I. Les procédés d’élaboration de l’argot 1. Les procédés syntaxiques de l’argot Exemples : -assurer : être à la hauteur ; « il assure dans son boulot » : il est excellent dans son métier/domaine. -craindre : ne pas être à la hauteur ; être nul/dangereux/méchant ; « il craint » : il est nul ; Ça craint : la situation est redoutable/dangereuse/nulle (« ça assure pas »). -C’est craignos : ça craint. Avec le suffixe en -os, Le verbe se transforme en adjectif. Un adjectif à la place d'un adverbe. Exemple : -il assure grave pour « il est vraiment très bon ». 2. Les procédés lexicaux sémantiques de l’argot A. Métaphore Blé, pognon, galette, oseille, grisbis, fric (de fricot) matrice sémantique : la nourriture. Mettre du beurre dans les épinards, gagner son pain adéquation argent = nourriture Exemples : -pain ou beefsteak dans le sens d’ « argent », ne s’emploient pas sans le verbe gagner : On dit : gagner son pain ou son beefsteak (travailler). On ne dit pas : payer avec son pain ou avec son beefsteak. On peut dire : j’ai payé avec mon blé, mon pognon, mon oseille, mon fric, etc. B. Métonymie et synecdoque La métonymie, figure de rhétorique, est un procédé de langage par lequel on exprime un concept au moyen d'un terme désignant un autre concept qui lui est uni par une relation nécessaire (cause pour l’effet, le contenant pour le contenu, le signe pour la chose signifiée) Ex. boire un verre (le contenu), ameuter la ville (les habitants) La synecdoque est une figure de rhétorique qui consiste à prendre le plus pour le moins, la matière pour l'objet, l'espèce pour le genre, la partie pour le tout, le singulier pour le pluriel ou inversement. (ex. les mortels pour les hommes, un fer pour une épée, une voile pour un navire) La métonymie a un côté invraisemblable alors que la synecdoque est plus réaliste Exemples : -Les képis ont des calibres (les policiers ont des armes à feu) = métonymies -Le dealeur de poudre avait une lame dans sa fouille (le vendeur de cocaïne avait un couteau dans sa poche) = synecdoques C. Polysémie et synonymie Le verbe « dénoncer » a des synonymes argotiques comme balancer, donner, vendre. Ces derniers deviennent donc des verbes polysémiques 3. Les procédés lexicaux formels de l’argot A. La composition lexicale Forme de composition : - unifiée : bleubite (nouvelle recrue dans l’armée) - à trait d’union : un crève-la-dalle (un miséreux) - détaché : face de pigeon (tête de dupe) bleubite, bleu-bite, voire bleu bite un crève la dalle, un crève-la-dalle. B. Dérivations suffixales ou re-suffixations Suffixes argotiques : -ard, -asse, -ave, -o, -os, -ax, -ouille, -iche, -oque, -ouze, -oche,… Exemples : -Connard et connasse dérivés de « con » -Pourave dérivé de « pourri » -Dico dérivé de « dictionnaire » -Matos dérivé de « matériel » -Furax dérivé de « furieux » -Merdouille dérivé de « merde » -Fortiche dérivé de « fort » -Médoque dérivé de « médicament » -Partouze dérivé de « partie » -Cinoche dérivé de « cinéma » Les mots d’argot dérivés ou re-suffixés à l’aide de suffixes de la langue courante. Exemples : -Flingot, flingue, flingueur/euse (-eur, -euse) -Flic, flicage (-age) -Les craignos, les craigneux (-eux, -euse) ; racailleux : qui fait racaille L’invention verbale argotique à partir de mots d’argot Exemples : -Le flingue, flinguer -Le flic, fliquer -La lourde (la porte), lourder (mettre à la porte) -Le taf (le travail), taffer (travailler) -La bouffe (la nourriture), bouffer (manger) -Une torgnole (une gifle), torgnoler (gifler) Exemples : -Le kif : de l’arabe kayf, mélange de tabac et de cannabis ou de haschisch ; puis passion, plaisir (c’est son kif, c’est son plaisir/sa passion) ; c’est le kif, c’est le bonheur ; kiffer (aimer) -Une pige (une année), piger (comprendre) -Une bite (le sexe masculin), biter (comprendre) -Une tronche (une tête), troncher (posséder sexuellement) L’invention verbale ne suit pas toujours le sémantisme du terme Variations de niveau de langue : -ard, -arde et -asse sont des suffixes « péjoratifs » mais pas toujours : fêtard, thésard Ces suffixes permettent d’appuyer la vulgarité d’une grossièreté : con → connard/connasse, ou de rendre vulgaire un nom, adjectif, etc, : politicien, politicard ; blonde, blondasse ; une pétasse venant du verbe argotique se la péter (se croire au-dessus des autres). *Blondard n’existe pas en dehors de sa forme patronymique et pétard, hormis sa définition d’explosif sonore, a beaucoup de significations argotiques : cigarette de cannabis, arme à feu, fesses, colère (être en pétard), ébouriffé (avoir les cheveux en pétard) ; mais pas celle d’un homme qui se croit au-dessus des autres. Celui-ci sera un snobinard, un m’as-tu-vu, un frimeur, etc. Idem pour poufiasse, radasse, etc. Dans le cas des dérivations préfixales, l’argot emploie des préfixes de la langue courantes : super-, hyper-, giga-, méga- archi-, etc. évoquant l’ampleur : - il est hyper-con - c’est la méga-galère - une giga-bonne-nouvelle - je suis archi-bourré C. L’apocope Exemples du français : -télé pour « télévision » ou « téléviseur » -météo pour « météorologie » -pub pour « publicité » -ciné pour « cinéma » (lui-même apocope de cinématographe) -auto pour « automobile » -flag pour « flagrant délit » -maths pour « mathématiques » -métro pour « métropolitain » -micro pour « microphone » -moto pour « motocyclette » -photo pour « photographie » Exemples de l’argot : -Cata pour « catastrophe » -Came pour « camelote » (drogue ou marchandise) -Pèt pour pétard (cigarette de haschisch) -Tox pour « toxicomane » -Accro pour « accroché » (dépendant à la drogue ; puis « fou de », amoureux) -P'tit déj' pour « petit déjeuner » -Bon app' pour « bon appétit » -Champ' pour « champagne » -Mob pour « mobylette » -Occase pour « occasion » -Bénèf pour « bénéfice » D. L’aphérèse Exemples du français : -Car pour « autocar » -Bus pour « autobus » -Net pour « Internet » Exemples de l’argot : -Blème pour « problème » -Zik pour « musique » -Touze pour « partouze » -Ricain pour « Américain » E. Redoublement d'une syllabe Celui-ci peut se faire après une apocope. Exemples : -Le tutu de « tulles », nom du tissu utilisé pour leur confection -Coco pour « communiste » -La coco pour « cocaïne » -Cracra pour « crade » (sale) Et peut se faire aussi après une aphérèse. Exemples : -Zonzon pour « prison » Plus rares: -Leurleur pour « contrôleur » -Teurteur pour « inspecteur » -Dicdic, pour « indicateur » du redoublement de l’aphérèse du mot « indic » qui est déjà tronquer par une apocope F. Le louchebem (largonji du loucherbem) Le procédé d’élaboration de ce parler des bouchers consiste à remplacer la première lettre du mot par un « l » et à reporter cette consonne initiale à la fin de la dernière syllabe du mot suivie d’un suffixe qui est le plus souvent -em mais qui peut être autre : -esse, -ik, -uche, -ok voire une simple voyelle, le plus souvent -é. L BOUCHER EM Exemples : -Louchébem (boucher) -Larsonguesse (garçon) -Leusieumik (monsieur) -Lerdemuche (merde) -Lefchok (chef) -Louaté (toi) IAM - Sale Argot : https://www.youtube.com/watch?v=mApExS1Y-fM (3:00 – 3:50) Les termes courants : Dans la langue courante : -Loufoque pour « fou » ; puis louf après une apocope étrangère à ce langage -Loufiah pour « filou » (qui apparaît comme un précurseur du verlan + suffixe) Dans l’argot : -Larfeuille dérivé de lortefeuillepem pour « portefeuille » -En loucedé pour « en douce » G. Siglaison Exemples argotiques : -TDC pour « tombé du camion » (volé) -OD pour « overdose » -TTCC pour « tasse de thé cul coincé » Exemples Internet : -MDR pour « mort de rire » -LOL pour « Laughing out loud » (rire à voix haute) -AMHA pour « à mon humble avis » -DTC pour « dans ton cul » (en réponse à la question : où ?) H. Emprunts à d'autres langues L’arabe (parlers maghrébins ou d’origine berbère). Exemples : -(L’)ahchouma pour « honte » [lhaʃuma] (arabe) -Mesquin pour « pauvre type » [miskin] (arabe) -Shitan pour « diable » [ʃetan ou ʃitan] (arabe) -Choune pour « sexe féminin » [ʃun] (berbère) -Maboul pour « fou » [mabul] (arabe) -Toubab pour « Français de souche » [tubab] (arabe) Le tzigane Exemples : -Schmitt pour « policier » -Chourav pour « voler » -Choucard pour « bien » -Gadji pour « fille, femme » -Gadjo pour « homme » -Bouillav pour « posséder sexuellement » ou « tromper quelqu’un » -Marav pour « bagare » ; se marav pour « se battre » (avec quelqu’un) -Bedo pour « cigarette de haschisch » Les faux mots tziganes. Exemples : -Graillav pour « manger » -Carnav pour « arnaquer » -Couillav pour « tromper quelqu’un » -Bedav pour « fumer » I. Les procédés d’élaboration du verlan 1. Ajout ou suppression de la dernière voyelle Exemples : -Ajout : Cher < chèreu ; bled < blèdeu ; flic < flikeu -Suppression : Rigoler > rigol' ; énervé > énerv' ; défoncé > défonc' 2. Découpage du mot Exemples : chè/reu ; blé/deu ; fli/keu ; ri/gol'; dé/fonc' ; éner/v' 3. Inversion Exemples : reu-chè ; fonc'-dé ; de-blé ; keu-fli ; gol-ri ; v'-éner 4. Troncation ou élision de la dernière syllabe Exemples : reuché > reuch' ; keu-fli > keuf' ; meu-fa > meuf Double verlan ou reverlanisation Exemples : Mot initial arabe → Ajout arabeu → Découpage ara/beu → Inversion beu-ara → Troncation beur ↓ Mot initial beur → Ajout beureu → Découpage beu/reu → Inversion rebeu. Troncations de mots verlanisés Par apocope Exemples : -Téç < téci, verlan de « cité » -Reuf < reufré, verlan de « frère » -Trom < tromé, verlan de « métro » -Turve < turvoi, verlan de « voiture » Et parfois par aphérèse. Exemples : -Zic < (zicmu en verlan) de « musique ». Il est difficile de savoir si zic est une apocope de zicmu ou une aphérèse de « musique ». -Blème < blèmpro, verlan de « problème » présente la même difficulté. mot initial Modification de la dernière voyelle Découpage Inversion Troncation Verlan du mot initial énervé énerv’ éner-v v-éner vénère flic flikeu fli-keu keu-fli keuf -li keuf n'importe quoi nimport’ quoi nin-port’ k-oi portnin oik portna wak bizarre bizar’ bi-zar zar-bi zarb-i zarb choper cho-pé pé-cho pécho français fran-cé cé-fran céfran tomber tom-bé bé-tom bétom /betɔ̃/ vas-y va-zy zy-va /ziva/ comme ça comme-ça ça-comme /sakɔm/ comme ça comme ç-a comme /ak/as/ /kɔmak//kɔmas/ ça ç-a a-ç /as/