À la Huchette, Ionesco en scène depuis 60 ans Le théâtre de la Huchette fête cette année ses 60 ans de représentation des deux pièces de Ionesco, "La Cantatrice chauve" et "La Leçon". PAR MARYLOU MAGAL, ENZO CONTICELLO Publié le 12/03/2017 à 12:37 | Le Point.fr « Un grand succès dans un petit théâtre vaut bien mieux qu'un petit succès dans un grand théâtre, et encore mieux qu'un petit succès dans un petit théâtre », écrivait Eugène Ionescoà propos de la Huchette. Dans ce modeste théâtre, à deux pas de Notre-Dame, se jouent depuis 60 ans et sans interruption les deux pièces emblématiques de l'artiste roumain : La Cantatrice chauve et La Leçon. Succès immédiat Tout remonte à 1950,lorsque Marcel Cuvelier assiste à une représentation de La Cantatrice chauve au théâtre des Noctambules. Intrigué par l'écriture, il décide de rencontrer Ionesco, alors que celui-ci est en pleine écriture de La Leçon. « C'est l'histoire d'une leçon : un professeur, une élève. À la fin, le professeur tue l'élève », résume Ionesco. Une pièce coup de cœur pour Marcel Cuvelier, qu'il décide de monter. Il s'endette alors pour donner quelques représentations au Théâtre de poche, qui ne sont pas un succès. C'est quelques années plus tard, après une courte association avec Nicolas Bataille en 1952, que Marcel Cuvelier et Eugène Ionesco ont l'idée d'associer les deux pièces, La Cantatrice chauve et La Leçon. La première a lieu le 16 février 1957, le succès est immédiat. Les pièces ne seront jamais déprogrammées. Après le décès de son père, en 2015, Marie Cuvelier, comédienne et metteur en scène, a décidé de perpétuer le projet. Ce n'était d'ailleurs pas un choix, mais une évidence. « Mon père m'avait légué les droits de mise en scène, j'ai évidemment continué », commente-t-elle. À 24 ans, l'élève de La Leçon a été son deuxième rôle. Aujourd'hui, Marie Cuvelier est toujours actrice, mais dans La Cantatrice chauve. Pour La Leçon, elle est passée de l'autre côté du rideau, et est désormais metteur en scène. « C'est plutôt un travail de direction des acteurs et d'aiguillage », explique-t-elle à propos de ce rôle. En effet, elle n'a opéré à aucune modification sur la mise en scène et reste fidèle au cahier d'instruction que son père lui a légué. Troupe Sa principale difficulté ? « Chaque acteur doit rentrer dans les petits souliers de l'origine, prévus par Marcel Cuvelier, pour pouvoir travailler ensemble. » Et pour pouvoir suivre le rythme quotidien des représentations, c'est pas moins de 5 acteurs prévus pour un seul rôle, dans chacune des pièces. Un travail de répétition ardu, mais Marie n'échangerait pas sa place. « Je prends beaucoup de plaisir. C'est agréable de travailler avec de jeunes acteurs, de voir les personnages naître. » Si les pièces continuent d'attirer un public, c'est, pour la fille de Marcel Cuvelier, parce que « les mises en scène sont modernes et servent bien le texte. Et puis c'est un record unique au monde. » Mais le succès tient aussi aux acteurs, ou plus précisément à la troupe. « On trouve deux troupes à Paris : la nôtre, et celle de la Comédie-Française, confie Marie. Nous n'avons pas beaucoup de moyens, mais nous faisons un travail de troupe, dans la fraternité, l'échange, c'est familial. » Et pour l'avenir ? « Je ne peux pas vraiment répondre. Aucune fin n'est programmée, mais tout est possible... » lâche énigmatique la comédienne en regagnant les coulisses. En attendant, le 15 mars aura lieu la 18 500e représentation. Star Wars et la révolution du transmédia Modifié le 14/12/2016 à 09:27 - Publié le 15/12/2015 à 06:10 | Le Point.fr La clé du succès intarissable de la saga ? Avoir redéfini le sens du mot "histoire" et changé notre façon de concevoir le divertissement. Théoricien des médias parmi les plus reconnus aux États-Unis, Henry Jenkins analyse pour Le Point Pop les raisons de la longévité de Star Wars, qu'il attribue à ses innombrables "pièces détachées". Décryptage. Le Point Pop : Comment expliquez-vous l'impact de Star Wars sur notre culture populaire  ? Henry Jenkins  : La force de Star Wars est de ne pas reposer sur une seule histoire ni sur un seul personnage, mais sur un monde riche et immersif qui s'est fait connaître au travers d'un