9 JL J., eureusement. chez Fatima, les moments ďabattement ne durent jamais longtemps. Au contraire, ils lui donnent ä chaque fois une force et une energie décuplées. - Bon! fait-elle ä sa mere. Nous allons nous battre. Děs ce soir nous allons commencer ä rendre visíte ä chacun des habitants de ľimmeuble et les mobiliser. Leur faire comprendre les enjeux ďune cohesion sans faille. Maman, tu viendras avec moi, ďaccord? - Moi je ne peux pas montér jusqu'au dixiěme, ma fille. Sans ľascenseur, c'est trop dur. - Alors, tu feras avec moi les appartements du bas. Toi, Rachid, tu m'accompagneras pour ceux du haut. 81 - Pourquoi moi? regimbe celui-ci. Demande ä Momo. Le regard de sa soeur se tourne vers son petit frěre. - Tu veux bien ? Il opine de la téte. - Bon, je vais preparer ä diner, leur dit la mere, et vous apporterez ä manger ä madame Ginette. - Oui, d'autant qu'on peut étre sürs maintenant qu'ils ne le répareront plus, l'ascenseur. lis vont tout faire pour qu'on parte au plus vite. Aprěs le diner, Fatima et Momo se rendent done chez leur voisine. Au grand bonheur de Momo, quand eile ouvre la porte, eile offre un visage complětement different. Elle semble regonflée ä bloc, eile aussi, comme Fatima qu'elle prend dans ses bras. - Nous allons nous battre, n'est-ce pas, ma petite? - Oui, madame Ginette. J'avais l'intention d'al-ler chez chaque voisin et... - Non, ca prendrait trop de temps. Regarde, j'ai prepare un mot ä afficher en bas dans l'en-trée. On se réunira demain soir, ici, chez moi, ä 20 heures. Il faut que nous creions une association de defense et que nous montions un dossier. Quand il y aura la reunion a la mairie, nous irons en force, avec des arguments solides. - Et vous croyez qu'on pourra les faire changer d'avis? demande Fatima qui n'a pas l'air de trop y croire, malgre tout. - Non, bien sur! soupire madame Ginette. Le dynamitage est sans doute prevu de longue date et nous n'y pourrons rien. Ne perdons pas de vue que e'est tout de meme dans le but d'ame-liorer la vie dans la cite qu'ils font cela et que la majorite des gens des autres barres sont d'accord avec les projets de renovation, ce qui est normal. Mais on ne va pas pour autant leur simplifier la tache. La municipality sait tres bien qu'entrer en conflit avec nous ne lui faciliterait pas les choses et qu'elle a tout interet a nous ecouter et satisfaire nos demandes. Nous allons done lui demander de nous reloger decemment, sans augmentation de loyer et en prenant a sa charge tous les frais de demenagement. - Alors, vous etes d'accord pour partir? se rejouit Momo. - Pas du tout! Moi, je reste. Mais je veux que vous partiez dans les meilleures conditions. C'est une bonne chose pour vous, Fatima. Ici, renovation ou pas, les choses n'évolueront pas dans le bon sens, ä mon avis. On vous donne ľoccasion de partir, de construire quelque chose ailleurs, alors saisissez-la. C'est une merveilleuse oppor-tunité pour vous et votre famille de changer de cadre. Et j'essaierai de vous obtenir le meilleur. - Mais, madame Ginette, s'insurge Fatima, pour vous aussi c'est une merveilleuse occasion de partir, de vivre ailleurs! - Non, pour moi, c'est trop tard. Mes souvenirs sont ici, ma vie est ici. - Vous serez quand merne obligée de partir! intervient Momo. Ils ne vont pas dynamiter ľim-meuble avec vous dedans! - Eh bien, qu'ils viennent me chercher! Mais en attendant, va done punaiser ca sur le panneau dans ľentrée, mon petit Momo. Tandis que Momo dévale les sept étages, madame Ginette entraíne Fatima dans la cuisine oú elle rechauffe le plat prepare par madame Beldaraoui. - Tu sais, Fatima, lui dit-elle, je ne suis pas folie. Je sais que je ne fais pas le poids et qu'ils me forceront á partir. Seulement, tu vois, cet appartement, c'est tout ce qui me reste dans la vie. Mon homme en avait fait une bonbonniěre et jamais plus je n'en aurai ďidentique. Quand ils me délogeront, j'irai tout droit en maison de retraite. - Mais non, pourquoi ? proteste Fatima avec vehemence. Vous étes encore jeune, madame Ginette... - Ce sont mes enfants qui en ont decide ainsi. Cest tout ce qu'ils ont trouvé pour me récon-forter quand je leur ai annoncé la nouvelle du dynamitage. Pour moi, la maison de retraite, c'est 1'antichambre de la mort... Le cceur de Fatima se serre mais elle se sent terriblement impuissante devant le chagrin de sa voisine. - Alors, tu comprends, ajoute madame Ginette en se forcant á rire, que moi, je n'ai rien á y perdre dans 1'histoire et vous, vous avez tout á y gagner. Je vais leur rendre la vie impossible! 11 va y avoir du sport, allée des Crocus. On va bien s'amuser. 