La representation de New York et de ľAmérique Les romans étudiés : Kafka, Amerika ou le Disparu traduction B. Lortholary, Garnier-Flammarion. Publication posthume par Max Brod en 1927, roman commence en 1912 mais inachevé. Dos Passos, Manhattan Transfer, traduction M. E. Coindreau, 1925 Celine, Voyage au bout de la nuit, Gallimard, 1932. Sur la ville comme thěme littéraire Brosseau, Marc, Des romans-géographes, Paris, L'Harmattan, 1996 (les p. 129-156 portent sur Manhattan Transfer). Butor, Michel, Repertoire V, Minuit, 1982 (en particulier : "La ville comme texte", p. 33 sq.). Clavaron, Yves, Dieterie, Bernard (Eds.), La Memoire des villes, Presses Universitaires de Saint-Étienne, 2003 Corps écrit, la revue des PUF, a consacré son numero 29, de mars 1989, á la ville. Gelfant, Blanche Housman, The American City Novel, University of Oklahoma Press, 1970. Lutwak, L., The Role of Place in Literature, Syracuse, Syracuse University Press, 1984 Roudaut, Jean, Les Villes imaginaires dans la littérature franqaise, Hatier, Coll. "Brěves", 1990. Sansot, Pierre, Poétique de la ville, Klincksieck, 1971. Tison-Braun, M., Poétique dupaysage. Essai sur le genre descriptif Paris, Nizet, 1980 Vion-Dury, J., (Ed.), L 'écrivain auteur de sa ville, Limoges, Pulim, 2001 La Ville, Ellipses, Voies d'acces, 1996 Zéraffa, Michel, "Villes démoniaques", in La ville n'estpas un lieu, Revue ďesthétique, n° 3-4, 1977, "10/18", UGE, 1977, pp. 13-32. Sur New York Pinconnat, Crystel, New York, Mythe littéraire francais, Geneve, Droz, 2001 I LE SOUTIER Quand le jeune Karl Rossmann, ägé de dix-sept ans et expédié en Amérique par ses pauvres parents parce qu'une bonne ľavait séduit et qu'elle avail" eu un enfant de lui, entra dans le port de New York, sur le bateau qui avait déjä réduit son allure, la statue de la Liberie qu'il regardait depuis un long moment lui parut tout d'un coup éclairée d'un soleil plus vif. Son bras armé d'un glaive semblait brandi ä ľinstant méme, et sa stature était battue par les brises impé-tueuses. > - ■■-• — Si haute ! se dit-il. :, Et comme il ne songeait pas ä s'en aller, le flot sans cesse accru des porteurs de bagages qui passaient pres de lui le refoula peu ä peu jusque contre la rambarde. Un jeune homme dont il avait fait brievement connaissance au cours de la traversée lui -dit en passant : — Eh bien, vous n'avez done aucune envie de débarquer ? — Mais je suis prět, dit Karl avec un grand sourire. Et par défi, et parce qu'il était un garcon robuste, il hissa sa valise sur son épaule. Mais comme son regard errait en direction du jeune homme qui s'éloignait en compagnie des autres en balan^ant un peu sa canne, il se rendit compte avec consternation qu'il avait, lui, oublié son parapluie en bas, dans les flancs du navire. U s'empressa de demander ä cet ami, qui n'en parut pas ravi, de lui rendre le service de surveiller un instant sa valise, puis jeta un coup d'ceil circulaire pour se repérer ä son retour, et fila. Une fois en bas, il eut la deception de trouver pour la premiere fois fermé un passage qui eüt été un raccourci notable, sans doute était-ce dů au débarquement de touš les passagers ; il lui fallut rechercher ä grand-peine des escaliers qui se succédaient ä ľinfini, débouchaient dans des coursives sinueuses, dans une piece deserte avec une table de travail abandonnée, jusqu'au moment oů, effectivement, comme il n'avait pris ce chemin qu'une ou deux fois et toujours en groupe, il se trouva complětement perdu. Désemparé, ne rencontrant personne et entendant sans cesse au-dessus de lui le raclement de milliers de pieds et, au loin, comme un halětement, les ultimes soubresauts des machines déjä stoppées, il se mit ä frapper sans réfléchir ä la premiere petite porte oů il vint se casser le nez. II ĽONCLE Dans la maison de son oncle, Karl s'habitua vue airx nouvelles conditions de vie. L'oncle, d'ailleurs, lui facilita gentiment les choses jusque dans le detail, et jamais Karl n'eut ä subir ces premieres experiences douloureuses qui marquent généralement d'amertume les débuts ďune vie ä ľétranger. La chambre de Karl était située au sixiěme etage d'un immeuble dont les cinq étages inférieurs, aux-quels s'ajoutaient encore trois étages en sous-sol, étaient oceupés par ľaffaire de son oncle. La lumiere qui entrait dans cette