Le télétravail a ses heureux élus Le bureau à la maison n’a pas que des désavantages. Certains salariés et entreprises y trouvent un meilleur équilibre personnel et professionnel E.S. - Le journal du dimanche - 28 mars 2021, p. 14 Revenir à sa vie d’avant ? « Même pas en rêve ! », clame Cécile, cadre supérieure dans un grand groupe d’assurance. Sitôt son café avalé et les enfants déposés à l’école, elle ne s’engouffre plus dans la voiture et les embouteillages. Cette quadra pousse la porte de sa chambre et s’attable au ravissant bureau qu’elle s’est aménagé. Depuis un an, comme la plupart de ses collègues, elle est en télétravail quasiment à temps plein. Et pas question que cela change si jamais la pandémie venait à refluer. « Je serais capable de démissionner si on m’imposait de revenir au bureau deux à trois jours par semaine, avoue-t-elle. Nous avons prouvé notre capacité et notre efficacité à fonctionner ainsi, je ne vois pas pourquoi on devrait nous l’enlever. » Pourtant, au printemps, quand la France se retrouve confinée et les entreprises sommées de fermer leurs sièges sociaux, travailler de la maison n’allait pas du tout de soi. Les managers ne l’avaient jamais expérimenté. Dans son entreprise comme ailleurs, les salariés ont dû repasser en catastrophe chercher ordinateur portable et dossiers. Chacun a improvisé, les enfants dans les pattes, les écoles étant closes. « C’était la débrouille, on n’avait rien, je payais moi-même l’abonnement à Zoom », se souvient Cécile. Douze mois plus tard, elle montre son smartphone truffé d’outils nomades qui lui permettent d’être en lien avec son équipe n’importe où, n’importe quand. Ce qui était perçu comme une parenthèse ponctuelle apparaît désormais comme un mode de vie et d’organisation durable. « Entre 30 et 40 % des salariés exécuteront à terme une partie de leurs tâches à distance, prédit Benoit Serre, vice-président de l’Association nationale des DRH (ANDRH). Les offres d’emploi recrutant en télétravail augmentent même de 10 %. » Lui-même y a pris goût et a appris à dire « je vais au bureau » quand il reste chez lui. Rares sont encore les entreprises qui le pratiquent à 100 % pour tout le monde. Généralement, ces précurseurs évoluent dans la tech. Comme Wizi, une plateforme de location immobilière entre particuliers. En juin, cette start-up de dix salariés a rendu les clés de ses locaux. Seule reste la boîte postale. Économie : 30 000 euros, réinvestis dans l’aménagement des postes à la maison. Du « home office », le dirigeant-fondateur n’en faisait pratiquement jamais. Juste en cas de grève des transports publics. « Je n’étais pas trop chaud, reconnaît Julien Lozano. Je redoutais la déperdition d’informations, d’émulation et de motivation. » Mais l’essayer, c’est l’adopter. D’ailleurs, en ce moment, il répond aux appels du… Portugal. En avril, lors d’une visioconférence, le PDG lance à son équipe : « Et si on continuait l’aventure jusqu’au bout ? » Tout le monde vote pour. Deux salariés plient bagage et partent en province. « Quitte à télé-travailler, autant le faire au bord de l’eau, confie en souriant Olivier, le directeur technique désormais installé près du bassin d’Arcachon. Paris, je ne supportais plus. Aujourd’hui, je vois l’horizon. » Même dans les entreprises plus traditionnelles, le futur se conjugue à distance. Début mai, Stellantis (ex-PSA et Fiat Chrysler Automobiles) a décidé d’en faire la règle pour toutes les activités non reliées à la production. Près de 40 000 salariés dans le monde – dont 18 000 en France – ont vu leur temps passé au bureau ramené à 30 %, soit environ un jour et demi par semaine. Et même à 0 % après les dernières directives gouvernementales. « La crise qui s’est abattue sur nous a accéléré une transformation déjà engagée, souligne Bruno Bertin, DRH France. Notre ambition, c’est de trouver une complémentarité entre le travail sur site et à la maison. Pourquoi je viens au bureau ? Pour brainstormer, résoudre une difficulté, créer du lien social. Pourquoi je reste chez moi ? Me concentrer, écrire, faire des visios. » Le télétravail casse la logique du « métro, boulot, dodo ». « Après la raison d’être, c’est la raison de venir, résume Benoît Serre. Le lieu de travail ne sera plus un lieu de production mais de collaboration. » Pour que ces changements soient bien vécus, ils doivent être accompagnés, car le télétravail n’a pas que des adeptes. Stellantis a mis en place des formations au management à distance selon le degré d’aptitude au télétravail et de maîtrise des nouveaux outils informatiques (Teams, Zoom…). Les salariés ont été incités à respecter les temps de pause pour déjeuner, les horaires de travail pour déconnecter, les visios durent quarante-cinq minutes pour que chacun dispose d’un quart d’heure de soupape entre deux appels. La société d’assurance de Cécile propose même des webinaires sur la parentalité positive. Pour lutter contre le sentiment d’isolement, cette cadre a instauré des rituels managériaux. Chaque lundi commence par un résumé pour lancer la semaine. Tous les deux mois, elle fait un point avec chacun sur l’avancée des objectifs. Et deux boucles WhatsApp permettent d’échanger professionnellement et plus personnellement. Julien Lozano lui fait un point tous les jeudis derrière son écran, et « en vrai », le troisième jeudi du mois. Loin des yeux certes. Mais pas loin du cœur…