Il est difficile, pour l’historien, de traiter des évènements récents.
L’histoire immédiate se heurte à l’absence d’un des piliers de la
recherche historiques : les sources. Car, dans la plupart des pays, les
archivesne s’ouvrent qu’après une durée plus ou moins longue. En France il faut
attendre entre 25 et 120 ans pour disposer de toutes les archives
publiques sur une période historique. Ainsi, les archives du régime de
Vichy (1940-1944) ne sont-elles disponibles, depuis 2015, que par une
volonté politique affirmée de transparence sur une période noire de
notre histoire. Ils faut donc s’appuyer, pour les faits économiques et
politiques de la crise de 2008, sur les analyses de la presse, des
ouvrages sortis sur cette crise (peu nombreux), des observations des
historiens du temps présent, des articles de revues scientifiques, des
témoignages de contemporains ; mais nous ne disposons pas des actes
officiels (rencontres gouvernementales, réunions de crises…) autrement
que par ce qui a été rendu public (or, le secret des affaires est l’un
des mieux gardé !).
Règles de communicabilité des archives
Archives publiques : L’accès aux dossiers
administratifs et judiciaires est un droit exercé par le public dans un
cadre législatif strict. Les délais de communication sont régis par les
lois 78-753 du 17 juillet 1978, et 2008-696 du 15 juillet 2008. Les
archives publiques sont librement communicables à l’exception des pièces
contenant des informations de type :
- registres de l’état civil des actes de naissance et de mariage : délai de 75 ans à compter de leur clôture (les registres de décès sont librement communicables).
- minutes et répertoires des notaires : délai de 75 ans.
- protection de la vie privée, jugements de valeur ou appréciations sur une personne physique : délai de 50 ans (par exemple fiches matricules militaires et dossiers de pupilles)
- dossiers de statistiques comportant des informations nominatives, comme les recensements de population :
délai de 75 ans avec possibilité de dérogation. Le délai est ramené à
25 ans pour les dossiers de statistiques ne comportant pas
d’informations nominatives
- dossiers relatifs aux affaires portées devant les juridictions, enquêtes des services de police judiciaire :
délai de 75 ans sauf les dossiers qui mettent en cause des mineurs et
les dossiers en matière d’agressions sexuelles dont le délai est fixé à
100 ans.
- dossiers de personnel : délai de 50 ans à compter
de leur clôture ou de 25 ans à partir de la date du décès de la personne
considérée quand cette date est connue.
- informations médicales : délai de 120 ans après la
naissance ou 25 ans après le décès si la date en est connue. Cette
disposition est valable notamment pour les fiches matricules militaire
et les dossiers de pupilles lorsqu’ils contiennent des informations à
caractère médical.
- sûreté de l’État, sécurité publique : délai de 50 ans.
- relations extérieures, crédit public, secret industriel et commercial, recherche des infractions fiscales et douanières :délai de 25 ans.
Cette limite est évidemment handicapante et toutes les
interprétations peuvent-être soumises à révision dans le futur.
Pourtant, il est toujours possible de s’appuyer sur les faits. Et la
période des dix dernières années n’en manque pas. Il sera parfois
difficile de déterminer les influences dans tel ou tel domaines (et
notamment les politiques publiques) mais les réactions des populations,
qui sont le cœur de notre préoccupation, sont largement documentées par
les organes d’information et, dorénavant, par les réseaux sociaux.
Car, avantage du présent, la couverture du monde par les différents
médias et surtout la diffusion par internet de multiples sources
d’information, permet parfois de se faire une opinion assez précise d’un
fait survenu à l’autre bout de la planète. La crise bancaire de 2007
s’est déroulée sous nos yeux et a pu être suivie minute par minute !
En revanche, effet pervers de l’immédiateté et de la position
d’observateur direct des faits, la subjectivité n’en est que plus forte.
Il sera donc parfois difficile de s’émanciper de l’opinion personnelle
même si l’engagement de l’historien est, justement, de ne pas interférer
dans les faits !
Ces avertissements méthodologiques posés, quelques points méritent
d’être soulignés concernant la période précédant la crise de 2007-2018 :
- L’enchaînement des crises est particulièrement remarquable : à peine
la crise de 1973 déclarée terminée, une autre crise économique grave
commence.
- Les espaces géographiques n’ont pas toujours été touchés de la même manière ni au même moment
- Les conséquences de la crise précédente sont encore sensibles au moment où démarre la crise de 2008.
- La crise de 2008 est encore difficile à classer mais il semble qu’elle soit « hors norme » :
Citation
Ce qui est frappant avec cette crise, ce sont son ampleur, sa durée
et ses effets, qui font que deux spécialistes des crises financières
l’ont appelée la « seconde grande contraction » (the second great
contraction) (Kenneth S. Rogoff est professeur à Harvard depuis 1999. Il occupa le poste d’économiste en chef au FMI de 2001 à 2003. Il publia, en 2009, avec Carmen M. Reinhart, professeur à l’université du Maryland, un ouvrage qui fait autorité sur l’analyse des crises: This Time is Different: Eight Centuries of Financial Folly. Princeton, Princeton University Press, 2009 ;traduction française : Cette fois, c’est différent. Huit siècles de folie financière, Paris, Pearson, 2010, 467) la crise de 1929 étant la première. En effet, cette crise est, dans
la série des crises bancaires et financières depuis la Seconde Guerre
mondiale, la première ayant une envergure mondial (Marie-Claude Esposito LA VÉRITABLE HISTOIRE DE LA CRISE FINANCIÈRE 2008 –L’Esprit du temps | « Outre Terre » 2013/3 N° 37 | pages 127 à 158 ISSN 1636-3671 ISBN 9782847952490).
Une interrogation peut légitimement poindre à l’étude de la période
post-30 glorieuses : les cycles économiques traditionnels sont-ils
encore une clé de compréhension ? N’est-on pas dans une ère de chaos
économique permanent avec son corollaire : les Etats ou les institutions
internationales sont-ils encore capables de remettre de l’ordre dans le
fonctionnement de l’économie mondiale ?
Le plan suivi reprend la démarche des études précédentes : le contexte, le déroulement, les réactions, les conséquences.