Les crises économiques du capitalisme

De la crise à la « Grande Dépression »


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B. Marcel, J. Taïeb, op. cit. 8 idem

La crise va durer jusqu’au début des années 1890 avec des phases de reprise et des phases de recul. Globalement, l’Europe connaît une récession encore plus forte entre 1882 et 1886 (croissance inférieure à 2% dans les grands pays industriels) qu’entre 1873 et 1878. En France, la croissance est nulle de 1882 à 1888.

Les faillites bancaires sont nombreuses. En France, la faillite de l’Union Générale, en 1882, aggrave la récession. Elle est le fruit de spéculations, de la baisse des commandes de matériels ferroviaires et de la crise agricole. La bourse de Londres est touchée en 1890 par la faillite de la maison Baring, en difficulté suite à la crise argentine. En 1892, c’est le tour de la bourse de New York.

L’industrie est durement touchée mais repart très vite en Allemagne et aux États-Unis – dopée par le protectionnisme – alors qu’elle peine en France et au RU.

L’agriculture européenne est en plein marasme : la concurrence des produits des nouveaux mondes transportés par le chemin de fer ou les navires frigorifiques envahissent l’Europe. En 1894, le blé valait 1/3 de son prix de 1867. En France les prix de gros agricoles passent de l’indice 144 en 1873 à l’indice 92 en 1887. Cette crise agricole entraîne un exode de masse des paysans notamment en Italie, Espagne, Autriche-Hongrie, Russie… Vers les villes, les pays industrialisés et surtout les Amériques.

Le commerce s’effondre sous le coup des politiques protectionnistes :

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Sydney Pollard, peaceful Conquest : The industrialization of Europe 1760-1970, Oxford, 1981. Cité dans Eric Hobsbawn, l’Ere des Empires.

Le protectionnisme commence en Allemagne en 1879, puis en Italie avant de gagner les États-Unis avec les lois Mc Kinley en 1890 (les États-Unis étant déjà très protectionnistes). Il s’étend mettant fin au libéralisme dominant. En France, les tarifs Méline seront institués en 1892. La crise en Bohème incite à une réforme des règlements professionnels au milieu des années 1880, la protection des classes moyennes et des gens modestes sont invoquée pour justifier la limitation de la concurrence. Seul le RU reste fidèle au libre-échange.

Il faut attendre la fin des années 1890 pour que le commerce reparte, d’abord dans les pays neufs puis en France. Le RU démarre plus vite, profitant des commandes en produits industriels des pays en croissance.

Les prix sont orientés à la baisse jusqu’en 1896. L’indice des prix de gros en France passe de 144 en 1872 à 82 en 1896. Pour les prix de détail c’est -10% en France, - 7% en Allemagne, -35% au RU, -37% aux États-Unis pour la même période. Ces prix bas pèsent sur les bénéfices car les gains de productivité sont faibles en regard. La rentabilité du capital s’affaiblit d’autant que les salaires résistent : la hausse des salaires réels est constante et universelle. Conséquence de ces mouvements prix/salaires : les dividendes chutent de même que la capitalisation boursière.

En conclusion, une crise liée à plusieurs facteurs

« La baisse prolongée des prix, des taux d’intérêt et des profits sont les caractéristiques les plus inquiétantes de cette crise » voilà le constat d’Albert Marshall (futur théoricien de l’économie, fondateur de l’école néoclassique, official papers Londres 1926, cité dans Eric Hobsbawm, L’Ere des Empires 1875-1914, Pluriel, 1989) en 1888. Une dépression violente et de longue durée car conséquence d’une baisse de la rentabilité du capital. L’épuisement des moteurs de la croissance, selon la théorie de Schumpeter, la concurrence exacerbée, la résistance des salaires font que les capitaux se détournent des industries pour se lancer dans la spéculation. Les bulles éclatent, la crise démarre puis s’étend par cercles concentriques aux différentes régions du monde et aux différents secteurs économiques.

Un modèle de crise récurrent dont les conséquences sont radicales dans les domaines économiques, sociaux politiques… Un autre monde naît de la crise.