tempo
Yael Hassan
Retrouvez le personnage de Momo des Coquelicots dans d'autres histoires:
Momo, petit prince des Bleuets, coli. «Tempo», Syros, 2006 Des laurierspour Momo, coli. «Tempo», Syros, 2012
Momo des Coquelicot
Couverture illustree par Beatrice Alemagna
ISBN: 978-2-74-851263-2 © Syros, 2010, 2012
SYROS
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eja que la vie netait pas drole tous les jours pour Momo de la cite des Bleuets avant qu'il ne fasse la connaissance de monsieur Edouard, depuis que celui-ci l'a quitte, c'est encore pire!
Certes, les immeubles ont ete repeints; d'abord par les amis de monsieur Edouard (residents eux aussi de la maison de retraite des Belles Feuilles), puis par toutes les bonnes volontes de la cite elle-meme. lis avaient repare, peint, renove, nettoye, seme, plante et ainsi reussi tant bien que mal a la parer des couleurs de l'espoir en des jours meilleurs.
Certes, le maire en personne s'etait deplace, suivi de toute sa clique et de la presse locale.
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Ii avait fait un discours louant leur courage et leur esprit civique, émaillant ses propos de promesses de budget, de plans de sauvetage, ďintégration, de travail...
Mais, les makrouds ä peine engloutis, il avait serré quelques mains de ses doigts collants et tout le monde était reparti aussi sec.
Envolés les espoirs, disparues les promesses!
Et disparu monsieur Édouard qui l'avait sacré petit prince des Bleuets.
Désormais, Momo n'est plus le prince d'aucun royaume et la cité des Bleuets a rapidement perdu de ses couleurs.
Ii est redevenu Mohammed Beldaraoui, un élěve de sixiěme presque comme les autres.
Oui, presque, parce qu'il lui reste quand méme quelque chose de précieux ä Momo, un bien plus précieux encore que n'importe quel joyau de la couronne: ses souvenirs. Ceux-la, jamais ils ne s'envoleront. Momo les garde bien au chaud au creux de sa memoire. Méme qu'il les empörte avec lui ä chaque fois qu'il s'echappe sur son ile deserte, le seul endroit au monde ou poussent des bleuets multicolores.
Et puis, surtout, il lui reste les livres que lui a légués monsieur Édouard; deux caisses entiéres pleines de livres rien que pour Momo. Du coup, Fatima lui a offert trois belles étagéres qu'ils ont accrochées ensemble au-dessus de son lit. £a n'a pas été facile et ils auraient bien aimé qu'Ahmed, leur grand frere, leur file un coup de main mais il ne fallait pas trop compter sur lui. Ahmed n'est pas du genre ä aider sa famille ä accrocher des étagéres au mur pour y mettre des livres. Non, Ahmed est plutôt du genre ä rester toute la jour-née allonge sur son lit ä fumer des cigarettes qui sentent mauvais ou alors ä retenir les murs de la cité avec ses copains, tout en refaisant le monde; un monde oil personne d'ailleurs n'aurait envie de vivre, comme se moque Fatima.
En plus, quand ils ont fait les trous dans le mur avec la perceuse louée au magasin de bri-colage, il est sorti comme un fou de sa chambre en hurlant:
- Il n'y a pas moyen de dormir dans cette baraque, ou quoi?
Fatima s'est contentée de hausser les épaules en levant les yeux au ciel.
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Il y a longtemps qu'elle a renoncé á discuter avec Ahmed, Fatima.
N'empeche, elle est bien la seule de la famille á lui tenir téte et á n'en faire qu'a la sienne!
Souvent, Momo regrette d'etre le plus petit et ďavoir á subir la loi de ses ainés, comme Rachid et Rachida, les jumeaux qui lui font plein de misěres, ou encore Yasmina qui lui dit «Momo, fais ci, Momo, fais ca!». Quant á Ahmed, n'en parlons pas. Lui, pour un oui ou pour un non, il file des claques. En fait, il n'y a que Fatima qui soit vraiment gentille avec Momo. Et sa mere, bien sur, qui l'appelle «mon petit Momo génie» et qui bombe le torse quand elle parle de lui avec ses amies. Il faut dire que ce n'est pas tous les jours que madame la directrice de 1'école primaire se déplace en personne jusqu'a la cite pour venir vanter les mérites ďun de ses élěves. Mais elle l'avait fait pour Momo á la fin de son CM2.
Alors, elle peut étre fiěre de lui, sa maman.
Son papa aussi ďailleurs, mais celui-ci, le pauvre, il va de moins en moins bien, ou plutót de plus en plus mal. Il ne s'est jamais remis de sa chute d'un échafaudage directement dans le
coma et, ces derniers temps, il est tres fatigue et est devenu taiseux et taciturne. Meme ses copains Mamadou et Boubakar qui venaient tous les jours jouer aux cartes avec lui ne parvenaient plus a le derider et ont fini par deserter.
Il passe desormais des journees entieres assis devant la fenetre, le regard rive aux tours de beton gris qui bouchent l'horizon. Momo sait a quoi pense son pere. Il pense aux lumieres chaudes et rieuses de son pays natal.
Si Momo est le seul a le savoir, c'est parce qu'il est aussi le seul a rester aupres de son papa, apres l'ecole, lui faisant la lecture ou lui tenant juste la main, en silence.
Momo connait le silence. Monsieur Edouard le lui a appris. Il ne lui fait done pas peur; contraire-ment a beaucoup de gens que cela gene. Quand la maladie d'Alzheimer avait brutalement gagne du terrain, quand le vieil homme avait commence a avoir des absences de plus en plus frequentes et longues, tout comme madame Rosa dans La Vie devant soi, et qu'il demeurait ainsi des heures, lui aussi, silencieux, le regard perdu au loin, Momo attendait patiemment qu'il revienne.
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Momo comprend que Ton ait besoin de s'evader de temps en temps. Lui-meme le fait regulierement quand la realite est trop lourde ä affronter.
Mais la derniere fois que Momo s'est assis aupres de son pere en rentrant du college, celui-ci s'est mis ä parier:
- Mon petit Momo, je sais que^ toi, tu reussiras ta vie. Je regrette tellement de ne pas etre la pour le voir...
- Mais tu es lä, mon papa! lui a-t-il vivement retorque.
- Plus pour longtemps, mon fils. La vie me quitte et...
- Non, papa, je ne veux pas que la vie te quitte! Je ne veux pas que toi aussi tu partes, comme monsieur Edouard!
Momo a explose en sanglots en se jetant au cou de son pere qui s'est alors tu, caressant la tete de son fils et melant ses propres larmes aux siennes.
Puis il a ajoute:
- Regarde, mon fils, la, dans le tiroir du buffet! Vas-y! Ii y a un carnet rouge. C'est de l'argent
que j'ai mis de cote a la banque pendant long-temps. C'est pour payer tes etudes plus tard... Tu le prends et tu n'en paries a personne, tu m'entends ?
Momo a secoue la tete. II ne voulait pas de cet argent.
- Regarde, c'est ton nom qui est marque dedans, Mohammed Beldaraoui. II faut que tu le prennes et que tu le gardes. Quand tu seras un etudiant, tu iras a la banque et tu retireras l'argent.
Pour ne pas attrister davantage son papa, il a fini par prendre le carnet rouge et l'a glisse dans sa boite a secrets.
Il l'y a aussitot oublie.
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