I \ diaspora roSTCOUJKIALE EN FRAI* i 1 iii-uiitv il'iuii.- certaine imprecision théorique. anerée clans les problé-i1" 'in present, obligeant á une analyse du contexts global de la pensée in»'in|Miriiine traversée par les idées posimodernes el postcoloniales, in > ďune nouvelle esthétique s'avere une realitě complexe et riche Ignifications. Elle permet d'expliquer la manifestation de certains raits gill.....I- a caractere global qui dessinent le paysage culturel et social .........porain. En effet, ces écrivains n'apportent pas seulement dans le culturel contemporain une innovation d'ordre thémalique. en stricte , i ilion avec leur situation personnelle, mais une innovation d'ordre plus in nil qui pourrait étre qualifiée d'ontologique. En s'attaquant aux visions i■ jrilimes » du monde, ces écrivains proposent une nouvelle maniere de . , .in cvoir la creation artistique, le monde et l'individu dans le monde, en tant ,,111- repére et fondement de la réalité. Néanmoins, la vision qu'ils proposent ,„• s'impose pas comme vérité mais oeuvre insidieusement á la transgression ,|t-s oppositions binaires, notamment des oppositions sujet/objet, soi/autre. „k-ntilé/altérité, ici/ailleurs. par une nouvelle pensée. L'ecriture de ces au-teurs de la diaspora, en rupture apparente avec l'ecriture africaine antérieure, ,vussit a créer un lien inedit entre les theories et les ideologies en concurrence t|ans le monde de la postmodernité. Elledevient une structure paradigmatique tin changement dans la contemporaneity Dans ces circonstances, en depit des travaux déjá cites, il nous semble indispensable d'essayer de comprendre comment cette littérature s'inscrit ,|ans le contexte contemporain et comment elle se positionne par rapport á I'heritage culturel africain. Dans ce ničme ordre ďidées. il nous parait utile ď analyser quelle est l'incidence de rimmigration des écrivains sur leur éeri-lure et, corrélativement, si la nouveautéliltéraire et culturelle apportée par ces écrivains peut étre circonscrite á l'apparition d'une nouvelle condition exis-K-ntielle, celle de I'exil, ou á quelque chose d'autre qui dépasse la simple determination thématique pour insorirece phénoméne littéraire dans le cadre general des phénoměnes culturels á valeur generále. Pour répondre á ces questions, notre altenlion se Ibcalisera sur un échantillon » de quatre écrivains: Kossi El'oui. C'alixihe Beyala, Sami I'chak et Fatou Diome, ainsi que sur quatre de leurs creations litléraires, rites en 2001 et 2003 : La Fabriqutdt ceremonies6, Femme nue, femme noire1, Place des fetes* et Ventre del'Mantique*. Ce choix, qui ti'est pas Ouvertuře fonction de l'origine des écrivains (Togo, Cameroun, Senegal) mais fonction de la similarité de leur vision du monde, permet d'entrevoir les element! d'une demarche creative et existentielle commune : tous les quatre construi sent leurs romans autour de l'individu fictionnel, seuil et fondement du monde. Etres pris entre plusieurs univers sociaux et culturels, l'Afrique et la France, le monde collectif et le monde de l'individu, leurs personnages entre-prennent des voyages symboliques ou « reels » ä la recherche des fondements de leur appartenance, Posant la problématique de l'immigration et de I'exil intérieur, volontaire ou force, ces romans construisent des individualités qui s'engagenl dans des rapports toujours conflictuels avec Paltérité sociale, psychologique ou culturelle, interrogeant ainsi les fondements de la construction des discours et des visions du monde. Cependant, les personnages féminins ou masculins de ces romans soulěvent des problématiques spécifíques. Des rapports différents se tissent entre les individus, dus principalement ä leur condition sociale et existentielle. Irene et Salie, les personnages féminins chez Fatou Diome et Calixthe Beyala, posent par exemple des problématiques liées ä leur condition feminine, tandis que les personnages de Sami Tchak10 et de Kossi Efoui" enga-gent des questionnements spécifíques sur le statut de l'intellectuel dans le monde contemporain. Le personnage de Femme mte, femme noire ne quitte pas l'Afrique, tandis que celui de Place des fétes ne quitte pas Paris. Salie se déplace librement entre l'Afrique et la France, tandis que Pensemble des autres personnages est condamné h une forme d'immobilisme psychologique. Ces romans désignent simultanément le caractére homogene de la pratique littéraire et son caractěre heterogene, du principalement ä la sensibilitě spécifique de chaque créateur. Cependant, placée dans le contexte de la postmodernité. l'analyse de ces quatre romans. mise ponctuellement en rapport avec d'autres creations littéraires conteinporaines, antérieures ou méme parfois postérieures ä leur partition, pennettra de comprendre l'etendue de l'innovation proposée par ces écrivains d'origine africaine vivant en France. tXtraterri toriale (Anthologie africaine ď expression francaise. Le roman et la nouvelle. Halier International, 2002). Pour finir, ce « phenomena* 981 ihéorisé par Odile Cazenave en 2O03 (Afrique sur Seine, up. cit.) pins u-|>ns pu Christiane Albert ,/ 'Immigration fans le roman africain fivmop1"""' conumporaln, Karthala, 2005), qui considére l'immigration comme étaat le facteui determinant d'un changement , I ln-tR|iii_-. Kxssi Efoui, ÍAiFabrique de ceremonies,^- 20(11. i alixthe Beyala. Femme nue.femme noire, k\b\n Michel. 2003 S ami Tchak, ľhce des fétes, Seuil, 2001. Le personnage principal du roman Place des fetes etant un anonyme, nous I'appellerons le « personnage sans nom ». Chapitre Premier : Querelles theoriques L'analyse el 1'interpretation des creations litteraires francophones ecrites par des romanciers contemporains qui ont fait le choix de vivre dura-blement dans le pays de leur ancien colonisateur necessitent prealablement la constitution d'un cadre de questionnement dual, oriente, d'une part, vers la comprehension diachronique du phenomene de la colonisation, du choc culture! et symbolique que celle-ci a provoque et de l'emergence ulterieure d'une litterature africaine et, d'autre part, vers la comprehension syn-chronique des phenomenes culturels visibles dans 1'espace de l'emergence de 1'oeuvre litteraire. Dans ce contexte, la creation par l'Occident d'une entite imaginaire appelee Orient et puis, par extrapolation, egalemcnt Afrique ; la configuration ensuite d'une unite et d'une identite africaine, en reponse a Vimage venue de 1'exterieur, suivie par la contestation de cette meme image, sont les etapes fondamentales constituant le cadre general de la pensfe, sur le fond duquel peut etre aujourd'hui comprise la nouvelle litterature ecrite par des auteurs d'origine africaine, litterature qui aspire a s'affirmer comme difference et comme discours original sur la scene culturelle mondiale. Cette litterature, qualifiee par la plupart des chercheurs de postcoloniale du fait qu'elle entre-tient un rapport contestataire avec les heritages de la pensee, pose avec acuite 1c probleme du partage des champs theoriques et ideologiques dans la contemporaneite. Elle est le lieu de rencontre du postmoderne et du post-colonial, une rencontre conflictuelle ou peut-etre de conciliation entre les aires culturelles, par un melange inedit des esthetiques. 1.1. L'Afrique imaginaire L'une des cibles de la contestation inscrite implicitement dans 1'oeuvre de ces romanciers est la creation historique et imaginaire, dont les fonde-ments ont sou vent ete mis en question, d'une identite globale africaine, fruit d'une codification de la realite exterieure operee par un Occident autotelique qui, en elaborant sa propre narration identitaire, crea les bases d'un veritable « savoir de 1'imagination » ou « la vision sur le monde s'est trouvee modelee et organisee par une logique oil se joignaient indistinctement l'imaginaire et La diaspora postcoloniale en France I'efl'ectivement constate, la reverie et le reel*1. Dans le cadre de ce savoir », le discours sur l'Afrique a constitue l'apogee d'une fictionnalisa-lion de I'alt6xit6 geographique, raciale et culturelle. Marge, espace blanc. icrre inconnue, l'Afrique s'est averee pour I'Occident une limite dans la representation du monde. Dans ces circonstances, au recit melant imaginaire et reel a suivi la formulation d'un projet pratique, celui de la colonisation. Cette construction imaginaire et cette forme de maitrise guidee par un double projet, pratique et ideologique, ne sauraient etre percues comme des realties unanimement acceptees par les individus concernes, car des formes de resistance tres diverses ont toujours accompagne la formulation du discours de TOccident sur son Autre2. En Afrique, la creation d'un discours independant du discours occidental et la mise en question ulterieure de ce meme discours sont les principales etapes du renversement du rapport de domination. Les romans de ces ecrivains d'origine africaine vivant en France ne peuvent etre compris en dehors de la problematique de la naissance de la litterature africaine. Refletant le penchant postcolonial pour la contestation de toute domination, cette litterature doit etre replacee dans la perspective d'une domination symbolique residuelle. subsistant au fil du siecle dans l'imagina-tion collective. Elle entretient ainsi un rapport subversif avec les heritages de tout genre, eUaborant un discours apragmatique, contestataire et a fort impact mediatique. C'est un discours de la difference qui ne peul pas etre dissocie de la problematique de l'interaction entre le postmoderne et le postcolonial. 1.1.1. L'Occident et VOrientalisme La creation historique de 1'idenlite culturelle africaine, point de depart implicite du discours culturel africain contemporain, a ete le fruit d'une rencontre problematique entre deux entites, peu de"finies, sur la scene de l'histoire : la relation entre I'Occident et 1'Orient a constitue le cadre premier dans lequel s'est deployee la pen see dans la plupart des parties du globe, influencant 1'apprehension de la representation de la realite et de l'organisation des rapports economiques, politiques, symboliques et culturels. La portee de cette rencontre sera ici seulement evoquee. Les limites du monde occidental : la creation de la geographie monstrueuse Percu au fil des siecles comme une entite coherente, I'Occident, la partie du monde cantonnee a l'origine3 a I'aire geographique du bassin mediterraneen, s'est definie a partir de VAntiquity par une culture et un sys-icme de valeurs communs qui pla^aient au centre de leurs preoccupations Jenu Dominique Penel. Homo caudaius. Les homines a queue tie 1 Afrique cemrale : nu avatar de I'imaginaire occidental, SELAF, 1982, p. 31. i / lulward Said. Culture et Imperialisme, (1993), Fayard/Le Monde diplomatique, 'ono, notamment dans le chapitre « Resistance et opposition », p. 277-391. 1 I.. ,.. k.l...... /,C,,r™W,,rti!™;™^J'J,7i»„rp DUP 1 QOfi n In QlJERELLES THEORIQUES , „.. n' . I' ..... I1 .ľ ... i ■llJ"';^ |»tt'|i| MMaiilii'1' ľ'ýiH ' |'< ľ- I u......y"" 1 11 i.....a^'""'1 .1,1 dlSC'V1' ......c'SlV0' l>> Ľ...... 1» ..wni^fr"1' hn ,,,1//""" dnniin/V*' 1 11 lion col'^11!1, lout gen1*,c " 1 ..u-dialiiy'l'" implicit ,PlL" outre f\*n'l,u------ I'liisioi^'.! s1"'' (Inns \&}\ I'-'I'l inllucflí^/'1, ' ľi»rgani^ťťl1, ' 1;'|H>^'1" jjt,„ |,„ in C iV"1, ..... partie */' .v Im t I ci no J( •1 '< ' I >.iiin lc cadre de ce ........ I iilMipY dune lictionnalisa- .1. .1 . Minn, II, Mai>.'c, cs|iacc hlanc, • I...... I 1 '" idem mic limite dans la •»■• 1 ".....llilWM, nu real iiicl.ini iniaginairc 1 "" i"'ľ 1 |iirtlii|iu 1 elm de l,i 1 olonisation. " i........Ii niiilliise eunlcc 11.11 mi diuihle .......1......lie I'lisiH". • online des lealiles Intllvldiit 1 mu 1 nu ... . ,11 ilen li.iniis de icsis 1 "ľ m in' l,i ImiiiiiiI.iiiiui dii iIim mils de " " i" 11 .......n d "11 1I1-.1 urns null |Miiil.mi " I H 'I"' 1..... nil. III mi ill ■ 1 III! in, ill., (Hits M ' ........I" ' >|'|......Ii dunlin Hi,,n I'll .1 "in.....Ill ...... mi , n I i,111, e lie 1 1 I I'll........|lli di l,i ii.h-,..in, , ,|, |,i IH m ll.llll |Hi«l. uliinl.ll |i..... |,|.....1, ^ m,i|| ,|,. * '••»' " I'1'" •'• d.lll 1,1 |» i |„ . IK , ,1 nu, 1 "'' ......... Ml 'Hl ii I' 'I i 111,.....1 ..........r " "..... I. 1.........1. 'i i" ..........I Ä lull llll|l||l I '" ' " i..... i ........Il»«i« li' de 1 1 1 • 1 I, |. ,.ii ii| ni,ii • '.......'..... I'll.....I'll Mini I* ill íl* 1I1 ľ hi 1 1 ,, ,, I Mem ile It 1....... I 1I11 ylnlic, III* -i de ' Hlinu K 1.1. m h I Ihkmii JIMI lulls 1 ŕ1 ' lea«-p7Í| mi avc0 ii*, ;imk),,/o n,,1, pNmwiiiiiH I'homme et son potcntiel d'emancipation. Un projet philosophique central et une histoire culturelle et humaine commune ont ete les elements constitutifs d'une entite qui se definissait comme occidentale, mais a laquelle manquait la structuration d'une identite stable, differente des autres identites, ainsi que la connaissance des territoires qui s'etendaient au-dela de ses frontieres. La configuration de l'espace occidental est restee longtemps tres approximative. Elle etail le fruit d'une representation mentale qui s'arretait aux limites de ses frontieres, elles aussi peu definies. La connaissance reelle du monde exterieur etait tres restreinte et ce qui se trouvait a l'exterieur du monde occidental avait besoin d'etre defini. Ainsi est nee, dans 1'imaginaire du monde occidental, une geographie fabuleuse qui englobail les vastes territoires meconnus par I'Occident. Espaces fious, inspirant la pcur et la terreur, certaines parties du monde etaient percues comme des espaces dangereux, habites par des etres monstrueux : L'image de l'autre s'avere done eire mndclee. au-dela de I'experienee empi-rique et des contacts directs par un systeme complexe de stereotypes mythiques et de cliches culturels, L'Europe voyail les habitants des naondes p£ripheriques comme des races monslruciises. donl la figuration etail heritee de l'Antiquitd classique ou de la mythologie chreuennc.' Cette geographie de 1'imaginaire appaitenanl an I'onds geograpliiqtie de 1'Antiquity5 connaftra des deplacements progressifs : du bassin nicdilcrra-neen lui-meme, vers l'Asie, et particulierement dans les ties, avant d'atteindre, au XIXC siecle l'Afrique et notamment l'Afrique centrale. Canni-bales6 ou homines a queue7, les habitants des territoires meconnus de I'Occident, ces etres doues d'un statut ontologique ambigu, sont les reflets d'une construction imaginaire de l'alterite geographique, des formes de la non-maitrise de la realite exterieure par la connaissance effective, mais ega-lement des pretextes pour « camoufler des faits sociaux de 'racismc', de refus d'Autrui »8 presents au sein de la societe occidentale. L'attestation de ('existence de ces formes de vie a mi-chemin entre I'humain et 1'animal (rendue possible par des recits de voyages et des temoi-gnages soi-disant directs), au-dela du fait qu'elle etait le reflet du regard tota-lisant d'un Occident desireux de maitriser toutes les parties du monde, operait aussi un questionnement de la condition humaine elle-meme. car elle etait 4 Corin Braga, « L'autre comme race monstrueuse. Racines antiques et médiévales de 1'imaginaire colonial et eurocentrique», Cahiers de I'Echinox, vol. 1, Post-cotonialisme et Postcommunisme, Cluj, Dacia, 2001. p. 83. « les monoculi et les Cynocéphales font partie de la liste des races d'hommes monstrueux, qui se transmet de maniere presque immuable de Pline et Solin ä Saint Augustin, puis aux Livres des Etymologies d'Isidore de Seville. ». Franck Lestringant, Le Cannibale. Grandeur et Decadence, Perrin, 1994, p. 44. 6 «Colomb n'est pas seulement le découvreur de ľAmérique. e'est d'abord 1'inventeur du cannibale. », Ibid., p. 48. ' Jean-Dominique Penel, Homo caudatus, op. cit. 8 Ibid., p. 16. La diaspora postcoloniale en France pensee dans la perspective de l'existence d'une echelle des etres. omni- presente chez les auteurs du xviif siecle : AppuySe sur le principe que la nature ne fait pas de saut, et que, depuis la ma-tiere inanimee et les premiers elements jusqu'ä l'homme, toutes les graduations et etapes sont remplies par des etres progressivement plus complexes et plus parfaits, la theorie de 1'Schelle des etres se trouve presque partout chez les auteurs du xvtii8 siecle.9 Outil de devalorisation de I'alterite, cette presence articulait aussi l'existence d'une certaine familiarite, d'un rapport de parente entre les Stades devolution de l'humanite. Comrae raffirme Gerard Leclerc : « Les sauvages sont 'nos ancetres contemporains' » . Le sauvage, cet Stre primitif. cet etre situe au bas de l'echelle de 1'evolution humaine, apparait comme l'oppose de rhomme civilise occidental, mais aussi comme son double intime. II incarne cette «inhumanite que nous recelons au fond de nous-memes et dont le cannibalisme, dans sa Variante ogresque represente le comble »". Etre lointain et familier ä la fois, le sauvage devoile toutes les ambigui'tes de la pensee des xvme et xixc' siecles. Forme ideale d'existence, incarnation de la vie naturelle et de «l'authenticite et [del l'excellence morale »12, selon la theorie du « bon sauvage » heritee du Moyen Äge et de la Renaissance, developpee par Michel de Montaigne13 et par Jean Jacques Rousseau1'1, il est egalemenl et simullanemcnl I'incarnation d'un etat d'existence perfectible qui necessite et cautionne la mission civili-satricc occidentale. qui est le remede, la contrcpartie15 de cette realite effra-yante. Domaine de I'imagination, terre inconnue, provoquant la terreur ou la reverie, l'existence sauvage semble etre I'incarnation de la difference abso-lue. Cette difference qui a atteint son apogee lors de la decouverte de FAfrique16 a engendre diverses tentatives de maltrise rationnelle de la part de la pensee occidentale. L'histoire de 1'oriental is me, theorisee par Edward Said17 et par Jean-Marc Moura18, doit ainsi Stre lue. parallelement ä celle de la representation de l'etat sauvage, comme une tentative de maitrise de la peur inspiree ä l'homme occidental par le monde peripherique. Cette hisloire 9 Ibid., p. 79. 10 Anthropologic et Colonialisme. Essai sur l'histoire de I' africanisms, Fayard, 1972, p. 34. " Franck Lestringant. Le Cannibale, op. cit, p. 274. 12 Gerard Leclerc, Anthropologic et Colonialisme. op. cit., p. 16. 13 Essais, I,31, Des Cannibales, [1580], Gallimard, 1962, p. 203-204. 14 Discours sur I'origine et les fondements de I'inegalite parmi les homines, [1755], Librairie GSnerale Franchise, 1996. 15 Franck Lestringant, Le Cannibale, op. cit,, p. 279-280. «TTie African figure was an empirical fact, yet by definition it was perceived, experienced, and promoted as the sign of the absolute otherness », V. Y. Mudimbe, The Idea of Africa, Bloomington/lndianapolis, Indiana University Press, 1994, p. 38. 17 Orientalisme. U Orient tree par /'Occident, Seuil, 1980. s L'Europe litt&raire et I'AHleurs, op. cit. Ql IliRELLLS theor1ques de I'orienialisme, con§u ail sens large non seulement comme discipline (1'erudition, mais comme histoire des mentalites et de Fapprehension de I'allcrilc (c'est seulement dans cette perspective que Forientalisme peut etre mnsiclere comme le fondement meme des etudes postcoloniales), rend encore visible 1'entrecroisement de FexpeYience et de 1'imagination dans la representation de la realite dans la pensee occidentale. Elle rend egalement compte des superpositions progressives des aires geographiques, au fur et a mesure des « decouvertes», devenant ainsi 1'outil d'une pensee binaire, opposant toujours le « nous » et les « autres », mais aussi, comme le montre Roger-Pol Droit, I'outil de la decouverte subversive du manque d'exceptionnalite de la culture occidentale1^. Naissance de 1'orientalisme Si l'origine du mot Orient remonte a l'epoque de l'Empire romain qui, « suivant la conception grecque, oppose deux blocs : le monde imperial et une vague Asie »20, les debuts de Forientalisme sont marques par la decision prise en 1312 par le Concile de Vienne de creer unc scrie de chaires de lan-gues arabes, grecque, hebraique, syrianique a Paris, Oxford, Bologne, Avignon et Salamanque"1. Dependant, beaucoup plus qu'une simple discipline d'erudition, 1'orientalisme s'est avere une « discipline » de Pimagina-lion, utilisee par ['Occident a des fins identitaires. En effet, notion imprecise, englobant des aires geographiques diver-ses, TOrient a connu au fil du temps des deplacements progressifs : « 1'Orient de reve », «I'Orient musulman » et «/'Orient bymnt'm », identifies par Jean-Marc Moura comme les trois « Orients » fondateurs de la culture euro-peenne, ont 6te completes par FAfrique et PAsie, derives directs du premier Orient, celui du reve22. Concu essentiellement comme une projection imaginaire, 1'Orient a pennis au monde occidental de preciser son identite par I'intermedial re d'une demarcation qualifiee par Edward Said de forme « infe-rieure et refoulee » de Pidentite occidentale. L'orientalisme a etc pour la pensee occidentale un modele de construction de la difference, connotee la plupart du temps comme difference negative. Meme si cette caracteristique negative de 1'orientalisme tel que P analyse Edward Said n'est pas valable pour tous les « orients » (en Asie par exemple, « orient second » derive de meme que PAfrique de 1'« orient de rSve », ce que les philosophes du xvin'" siecle decouvrent « ce sont des univers intellcctuels dissemblables et multiples »24, ce qui aura comme 19 L'Oublidel'Inde. Une Amnfsiephilosophique, [1989], Seuil, 2004, p. 116. 20 Jean-Marc Moura, L'Europe litt er aire et I'Ailleurs, op. cit., p. 16. 21 Cf. Jean-Marc Moura, L'Europe litteraire et I'Ailleurs, op. cit., p. 16 et Edward Said, Orientalisme, op. cit., p. 84. ■ Jean-Marc Moura, L'Europe litteraire et I'Ailleurs, op. cit., p. 21. 23 Edward Said, Orientalisme, op. cit., p. 16. 24 Roger-Pol Droit, L'Oubli de rinde, op. cit., p. 112._ La diaspora postcoloniale en France consequence la « fissure de la Grande Muraille de I'Occident »25), en Afrique elle est plus que nulle part ailleurs visible. Le rapport de I'Occident avec 1 'Afrique, notamment subsaharienne, a en effet ete tres complexe, engendrant un conflit symbolique qui a atteint son apogee lors de 1'epoque coloniale, mais qui continue encore aujourd'hui de nourrir le debat des intellectuels et des ecrivains postcoloniaux, car l'Afrique a ete le dernier continent connu par I'Occident; sa «decouverte »26 au xvc siecle n'a ete achevee, comme le montre Jean-Dominique Penel, qu'au xixe siecle27; il est le territoire le plus nourri par I'iinaginaire occidental. Le discours sur les etres primitifs croise alors le modele binaire de representation de la realite exterieure, les deux inspires et faconnes par une vaste litterature exotique, car c'est en rapport: avec 1'Afrique subsaharienne que la notion d"Autre absolu' atteint son point d'orgue. Ainsi qu'on le sail desormais, 1 'Afrique en tant qu'idee et en tant que concept a historiquement servi et continue de servir d'argument polemique a I'Occident dans sa rage a marquer sa difference contre le reste du monde. A plusieurs egards, elle constitue l'antithese sur fond duquei [sic] I'Occident se reprSsente I'origine de ses propres normes, clabore une image de lui-meme et l'integre dans un ensemble d'autrcs signifiants dont il se sert pour dire ce qu'il suppose etre son identity. « Receptacle du discours europeen de l'absence. du manque et du non-etre »2!), « ultime marge vue de l'Europe, consideree le centre du monde »30, I'Afrique subsaharienne devient la cible d'un ensemble de representations negatives qui component, pour la pensee occidentale, une valeur contrastive, exemplaire par rapport a un ideal d'etre humain et d'etre en societe. Situes en dehors de l'histoire, les Africans apparaissaient ainsi comme des enfants qui avaient, comme l'ecrit Gerard Leclerc, besoin de protection31. 