84 85 N'est-ce pas, Momo? lui lance-t-elle alors qu'il remonte en nage et essouffle. - N'est-ce pas quoi? - Qu'on va bien s'amuser? - Ben, je ne sais pas, repond-il en regardant sa sceur. Mais le seul fait que madame Ginette ne pleure plus et rie le rassure, et il se dit que, fina-lement, s'il peut continuer a voir Emilie comme avant, l'idee de demenager ne lui deplait plus du tout. Fatima prefere ne rien lui dire concernant les aveux de madame Ginette. Momo lui semble suffisamment perturbe pour qu'elle n'en rajoute pas avec cette histoire, pour le moment. La mort de monsieur Edouard, la mort du pere, la violence de son frere, l'obligation de partir des Bleuets, Momo en a drolement bave ces derniers temps, le pauvre! A chaque jour suffit sa peine. Lorsqu'ils rentrent chez eux, elle attend que Momo aille se coucher pour tout expliquer a sa mere. - Ouille, la pauvre Ginette! se lamente madame Beldaraoui. La maison de retraite? Les Belles Feuilles, comme monsieur Edouard? Quand le telephone sonne, Fatima se demande quelle mauvaise nouvelle va encore lui tomber sur la tete. - Ah, bonsoir, docteur... Non, vous ne nous derangez pas... Ah, vous etes au courant pour la barre? Oui... Non, je ne sais pas encore... Vous voulez me voir? D'accord... Demain? Oui, c'est samedi mais je ne travaille pas. Tres bien... Je viendrai avec Momo... D'accord... Bonsoir. - Cbkoun? Qui c'est? demande la mere. - Le docteur Cohen. II voudrait me parier... Ii est au courant pour la cite... Bon, je verrai bien demain. C'est Momo qui m'inquiete, maman. Il est trop sensible, tu sais? Il se fait du souci pour tout. -Je sais, soupire la mere. C'est un gentil petit garcon... Pas comme Ahmed... T'as pas de nou-velles de lui? Elle a beau s'efforcer de faire comme si de rien n'etait, Fatima percoit parfaitement dans la voix de sa mere des bribes de chagrin. - Non, et c'est tant mieux, maman. 87 - Dis pas ca, ma fille... Je souis inquiete! J'ai peur qu'il fasse des grosses betises. - Tant pis pour lui! Papa est mort et il s'in-quiete meme pas de toi, de nous? Oublie-le, va! Il ne merite pas que tu te fasses du souci pour lui. 10 M, .ais si tu demenages, tu viendras tou-jours ici, au college, non? demande Emilie, a qui Momo vient d'annoncer la nouvelle tandis que Fatima discute avec le docteur. - Je ne sais pas! Tout depend ou ils vont nous reloger... Si c'est derriere le college, oui, mais sinon... Si on part loin... - Oh! fait juste Emilie, consternee. Puis une idee super lui traverse l'esprit: - Et si tu venais habiter chez moi ? Tu pourrais prendre la chambre de ma sceur! Momo sourit. - Et ma famille, je la mettrais ou? - Ben oui... Ce n'est pas possible, soupire-t-elle. 89 - Dis, tu ecris tous les jours dans ton journal, toi? lui demande Momo pour changer de sujet. - Non, juste quand j'ai des choses a dire. Ce soir, je vais ecrire que tu m'as annonce qu'ils allaient demolir ton batiment et que ca me rend triste parce que je ne veux pas que tu partes ailleurs. - Et un garcon, il peut avoir un journal, tu crois ? - Bien sur! Il y a plein d'ecrivains qui tiennent aussi leur journal. Momo se dit que, pour son anniversaire, il demandera a Fatima de lui offrir un journal. Lui, il y ecrira tous les jours car il a tous les jours des choses a raconter. - Momo! l'appelle Fatima. - Ah, je dois partir! dit-il en se levant. - D'accord, a lundi, alors? - A lundi, repond Momo en rejoignant sa sceur. Des qu'ils se retrouvent tous les deux dans la rue, Momo lui demande: - Alors, il voulait te dire quoi, le docteur? Fatima prend la main de Momo dans la sienne et l'embrasse. - Oh, Momo, c'est trop beau! Le docteur Cohen cherche une secretaire, la sienne part ä la retraite. Et il a pense ä moi pour la remplacer. - Tu vas quitter l'hyper? - Oui, et je vais beaucoup mieux gagner ma vie, notre vie! Fatima est si heureuse qu'elle se met ä marcher en sautillant, entrainant Momo dans sa danse. Momo se dit que ca fait tres longtemps qu'il n'a pas vu sa grande sceur aussi heureuse et ca lui fait tres tres chaud au cceur. - Tu sais, Fatima, tu es la sceur la plus accorte que je connaisse! lui confie-t-il avec elan. - Ä quoi? - Accorte, c'est mon mot n° 300. Ca veut dire gracieuse, avenante. - Dis done, Momo, si tu continues comme ca, bientot, je ne te comprendrai plus du tout! lui dit-elle en riant. C'est peut-etre l'occasion ou jamais de lui parier du journal. Apres, eile sera trop occupee avec les histoires de la cite, pense-t-il tres judicieuse-ment. (Judicieux, avait dit l'imam. Le mot lui avait beaucoup plu, alors il avait un peu triche et etait 90 91 alle voir sa signification avant d'arriver a la lettre J car il avait tres envie de l'utiliser, lui aussi.) - Fatima? - Oui, mon Momo? - Je peux te demander quelque chose ? Fatima sait parfaitement que les demandes de Momo sont toujours tres raisonnables, parfaitement realisables. C'est done sans la moindre hesitation qu'elle lui repond: - Tout ce que tu veux! Momo se rejouit de ne pas s'etre trompe. - Pour mon anniversaire, j'aimerais bien un... journal. - Un journal? Quel journal? - Un journal intime. - Oh, un journal intime! Tu voudrais te mettre a ecrire, c'est ca? - Oui, j'aimerais bien tenir un journal pour raconter tout ce qui se passe dans ma vie, lui repond-il tres serieusement. - C'est une bonne idee. Qui te l'a donnee? Momo reflechit avant de repondre. Doit-il dire Emilie ou Anne Frank? 