie Ballet «Les adultes sont face à des injonctions contradictoires» Le sociologue Claude Martin dénonce les multiples pressions subies par les parents et une forme de mépris de classe véhiculé par les critiques de l’utilisation prolongée des écrans. Faire peur aux parents n’est-il pas devenu chronique ? Le problème ne me semble pas ici principalement du côté des parents. Dans leur immense majorité, ils cherchent à faire le mieux possible. Mais c’est précisément leur inquiétude et désir de mieux faire qui créent et alimentent le formidable succès des experts en conseils et bonnes pratiques. Les parents sont désormais ballottés entre les promoteurs de la révolution numérique et les gardiens du temple neuronal de leurs enfants. Ils sont devenus la cible de cet immense marché d’experts en bonnes pratiques parentales… On retrouve alors ce paradoxe de l’idéologie du bonheur et de la réussite qui, tout en vendant ses techniques de bonheur garanti, génère de l’anxiété. Idem pour les enfants. S’il ne réussit pas malgré les bons conseils dont disposent les parents, c’est de leur faute. On individualise en décontextualisant. Or quel est le contexte ? Une société pleine d’écrans au point où il peut sembler juste impossible d’y échapper. Parents et enfants sont en bout de chaîne de cette ère numérique. S’il est avéré que trop d’écrans nuit aux plus jeunes, c’est aux pouvoirs publics, à commencer par l’Education nationale, de se saisir du problème. Mais c’est aussi la fonction de nombreuses autres arènes de réflexions qui doivent permettre d’arbitrer collectivement, et non pas chacun de notre côté, le problème. Recueilli par Catherine Mallaval