35 « L'Europe se jugeait universelle et just Mice ä conquerir. Elle se croyait trans patente ü soi. capable de se narrer sa ne"cessit6 et son miracle. La voilä entouree de civilisations modes du survivantes, de splendours (ernies et de religions embarras-santes. Rien qu'une, parmi taut d'autres - vouee desormais ä douter d'etre une issue on une impasse, engagee dans un labyrinthe, peul-etre infini. dont personne ne peut savoir s'il obeil ii un plan d ensemble. ». Ibid., p. 1 19* 26 V. Y. Mudimbe affirme : « Looking again, however, it becomes apparent that indeed the fifteenth-century discovery was not the first contact of continent with foreigners. Hence that discovery spells out only one viewpoint, the European. », The Idea of Africa, op. cit., p. 17. 27 « Le coeur de l'Afrique, en conjuguant la double caracteristique de disposer de regions encore inexploröes et d'etre habitö par des populations noires, remplissait les conditions ide"ologiques nScessaires et süffisantes pour donner lieu ä la derniere grande histoire des homrnes a queue du XIX1"' siecle : celle des Niam-Niams. », Homo caudatus, op. cit., p. 131. 28 Achille Mbembe, De la Postcolonie, op. cit., p. 9. 29Ibid.. p. 12-13. 30 Momar Desire Kane, Marginalite et Errance dans la litterature et le cinema africain, L'Harmattan, 2004, p. 58. QUIERELL.ES THEORIQUES Creation imaginaire et experience pratique : la colonisation Dans cc contexte, la fin du xvitf siecle et le debut du xixe seront marques par la formation du mythe de la suprematie occidentale, rendu possible par la decouverte du continent africain et renforce par le projet d'expansion coloniale. Envisagee comme un vrai devoir d'un etre superieur envers son Autre, inferieur, depourvu d'interiorite, comme le note Gerard Leclerc32, la colonisation'13 constitue l'apogee, mais aussi le debut du declin du « savoir » occidental sur F organisation du monde. La formulation du projet colonial, en France par exemple, s'arliculait autour de deux arguments principaux, celui de ['affirmation d'une position de force par rapport aux autres puissances mondiales et celui d'un devoir envers les peuples indigenes, comme le relevent Nicolas Banccl el Pascal Blanchard en reprenant les propos de Jules Ferry : Deux arguments pre"sentes alors en faveur de la colonisation par It; depute et ancien president du Conseil Jules Ferry nous paraisseni essentiels. Le premier est que la Republique doit revendiquer, au meme titre que toutes les grandes nations, une politique de puissance coloniale, seule garantic de sa grandeur face a ses concurrents europeens (sous-entendu rAngleterre), perspective fai-sant suite a la politique d'expansion napolecnienne. Second argument: si les principes universels de la Republique sont brandis comme des motivations legitimes de 1'imperialisme - la volonte de 'civiliser' les indig&nes et de les amener progressivement aux lumieres de la liberie -, Ferry enonce clairement que les 'races inferieures' promises a la colonisation ne peuvent beneficier, sinon a terme, de ces principes.34 Prenant ses sources dans trois mythes, evoques par Bokiba, « celui de la superiorite blanche, celui du Blanc civil isateur, et comme corollaire des deux premiers, celui de lMnferiorite et de la primitivite du Negre »35, la 32 « A la vision hnperiale est lie' le refus de reconnaitre aux soeietes non occidentales une interiorite' reelle, une interiorite qui ne soit pas perdue comme passivity ou hostility », Ibid., p. 38. « La plupart des historiens du colonialisme font commencer officiellement F'age de F empire* vers 1878, avec la 'ruee sur rAfrique'. Un examen plus attentifdes realites culturelles revele bien avant cette date Fexistence d'une conception profondement ancree de Fhegemonie europeenne outre-mer. Nous pouvons reperer un systeme ideologique coherent et pleinement operationnel vers la fin du xvnf siecle. Puis, il est integralement mis en ceuvre par un ensemble de phenomenes nouveaux : les premieres grandes conquetes systematiques sous Napoleon, l'essor du nationalisme et de PEtat-nation europeen, les debuts de l'industrialisation a grande echelle, la consolidation du pouvoir de la bourgeoisie. C'est a la meme epoque que s'imposent le roman comme genre litteraire et la nouvelle fa^on d'ecrire l'histoire et que rimportance de la subjec-tivite pour le temps historique s'6tablit fermement. », Edward Said, Culture et Impehalisme, op. cit., p. 106-107. M « Les origines republicaines de la fracture coloniale », in La Fracture coloniale. La Societe francaise au prisme de /'heritage colonial, Pascal Blanchard, Nicolas Bancel et Sandrine Lemaire, (Dir.), La Decouverte, 2006, p. 39. ^ fi.criture Pt ldjf>ntit& tffms tn lilterniitrt> rifrirnitzp 1 *Hiirmnft^n 1 OQft r, l^a La diaspora postcoloniale en France colonisation a ete le projet occidental le plus important et dont les consequences ont modifie entierement le profil du monde. Alimente par ces trois mythes et par Forientalisme36, motive par des interets economiques qui ne doivent pas etre ignores, le projet colonial s'est accompagne d'«d'impres-sionnantes formations ideologiques, dont les discours assuraient que certains peuples et territoires [avaient] besoin d'eire domines et le demand [aientj et des types de savoirs lies ä la domination »37. L'ensemble des discours permettant une conquete de 1'espace demeure souvent jusqu'alors dans le domaine de l'imagination (Fespace blanc des cartes, comme celle rcgardee par Marlow dans Au cceur des tene-bresM, devient un espace signifiant, mais un espace tenebreux qui se refusait patfois ä la conquete) operaient une falsification certaine de la realite39. De plus, les colonisateurs reduisaient la diversite de la realite locale dans les lietix ä conquerir a une structure artificiellement unique. Cette manipulation de la realite ne s'est cependant pas averee sans consequence pour le monde occidental car, dans le processus d'affirmation croissante de la Suprematie occidentale, le doute sur la legitimate de cette Suprematie se faisait sentir lui aussi. A parttr du xrxc siecle, comme le montre Roger-Pol Droit, une prise de conscience inedite marqua l'Occident philosophique : la redecouverte de Finde, notamment du bouddhisme, ebranla la construction de 1'edifice ration-nel hierarchisant occidental"*". La pensee occidentale etait ainsi confronted ä Fevidence de 1'existence des autres. Cette prise de conscience, aggravee par Taction des resistances internes et externes41 ä la colonisation, a opere une mise en question de la legiti- « Dire simplement que 1* oriental isme était une rationalisation de la regie coloniale, c'est ignorer á quel point celle-ci était justifiée par 1'orientalisme par avance, et non apres coup. ». Edward Said, Orienralisme, op, cit., p. 58. Edward Said. Culture et Imperialisme, op. cit., p. 44. n « Je passai.s des heurcs a regarder PAmerique du Sud ou FAfrique on 1'Austrálie, et je me perdais dans loute la gloire de 1'exploration. En ce temps lá il restait beaucoup d'espaees blancs sur la terre |...| Ce n'était plus un espace blanc de délicieux mys teres, tine zone vide propre a donner a un enfant des rC'ves de gloire. C'etait devenu un lieu de ténébres. », [1899], Flammarion, 1989. p. 91 el 135. ,9 De plus, Fopposition a la domination reneonirec dans certaines regions de l'Afrique, contribuait, comme le montre .lean-Dominique Penel {Homo caudatus, op. cit., p. 78-79), á 1'affennissemeni de I'imaginaire dépréeiatif lié á la representation de FAutre : « Ainsi l'attribution de la méchanccté n'est pas fondéc sur la pure imagination, mais est le plus souvent ancrée dans un rappon effectifde domination contrariée (imp os sib i li té d'atteindre certaines regions, resistance des habitants) ». «Penser que nous ne sommes pas tout, ni I'autre non plus. Se mouvoir dans l'univers du divers, de la multiplicité, de 1'échange. Reconnaitre qu'il y a des usages de la rationalité tout a fait différents de ceux qui nous semblent, a force d'etre coutu-miers, les seuls legitimes - voire les seuls possibles. Se reconnaitre, du coup, par le fait de ce détour, comme une tribu singuliere. », L'Oubli de I'Inde, op. cit., p. 88-89. 41 « En regie generále, done, la resistance anti-impérialiste se construit graduellement, á partir de revokes sporadiques, et souvent manquées ; puis, apres la premiere guerre mr,*,Aí,,\a l '^.-lůrtíiriHictiťnníi At±\r^r\t nine militant ť»t MiDpnHrA Ifsi nnnveanx EtatS QI ; K! : I.KSTHEORIQUES mile (In caractere universe! et de la suprematie de 1'homme occidental sur le reste du monde. Avec la decolonisation, a partir des annees 60, sur un terrain de'ja prepare par une serie de mutations de la perception et de la representation de la realite (la theorie de la relativite elaboree au debut du siecle entre dans le systeme philosophique occidental et se diversifie, s'imposant ainsi dans le champ cognitif, ethique et esth&ique, devenant meme le paradigme de la perception de I'espace. du temps et de l'alterite4"), s'est produit dans la culture occidentale le renversement integral de I'echelle des valeurs et la mort du recit de legitimation de sa suprematie. Le monde connatt la fin de reuropeocentrisme4;! et la multiplication des systemes de valeur et de reperes. L'alteriu? devient une subjectivite qui revendique et impose la reconnaissance de soi sur la scene de l'histoire. Si pour le monde occidental telle I'm la consequence majeure de la colonisation, pour les colonises les repercussions onl etc beaucotip plus radicals, car ils ont fait ('experience de la rencontre avec TaiKic dans la violence, une violence qui les a brusquemenl sortis du emus de leur proprc histoire pour les introduire dans une autre, celle de I'Occidcnt, on peul cite dans la « non-histoire »44. Cette « exclusion de I "Histoire » et le choc brusque des cultures ont genere des transformations profondes dans les socieies colonisees45, comrae l'acceleration de l'histoire, le resserrement de 1'espace et l'individualisation des destins. 1.1.2. L'« unite » de la litterature africaine Dans le contexte de la domination exercee par une puissance deten-trice d'un savoir encore guide par une echelle de valeurs qui placait a son sommet 1'homme blanc, occidental, les intellectuels des pays colonises ont du d'Afrique et d'Asie. Cette dynamique transforme definitivement la politique inte-rieure des puissances occidentales, ou une division s'instaure entre partisans el adver-saires de rimperialisme. », Edward Said, Culture et Imperialisme, op, cit., p. 313-314. 41 « C'est dans la theorie generale de la relativite d'Einstein (1915) que se produii la rupture conceptuelle radicale : la geometrie de l'espace-temps devient contingente et dynamique, encodant en elle-meme le champ gravitationnel. », Alan Sokal et Jean Bricmont, Impostures intellectuelles, Odile Jacob, 1997, p. 316. 