92 - Emilie, dit-il, optant pour la premiere parce qu'il n'a pas trop envie de parier d'Anne Frank qu'il prefere garder en secret dans son cceur, avec son lie. - D'accord, mais c'est dans longtemps, ton anniversaire. Tu vas pouvoir tenir? - Ben, je n'ai pas le choix. - Si, tu as le choix. - Comment? - On pourrait aller l'acheter tout de suite. Pas la peine d'attendre ton anniversaire. Momo serre tres fort la main de sa grande sceur tandis qu'ils se dirigent vers la librairie-papeterie du centre-ville. - Choisis celui que tu veux! lui propose Fatima alors qu'ils sont devant le rayon. - Mais, Fatima, s'inquiete Momo, regarde, il n'y a que des trues pour filles... Ii faudrait aller au rayon gargons! - Il n'y a pas de rayons journaux filles et garcons separes! s'esclaffe-t-elle. Mais attends, on va bien en trouver un... de garcon. Effectivement, eile repere aussitot un cahier dont la couverture est ornee d'un voilier voguant 93 sur une mer ďazur et portant ľannotation: Carnet de bord. - Celui-ci est pour toi! triomphe-t-elle en le tendant ä Momo qui est tout ä fait ďaccord et ravi. Son journal, ce sera comme son íle déserte, se réjouit-il. Tout au long du chemin du retour, Momo garde son précieux cahier serré contre sa poitrine et, des qu'ils arrivent ä la maison, il se précipite dans sa chambre et le glisse sous son oreiller. Puis il rejoint Fatima et la mére ä la cuisine. Celle-ci est au courant de ľexcellente nouvelle pour Fatima et pousse un youyou retentissant. 11 „pres le diner, alors que Fatima et sa mere sont montées ä la reunion des locataires chez madame Ginette, Momo profite de ce que Rachid regarde la télé avec Rachida dans le salon pour sortir son cahier et le nouveau stylo que Fatima lui a également offert. Il est ému devant la premiere feuille blanche comme neige avec de fines rayures bleu ciel. Journal de Momo, petit prince des Bleuets, marque-t-il de sa plus belle écriture. Puis il tourne la page. Sur la suivante, il inscrit la date... Il a remarqué que, dans son journal, Anne Frank s'était inventé une amie qu'elle appelait Kitty. C'est ä elle qu'elle s'adressait toujours. 95 Lui, il a une amie bien vivante, Emilie, ä qui il peut parier quand l'envie lui en prend, et un ami bien mort, monsieur Edouard. Alors il n'a aucune hesitation: Cher monsieur Edouard, ecrit-il encore avant de commencer. Depuis que vous m'avezquitte, la vie n'estplus la meme aux Bleuets... Momo s'applique, tire la langue. Il veut que ce soit bien ecrit et sans fautes. On n'ecrit pas ä un ancien instituteur de la Republique avec des fautes d'orthographe. Il est tellement absorbe qu'il ne prete plus la moindre attention ä ce qui se passe autour de lui et ne remarque done pas que la television s'est eteinte. Quand la porte s'ouvre sur Rachid venant se coucher, Momo n'a pas le temps de dissimuler son cahier et son cceur se met ä battre ä tout rompre car il ne veut pas que son frere sache qu'il tient un journal. Heureusement que celui-ci n'y prete guere attention. Il a l'habitude de trouver Momo en train de faire ses devoirs dans sa chambre le soir et ne pose done aucune question. Momo attend que Rachid enfile son pyjama, grimpe ä 1'etage 96 superieur du lit, se glisse sous les draps et se tourne vers le mur. Il s'endort aussitot, sans meme demander a Momo d'eteindre immediatement la lumiere. Soulage, Momo continue done de decrire a monsieur Edouard tout ce qui s'est passe aux Bleuets depuis sa disparition. Il ignore depuis combien de temps il ecrit mais les pages se noircissent les unes apres les autres. Tant et si bien que l'horloge tourne et tourne, jusqu'au moment ou il entend la porte d'entree s'ouvrir. Ce sont Fatima et sa mere qui reviennent de la reunion des locataires. Momo se precipite au salon. - Alors? leur demande-t-il. - He, Momo, tu ne dors pas? s'etonne sa mere. Tu es encore tout habille, qu'est-ce que tu faisais? - J'ecrivais, repond-il, car il ne sait pas mentir. Alors, ca s'est passe comment? On dit qu'une mauvaise nouvelle n'arrive jamais seule. Chez Momo, ces derniers temps, e'est en cortege qu'elles defilent. Alors il s'attend au pire. Et, a la tete de Fatima, il comprend que les nouvelles ne sont pas bonnes. 