chambre, par deux fenétres et une porte-fenétre donnant sur un balcon, provoquait toujours ľétonnement de Karl, quand au matin ú sortait de son alcove. Qui sak oú il aurait dů loger,_s ü avait débarqué en petit emigrant pauvre? Peut-etre méme, comme son oncle le jugeait fort probable, connaissant bien les lois sur ľimmigration, ne 1 aurait-on méme pas laissé entrer aux Etats-Unis et ľaurait-on renvoyé chez lui, sans autrement se soucier qu il n'avait plus de patrie. Car ici, il ne fallait pas esperer de la pitié, et ce que Karl avait lu lä-dessus concernant l'Amérique était exact; seuls les gens heureux parais-saient ici jouir vraiment de leur bonheur, au milieu des visages indifférents qui les entouraient. Un balcon étroit courait tout le long de cette piece. Mais ce qui, dans sa ville natale, aurait consume le point de vue le plus haut, ne permettait ici guěre plus que de dominer une rue qui, entre deux rangées ďimmeubles découpés littéralement ä la hache, filait dans le lointain pour s'y perdre, lä oů surgissaient d'une accumulation de brume les formes colossales ďune cathédrale. Et le matin comme le soir, comme dans les rěves de la nuit, se pressait dans cette rue une circulation toujours dense qui, vue d'en haut, se présentait comme une mixture sans cesse alimentée d'apports nouveaux, silhouettes humaines déformées et toits de véhicules en tous genres, ďoú montait encore une mixture multipliée et plus virulente de vacarmes, de poussiěres et ďodeurs, et tout cela était pris et pénétré par une violente lumiěre que cette foule d'objets ne cessait ďéparpiller, de transmettre et de ramasser frénétiquement, si bien que ľceil hébété la voyait conerětement comme une vitre recouvrant toute la ruc et. qu'on aurait ä chaque instant brisée de nouveau ä toute volée. f. K*fk^ >\ O o£ P#£SvS„ Hf Pl^/o bouffées de vapeur cotonneuse, toutes de môme taille. Jimmy a les mains froides. II frémit d'un bouillonne-ment intérieur. « Mo.n chéri, il ne faut pas ťénerver comme ca. Descends voir si maman n'a rien oublié dans la cabine. » Une bande d'eau encombrée de morceaux de bois, de caisses ďépicerie, de peaux d'oranges, de feuilles de choux, qui se rétrécit, se rétrécit entre le bateau et le quai. Un orphéon brille au soleil, casquettes blanches, visages rouges et suants. II joue Yankee Doodle: « C'est pour l'ambassadeur, tu sais, ce grand monsieur qui n'a jamais quitté sa cabine. » Descente de la passerelle en pente. Attention ä ne pas buter. Yankee Doodle went to town1... Des faces noires, luisantes, des yeux ďémail blancs, des dents d email blanches : « Oui, madame, oui, madame. » Stuck a feather in his hat and called it macaroni2 ... « Nous jouissons du droit de franchise. » Le douanier montre un crane chauve en s'inclinant trěs bas... Toumti boumboum « boum boum bourn » cakes and sugar candy... IV GRATTE-CIEL Le petit cul-de-jatte s est arrété au milieu du trottoir, dans la 14" Rue. II porte un chandail bleu et un bonnet bleu tričoté. Ses yeux, toumés vers le ciel, s'arrondis-sent au point d'envahir toute sa figure de papier mäché. Un dirigeable glisse dans le ciel. Cigare^ detain éblouissant, estompé par la hauteur, il fend avec mollesse le ciel lavé et les nuages doux. Le petit cul-de-jatte s'arréte net, arc-bouté sur ses deux bras, au milieu du trottoir, dans la 14" Rue. Varmi les jambes qui marehent, jambes maigres, jambes dandinantes, jambes dans des jupes, des pantalons ou des culottes, U reste lä, cómplětement immobile, arc-bouté sur ses deux bras, les yeux levés vers le dirigeable. Sans travail, Jimmy Herf sortit du Pulitzer Building. II s'arréta pres d'un tas de journaux roses, sur le bord du trottoir, respira profondément, et regarda la silhouette étincelante du Woolworth. C'était par une journée ensoleillée. Le ciel avait la couleur d'un ceuf de rouge-gorge. II se tourna vers le nord et remonta vers le centre de la ville. Le Woolworth s'allongeait comme un telescope ä mesure qu'il s'en éloignait. Il allait par la ville aux fenétres resplendissantes, la ville aux alphabets bouleversés, la ville aux reclames dories. /Printemps riche en gluten... chargé de principes ňourrissants, volupté dans chaque bouchée. the daddy of them all. Printemps riche en gluten. Personne ne peut acheter de meilleur pain que prince albert. Acier