43 « L'europeocentrisme est mort avec le suicide politique de l'Europe au cours de la Premiere Guerre mondiale, avec le dSchiremem ide"ologique produit par la Revolution d'octobre, et avec le recul de l'Europe sur la scene mondiale du fait de la decolonisation et du developpement inegal - et probablement antagoniste - qui oppose les nations industrial isees au reste du monde. », Paul Ricceur, Temps et Recit 3, Le Temps raconti, Seuil, 1985, p. 369-370. 44 «les populations des territoires occupds ont ete forcees a sortir de l'Histoire pour embrasser la non-histoire [...] », Zacharie Pentnkeu Nzepa, « Espace francophone et politique Iinguistique : glottophagie ou diversite culturelle ? », Presence francophone, n°60, p. 82. 45 Marc Aug6, Pour une anthropologic des mondes contemporains, Aubier, 1994, n MS La íjiaspora postcoloniale en France entreprendre un travail de (dé)construction identitaire qui visait ä reformuler la vision du monde transmise par les colonisateurs. De ce fait, la naissance de la littérature africaine, rafricanisme ct 1c nationalisme, suivis par leur contestation ultérieure, seront envisages ici comme les étapes clés du renversement du monopole de la representation et de 1'affirmation d'une nouvelle representation ä valeur relative. Cette reformulation du savoir opérée par les intellectuels africains, similaire ä celle des intellectuels indiens promoteurs du mouvement des «études subalternes »4ccimstnictiou tin mythe dti nigre dans le ronton francophone noir, de Paul lltroumc ii Sony l.ahott Tansi, 2007, University de Limoges), la deconstruction du mythe du negie dans les romans africains francophones ne s'est pas r^alisee par une negation pure el simple de certains stereotypes de l'imagination, mais, au contraire, par I'cinploi de certains cliches dans denouvelles structures signifiantes qui realisent un detourncmcnt tie la perspective occidentale. 58 Les Ecrivaius dc la nigritude, Ellipses, 2001, p. 76. . 59 Marc A. Pape, « Ideologies et qucte identitaire : les fondements id£ologiques de la literature n^gro-africaine d 'expression francaise a travers La Carte d'identite de Jean-Marie Adiafl'i el L'Aventure ambigue de Cheikh Hamidou Kane », Identites postcoioniales dans les cultures francophones, Marie-Ange Somdah, (Dir.), QUERELLES THEORIQUES européens, supposes universels » , les rcprésentants de la Négritude out posé les bases d'une identitě unique, paradigmat i que, portée par la conscience d'une unite nationalc africainc inotivce par la resistance au colonialisme. Cette premiere forme de nationalisms, une forme «idéale »6l< moteur de la construction d'une difference positive et affirmation d'une identito unique, a été majoritairement acceptée par les intellectuels africains. Elle leur offrait la possibilité ďexprimer une sensibilitě unique, dans un contexte historique problématíque et leur permettait aussi de mener un combat de liberation á 1'échelle du continent62. Par la suite, les voix de la contestation se font fait petit á petit entendre. Avec les indépendances, on assiste á ['apparition de la conscience de la eomplexité des réalités africaines et a la fragmentation de I'Afrique en pays, «ou Ton ne reconnait pas toujours !a repartition ethniquc d'avant, et qu'assaillent les difficultés dc l'autonomie reirouvcc »"\ Lcs fondements du nationalisme et de Fidentite africainc globále se sont retrouvés mis en question aprěs les indépendances*4. Le panafricanisme ainsi que toules les idées promues par les intellectuels de la Négritude ont été dépassés par 1'appiiriiion de nouvelles réalités qui rendaient difficile leur pers i stance. Dans ce contexte, certains intellectuels ont commence a voir dans toutes ces formes « general i -santes » de ['existence les signes de la presence de certains residus d'une pensée essentialiste, raciale ; une prolongation de 1'idée de 1'inferioritě de la race negre qui était le soubassement du projet colonial. Albert Memmi a été Fun des premiers á s'interesser au fonction-neinent du systéme colonial. Dans Portrait du colonisé il a dévoilé les structures idéologiques sur lesquelles s'est appuyé ce systéme, tout en soulignant que sa mise en place n'aurait pas été possible sans !'accord tacite du colonisé lui-méme. Dans ce contexte, il revcle la relation ďinterdépendance entre les deux partenaires - le colonisé et le colonisateur - indispensable á la pérennité de la situation colon tale, car en pleine revoltě, «le colonisé continue á 6tJ Cf. Bill Ashcroft, Gareth Griffiths, Helen Tiffin, The Empire Writes Back. Theory and practice in post-colonial literatures. London and New York, Routledge, 2004, p. 20. fc1 Cristopher L. Miller, « Nationalism as resistance and Resistance as nationalism in Literature of Francophone Africa », in PostlColonisal condition : Exile, Migration and Nomadism, Frangoise Lionnet et Ronnie Scharfman, (Dir.), vol. 1, Yale University Press, p, 62-100. S2 Frantz Fanon, Les Damnes de la terre, op. ch., p. 200. 63 Claire-Neige Jaunet.ie.f Ecrivains de la nigritude, op. ch., p. 83. 64 «Then, after Independence, an irony of history intervenes : having demanded nationhood in this peculiar, generalized sense, Africans found themselves subject to nationalism of quite a different, more vulgar sort. The arbitrary borders between Africans state, which had been ignored or critiqued as arbitrary by the theory of Pan-African nationalism, were reasserted as armatures of a more familiar state nationalism at the sendee of a new elites. », Cristopher L. Miller, « Nationalism as resistance... », on. cif.. r>. 65. La diaspora postcoloniale en France i" riser, a sentir et vivre contre et done par rapport au colonísateur et á la colonisation »65. Suivant la trajectoire inaugurée par Albert Memmi, Amadou I lampáté Bá dénonce lui aussi dans ses productions théoriques et littérairesM les méfaits d'un regard monolithique extérieur posé sur des réalités dont la caractéristique principále est la diversité. II revendique ainsi le droit de FAfricain de se définir lui-méme : Trop souvent, en effet, on nous prěte des intentions qui ne sont pas les nótres, on interprete nos coutumes et nos traditions en fonction d'une logique qui, sans cesser d'etre logique, n'en est pas une chez nous. Les differences de psychologie et d'entendement faussent les interpretations venues de Fextérieur.67 La contestation des affirmations des représentants de la Négritude a été parfois vive et le debat reste encore ďactualité. II suffit de rappeler la reaction violente et parodique de Wole Soyinka, visant la déconstruction méme du concept de Négritude, en lui opposant celui de « tigritude », ou bien de mentionner la contribution de Fessayiste contemporain Gaston Kelman qui dans son pamphlet, Je suis noir et je n'aime pas le manioc, ptiblié en 2004, tente d'analyser, en le ridiculisant, le langage rempli de cliches et de lieux communs, qui s'est forge dans le vocabulaire européen, mais aussi soumoisement dans le vocabulaire utilise par les Africains pour parler d'eux-mčmes: Le Noir participe a cette oeuvre de petrification de son image exotico-nčgative par Fessentialisation. C'est le precede, nous 1'avons vu, qui consiste a accepter ce que Fon dit de vous et a finir par en fa i re une vérité, un element consti-tutif de votre identitě, de voire pcrsnniuilitč. File enraeine Fétre dans un état originel dont il ne pent se délaire el sin leqiiel u'inriueraieni millement la culture, le milieu social et Féducaiinn II est evident que les idees Innnulécs par le mouvement de la Négritude oni conslilué le point central de FalTirmalion de Fidentitě africaine en tanl que difference positive, mais aussi le dclnit d'une interrogation qui porte sur la validitě de I'existence d'une identitě africaine globále. Cette interrogation, qui pivoccnpc encore aujoiiid'hiii les cliercheurs. est corollaire d'une autre polémiqufi, stienticlle poui les eludes aliicaincs : celle du partage cnliv ia mi les liiii'ialuu-s alricaines. Iiit-I,órnt un- nfriciiinc <•!, nouvclle identitě nationale Apiěs les independauces, deux tendances opposées se manifestent, essayant toutes deux de tracer ou de réorgantser les lignes de force autour desquellcs sc déploierail la liltéialurc dans le continent africain. La question des « aires culturelles » el cellc du corpus de textes propres aux différentes 65 Petite Bibliotheque Payot, 1973, p. 167, 66 Nous faisons ici surtout reference a L I'tran^c destin de Wangrin ou les roueries d'un interprete africain, 10/18, Poche, 1973. 67 Aspects de la civilisation africaine. per Sonne, culture, religion. Presence Africaine. 1972, p. 31-32. Ql i R| 111i ni i lituji i is branches des etudes francophones rejoignenl le debat antérieur sur ['existence d'une identitě africaine globale. En effet, il est difficile aujoiiid'hui de tracer des frontiěres fixes entre les différents territoires et de delimilei ainsi des ■■ aires culturelles » homo-genes car il faut souligner une dilliculie imporiante tie la pratique des etudes francophones: «si Ton pose que l'unile d'une littérature francophone, la possibilité de la constituer en corpus, resulte de I'existence d'tme aire cultu-relle homogene et que l'une petti etre, pen on prou, le reflet de 1'autre, alors la justesse de l'analyse du systeme culture I qui sett de reference est un pré-requis essenttel » . Cette difftculté, dans le contexte africain francophone qui nous iniJ-resse, se resume ä la question de savoir si Ton peut toujour* patlei de la presence sur le continent d'une littérature noire ou africaine en rapport direct avec une identitě noire ou si Ton doit plutöt regarder indépcndamincni chaque littérature en fonction de chaque pays africain ou encore de chaque ethnie qui s'exprime par F intermediate de son representant ou en fonction de chaque religion. Ce debat est loin d'etre fini. II a généré et génere encore une multitude de textes et de colloques70, devenant aujourd'hui un point de depart oblige dans la comprehension du statut des écrivains ďorigine africaine ayant choisi de vi vre et ďécrire loin de leur pays ďorigine. La premiere tendance qui se dégage est panafricaniste ou plutcít néo-panafricaniste, corollaire de la problématique du nationalisme ideal identifié par Christopher Miller. Cette tendance, analysée par Anthony Appiah71, s'inscrit en quelque sorte dans la continuity du mouvement de la Négritude. Elle opere un (re)déplacement du concept national, d'un sens strict, celui de l'Etat-nation en particulier, ä un sens beaueoup plus élargi, sens qui englobe l'ensemble des pays qui ont connu la méme histoire coloniale. Ce nouveau nationalisme est ainsi décrit par Hans-Jürgen Lüsebrink : En Afrique subsaharienne et dans les Antilles frangaises, ce processus de « nationalisation », base sur des frontiěres artificielles héritées de la colonisation, passa par une phase panafricaine qui mit Paccent sur les traits communs de toutes les civilisations negro-africaines.72 Cette creation ideale, ä la difference du nationalisme européen déftni par Benedict Anderson « comme fatalitě historique et comme une communauté ' Michel Beniamino, La Francophonie litteraire, op. cit., p. 51. 