97 Elle s'affale sur le canape et lui fait signe de s'installer a ses cotes tandis que la mere va se coucher. - Une grande partie des locataires de l'im-meuble ne sont pas en regie avec leurs loyers qu'ils ne paient plus et craignent d'etre tout simplement expulses sans relogement. Ceux-la ont deja tous recu des avis d'expulsion mais refusent de partir. lis risquent done d'etre mis a la porte de force. D'autres ont peur pour leurs permis de sejour arraches de haute lutte et ne veulent pas se faire remarquer. Et puis, il y a ceux qui ont decide de partir ailleurs. Et, surtout, la plupart des locataires de la cite des Bleuets sont ravis de la destruction de notre tour qui sera suivie d'un grand programme de rehabilitation. Alors, eux n'en ont rien a faire de nos problemes. Resultat des courses, nous ne sommes que trois-quatre families a vouloir et surtout pouvoir nous defendre, et nous ne ferons pas le poids. J'en ai conclu que chacun allait devoir se battre tout seul pour sa pomme. - Mais e'est peut-etre mieux! s'exclame Momo, qui essaie toujours de voir le bon cote des choses. Comme ca, ce sera plus facile de bien nous relo-ger ailleurs. Fatima sourit en passant la main dans les cheveux de son petit frere. -Je ne sais pas. Nous verrons cela jeudi prochain a la mairie. Allez, file, maintenant! Tu devrais etre au lit depuis longtemps. - Mais non, Fatima, e'est dimanche demain! II n'y a pas ecole. On peut dormir. Effectivement, le dimanche, on peut dormir, sauf si on est reveille des huit heures du matin par un incroyable vacarme dans le salon. Rachid bondit de son lit, Momo le suit, Yasmina et Rachida les ont devances. Tous ont un petit moment d'hesitation avant de reconnaitre leur frere aine, en djellaba et crane rase, l'ceil mauvais, agrippant Fatima par le poignet. La mere est assise sur le canape, le visage en larmes. Momo remarque alors que son frere n'est pas venu seul. Un autre homme, assez age, en djellaba egalement, ventru et rougeaud, l'accompagne. 98 99 - Filez tous dans vos chambres! hurle Ahmed. Les enfants detalent et se refugient dans celle des filles. Momo tremble de tout son corps. II craint que cette fois Ahmed fasse du mal a sa sceur. 11 se dit que, s'il l'entend pousser le moindre cri, il foncera a son secours. Yasmina colle l'oreille a la porte mais ce n'est pas necessaire. Les murs de l'appartement sont en carton et on entend tout, non seulement d'une piece a l'autre mais d'un bout de la tour a l'autre. - A dix-neuf ans, tu devrais etre mariee! enten-dent-ils. Et comme papa n'est plus la, c'est a moi de m'en occuper... Momo fremit. - Kader est un homme serieux. Veuf, il a trois enfants... C'est parfait pour toi. Quant a Yasmina, je lui trouverai quelqu'un au bled. Rachid, lui, a la rentree, il ira a l'ecole cora... - Ca suffit! l'interrompt soudain la mere d'une voix si stridente que Momo se demande s'il s'agit d'elle ou de Fatima. Fatima n'epousera pas un vieux veuf avec trois enfants. Elle choisira 100 elle-meme, tu m'entends? Yasmina n'ira pas au bled, ni nulle part ou elle n'aura pas envie d'aller. Et Rachid n'ira pas non plus a l'ecole coranique. C'est moi qui commande ici! Toi, tu fais qu'appor-ter le malheur sur cette maison. Un fils qui n'est pas capable de gagner son pain et d'aider sa famille a vivre ne merite pas d'etre appele un fils! Un frere qui ne veut que la tristesse et la peine pour ses freres et sceurs ne merite pas d'etre un frere. Va-t'en de cette maison avant que j'aille chercher ma poele! Et cette fois, n'y reviens plus jamais, tu m'entends? - Ma sceur, calme-toi! essaie d'intervenir l'autre homme. - Je souis pas ta sceur! hurle encore la mere. Je te connais pas et sortez maintenant, tous les deux! - Mais... essaie de protester Ahmed, tandis que sa mere court vers la porte et l'ouvre. - Dehors! repete-t-elle une derniere fois. Au bruit de la porte qui claque, les enfants se ruent au salon. Momo se jette dans les bras de sa grande sceur qui est restee petrifiee au milieu de la piece. Sur 101 le visage de la mere, une grande colere mais plus la moindre trace de larmes. Ses enfants l'entourent et se serrent contre elle. On rit et on pleure. - Jamais personne fera de mal a mes enfants! leur dit-elle. Pas meme Ahmed! 