très large éventail de supports médiatiques. Je fais partie de la première génération de fans, pour qui le film d'origine a été d'une importance capitale, mais chaque génération successive a pu s'approprier Star Wars parce que cet univers continue de s'étendre via diverses plateformes et que toutes ces autres histoires, qu'il s'agisse des romans graphiques, des jeux vidéo ou des fictions que les enfants créent en jouant avec des figurines, les ramènent aux films qui en sont la colonne vertébrale. Star Wars est devenu une source dans laquelle les gens puisent pour inspirer leurs jeux d'enfant, façonner la façon dont ils se construisent et construisent leur place dans la société, nourrir leur propre créativité et parler du monde qui les entoure. De bien des façons, la génération qui a amené le « transmedia storytelling » (narration transmédia) à Hollywood a grandi en jouant avec des figurines Boba Fett et a appris à concevoir les histoires comme des mondes expansifs à l'infini. Qu'entendez-vous par «  transmedia storytelling » ? C'est un processus au cours duquel les composantes d'une fiction sont systématiquement dispersées à travers des canaux de distribution multiples afin de créer une expérience de divertissement coordonnée et unifiée à la fois. Idéalement, chaque média apporte sa contribution spécifique au déroulement de l'histoire. Les origines du « transmedia storytelling » sont anciennes mais, si je devais faire le Panthéon des figures qui ont changé la donne en la matière, ce serait L. Frank Baum (Le Magicien d'Oz), J. R. R. Tolkien (Le Seigneur des anneaux), Walt Disneyet George Lucas. Chacune de ces figures a fait évoluer notre définition du mot « histoire » et nous a progressivement amenés à concevoir le storytelling comme la construction d'univers. Lucas avait intérêt à étendre son histoire à d'autres supports puisqu'il percevait une large part des bénéfices sur les produits dérivés. De plus, il était attentif aux créations japonaises, qui ont beaucoup influencé Star Wars, et a vu l'émergence là-bas de pratiques de « mix média » qu'il a aidé à importer à Hollywood. Star Wars (comme Indiana Jones) était aussi inspiré des serials hollywoodiens, il explorait donc sciemment ce que c'est que de raconter une histoire sur plusieurs épisodes, et il n'y avait pas de raison de restreindre ces épisodes au cinéma quand on pouvait y ajouter des comic-books ou des romans. Star Wars a donc inventé une nouvelle forme d'expérience culturelle ? Disons que George Lucas fut le premier conteur à ériger un monde avec autant de pièces détachées en mouvement et à l'étendre à travers un nombre aussi élevé de plateformes différentes pendant autant de décennies. Il a, par exemple, élargi la chronologie de son histoire de sorte qu'un jeu vidéo comme Knights of The Old Republic puisse se dérouler des siècles avant les événements de ses films, et il dispose de tout un univers de chasseurs de primes, de pilotes, de stormtroopers ou de chevaliers Jedi dont les aventures peuvent être racontées à travers différents médias. Son œuvre a ouvert de nouvelles possibilités dans le système de divertissement hollywoodien et changé la façon dont nous pensons à la bande dessinée, aux romans, aux figurines de jeu, aux jeux vidéo et aux parcs d'attractions. Et maintenant que Star Wars appartient à Disney ? Disney comprend très bien la transmédialité moderne. N'oubliez pas que « Oncle Walt » fut un pionnier du transmédia, une ou deux générations avant Lucas, et que Disney apprend énormément de ses expériences avec Marvel et Pixar. Je suis impatient de voir comment ils vont combiner les films principaux, ceux qui font le cœur de la saga, et les films annexes, qui développent l'univers. À bien des égards, cela fait écho à la façon dont Marvel a développé des histoires séparées de super-héros pour les rassembler régulièrement dans un épisode des Avengers. On voit également une meilleure coordination de la façon dont l'univers de Star Wars se déploie avec cohérence. L'avenir nous dira si cela fonctionne. Mais la première génération de fans de Star Wars donne à la franchise une chance de nouveau départ. Je ne suis pas près d'oublier Jar Jar Binks, mais je suis prêt à le dépasser.