pere, l'homme qui a partage avec lui la tache de traduire en allemand A la Recherche du temps perdu de Marcel Proust. C'est le philosophe allemand Walter Benjamin. II avait tire un message pessimiste d'un tableau du peintre suisse, Paul Klee, YAngelus Novus, ou la figure de l'ange ouvre les bras comme pour contenir et repousser une tempete qu'il identifie avec le progres. Pour Benjamin qui se suicidera en septembre 1940 pour fuir le nazisme, le sens de l'histoire, c'est le cheminement irresistible de catastrophe en catastrophe. L'indifference : la pire des attitudes C'est vrai, les raisons de s'indigner peuvent paraitre aujourd'hui moins nettes ou le monde trop complexe. Qui commande, qui decide ? II n'est pas toujours facile de distinguer entre tous les courants qui nous gouvernent. Nous n'avons plus affaire ä une petite elite dont nous comprenons clairement les agissements. C'est un vaste monde, dont nous sentons bien qu'il est interdependant. Nous vivons dans une interconnectivite comme jamais encore il n'en a existe. Mais dans ce monde, il y a des choses insupportables. Pour le voir, il faut bien regarder, chercher. Je dis aux jeunes : cherchez un peu, vous allez trouver. La pire des attitudes est l'indifference, dire « je n'y peux rien, je me debrouille ». En vous comportant ainsi, vous perdez l'une des composantes essentielles qui fait l'humain. Une des composantes indispensables : la faculte d'indignation et l'engagement qui en est la consequence. On peut dejä identifier deux grands nouveaux defis : 1. L'immense ecart qui existe entre les tres pauvres et les tres riches et qui ne cesse de s'accroitre. C'est une innovation des XXC et XXL siecle. Les tres pauvres dans le monde d'aujourd'hui gagnent ä peine deux dollars par jour. On ne peut pas laisser cet écart se creuser encore. Ce constat seul doit susciter un engagement. 2. Les droits de l'homme et létat de la planete. J'ai eu la chance aprěs la Liberation d'etre associé ä la redaction de la Declaration universelle des droits de l'homme adoptée par l'Organisation des Nations unies, le 10 décembre 1948, ä Paris, au palais de Chaillot. C'est au titre de chef de cabinet de Henri Laugier, secretaire general adjoint de 1'ONU, et secretaire de la Commission des Droits de l'homme que j'ai, avec ďautres, été amené ä participer ä la redaction de cette declaration. Je ne saurais oublier, dans son elaboration, le role de René Cassin, commissaire national ä la Justice et ä l'Education du gouvernement de la France libre, ä Londres, en 1941, qui fut prix Nobel de la paix en 1968, ni celui de Pierre Menděs France au sein du Conseil économique et social ä qui les textes que nous élaborions étaient soumis, avant d'etre examines par la Troisiěme commission de l'assemblee generale, en charge des questions sociales, humanitaires et culturelles. Elle comptait les cinquante-quatre Etats membres, ä l'epoque, des Nations unies, et j'en assurais le secretariat. C'est ä René Cassin que nous devons le terme de droits « universels » et non « internationaux » comme le proposaient nos amis anglo-saxons. Car la est bien l'enjeu au sortir de la seconde guerre mondiale : s'emanciper des menaces que le totalitarisme a fait peser sur l'huma-nité. Pour sen émanciper, il faut obtenir que les Etats membres de l'ONU s'engagent ä respecter ces droits universels. C'est une maniěre de déjouer l'argument de pleine souveraineté qu'un Etat peut faire valoir alors qu'il se livre ä des crimes contre l'humanite sur son sol. Ce fut le cas d'Hitler qui s'estimait maitre chez lui et autorisé ä provoquer un genocide. Cette declaration universelle doit beaucoup ä la revulsion universelle envers le nazisme, le fascisme, le totalitarisme, et méme, par notre presence, ä l'esprit de la Resistance. Je sentais qu'il fallait faire vite, ne pas etre dupe de l'hypocrisie qu'il y avait dans 1'adhesion proclamee par les vainqueurs ä ces valeurs que tous n'avaient pas l'intention de promouvoir loyalement, mais que nous tentions de leur imposer3. Je ne resiste pas ä l'envie de citer l'article 15 de la Declaration universelle des Droits de l'homme : « Tout individu a droit ä une nationalite » ; l'article 22 : « Toute personne, en tant que membre de la societe, a droit ä la Securite sociale ; eile est fondee ä obtenir la satisfaction des droits economiques, sociaux et culturels indispensables ä sa dignite et au libre developpement de sa personnalite, grace ä 1'effort national et ä la cooperation internationale, compte tenu de 1'organisation et des ressources de chaque pays. » Et si cette declaration a une portee declarative, et non pas juridique, elle n'en a pas moins joue un role puissant depuis 1948 ; on a vu des peuples colonises sen saisir dans leur lutte d'independance ; elle a ensemence les esprits dans leur combat pour la liberte. Je constate avec plaisir qu'au cours des dernieres decennies se sont multiplies les organisations non gouver-nementales, les mouvements sociaux comme Attac (Association pour la taxation des transactions financieres), la FIDH (Federation internationale des Droits de l'homme), Amnesty... qui sont agissants et performants. II est evident que pour etre efficace aujourd'hui, il faut agir en reseau, profiter de tous les moyens modernes de communication. Aux jeunes, je dis : regardez autour de vous, vous y trouverez les themes qui justifient votre indignation — le traitement faits aux immigres, aux sans-papiers, aux Roms. Vous trouverez des situations concretes qui vous amenent ä donner cours ä une action citoyenne forte. Cherchez et vous trouverez ! 16