11 n'est plus mon fils, il n'est plus votre frere. C'est a Fatima de fondre en larmes. L'intrusion d'Ahmed avec cet homme l'a tant surprise qu'elle en a perdu toutes ses capacites de defense. Que se serait-il passe si la mere n'avait pas ete la et qu'ils l'avaient emmenee de force? Quelques minutes plus tard, ils se retrouvent dans la cuisine, blottis les uns contre les autres et prenant leur petit dejeuner en silence. Quand on sonne a la porte, tous tressaillent. Momo sent les larmes perler et se jette sur Fatima, comme pour la proteger. - J'y vais, leur dit la mere. Ce n'est que madame Ginette. - Eh ben, dites done! II en a pris pour son grade, votre Ahmed! - Ce n'est plus mon Ahmed, proteste la mere. - Au moins, tout l'immeuble est au courant! s'esclaffe Ginette. Je l'ai vu partir de ma fenetre. Il faisait moins le fier. - Le connaissant, il ne va pas en rester la, sou-pire Fatima. J'ai surtout peur pour Yasmina. Je ne veux plus que tu ailles toute seule au college. Rachid, il faudra que tu veilles sur ta sceur, d'accord? - D'accord, repond-il pour une fois, ce qui surprend tout le monde. 102 12 C^uand Momo relate dans son ca-hier les derniers evenements, il ne peut s'empescher de laisser echapper une larme qui dilue irnmedia-tement l'encre en formant une tache. %l en est consterne et se demande s'il doit arrachec" la page et recommencer, mais il se ravise. La trace de cette larme sera la marque indelebile, la- preuve de sa terrible peine et de celle ressentie ppar toute la famille. Il se demande si Anne Frank pleurait ^ussi en ecrivant. Sur le livre, ca ne se voit pas, em fait. N'empeche que, les jours suivants, aucune nouvelle dAhmed. Et Rachid, qui est au -courant de tout ce qui se passe dans la cite, a entendu dire qu'il etait parti, loin. 105 - A l'etranger, meme, a-t-il confie a sa fratrie. - Bon vent! a dit Fatima, qui ne relache pas pour autant la garde et qui exhorte Yasmina a faire de meme. Mais Fatima a d'autres soucis et la mere sou-pire davantage du matin au soir tant la vie n'est pas drole, decidement. La reunion a la mairie a eu lieu et ils etaient peu nombreux des Bleuets a y participer. Le maire a bien sur promis encore des tas de choses mais Ginette n'est pas du genre a se contenter de promesses en l'air. Alors, elle lui a demande un entretien en tete a tete qu'il n'a pas pu lui refuser car Ginette, tout le monde la respecte et l'ecoute. Fatima ignore ce qu'elle lui a dit mais quand elle est rentree, Ginette l'a rassuree. - Ne te fais pas de souci, ma jolie. Pour vous, tout finira par s'arranger. Ses yeux se sont embues et elle est remontee peniblement chez elle, gravissant marche apres marche en grimacant de douleur. Mais elle est fiere d'avoir pu arracher au maire une vraie promesse. 106 Ce que Fatima ignore, c'est qu'elle lui a carre-ment fait peur en menacant de sauter de la fenetre de son septieme etage si ses amis n'etaient pas reloges dans le nouveau quartier en construction. - Avouez que ca ferait une sacree tache sur votre reputation, lui a-t-elle dit. Imaginez les titres des journaux: Une vieille dame residant aux Bleuets depuis plus de quarante ans se suicide pour cause d'expulsion I - Mais nous sommes tout ä fait prets ä vous offrir un appartement dans le nouveau lotisse-ment! a proteste le maire. - Ttttt... Ce n'est pas de moi qu'il s'agit. Moi, j'ai une possibilite de relogement. Mes enfants cheris ont tout prevu. Mais cette famille a traverse suffisamment d'epreuves pour ne pas en rajouter. C'est pour elle que je suis venue vous voir. Une promesse formelle dans la poche, Ginette est rentree chez elle plus heureuse qu'elle ne l'avait ete depuis bien longtemps. Depuis, elle refuse d'en sortir et c'est la famille Beldaraoui qui s'occupe d'elle. 107 Quelques jours plus tard, deux dames viennent chez les Beldaraoui pour parier avec eux de leur relogement. La mere a sorti les patisseries et servi le the ä la menthe. Fatima a dit ä ses frěres et sceurs de se faire beaux, de s'installer sur le canapé et d'etre extré-mement sages et polis. Momo a demandé s'il devait mettre un nceud papillon mais Fatima lui a répondu que ce n'etait pas nécessaire. Les dames demandent ä voir l'appartement et s'extasient devant la bibliothěque de Momo. - Cest ä Momo, tous ces livres! leur explique la mere. Cest un génie, vous savez, madame? Demandez ä la directrice de 1'école primaire, eile vous dira que Momo, plus tard, il sera avocat ou médecin. Les dames sourient. Elles trouvent cette famille bien sympathique, ce qui n'est pas toujours le cas dans cette cite. Elles pensent qu'avec ces gens elles n'auront pas trop de soucis. En plus, on leur a demandé de les soigner aux petits oignons. Apparemment, ils ont des relations... Elles sont arrivees la tete pleine d'a priori. Momo aime particulierement ce mot qui signi-fie en se fondant sur des donnees admises avant toute experience, ce que lui traduit par «on ne voit bien qu'avec les yeux du cceur». Mais s'il aime ce mot, c'est parce qu'il est invariable. Et c'est drolement rare, les mots invariables. La