7,1 « Ce fut tout un debat lance vers 1985 devant l'abondance de la production africaine et antillaise. Des tables rondes eurent lieu, en France surtout, sur ee sujet, et Ton demanda aux critiques et ecrivains de se prononcer: ce qui aboulit evideniment a diviser ce qui auparavant etait uni sous la banniere de la litterature ncgro-africaine. », Lilyan Kesteloot, Anthologie negro-africaine. Histoire et Textes de 1918 a nos jours. Panorama critique des prosateurs, poetes et dramaturges noirs du xxu siecle, Vanves. EDICEF, 2006, p. 484. '1 In My Father's House, Africa in the philosophy of culture. New York, Oxford University Press, 1992. ,: Article « Nation », in Vocabulaire des etudes francophones. Les concepts de base, VTirhf*! Rpniaminn I icp d^uvin fHir > t imjui^ Pnlim ?flfW n 1 10-111 LA DIASPORA POSTCOLONJAEE EN FRANCE imaginee a travers le langage »7' est un outil non moins imagine de resistance politique contre la domination symbolique. Applique au domaine de la culture, cet outil pr6ne l'existence d'un modele global pour la constitution d'un corpus specifique de textes et pour leur explication culturelle, sans tenir compte de la localisation territoriale des individus createurs. A ce modele global de conception de la culture s'oppose une autre tendance qui met l'accent sur la presence d'elements de division au sein des socictcs atricaines. La constatation do ['existence de l'ethniqtie'"' el du tribal, mais aussi de la diversite des langues et des dialectes presents sur le continent africain alimente les tendances a l'ethnieite et a I'indigenisation theorisees par Chantal Zabus75. Dans son etude, cette derniere insiste sur la necessite d'une plus grande specialisation des domaincs de recherche dans le cadre des etudes francophones, notamment africaines, specialisation qui tienne compte de la presence permanente de sous-contcxles dans les textes francophones. Dans cette tentative de comprehension du slatut de la litterature africaine sur le continent, les opinions sont done ires partagees tout au long du XXe siecle. Les deux tendances opposees, I'indigenisation et le pan-africanisme, veulent realiser une delimitation ires nelte des champs de la recherche scientiftque, mais il nous semhle que cette delimitation reste quasi impossible a 1'lieure actuellc. En effel, la diversite caracterise tous les niveaux de 1'organisation sociale sur le continent africain, comme le sou-lignent Mudimbe et Appiah : des comnuinaules clhniqties variees coexistent dans le meme espace geographiqiie ; des religions differentes, I'islam, ['animisme et le christianisme pour ne ciler que les Irois principales, confi- gurcnt I'espace mental de ces diverses communautes qui utilisent comme moyen d'expression des langues el des dialectes distincts. Cette diversite interdil an cherchew de coneevoir la realite africaine sous I'angle de 1'unite. Cependanl, la situation de la culture est sensiblemcnt differente. Les dis-contiiiuiles produiles par la colonisation, la releclure incessante du passe et la recherche de I'identilc permcttent encore aujotird'hui de parler d'une «Idee d'Afrique »"'. En effel, meme si Ton ne pent pas parler d'une unite de la L'Imaginaire national. Reflexions sur I'origine et I'essor du nationalisme, La Decouverte, 2002, p. 149. 74 Le terme « ethnie » est apparu r6cemment dans la langue fran^aise (1896); au xvie et au XVif siecles, le terme « nation » equivalait a celui de «tribu ». Mis en relation par Jean-Loup Amselle (« Ethnie et espaces : pour une anthropoiogie topique », in Au cceur de I'ethnie. Ethnie, tribalisme et Etat en Afrique, Jean-Loup Amselle et Elikia M'Bokolo, (Dir.). La Decouverte, 1999, p. 14) avec la domination coloniale, il est ainsi discredits en tant qu'outil d'analyse anthropologique des phSnomeues sociaux en Afrique. 75 «Indigenization refers to the writer's attempt to textualizing linguistic differentiation and conveying African concepts, thought-patterns, and linguistic features through the ex-colonizer's language. », The African Palimpsest: Indigenization of Language in the West Africa Europhone Novel, Amsterdam/Atlanta, Rodopi. 1991, p. 3. 76 « One can state that there is still today an idea of Africa. On the continent, it is 1 T -1---J;-----------^ "^/.iil^tan nc n r^r^^Hinn l\t thp n:t^1 QUERELLES THEORIQUES societě africaine, on peut parier d'une unite de la culture et de la littérature africaine, unite qui s'est constituée, comme Ie rappelle Anthony Appiah {qui contests par ailleurs Fidée de l'existence d'une identitě métaphysique et mythique africaine), suite á une histoire commune marquee par ['experience coloniale, autour d'une difficile transition de la tradition vers [a modernitě et d'une théorie raciale commune. Ces elements forment le soubassement d'une identitě africaine réelle, exprimée dans la littérature, en dépit de forces diver-gen tes. A travers cette querelle, nous pouvons constater qu'a la fin du XXL' síécle le sentiment de Funité africaine s'affaiblit et s'il existe encore une unite littéraire africaine réelle, le nacionalisme quant a lui vacille. La littérature africaine reste une pour les chercheurs, mais le sentiment d'appartenance de la plupart des écrivains s'est íntégralement modifíé. 1.1.3. La diaspora africaine en France Dans le contexts culture! contemporain, plus précisément á partir de 1980, la question du nationalisme et de Fidentité sc replace au coeur des interrogations sur le statut de la littérature africaine. Deux pbénoměnes corollaires out été identifies par les chercheurs: tout d'abord l'apparition, á partir de 1974 jusqu'au milieu des années 80, d'un cycle de migrations de crise78; ensuite l'apparition sur les scenes culturelles occidentales, notamment á Paris, Londres et New York, d'un ensemble d'intellectuels originaires des pays anciennement colonises. Ces phénomenes nous obligent a repenser, principalement dans le cas de PAfrique francophone, le probléme de la constitution d'une aire culturelle africaine unitaire qui transcenderait la dispersion géographique, provisoire ou definitive, des individus créateurs. Pour ce faire, nous utiliserons la notion de diaspora. Terme d'origine grecque, connote ensuite par une signification tragique liée a I'histoire du peuple juif™, i) est devenu dans la pensee post-coloniale un outil d'analyse sans doute imparfait, puisque sa pertinence est contestée par certains chercheurs"', Cependant, son utilisation relance la and as contemporary search for an identity.'., V. Y. Mudimbe, The Idea of Africa, op. cit., p. 210-211. 11 « In denying a metaphysical and mythic unity to Africa conception, then, I have not denied that 'African literature' is a useful category. I have insisted from the very beginning that the social-historical situation of African writers generates a common set of problems. But notice thai is precisely not a metaphysical consensus that creates this shared situation. It is, inter alia, the transition from traditional to modem loyalties ; the experience of colonialism ; the racial theories and prejudices of Europe, which provide both the language and the text of literary experience; the growth of both literacy and modern economy. », In my Father's Home. op. cit., p. 81. ,s Mar Fall, Le Destin des Africains noirs en France. Discrimination, assimilation, repli communautaire, L'Harmattan, 2005, p. 137. 79 Cf. Julia Kristeva, Etranjters d nous-memes, Fayard, 1988, p. 95-97. w Nous faisons ici notamment reference a Particle d'Andrew Smith, « Migrance, hybridit£ et etudes posted on iales », in Penser le postcolonial, op. cit. La diaspora postcoi.oniale en France Désafricanisation de 1'écriture Parallělement á ce penchant pour Findividualisme et pour la creation dont parle Tanella Boni, nous pouvons remarquer la manifestation ďun phé-nomene de « désafricanisation » de 1 'écriture. La plupart des écrivains de la diaspora en France refusent, explicitement ou implicitement, de se laisser enfermer ou de laisser enfermer leur ceuvre dans une catégorie esthétique ou humaine collective. lis dénient ainsi 1 'utilitě de la notion ďafricanité comme seuil de Finterprétation de leurs ceuvres et de leur statut dans le monde contemporain. Comme le montre Odile Cazenave : « Cest vouloir créer du nouveau et poser sa marque dans le couraní de la modernita litléraire et done entrer a part entiere dans la concurrence mondiale » . Dans ce contexte, les affirmations de certains écrivains sont nettement provocatrices et nous obligent á repenser leur rapport particulier á Fidentité. Fatou Diome affirme par exemple pouvoir écrire et se placer á la confluence de deux espaces, FAfrique el la France : « ,1'écris entre ces deux cultures qui ferment une sortě de miroir á double face el j'essaye de regarder les deux cultures de la méme maniěre : honnétement, avec franchise et lucidité »92. En revanche, les propos de deux autres écrivains, Sami Tchak et Kossi Efoui, prennent des dimensions de revoltě, de contestation de la pertinence de Futilisation ďune catégorie comme cello ďespace culturel africain. Pour Sami Tchak, Fexil rcprésenle la settle situation possible pour la naissance ďune écriluiv aulhenlique. libelee des carcans d'une determination culturelle, jugee par ailleurs insuffisanlc, car affaiblie : OiKirul mi parle de culture, siiiioul en temics de littérature. pourmoi FAfrique ne eonipie pas. Je nc suis pas un militant, mais un realisté. Pour accéder á la sphere de I 'écriture, on doil ětre un exile et un exile bien dans sa téte mji cotn-prend qu'il vient d'un espace culturcllement mediocre ou impuissant.9 Dans le méme contexte, Kossi Efoui declare : Pour moi la littérature africaine est quelque chose qui n'existe pas. La littérature africaine peut exister comme quelque chose de fabríqué, comme une question qui est intéressante du point de vue sociologique, pas du point de vue littéraire. ou encore : C'est une facon de récupérer un cliche. 'Les Africains' qa a été Finvention d'un Occident qui se percoit comme totalitě et qui fabrique une totalitě. Pour moi, le fait de dire que je suis Africain c'est une facon d'entretenir un ancien reve panafncaniste. Afrique sur Seine, op. cit., p. 241. 92 « Partir pour vivre libre », Africulmres, n°57, oct.-déc., 2003. 93 « Le débat littéraire serait-il une impossibilité en Afrique ? », propos recueillis par Tania Tervonen, Africultwes, n°57, oct.-déc, 2003. 94 « La littérature africaine n'existe pas », in Désir ď Afrique, Boniface Mongo- »*■----— ------1 'inrt'i _ 1^1 I Al, «UBItlHtlNIAl I i I i QUERELLES THEORIQUES I Jósafrica^ig^^n & ľéeril un ľ.n.dlélement ä tft -hautpour ľiiulh Itliial.......i...... I.i creation " pen'' j,mi parle Tanella Boni G<>m,ls renuirqm i l........N ........it'nn phé- ., r ■ ' Hnus r i. n;..!.... .i i. i ■ , , i ..m. in íle « désafrican nous •satior» deľécriture I .1 plupail -i.....vains de la 1,. pora en France refw""* ^pldenient ........[)| It'll........ de se laisser , Miriinci ou de laisser fe^ ' ^leuroeuvre dl.............ilieiique ou I.......míľ collective. Its qéeiint siiwl'mi!11' dl I.....linn d il 1 n ,nule comme Hťiiil de Finterprétation (j1 .^tiiswres Si ■!