forge, aluminium, cuivre, nickel, fer forge. All the world loves natural beauty. loves bargain, ce complet chez Gumpel, meilleur marché de la ville. Conservez ce teint de fillette... joe kiss, démarrage, allumage, magnetos et générateurs. A propos de tout, il sentait des éclats de rire/ réprimés bouillonner en lui. II était onze heures. II ne s etait pas couché. La vie lui semblait toute sens dessus dessous. Lui-méme était une mouche qui mar-chait au plafond d'une yille_á ľenvers. II avait laissé son metier, il n'avait rien á faire aujourd'hui, ni demain, ni aprěs-demain, ni le jour suivant... La vie est faite de hauts et de bas, c'est une question de semaines, de mois. Printemps riche engluten. II entra dans un restaurant, commanda des ceufs au jambon, des toasts et du café. II mangeait avec plaisir, savourant consciencieusement chaque bouchée. Ses pensées couraient éperdues comme, dans un páturage, de petits poulains grisés par le soleil couchant. A la table voisine, une voix expliquait d'un ton monotone : « Trompe... et comme je vous le disais, il a fallu balayer un peu tout ca. Ils étaient tous membres de notre église, vous savez. Nous connaissions toute l'histoire. On lui a conseillé de la chasser. H a dit non, il faut que je voie la fin de l'affaire. » Herf se leva. II faut qu^ü-reparte. II sortit, avec un goüt de jambon dans lesCdentsl Service Express satisfait les exigences du printemps. « Oh! mon Dieu, satisfaire les exigences du printemps ! Pas de boite en fer-blanc, non monsieur, mais la qualitá la plus fine dans chaque pipe que vous fumez... socoNY. Y goüter une fois, vous en dit plus ■ 9«™ million de mots. Le crayon jaune avec une bande rouge. Plus qu'un million de mots, plus qu'un . million de mots. . Eh bien, donnez-moi ce million '? Ne le decouvre pas, Ben. » La bande de Yonkers ľa ' laissé pour mort sur un banc du pare. Ils ľont attaqué mais ils n ont recolté qu'un million de mots... « Oh í Jirnps je suis fatiguée de toutes ces histoires de ütterature, de proletariat, si tu savais! » Chargé de principes ňourrissants, printemps. Pour une surprise, e'en fut une. A travers la brume, c était tellement étonnant ce qu'on découvrait sou-dain que nous nous refusämes ďabord á y croire et puis tout de méme quand nous fumes en plein devant les choses, tout galérien qu'on était on s'est mis á men rigoler, en voyant ca, droit devant nous... Figurez-vous qu'elle était debout leur ville, abso-lument droite. New York e'est une ville debout. On en avait déjá vu nous des villes bien súr, et des belles encore, et des ports et des fameux méme. Mais chez u°Ua ,n'est"ce Pa3' eIles sont couchée3 les villes, au bord de la mer ou sur les fleuves, elles s'allongent sur le Paysage, elles attendent le voyageur, tandis que celle-lä l'Américaine, eile ne se pámait pas, non, eile se tenait bien raide, lá, pas baisante du tout, raide á faire peur. On en a done rigole comme des cornichons. Qa. fait drole forcément, une ville bátie en raideur. Mais on ö en pouvait rigoler nous du spectacle qu'á partir du cou, á cause du froid qui venait du large pendant ce temps-lá ä travers une grosse brume grise et rose, et rapide et piquante á ľassaut de nos pantalons et aes crevasses de cette muraille, les rues de la ville, oil ies nuages s'engoullraient aussi á la charge du vent, ftotre galéře tenait son mince sillon juste au ras des ietees lá 0(i venait finir une eau caca, toute barbo-tante d une kyrielle de petits bachots et remorqueurs avides et cornards. Pour un miteux, il n'est jamais bien commode de ueDarquer nulle part mais pour un galérien e'est ncore bien pire, surtout que lea gens d'Amérique aiment pas du. tout les galériens qui viennent Us Pe' ? est tous des anarchistes » qu'ils disent. curip6 v . ,nt recevoir chez eux en somme que lea le<» a.X T11 \Vřr aPP°rtent du pognon, parce que tous '«argents d'Europe, e'est des fils á Dollar. Y^ZfSA-?'euyě^e Pu essayer, comme d'autres Puis mT T^ reuss1' de traverser le port á la nage et Dollar! V; V?, qUai de me mettre a crier : « Vive qui S; Vlv? Dollarl » Cest un truc. Y a bien des gens out ?S jfeb"«Piea de cette facon-lá et qui aprěs ca »eulement n fortun«- Cest pas súr, ca se raconte •ncore M«--®n ^riVe dans íes rěvea des bien Pire3 6Q mřmi ľ ' J avais une autre combinaison en téte meme temps que la fiěvre.'.