plupart prennent au moins un s quand ils sont plusieurs. Eh bien, pas celui-ci! Et Momo trouve que c'est epatant, un mot qui ne bouge jamais de la vie. Meme si lui est tout a fait d'accord pour bouger et n'est done pas invariable du tout. Elles sont done arrivees la tete pleine d'a priori et repartiront de chez les Beldaraoui avec au cceur une certitude: il faut aider cette famille. - L'ideal pour vous serait un T5, en fait. - Moi, je prefererais une petite maison, madame s'il te plait, avec un jardin pour les petits, lance carrement la mere tandis que Fatima tremble de son audace. La dame lance un regard affectueux en direction des enfants qui se ratatinent sur le canape pour paraitre plus petits encore. 108 109 - Mangez, mangez! leur dit la mere en leur tendant le plateau de patisseries. - Merci, madame Beldaraoui. lis sont delicieux, vos gateaux. Bon, en ce qui concerne votre relo-gement, nous vous donnerons des nouvelles bientot. Et la vie a repris son cours normal a la cite des Bleuets... Sauf que Fatima, maintenant, travaille comme secretaire medicale chez le docteur Cohen et que la mere ne doit plus se lever a l'aube pour aller faire les menages des bureaux. Ginette lui a trouve des horaires de jour a l'ecole primaire de la cite des Bleuets, ou la directrice est tres contente de la revoir et lui demande tous les jours des nouvelles de Momo. Oui, la vie a repris son cours normal jusqu'au jour ou une lettre arrive de la societe HLM. Quand Momo rentre du college, il la voit posee sur le meuble de l'entree. II faut attendre que tout le monde soit la pour l'ouvrir. Fatima la leur lit a voix haute: - Madame, Par la presente, nous sommes heureux de vous annoncer que nous sommes d'ores et dejd en mesure de vous offrir une proposition de relo-gement suite a la destruction prochaine de votre immeuble sis a la cite des Bleuets. Nous vous invi-tons done a venir visiter les lieux... C'est une explosion de joie ponctuee d'un strident youyou qui retentit dans l'appartement. - Attendez! les modere Fatima. Vous ne savez meme pas ou c'est... - ... Merci de contacter nos services afin de convenir d'un rendez-vous... - Appelle tout de souite, dit la mere. - C'est ferme, maman. J'appellerai demain. Ce soir-la, Momo ecrit a monsieur Edouard de ne plus s'inquieter pour lui, que tout va bien mieux et ira encore mieux quand ils seront partis de la. Quelques jours plus tard, Fatima rentre a la maison les yeux emplis d'etoiles. - Habillez-vous! leur dit-elle, je vous emmene voir notre future maison... aux Coquelicots. 110 111 En disant cela, eile regarde Momo. - Aux Coquelicots ? ne manque-t-il pas de s'etonner. - Oui, c'est ainsi que s'appelle le nouveau lotissement. C'est lä que nous allons habiter! Tandis que toute la famille se prepare dans l'euphorie, Momo tourne et retourne le mot dans sa tete: coquelicot, coquelicot... Ii adore! - Tu as bien dit «maison»? demande Yasmina ä Fatima. - Oui, maison, confirme-t-elle. Toute la famille traverse 1'esplanade de la cite des Bleuets et emprunte le boulevard menant au college. Derriere celui-ci se dressent quelques petits immeubles tout neufs, mais aussi de jolies mai-sons encore en construction. - Voilä, c'est chez nous! s'exclame Fatima en leur designant l'une d'elles. Iis en restent sans voix. - C'est trop fort! finit par lächer Yasmina en faisant bruyamment exploser son chewing-gum. - Qa dechire! s'exclament en chceur Rachid et Rachida. Quant a Momo, il se tait, se contentant de ser-rer tres fort la main de sa grande sceur. - Nous aurons meme un petit jardin de l'autre cote, ou tu pourras planter des trues, si tu veux! lui chuchote-t-elle a l'oreille. La famille ne peut pas y entrer car la porte est fermee a cle mais chacun colle son visage contre les vitres en echafaudant deja les plans de leur futur bonheur. - C'est grace a madame Ginette, leur explique encore Fatima. Je ne sais pas ce qu'elle leur a dit mais elle leur a mis une serieuse pression. - Ce sera fini quand? demande Yasmina. - Il y aura combien de chambres ? s'inquiete Rachida. - Ce sera fini au printemps. Et il y aura quatre chambres! repond leur sceur. Maman aura la sienne et ne sera plus obligee de dormir sur le clic-clac du salon. Il y a une chambre en bas avec une salle d'eau. Ce sera pour elle. Moi, j'aurai la mienne, aussi, jusqu'a ce que... - Ce que quoi? s'alarme aussitot Momo. - Jusqu'a ce que je me marie! 112 113 Ouf! se dit Momo. Ce n'est pas pour tout de suite. - Et vous, vous aurez une chambre pour deux: Rachida et Yasmina, et Momo et Rachid. Mais vos chambres seront beaucoup plus grandes et vous pourrez avoir chacun votre coin et chacun votre lit. Finis, les lits superposes! Les enfants applaudissent et Momo se dit que, finalement, le malheur ne dure jamais trop longtemps. 