> I...........Inns le inonde coniemporäin. Comme je e ^fi^ C«* rtlVl 1 1 1 vmiloir créer du iiuiivcau et poser sa mat^. ^^sl'™'''"' 1.....;"'....... Illtrrnire et done cnirer ä part eníiére danti ^e ^tipa: momllah Dans ce contextes j c ^ptMlions de v'fltltl.....Hi 1I11 >' propoí lei'ticillis p;ir Malgré Peffet médiatique evident, d'ailleurs recherche par les écrivains, ces affirmations qui ne restent pas isolées95 imposent le réexamen du statut ties écrivains de la diaspora subsaharienne en France car elles témoignent d'une demarche d'affirmation identitaire assumée. Les communautés diasporigues post-nationales Pour pouvoir comprendre la situation de ces écrivains et le sens de leurs affirmations, nous devons élargir le cadre de notre propos et montrer que cette demarche volontaire peut ětre intégrée dans le cadre plus large de la contestation de FEtat-nation. II est certain que les écrivains de la diaspora africaine sont pris entre deux espaces devenus tous deux pour eux des espaces de Pappaxtenance. Lasses d'etre percus dans Fespace francais comme étant des etrangers et voulant créer une littérature de valeur cjui s'inscrive dans le contexte mondial, voulant en d'autres termes faire partie de la République. des iettres, ils sont tiraillés entre les pressions exercées par les etiquettes identitaires et leur sentiment grandissant d'etre différents de leurs prédécesseurs. Dans ces cir-constances, ils manifestem leur nature d'hommes de la frontiěre, de Fcntre-deux, caracteristique de leur situation de vie, mais caractéristique aussi de la nouvelle situation mondiale: On assiste ainsi au développement d'un nouvel international isme africain et extra-africain, dans lequel ies frontiéres sont perméables et les capitales multiples. Ce processus prend probablement sa source dans les premieres années des indépendances lorsque les écrivains et les intellecmels prennent conscience, dans de nombreux pays, qu'ils ne peuvent, a moins de se renier, tirer un profit symbolique de leur participation ou de leur allégeance au pouvoir.96 Les revendications des intellectuels dans les centres cuiturels occidentaux, á partir des années 20 á New York^7 puis des années 30 á Paris ont constitué le debut d'un processus ď in te nationalisation et de déterritoria-lisation de la culture qui s'est accentué apres la decolonisation. Une dissolu- ^ II suffit de rappeler Ies propos de Kossi Efoui : « Ľécrívain africain n'est pas sálané par le mimstére du tourisme » (Jean-Luc Douin, « Écrivains d'Afrique en liberté », Le Monde du 22.03.02), ou ceux de Pentretien realise ä Limoges en sept. 1998 par Tania Tervonen, public dans Afiicultures, n°12, nov. 1998: « Moi je n'ai aucune pretention de presenter FAfrique, je n'écris pas un guide touristique ! Et s'il m'anive de presenter FAfrique, c'est uniquement parce que j'ai besoin d'un decor, comme au theatre ! », propos qui ont fait R[(JI IS Iittéraire, est due, en grande partie, á l'importance grandissante du territoire dans la penséc contemporainc. Dans ces cireonstanees, pour comprendre le profil particulier de cette nouvelle generation Iittéraire et de sa production artistique, il nous semble essentiel de rioter certains des principaux change-merits qui ont affecté le monde contemporain. 1.2. Entre postcolonialisme et postmodernisme Les mutations qui ont affecté le monde contemporain sont réfléchies et théorisées par la pensée postcoloniale et postmoderně qui se partagent, á partir du milieu du XX* siěcle jusqu'a aujourd'hui, le champ idéologico-philosophique et esthétique dans toutes les parties du monde. Reflets de la pensée en crise, de la disparition des hierarchies et de la mise en question des valeurs, le postmoderně et le postcolonial soulěvent le probléme du rapport de l'individu au pouvoir, á 1'identité et á l'appartenance. 1.2.1. La postmodernité et ses manifestations Domaine de recherche dont la pertinence est souvent contestée par les penseurs contemporains, le postmoderně est apparu au til des dčcennies comme une réalité englobant un ensemble ďéléments et ďidées hétérogěnes. Trěs peu ou mal défini, malgré l'abondance des travaux, il entretient les reticences théoriques des chercheurs, notamment dans l'espace culturel francais. Dans ce con texte, il nous semble indispensable d'analyser de nouveau les cireonstanees de l'apparition de cette pensée dans la culture et d'attirer l'attention sur la persistance d'une confusion, rarement remarquée par les théoriciens, entre le postmoderně et la postmodernité, en vue de l'utilisation plus juste des acquis théoriques de la postmodernité pour la comprehension du statut des écrivains d'origine africaine contemporains. La dé-légitimation et l'apparition de la postmodernité La nouvelle orientation prise par le monde contemporain est en correlation avec la colonisation. 1960, l'annee de l'affirmation de 1'indépendance de la plupart des pays anciennement colonises, a représenté aussi pour le monde occidental, anciennement colonisateur, une date fondamentale. La reconnaissance de 1'indépendance des pays dominés a impliqué une acceptation de leur existence en tant qu'entites sociaies, politiques et culturelles distinctes. Or cette acceptation de la réalité indépendante des pays dominés a amené inévitablement le monde occidental á reconsidérer sa position sur la scene mondiale: «L'ceuvre politique de la decolonisation s'accompagne ainsi d'une revolution dans 1'ordre de la pensée, ce 'concept unitaire de portée universelle' cede la place á la diversité sans hierarchie des person-nalités culturelles »102. Alain Finkielkraut, La Défaite de la pensée, Gallimard, 1987, p. 90. La diaspora postcoloniale en France L'Occident a ainsi experimente l'apparition dans sa pensée d'un rela-livisme sans precedent qui avait débuté des la fin du xixc siěcle, l'obligeant á sc reconsidérer sur le modele de la diversité1 . La signification antérieure de sa réalité culturelle disparait. ce qui ouvre la voie a une pluralitě de significations possibles'04. La superioritě de la civilisation, en relation selon Edouard Glissant avec la « pensée du territoire élu », est mise en question, ainsi que la legitimita de sa domination105. Les critěres de la connaissance occidentale subissent un processus de dé-légitimation. Un temps de crise s'empare du monde occidental, s'accompagnant de changements profonds á 1'intérieur de la société et de la culture. Les grands récits qui s'etaient constitués au sommet de la modernitě occidentale meu-rent, selon Jean-Francois Lyotard106, laissant la place á une nouvelle maniěre de concevoir la réalité, dominée par un present perpétuel: En 1968, le monde occidental et occídentalisé est traverse par un spasme qui, entre autres choses, exprimait une remise en cause du progres capitaliste, c'est-a-dire une mise en doute du temps lui-méme comme progres, comme vecteur en soi d'un progres, en passe de bouleverser le present. [...] D'oii peut-ětre cette experience contemporaine d'un present perpétuel, insaisissable et quasiment mobile, cherchant malgré tout á produire pour lui-méme son propre temps historique.107 Un changement ďordre épistémologique survient done dans la culture. Le regard porte sur le monde se diversifie et perd son caracterc lota-lisant. Le monde entre dans 1'ěre de la postmodernité10 . Tous les domaines de la connaissance son i affeclcs par ce changement épistémologique. La "" •■ des la lin du \i\' siěcle. I'observation occidentale se retourne sur elle-méme et déCOUvre 1 la fois la plurulilé sociále interne (avec son corollaire, la pluralita culturelle) et 1'altorité au ctvui de I'individu. », Marc Augé, Pour line anthropologic, des mondes contemporains, Auhier, 1994. p. 82-83. I Ln Condition postmoderne. Rapport sur le savoir, Minuii. 1979. 117 « To begin with, some distinction between 'postmodernism' and 'postmodernity' seems to be necessary. If we reserve the first (as I believe the Rushdie affair confirms we should) for a set of particularized artistic, philosophical and cultural modes, selfconsciously but not exclusively adapted in the historical period of postmodernity, and see these as in one way or another defining the lived reality of its structures of thought and feeling, then it is clear (whatever is happening in detail in these first spheres) that the general social, economic and political orders intended by the second term are undergoing momentous even revolutionary change. », Peter Brooker, « Introduction: Reconstructions », in Modernism/Postmodernism, Peter Brooker. (Dir.), London/New York, Longman, 1992, p. 1-33. « Much of the confusion surrounding the usage of term postmodernism is due to the confusion of the cultural notion of postmodernism (and its inherent relationship to modernism) and postmodernity as the designation of a social and philosophical period or 'condition' ». The Politics of Postmodernism, London/New York, Routledge, 2002, p. 23. Querelles theorioues colonialisme et le feminisme, ayant tous trois en commun le desh tie dc legitimation et de deconstruct ion des fondements de la pensée et des discount qui les ont precedes, tels la connaissance, le langage et le statui tic l'hoitimc . Se rattachant á un méme cadre general, ils se définissenl cependant en fonction de quelques caractéristiques spécifiques que nous pouvons énumérer: le domaine d'application, l'aire géographique el culture!le et leur cible de predilection. Des rapports étroits de similitude et de difference se créent ainsi entre les discours de la postmodernité. Allies par une pensée commune121, s'interessant «aux formes de la marginalité, de l'ambiguite, aux strategies de refus du binaire, á toute forme de pastiche, de parodie et de redoublement »122, le postmodernisme et le postcolonialisme gardent par exemple leur spécificité terminologique due essentiellement á leur aire géographique et historique d'application : le monde occidental d'une part et le monde anciennement colonise d'autre part123, sans que ces delimitations aient une valeur exclusive. Si les liens entre le postcolonialisme et le postmodernisme sont sou-vent contestés par les théoriciens et les philosophes contemporains, les rapports entre le discours féministe et celui postmoderně d'une part, et entre le discours postcolonial et celui féministe, d'autre part, sont plus faciles á saisir et á comprendre. En 1980 le postmodernisme a fait une rencontre trěs importance avec le feminisme124, rencontre qui s'est matérialisée dans la contestation du logos philosophique en tant que pensée unique binaire et dominantě de la culture occidentale et de la masculinité125. Lorsque le modele de la contestation a servi de lien entre le postmodernisme et le feminisme. « Postmodern discourse are all deconstructive in that they seek to distance us and to make us skeptical about beliefs concerning truth, knowledge, power, the self, and language that are often taken for granted within and serve as legitimation for contemporary Western culture ». Jane Flax, « Postmodernism and Gender relations in feminist theory », in Feminism/Postmodernism, Linda Y. Nicholson, (Dir.), New York/London, Routledge, 1990, p. 39-62. 121 Voir egalement sur ce point Kwame Anthony Appiah, «Is the 'Post-' in 'Post-colonial' the 'Post-' in 'Postmodem' ? », in Dangerous Liaisons. Gender, Nation and Postcolonial Perspectives, Anne McClintock. Aamir Mufti and Olla Shohat, (Dir.). Minneapolis/London, University of Minnesota Press. 2004. 1-2 Jean-Marc Moura, Litteratures francophones et theorie postcoloniale, op. cit.. p. 149-150. 23 Daniel-Henri Pageaux, «La creolit6 antillaise entre postcolonialisme et neo-baroque », op. cit. 124 Cf. Linda Hutcheon. The Politics of Postmodernism, op. cit., p. 166. 125 « Or cette domination du logos philosophique, vient, pour une bonne part, de son pouvoir de reduire tout autre dans Feconomie du meme. Le projet teleologiquemcni constructeur qu'il se donne est toujours aussi un projet de detournement, de devoile-ment, de reduction de Tautre dans 1'economie du Meme. Et peut-etre dans sa phi*, grande gen^ralite, l'effacement de la difference des sexes dans le Systeme represent!! tif d'un 'sujet-masculin'. », Luce Irigaray, Ce Sexe qui n'en est pas un, Minuil, ll>77, LA DIASPORA POSTCOLONIALE EN FRANCE Fidentification symbolique a constitue' Ie fondement de la rencontre du post-colonialisme et du feminisme126. Le paysage culture! contemporain en meme temps que les habitudes sociales semblent aujourd'hui regis par les discours de la postmodernite qui visent de maniere similaire la contestation de l'autorite et de la domination qu'elle soit re'elle ou symbolique. La postmodernite en tant quepisteme dominante de Fepoque contemporaine faconne egalement la representation litteraire de la realite dans la plupart des parties du monde, donnant naissance a des esthetiques concurrentes, mais apparentees, capables de refleter les spccificites de la sensibilite ct de la vision du monde propres aux individua-litcs creat rices issues d'univers culturels divers. Dans ce contexte. la literature ecrite par des ccrivains d'originc africaine doit etre lue egalement a la hiiniere de la vision du monde proposee par la postmodernite, mais cette lecture ne peul pas etre placee en dehors de la problematique de la pensee postcoloniale. 