ECONOMIE Alexandre Bompard, troisieme patron en trois ans, est charge de vendre la Fnac au meilleur prix. Son actionnaire, le groupe Pinault, egalement proprietaire de Gucci, prefere les marges du luxe a celles des livres La Fnac cherche un nouvel agitateur C'est la chronique dune vente an-noncee. Rue des Bateaux-Lavoirs, a Ivry-sur-Seine, en banlieue pari-sienne, les salaries de la Fnac sa-vent depuis quelques annees deja que leur proprietaire, le groupe PPR, ne veut pas les garden «La question nest plus de sa-voirsi on va etre vendu, mais quand», soupire un employe du magasin de Montparnasse, dans le sud de Paris. A quelques semaines de Noel, alors que les rayons sont remplis et que les clients repartent les bras charges de pa-quets-cadeaux (un quart du chiffre d'affaires annuel se fait en novembre et decembre), Fan-nonce d'un nouveau changement de patron n'a done pas surpris grand monde. L'arrivee du jeune et presse Alexandre Bompard, tout droit debarque d'Europe 1, a juste ete vecue comme le signal que le dossier s'accelere. Les rumeurs ont commence en 2005. Au printemps de cette annee-la, Frangois-Henri Pinault - le cheveu blond, la prunelle bleue et le bras accroche a l'actrice hollywoodienne Salma Hayek - s'installe dans le fauteuil de president du conseil d'administration de PPR. II avait 1 an lorsque son pere, Frangois, au-jourd'hui la septieme fortune de France, a cree le groupe en se langant dans le negoce du bois. II a alors 43 ans, dont seize d'experience dans l'entreprise de papa, avec un diplome d'HEC en poche. Et il sait deja ce qu'il va faire. II l'annonce quelques mois plus tard, en decembre, a ses administrateurs. Resume de son discours : la disn-ibution, un des deux metiers de PPR, est condamnee a une croissance modeste (maturation du marche frangais oblige) et a une internationa-lisation lente, alors que le luxe, l'autre pilier du groupe, est promis a de jolis taux de progression dans les dix, vingt ans, un peu par-tout sur la planete. Les Chinois et les Indiens n'ont pas fini d'epuiser le charme du sac a 38 • LE NOUVEL OBSERVATEUR main a 1000 euros. Exit la distribution, place au luxe. CQFD. Le pere s'etait developpe au cours des annees 1970 et 1980 dans l'achat, la transformation et la revente de bois, puis dans les annees 1990 dans la distribution grand public, avec les acquisitions succes-sives de CFAO en 1990, de Conforama en 1991, du Printemps et de la Redoute en 1992, de la Fnac en 1994. Le fils s'apprete a prendre le virageduluxe... Boulevard Sebastopol « Peu de temps apres mon arrivee, en 2006 et en 2007, des fonds d'investissement ont commence a nous faire des propositions de rachat de la Fnac, raconte Francois-Henri Pinault, qui nous regoit sans cravate dans son bureau parisien, a deux pas de la place de l'Etoile. En novembre 2009, j'ai exprime clai-rement mon intention de ceder mes enseignes de distribution. Apres une accalmie due a la crise, nous avons á nouveau recu des marques ďintérét d'acheteurs : des fonds d'investissement mais aussi des industries (Faméricain Best Buy, leader mondial de 1 electrodomestique, a notamment été évo-qué, NDLR). Mais, ä ce jour, nous n'avons jamais confié aucun mandát á une banque ni lancé de processus officiel.» Pour combien de temps encore ? Aprěs le Printemps, cédé en 2006 á l'homme d'affaires italien Maurizio Borletti, aprěs Surcouf, en 2007, Eveil & Jeux et CFAO en 2009, puis Conforama, vendu la semaine derniére au géant de 1'ameublement sud-africain Steinhoff pour un montant estimé á 1,6 milliard ďeuros, il ne reste plus sur la liste que la Redoute... et la Fnac. «Les salaries de la Fnac ont longtemps été amoureux de leur entreprise, fiers et heureux ďy travailler, indique un consultant. Mais aveclamontée des tensions sociales, l'impres-sion qu'ils devaient travailler afin de rendre la mariée la plus séduisante possible pour une g cession etl 'acceleration des changements de di-rigeants (Alexandre Bompard est le troisiěme president en trois ans, aprěs Denis Olivennes, parti au "Nouvel Observateur" en mai 2008, puis Christophe Cuvillier, NDLR), cela s'est degrade ces demiéres années. La meilleure chose quipuisse leur arrive)', cest que la Fnac soit vendue rapidement et que le nouvel action-naire donne un second souffle.» Lhistoire de la Fnac a démarré un jour de juillet 1954 dans un appartement du boulevard Sébastopol, á Paris. A la téte de ce qui s'appelle encore la Federation nationale dAchats des Cadres : Max Théret, ancien resistant et combattant aux cötes des Republicans durant la guerre d'Espagne, et André Essel, qui a été responsable du « Drapeau rouge », le journal des Jeunesses socialistes. Les deux hommes ont en commun une méme passion pour la Photographie 16-22 DÉCEMBRE2010»39 ECONOMIE et pour Leon Trotski. lis commencent par vendre des appareils photo dernier cri avec des bons de reduction de 10 á 20%, se déve-loppent, créent le journal« Contact» destine á leurs adherents, ouvrent un premier maga-sin au pied de leur immeuble en 1957, embau-chent des militants et des passionnés, se battent contre le prix unique du livre... Aujourd'hui, la Fnac n'est plus 1'« agitateur culturel» ni le vendeur militant de ses debuts. Mais