Le hamburger, cette autre cuisine française. Petits ou grands, étoilés ou non, les chefs se sont approprié le célèbre plat américain et l’ont adapté à leur manière. Un phénomène qui ne relève pas de la simple mode. On peut rendre hommage à la grandeur de la France en respectant une nouvelle tradition locale : manger du hamburger. Introduits il y a quelques années mais ne décollant réellement que depuis neuf mois, hamburgers et cheeseburgers ont envahi la capitale. Partout où les touristes sont susceptibles d’aller cet été – cafés du boulevard Saint-Germain, lieux fréquentés par le monde de la mode et même restaurants trois étoiles –, ils ont toutes les chances de trouver un steak haché juteux, invariablement ou presque servi entre deux tranches de petit pain rond au sésame. « Il a le goût de l’interdit, de l’illicite, voire du subversif », assure Hélène Samuel, consultante auprès de restaurants. « Manger avec les doigts, c’est de la régression pure. Et naturellement, tout le monde en veut. » Voilà un retournement de tendance pour le moins inattendu, dans un pays où un chef a jadis réclamé 2,7 millions de dollars de dommages et intérêts à McDonald’s pour une affiche suggérant qu’il rêvait d’un Big Mac. Le hamburger se situait aux antipodes de la cuisine française : sans façon, préparé et avalé en vitesse, d’origine étrangère et impossible à manger proprement. Mais, si les chefs français ont adopté cet aliment typiquement américain, ils se le sont également approprié en y incorporant des fioritures hexagonales comme le cornichon, la fleur de sel et le thym frais. Ces tentatives pour franciser le hamburger, voire l’améliorer, donnent certainement à penser que le produit s’est solidement implanté dans le pays. « Ce n’est pas une simple mode », affirme Frédérick E. Grasser-Hermé, qui a créé un burger pour la boîte de nuit Black Calvados, sur les Champs-Élysées, auprès de laquelle elle officie comme chef conseil : un hamburger de wagyu, le bœuf japonais de Kobé, assaisonné de ce qu’elle appelle du ketchup noir à base de mûres et de cassis. « Le hamburger est devenu un mets gastronomique. » Quelques chefs parmi les plus prestigieux de Paris ont relevé le défi. Yannick Alléno, trois étoiles au Michelin, sert un succulent hamburger épais dans son restaurant, Le Dali. C’est son pâtissier, Frédéric Lalos, lauréat d’un des concours de cuisine les plus disputés du pays, qui fabrique les petits pains ronds. Fourrés de poitrine fumée, de laitue, de pickles à l’aneth, de moutarde, de mayonnaise et accompagnés de frites, il vous en coûtera 35 euros. Romain Corbière, le chef du restaurant d’Alain Ducasse Le Relais du Parc, prépare un hamburger saisonnier à la plancha. L’Atelier de Joël Robuchon propose « Le Burger », composé de deux petits steaks hachés surmontés de tranches de foie gras de dimensions quasi égales. Les hamburgers étaient loin d’être inconnus à Paris. Mme Grasser-Hermé en a goûté pour la première fois en 1961 à la Légion américaine, onze ans avant que McDonald’s ait dévoilé ses arches dorées en France. Mais, à quelques rares exceptions près, ils étaient insipides, trop cuits et boudés même par les expatriés américains. De nos jours, les chefs reconnaissent qu’un hamburger n’est pas simplement 170 grammes de bœuf haché maigre et grillé un peu trop longtemps. […] Jane Sigal, The New York Times, dans Courrier international, n° 929, 21 août 2008.