1.2.2. Vivre dans la Postcolonie La postcolonie, terme utilise par Achille Mbembe pour designer Fepoque «qui renferme des durees multiples, faites de discontinuity, de renversements, d'inerties, d'oscillations qui se superposent, s'enehevetrent et s'enveloppent les unes dans les autres »'"7, nous Futilisons dans un sens davantage spatial, corollaire de sa signification tcmporelle, pour designer Fensemble des territoires depourvus de frontieres ou a frontieres mobiles, dont Fexistence a cte rendue possible dans la postmodernite par le develop-pemcnt des madias et par le deplaccnicut des individus vers les anciennes mctropolcs colonialcs. Ccs phenomencs opercnt un brouillage de la conception de Fidentitd et de Fappartenance des individus a un espace donne, per-meltant Fapparition de nouvcllcs manicrcs d'intcrpretcr et de representer la realite. Cette notion, issue du cadre general de la postmodernite, nous semble indispensable pour la comprehension du slatut des ccrivains africains de la diaspora. Completec par tine analyse de la pensee postcoloniale, elle nous pcrmettra d'analyser la condition existentielle de ces ecrivains et ainsi de mieux comprendre certains de leurs choix artistiques. Chronologie, ideologie et esthetique postcoloniales Dans le contexte des rapports de difference et de similitude entre les discours de la postmodernite, la situation du discours postcolonial presente un interet particulier pour la comprehension du paysage culturel contempo- « Women in many societies have been relegated to the position of 'Other', marginalized, and, in a metaphorical sense 'colonized', forced to pursue guerilla warfare against imperil domination [...1. They share with colonized race and people an intimate experience of the politics of oppression and repression and like them they have been forced to articulate their experiences in the language of their oppressors. », Bill Ashcroft, Gareth Griffiths, Helen Tiffin, The Empire Writes Back, op. cit., p. 172. Querela.es theoriques rain. Compose d'une signification chronologique, celle d'tin « aprts ■• da li colonisation, mais aussi d'une signification ď opposition, de contestation dl la politique imperiále, conformément aux analyses des auteurs de The F.mpuc Writes Back, mais aussi de Jean-Marc Moura, de Daniel-Henri Pageaux el de Sylvie André128, le postcolonialisme partage avec le postmodernisme les mémes ambiguítés chronologiques et terminologiques. Apparu dans les années 60, lorsque des intellectuels africains s'instal lěrent dans les universités et les colleges américains et britanniqucs et commencérent á se poser des questions par rapport á leur histoire, le postcolonialisme s'est défini au Fil du temps comme un cadre de pensée indépen-dant qui s'est forgé un discours et une esthétique propre1 9. Ayant «leur 'bible', Orientalism, leur pere fondateur Edward Said qui en est I'auteur et leurs prophětes Gayatri Chakrabrary Spivak et Homi Bhabha, qui constituent avec ce dernier 'la sainte trinité de 1'analyse du discours colonial' »130, les études postcoloniales se sont constituées comme un cadre de pensée qui analyse les consequences historiques et idéologiques de la colonisation : « On utilise le terme post-colonial pour designer toute la culture affectée par le processus imperial depuis le moment de la colonisation jusqu'a nos 131 jours» . A la difference du postmodernisme, le postcolonialisme pourrait étre circonserit á un espace géographique clairement défini, á savoir les pays qui ont connu l'histoire coloniale. En tant que concept chronologique, il peut cependant étre appliqué á Fensemble des pays qui ont participé au processus colonial, á savoir les pays colonisateurs et les pays colonises car la « question du postcolonial ne concerne pas seulement les anciennes colonies, mais aussi les pays naguěre colonisateurs »132. Concept chronologique dans un premier temps, cadre idéologique dans un second, le postcolonialisme a également donné naissance á une 128 Respectivement: Littératures francophones et théorie postcoloniale, op, cit.; « La créolité antillaise... », op. cit., « Littčrature francophone et institutions en Polynésie frangaise », in Littératures postcoloniales et francophonie, op. cit., p. 67-82. 12 Cf. Jean-Marc Moura, « Les influences et permanences coloniales dans le domaine littéraire », in Cultures postcoloniales 1961-2006. Traces et Mémoires coloniales en France, Pascal Blanchard et Nicolas Bancel en collaboration avec Sandrine Lemaire, (Dir.). Autrement, 2006, p. 172. 130 Mamadou Diouf, «Les études postcoloniales á 1'épreuve des traditions intellectuelles des banlieues ffangaises », Contre Temps n°16, avril 2006, p. 21. 131 Bill Ashcroft, Gareth Griffiths and Helen Tiffin, The Empire Writes Back. op. cit., 1 " Osamu Nishitani, « Dekunobo, ou les cent ans ďun poete mineur ». Dédale n°5 et 6, Printemps 1997, p. 31. « Le mot, en anglais britannique, 'post-coloniaT (ou 'postcolonial' dans sa variante états-unienne) dans l'emploi qui en était fait dans les années soixante-dix, visail á distinguer différentes époques : c 'était un concept historíque et non pas idéologique. », Neil Lazarus, «Introduire les études postcoloniales », in Penser le post LA DI VSI'I )K \ I'OSTCOLONIALE EN FRANCE ■ .ill. itiqua qui Ml generalement adoptee par Ies litteratures emergentes dans ll oOnttXM .!> la colonisation europeenne, par les « oeuvres engagees contre I. forme* el les themes impcriaux et inspirees par la vision d'un monde de la i oexiiteni e el de la negotiation des langues et des cultures »>i4. Cette esthe-tiquc qui reflete les transformations qui ont affecte le monde du fait de la colonisation, se caracterise par un ensemble de strategies d'hybridation, relevees notamment par Homi Bhabha, celui-ci considerant l'hybriditel i omnic etant une technique de renversement de la domination coloniale135. lean Marc Moura articule aussi les caracteristiques formelles de cette esthe-tique, en identifiant une utilisation particuliere de l'ironie et de I'allegorie et la presence de la discontinuite narrative, qui croisent en quelque sgrte I'csthetique plurielle postmodeme136. Lc choix de cette esthetique post-coloniale est cependant independant de l'appartenance de l'ecrivain a un espace geographique donne. Elle temoigne de la presence d'un certain type d'engagement de l'ecriture, du desir de l'ecrivain de defendre les valeurs de la culture autrefois minoree par la domination et de realiser ainsi une liberation symbolique des peuples et des cultures. Cette demarche politique inscrite dans l'oeuvre postcoloniale n'est pas etrangere a certains des ecrivains d'origine africaine conlemporains, meme si, comme nous le verrons surtout dans le deuxieme chapitre, leur engagement proprement dit a disparu. Dans ces circonstances, le postcolonialisme dans le cadre de 1'analyse du statut des romanciers contemporains ne doit pas etre envisage comme generant une esthetique communement adoptee par les ecrivains. Son importance pour 1'etude de leurs creations litteraires doit etre rn.cs.uree a la lumiere de nouvelles organisations territoriales et spatiales, car la poslcolonie se caracterise par une nouvelle conception de la temporalite et de la spatialite, Postcolonie et territoire Dans s;i definition du concept de poslcolonie, Achille Mbembe envisage cette dpoquc comnie une trajecioire hisiorique pour les peuples sortis de la « relation de violence » qu'a ele la colonisation, II la concoit comme : une plurality chaotk|ue, pourvuo d'uiie coherence interne, de systemes de si-gnes bicn a elle. de immicrcs pmpres de fabriquer des simulacres, de recons- Jean-Marc Moura. « Critique postcoloniale et litteratures francophones africaines. Développcmeni d "une philologie i'onicni|M. in Fictions africaines et postcolonialisme. Papa Samba Diop, (Dir.). I.'l larmatian. 2002, p. 69. 135 « Ľhybridité est un probléme de representation coloniale et d'individuation qui inverse les effets du dent colonial, de sorte que ďautres savoirs 'niés' se surimpriment au discours dominant et éloignent les loiiilements de son autorite - ses regies de reconnaissance. », Les Lieu.v de la culture. Une théorie postcoloniale, Payot, 2007. p. 186. 136 Cf. « Sur quelques apports et apories de la théorie postcoloniale pour le domaine .....-----/....:../.... „t ,,n:,.,,,,.> on cit.. D. 156. i .........Ii i ii oni Al i- i:n I-'ranci-: Querelles theoriques ■ i i .........loplee par les literatures emergentes dans i i ii >li*n......n ruiiipmine, par les «ceuvres engagees contre ..... >ii. 11..........| ii i i.uiv el inspirees par la vision d'un monde de la .....ilf In n> i.....tilnni des langues et des cultures »134. Cette esthe- ■ hi i. ii.in ii'iinainiiis qui ont affecte le monde du fait de la ...........iiNiilcrise par un ensemble de strategies d'hybridation, .........hi |mi lluiiii Bhabha, celui-ci considerant l'hybridite ..........11........ lit liiiiqiic de renversement de la domination coloniale135. i hi Mmi Mimr.i arlicule aussi les caracteristiques formelles de cette esthe- • >■ i.....1 |il< milium une utilisation particuliere de l'ironie et de l'alleg;orie el 11 ni......■ de la discontinuite narrative, qui croisent en quelque sorte i ■ ih. in pie pi uriel le post mod erne156. Le ehoix de cette esthetique post- i nl.....nil- est ccpendant independant de l'appartenance de l'ecrivain a un ekpuce giographique donne. Elle temoigne de la presence d'un certain type .I i iii'.ij'cmcnt de l'ecriture, du desir de l'ecrivain de defendre les valeurs de la culture autrefois minoree par la domination et de realiser ainsi une libe-i .il ii in symboliquc des peuples et des cultures. Cette demarche politique inscrite dans l'ceuvre postcoloniale n'est pas etnmgere a cenains des ecrivains d'origine africaine contemporains, meme si, comme nous le verrons surtout dans le deuxieme chapitre, leur engagement proprement dit a disparu. Dans ces cireonstanees, le postcolonialisme dans le cadre de 1'analyse du statut des romanciers contemporains ne doit pas etre envisage comme generant une esthetique communement adoptee par les ecrivains. Son importance pour 1'etude de leurs creations litteraires doit etre tncsuree a la lumiere de nouvelles organisations territoriales el spatiales, car la postcolonie se caracterise par une nouvelle conception de la temporalite et de la spatialite. Postcolonie et territoire Dans sa definition du concept de postcolonie, Achille Mbembe envisage cette epoque comme une trajectoire historique pour les peuples sortis de la « relation de violence » qu'a 6t6 la colonisation. II la concoit comme : une pluralite chaotique, pourvue d'une coherence interne, de systemes de si-gnes bien a elle, de tnanieres propres de fabriquer des simulacres, de recons- 114 Jean-Marc Moura, « Critique postcoloniale et litteratures francophones africaines. Developpement d'une philologie coniemporaine », in Fictions africaines et post-colonialisme, Papa Samba Diop, (Dir.), L'Harmattan, 2M2, p. 69. IM « L'hybridite est un probleme de representation coloniale et d'individuation qui inverse les effets du d£ni colonial, de sorte