elle est devenue le premier distributeur de produits culturels et de loisirs frangais. A l'international, elle est présente dans six autres pays - dont le Brésil - oú elle realise 30% de ses recettes. La Fnac regoit 20 millions de clients dans ses maga-sins et 750 000 visiteurs uniques quotidiens sur son site internet (ce qui en fait le qua-triěme cybermarchand frangais). «Malgré I'effondrement du marché du disque et du DVD depuis le debut des années 2000, malgré la crise économique, la Fnac reste une belle societě qui a augmente son chiffre d'affaires (de 5,6%, NDLR) et sa rentabilita (de 0,9 points) ces cinq derniěres années », in-dique Jean-Daniel Pick, du cabinet de conseil OC&C Strategy Consultants. PPR pourrait en tirer la jolie somme de 2 milliards d'euros. Cest done Alexandre Bompard, attendu debut Janvier, qui va piloter la vente. Enarque, inspecteur des Finances, ancien conseiller de Frangois Fillon au ministěre du Travail et ex-directeur des sports á Canal+, il était arrive á la téte d'Europe 1 il y a deux ans et demi seulement, mais semblait ronger son frein depuis l'echec de sa candidature, cet été, á la présidence de France Televisions. A seule- Alexandre Bompard (ci-dessus) et Francois-Henri Pinault z Ö ment 38 ans, l'homme s'est déjá fait un carnet d'adresses dans le monde politique et des affaires et un nom auprěs du grand public. «Etlanotoriete d'unpatron, e'est toujours un plus en cas de vente », precise un dirigeant de la Fnac. II pourrait á l'occasion empocher une coquette commission. Son prédécesseur, Christophe Cuvillier, lui laisse une maison en bonne marche financiere, avec une longue liste de projets en cours (développement des produits en marque propre, nouveaux concepts de maga-sin, poursuite de l'internationalisation...), mais avec un management quelque peu chamboulé. Le departement marketing a été „_ démantelé et les departs se sont multiplies I sous son bref rěgne. A-t-il démérité ou bien I va-t-il continuer á épauler Frangois-Henri " Pinault? Les interpretations divergent. Si la decision est prise de lancer la vente de la Fnac avant celle de La Redoute, les choses pourraient en tout cas aller trěs vite. Le processus de cession de Conforama a été bouclé en onze mois seulement. La suite ? Le cabinet McKinsey a termine en avril dernier une etude sur la constitution d'un portefeuille d'actifs, qui viendrait completer les poles luxe (Gucci, Yves Saint Laurent...) et sportswear (Puma). Une centaine de cibles ont été identi-fiées, style Quiksilver ou Faustralien Billabong. Frangois-Henri Pinault a beau avoir l'air gourmand d'un héritier en train de céder les bijoux de famille pour s'offrir une nouvelle voiture, il le reconnait lui-méme : « Cest plus facile de. vendre que d'acheter.»II sait qu'il sera jugé sur ses emplettes. NATHALIE FUNĚS Des concurrents ? Quels concurrents ? La Fnac, «animal unique, seul a etre present pour moitie sur Yeditorial et pour moitie sur le technique », comme dit Christophe Cuvillier, encore PDG jusqu'a la fin du mois, n'a en face de lui aucun autre distributeur qui lui ressemble. Mais sur les deux marches ou elle ferraille, les produits culturels (livres, disques, DVD...) d'un cote et le materiel high-tech (micro-informatique, telephonie, appareils photo...) de l'autre, la liste de ses rivaux est longue. La Fnac reste l'acteur numero un pour la culture. Mais elle est assise sur un magot qui se reduit comme peau de chagrin. Les ventes de disques et de DVD plon-gent depuis plusieurs annees deja. Celles du livre stagnent. Et tous les acteurs se cherchent. Virgin, rachete par le fonds d'investissement Butler Capital Partners en 2008, qui ne vendait au depart que des disques, propose desormais de la papeterie, des jeux video, des gadgets, etc. Mais son chiffre d'affaires, lui, continue de piquer du nez : -2% de 2007 ä 2009. Cultura, fonde en 1998 par un ancien des magasins de vetements Kiabi qui a epouse une heritiere Mulliez (groupe Auchan), a choisi prudemment de s'installer ä la Peripherie des villes, oü la concurrence est moins rude. Mais l'enseigne composee dune cinquantaine de magasins a du mal ä elargir son offre, comme ä percer sur internet. .. et n'a jamais publie ses resultats. Pour les produits techniques et la micro-informatique (ou le leadership de la Fnac est variable selon les segments de marche) Fambiance est nettement plus ä la fete. La multiplication des nouveautes - livre elec-tronique, smartphones... - compense largement la pression sur les prix. La sante de Darty s'ameliore, avec des ventes en hausse de 2,7% et des marges qui progressed pour son exercice clos fin avril 2010. Les clignotants de Boulanger semblent egalement a nouveau au vert. La chaine de magasins electrodomestiques de la famille Mulliez vient meme de s'offrir les 34 etablissements de Saturn France, filiale du geant allemand Metro. Depuis son arrivee en 1989, celle-ci a change trois fois de nom, et epuise les concepts et les managers. La rumeur voulait meme que le groupe germa-nique croque la Fnac. Finalement, e'est lui qui, le mois dernier, s'est fait manger par la deuxieme famille la plus riche de France. Un concurrent de moins. N. F. 40 • LE NOUVEL OBSERVÄTEUR