11 ne peut s'empecher d'avoir une pensée pour son papa: il aurait été si heureux... Quoiqu'il n'en soit pas si sur, finalement. Si ca se trouve, leur pere aurait été trěs malheureux d'avoir á quitter la cite... Alors, il se console en pensant que c'est peut-étre mieux que ce soit arrive aprěs. - Pour féter ca, je vous invite tous au restaurant ! leur annonce encore Fatima pour couronner le tout. - Et madame Ginette? demande Momo. - Je lui ai propose mais elle ne veut pas des-cendre á cause de la panně de 1'ascenseur. Et voilá que soudain Momo pose une question cruciale: - Madame Ginette, elle sera relogee oü, au fait? Fatima se tait, embarrassee. - Elle sera relogee ou? insiste Momo. - Ses enfants veulent la mettre aux Belles Feuilles! finit par lächer Fatima du bout des levres. Momo sent alors un grand froid l'envahir. - Madame Ginette aux Belles Feuilles, comme monsieur Edouard! Mais pourquoi? Elle a la mala-die d'Alzheimer, aussi ? - Non! Mais elle ne veut pas quitter les Bleuets, elle ne veut pas habiter ailleurs. Alors ses enfants ont pense qu'elle serait mieux aux Belles Feuilles... - Mais elle n'a pas droit ä une maison, aussi, comme nous? - Non, eile est toute seule. Elle pourrait avoir un autre appartement, aux Coquelicots, mais elle ne veut pas. - Et elle veut aller aux Belles Feuilles? - Je crois qu'elle s'y est resignee. Tu sais, il n'y a pas que des malades d'Alzheimer, aux Belles Feuilles. Ii y a des personnes ägees qui preferent vivre avec d'autres personnes plutot que de rester seules des journees entieres. Et puis, les Belles 114 115 Feuilles, c'est juste ä côté, tu pourras aller la voir comme tu le faisais pour monsieur Édouard. Momo baisse la tete. La derniére fois qu'il a mis les pieds aux Belles Feuilles, c'était pour constater que la chambre 107, celie de son ami, était vide. 11 n'est pas súr de vouloir y retourner. „1 Jc printemps est arrive. La famille Beldaraoui a déménagé. Ä cette occasion, Momo a decide de parler ä Fatima du livret ďépargne laissé par son pere. -Je le savais, lui dit-elle en souriant. Papa m'en a parlé, finalement. 11 m'a merne donne une procuration sur ce compte au cas oú nous aurions de gros ennuis financiers. Mais cet argent est ä toi, Momo. Papa l'a economise sou par sou pour te payer des études. II a tout de suite compris que tu étais un petit garcon qui irait loin. - Mais je voudrais qu'on prenne l'argent pour se faire une belle maison, Fatima, s'il te plait. Je ne veux pas cet argent que pour moi. Ce n'est 117 pas juste. Les études, je me les paierai tout seul. Je serai grand et je travaillerai trěs dur. Mais en attendant, nous serons heureux tous ensemble dans la nouvelle maison. Fatima a fini par céder et ils ont prélevé une partie de la somme pour s'installer. Maintenant, chacun a son coin dans la maison et Momo dispose d'un vrai bureau pour lui tout seul, avec une bibliothěque aussi. C'est le docteur Cohen qui le lui a offert. - C'etait mon bureau ďétudiant, lui a-t-il confié. Je n'ai jamais pu m'en séparer. II était á la cave car mes filles n'en voulaient pas, trouvant que c'etait un bureau de garcon! Alors, je me suis dit que, peut-étre, cela te ferait plaisir d'en hériter. Momo est reste sans voix devant le magnifique bureau en bois avec des tiroirs dont l'un ferme méme á clé. 11 y a done enfermé son journal. Madame Ginette est aux Belles Feuilles depuis quelques semaines et, contre toute attente, voilá qu'elle s'y trouve plutót bien. Elle n'est pas dans la chambre 107 mais dans un petit appartement qu'elle a pu aménager á son gout. La famille Beldaraoui, aidee du docteur Cohen, l'a aidee a transporter les meubles qu'elle desirait garder, et Momo trouve son nouvel appartement aussi joli que le precedent. Elle est libre d'aller et venir, et vient souvent partager l'excellent couscous de la mere, qui ne fait plus le menage chez les autres, mais le sien, et qui passe son temps a faire briller sa propre maison. L'annee scolaire se termine deja. Momo et Emilie passent en cinquieme avec les felicitations de tous leurs professeurs. Rachid et Rachida qui se sont bien assagis passent eux en quatrieme, et Yasmina en troisieme. Madame Beldaraoui peut etre fiere de ses enfants. Fatima, qui s'est sacrifice pour sa famille, se dit qu'elle a accompli sa mission, que son pere peut reposer en paix. Puis le jour de la demolition est venu. Toute la famille s'y rend. Au passage, ils vont chercher madame Ginette aux Belles Feuilles. 