que d'autres savoirs 'niSs' se surimpriment au discours dominant et eloignent les fondements de son autorite" - ses regies de reconnaissance. », Les Lieux de la culture. Une tht>orie postcoloniale, Payot, 2007, p. 186. Cf. « Sur quelques apports et apories de la theorie postcoloniale pour le domaine fr^nrnnhrme* i> in I jtter/itijrpv nnstr/tlnnwilpv rt frfinfnnh/mip. nft cit _ TV 156. tmire des stereotypes, d'un art specifique de la demesure, de famous partial Meres d'exproprier le sujet de ses identites.D7 En ce sens, il souligne les implications ideologiques du terme postcolonial, tout en montrant l'apparition dans les espaces de la postcolonie de diflercnis phenomenes: la tentative de destruction des reperes occidentaux dans l'organisation sociale des pays colonises, le deplacement des references culturelles d'un pays a 1'autre et dans 1'ensemble du monde contemporain et. pour finir, comme une consequence directe des deux premiers, la generalisation du flux des individus dans le monde. La generalisation du mouvement territorial semble etre en effet la caracteristique principale du monde postcolonial, mise en evidence par les auteurs de The Empire Writes Back. Dans ce meme ordre d'idee, Homi Bhabha accentue 1'importance du lieu et du deplacement pour le monde post-colonial, en insistant sur le fait que la frontiere institue un nouvel espace, celui de l'au-dela, et rend ainsi possible 1'existence de nouvelles problema-tiques liees a l'ldentite™. Selon lui, et d'autres theoriciens partagent cette opinion, vivre en exi) est devenu la condition paradigmatique de l'homme postcolonial car cette condition lui permet de vivre librement, dans une situation de negoeiation permanente de son identite. On assiste done a une proliferation du mouvement territorial. Les populations et les individus se deplacent et investissent des lieux divers avec de nouvelles valeurs. Des rapports inedits se tissent a l'interieur des espaces habites, nous permettant de parler de la presence dans le monde de nouvelles organisations sociales et de la mise en presence de valeurs differentes, parfois divergentes. Dans le cas de l'Afrique francophone, ce phenomene se traduit concretement par le depart de nombreux intellectuels africains de leur pays natal pour s'installer ailleurs, la plupart du temps dans le pays de leur ancien colonisateur. Cette decision n'est pas sans implications pour le choix esthetique des ecrivains. 1.2.3. Epoque postcoloniale, esthetique postmoderne Dans le contexte culturel contemporain, marque par Yepisteme de la postmodernite. les positions politiques des intellectuels ne coincident pas toujours avec les choix esthetiques des ecrivains. A l'interieur de la nouvelle generation d'ecrivains d'origine africaine, une generation qui, comme le souligne Odile Cazenave, ne peut pas £tre envisagee comme etant homogene, I'esthetique postmoderne et i'esth6tique postcoloniale semblent etre les deux options majeures adoptees dans la creation de mondes fictionnels au centre desquels se place une individuality desireuse d'interroger les fondements sociaux, politiques et symboliques de la realtte. 1 De la Postcolonie, op. cit., p. 140. !3S « Car la demographie du nouvel internationalisme est Phistoire de la migration postcoloniale, les rgcits de la diaspora culturelle et politique, des vastes dcplaeements RnriniiY dp rninmnn.Tiit^« t 1 » 1f tpijy dp In ralturp rm rit ■ n. 34 La diaspora postcoloniale en France Le choix ďune esthétique Dans cet ordrc ďidées, les écrivains de la diaspora subsaharienne vivant en France ne sont pas étrangers á la problématique de la pensée postcoloniale. S'inscrivant existentiellement dans le modele du déplacement territorial caractéristique de la postcolonie, ils se détachent cependant de Fespace originairement défini comme postcolonial. Par la negation de toute attache identitaire, ils se retrouvent dans un nouvel espace, libres de toute determination et de tout engagement. Ainsi libérés, ils appartiennent á un nouveau temps corollaire ďun nouvel espace, le temps de la postcolonie, oú ils donnent naissance á une nouvelle esthétique qui emerge dircctement du contexte global de la postmodernité, Festhétique postmoderně. Cette esthétique attire les écrivains de la diaspora parce qu'elle leur offre la possibilité de se soustraire á toute obligation ďengagement et á toute obligation de choi-sir entre deux maniěres d'etre. Marc A. Pape trouve lui aussi une explication vraisemblable á Fattrait de cette esthétique : le postmodernisme permet aux écrivains de concevoir le monde sous Fangle de Fégalité. Tout rapport de hiérarchisation entre les cultures et les civilisations est annuléI3l). Nous assistons dans la plupart des romans écrits par des auteurs ďorigine africaine vivant en France, comme nous allons le voir au fil des pages qui suivronl, á une manifestation de Festhétique postmoderně en concurrence directe avec Festhétique postcoloniale. Ces deux esthétiques appartiennent au tneme contexte de la postmodernité, mais mettent en ceuvre des strategies différentes dans la construction des mondes fictionncls : Le postmoderně met au coeur de la production le probléme de la representation, favorisant le miítaficiionnel et la reflexivitě de Foeuvre, alors que le postcolonial cherche finalement une representation plus adaptée a la prise de conscience qui permet le ehangeniem social.' L'acccnt est déplacé dans la plupart des oeuvres de ces écrivains de Fépistémologic vers Fonlologic, déplacement relevé d'ailleurs par Brian Mcllale' comme étanl représentatif dě Festhétique postmoderně, qui s'aceompaguc dun ensemble d'iiuiovalions structurelles ct ďune modification du statut du lanr.u-c et des personnages. Dans les textes, Findividu lictionnel entretient un rapport nouveau, conflictuel, avec le langage, avec soi-měníc cl avec les amies. I .'hybriditě el la schizophrenic, le tragique et le jeti, les references alricaines cl cel les purcincnt métafictionnelles, les valeurs traditionncllcs cl la sexualitě sont les elements qui se partagent le champ " « Contre cet universal isme homogénéisant. toul ii 1'image de 1'Occident, se dresse un autre couraní (plus recent), dans lecpiel íl ne saurait y avoir de hierarchie entre la culture occidentale et africaine, ni de civilisation modele. Tout rapport entre les cultures (africaine(s) et occidentals s n est appréhendé sous Fangle de Fégalité. Cest cette ideologic post-moderniste qui affirme et réhabilite la culture africaine. », « Ideologies et quéte identitaire...», op. cit., p. 91. 140 Jacqueline Bardolph, Éttides postcoloniulc.s ct littératitre, Champion, 2002, p. 47. — ■ - . /», ... n...i„,i„„ IOA1 l,A DIASPORA i'OSTfOLONIALEEM FRANCI QtJERELLES TUEORIQUES Le choix ďune esthétique [MS ect ordre ďidées, les écrivains de la diaspora subsaharienne iň France ne sont pas étrangers á la probléinatiqtic tle la pensée poštviva ja|e s'inscrivant existentiellemenl dans le modele dti déplacement ctl't'"iíiil caractéristique de la postcolonie, ils se tlélachent cependant de teí^| gnginaireoient défíni comme postcolonial. Par la negation de toute l"^^ ijentitaire, ils se retrouvent dans un nouvel espace, líbres de toute LLt1'* j^ination et de tout engagement, Ainsi libérés, ils appurtiennent á un tl<ítÉ teinps corollaire ďun nouvel espace, le temps de la postcolonie, oil tUlLl £Ilt naissance a une nouvelle esthétique qui emerge directement du ils tiJíEe global de la postmodernité, 1'esthétique postmoderne. Cette esthé-cO" jjjjj jes écrivains de la diaspora parce qu'elle leur offre la possibílité tWu ^[raire a toute obligation ďengagement et a toute obligation de choi-de ^dsfflx maniěres d'etre. s*r MaicA. Pape trouve lui aussi une explication vraisemblable á Pattrait nglte esthétique : le postmodernisme permet aux écrivains de concevoir le Ůs \ jous Pangle de 1'égalité. Tout rapport de hiérarchisation entre les n1" !Ětles civilisations est annulé139. Nous assistons dans la plupart des c ■ écrits par des auteurs ďorigine africaine vivant en France, comme ''"^lilons le voir au fil des pages qui suivront, á une manifestation de ooll^,t^ue postmoderně en concurrence directe avec 1'esthétique 1 eS lonjale. Ces deux esthétiques appartiennent au méme contexte de la té, mais mettent en ceuvre des strategies différenles dans la Pa- V des mondes ficuonnels; c°n Lí postmoderně met au cceur de la production le probléme de la representation, favorisant le métafictionnel et la reflexivita de l'ceuvre, alors que Ic postcolonial cherche finalement une representation plus adaptée á la prise Jt conscience qui permet le ehangement social.1 [/accent est déplacé dans la plupart des ceuvres de ces écrivains de yénwlogie vers l'ontologie, déplacement relevé d'ailleurs par Brian 1 e^ja]CHI comme étant repre sen ta ti f de 1'esthétique postmoderne, qui ^compap16 c''lin eilsemD'e ďinnovations structurelles et ďune modifica-s SC ji statut du langage et des personnages. Dans les textes, Pindividu ^ nlKl entretient un rapport nouveau, conflictuel, avec le íangage, avec $f jjpřtavee !es autres. L'hybriditc ct la schizophrenic le tragique et le s°' "lk references africaines et cellos purement métafictionnelles, les valeurs jfU)"1 __ ----L----i 1_ _1------ trad j^pjielles et la sexualite sont les elements qui se partagent le champ « Contrc cet universal isme homogénéisant, toul ä ľimage de ľ Occident, se dresse "rrettwrant (plus recent), dans lequel il ne sauraít y avoir de hierarchie entre la i"1 ^jjentale et africaine, ni de civilisation modele. Tout rapport entre les cultu-cU''UfctWsl et occidentale(s)) est appréhendé sous Fangle de 1'égalité. Cest cette I* iDjjtposL-moderniste qui affirme et réhabilite la culture africaine. », « Ideologies 'Lliiic Bardolph, Étudespostcotoniales et íittéiatwe, Champion, 2002, p. 47. ' i......EiMtňns I.nnHnn/N™ YnrV RutlpHop 1QR7 jja[itaire...», op. éit, p. 91. littéraire de la diaspora subsaharienne en France, dominé en égale mesure par Fhétérogénéité, la fragmentation et le plurilinguisme. La nouvelle visibilité L'emergence de nouvelles communautés africaines complique la perception de Pespace culturel á Pintérieur duquel elle se manifeste. En appor-tant de nouvelles valeurs et de nouvelles significations dans Pespace culturel ťrancais oú, il n'est pas inutile de le souligner, les idées postmodernes et postcoloniales ont du mal a s'imposer'42, les communautés contribuent á la proliferation de la diversité et de la disc on linu i té. créant ainsi une rupture^ Pintérieur ďun espace déja en crise : « La fluidité des idéoscapes est notam-ment compliquée par les diasporas croissantes (volontaires ou non) ďintellectuels qui injectent en pennancnce de nouveaux flux de significations dans le discours de la démocratie á certains endroils de la pláněte »14". L'analyse des mondes fictionnels et de leurs occupants, construits par ces écrivains dissidents dans Pespace culturel francais et africain, nous per-mettra de dégager une coherence interne du systéme atypíquc généré par leurs ceuvres, mais aussi de trouver si possible une signification globále á leur demarche car, comme le souligne Michel Beniamino : « Le choix esthétique n'est pas un libře choix qui s'effectuerait en dehors de toute determination socio-historique » « In the context of French intellectual life, the temi postmodernism was simply not around in 1960. and even today is does not seem to imply a major break with modernism as it does in the U.S. », Andreas Huyssen, « Mapping the Postmodern ». in FeminismlPostmodernism, op. ext., p. 243. 143 Arjun Appadurai, Apres le colonialisnte, op. cit., p. 76. 144 i „ C..j.