118 119 Leur immeuble, fenétres murées et vidé de ses habitants, offre une bien triste figure. Momo en éprouve des sentiments mitigés. Cest tout de méme lä qu'il est né, qu'il a grandi et oů il avait fait la connaissance de monsieur Édouard. Cest également lä que son papa les a quittés... Mais il se dit qu'il faut tourner la page, regarder dans une autre direction et continuer d'avancer. Comme tous les anciens habitants et tous ceux de la cite, ils sont venus assister ä la mise ä mort, aux derniers instants de vie de ces lieux ou ils auront passé une partie de la leur, pour le pire mais aussi le meilleur. Enfermée dans une Sorte de filet géant, la tour se dresse devant eux pour quelques instants encore. Puis retentit le compte ä rebours. Chacun retient son souffle. Ensuite, tout va trěs vite: une série d'explosions et voilä les dix étages du monstre décharné qui s'affaissent sur eux-mémes dans un épais nuage de poussiere et une pluie de gravats. Quelques personnes applaudissent. Des femmes poussent des youyous, mais certains, comme Momo et sa famille, ont bien du mal ä contenir leur emotion. Le spectacle est termine. - Quand Ahmed reviendra, il pourra toujours nous chercher! lance alors Yasmina pour faire diversion. Cest un éclat de rire general qui accueille ses propos. Et ils rentrent chez eux, dans leur jolie maison, bras dessus bras dessous, avec madame Ginette qui fait partie de leur famille et Emilie qui voulait á tout prix étre aux cótés de son ami dans ces moments difficiles, mais aussi Mehdi, l'amoureux de Fatima, qui est étudiant en médecine. Cest chez le docteur Cohen qu'ils ont fait connaissance alors que le jeune homme était en stage dans son cabinet. Méme si une seule des tours de la cite des Bleuets a été détruite, Momo sait qu'elle est défi-nitivement morte pour lui. Il sait qu'il a définitivement perdu son royaume mais aussi ses réves d'enfant. Parce que ainsi va la vie, parce qu'on ne reste pas éternellement un enfant. 120 121 Le soir de la visite de la nouvelle maison, il avait ecrit dans son journal: Cher monsieur Edouard, Je crois que Momo, petit prince des Bleuets, n'existeplus. II s'est transforms en Momo des Coquelicots... Et cette nuit-la, son vieil ami lui avait rendu une petite visite. Installe sur le bord de son lit, ses deux mains reposant sur le pommeau de sa canne, il lui avait demande: - Connaissez-vous, Votre Altesse, la legende des coquelicots? - Non, avait repondu Momo. - Dans la mythologie grecque, le coquelicot est associe a Demeter, la deesse de la fertilite et mere nourriciere, qui avait tout pouvoir sur les cycles de la nature. Un jour, alors que sa fille Persephone cueillait des coquelicots, sa fleur preferee, elle fut enlevee par Hades, le dieu des Enfers, qui l'epousa. Inconsolable, Demeter menaca de detruire toutes les moissons si on ne lui rendait pas sa fille. Alors, Zeus parvint a persuader Hades de laisser la jeune fille aupres de sa mere une partie de ľannée. Depuis, chaque année, děs qu'arrivent les beaux jours, des milliers de coquelicots recouvrent les champs. L'on pretend aussi que glisser quelques graines de coquelicot sous son oreiller promet de beaux réves. Momo s'était endormi le sourire aux lěvres. Il l'aime beaucoup, cette legende, presque autant que celle des bleuets. Arrive chez lui, tandis que les femmes prépa-rent un repas de fete, Momo prend Emilie par la main et ľentraíne vers le jardin. - Regarde, lui dit-il en désignant une plate-bande fleurie. C'est moi qui les ai plantées. - C'est quoi comme fleurs? demande Émilie. - Ce sont des bleuets, bien sur! Les bleuets des Coquelicots! s'esclaffe Momo. 122 Du meme auteur L'auteur Aux editions Syros: Un arbre pour Marie, coll. «Tempo», 2003 Momo, petit prince des Bleuets, coll.«Tempo», 2003 Des laurierspourMomo, coll. «Tempo», 2012 Chez d'autres editeurs: Un grand-pere tombe du del, Casterman, 1997 La promesse, Pere Castor-Flammarion, 1999 Leprofesseur de musique, Casterman 2000 He, petite!, La Martiniere, 2003 L'ami, Casterman, 2003 Tant que la terrepleurera, Casterman, 2004 La bonne couleur, Casterman, 2006 J'aifui I'Allemagne nazie, Gallimard, 2007 Suivez-moi-jeune-homme, Casterman, 2007 Une grand-mere comment ga aime?, La Martiniere, 2008 Albert le toubab, Casterman, 2008 Legargon qui detestait le chocolat, Oskar, 2009 Liberer Rahia, Casterman, 2010 Rue Stendhal, Casterman, 2011 Yael Hassan est nee en 1952 ä Paris. Apres avoir passe son enfance en Belgique, son adolescence en France, puis une dizaine d'annees en Israel, elle revient s'installer en France avec son mari et ses deux filles. Elle y poursuit sa carriere dans le tourisme jusqu'en 1994. Victime d'un accident de voiture, eile mettra ä profit le temps de son immobilisation pour ecrire son premier roman, Un grand-pere tombe du del, qui sera suivi d'une trentaine d'autres romans pour la jeunesse.