8 3 L E Q O N S D E S T Y L i S T I Q U E iNTERROGER LE TEXTE Les figures de style ne sont pas uniquement presentes dans la litterature. L e lanage courant, la presse, la publicite ont recours aux figures pour exprimer diverses otions, images ou informations, comme le slogan d'une marque de sous-vetements pourhommes : «Dim, 9a v a faire tres male», qui joue sur le signifiant homophonique null/male, dans une expression lexicalisee qu'il detoume ainsi de son sens initial. Pourlarhetorique classique, les figures constituaient le domaine complementaire d'un artde persuader. Fart de bien dire. E n effet, elles se rattachent a 1'argumentation. L a forme meme de la parole constitue une large part de 1'arsenal langagier de la rhetonque, et lui confere sa dimension esthetique. Qu'est-ce qu'une figure de style? «Dans le sens propre, (c')est l a forme exteneure d'un corps.» L a figure pent se concevoir comme l a forme sensible de ce qui ne 1 est pas. L a figure fait voir, au sens fort du terme en convoquant les sens (notamment \isuels) dans revocation qu'elle suscite. M a i s la figure fait entendre egalement d'abord les signifiants eux-memes, mais aussi le sens ou les sens possibles d'une unite. L a figure peut se concevoir comme un double ecart, tant par rapport a une norme que par rapport a la simplicite d'une expression neutre. O n distingue : LES FIGURES DE DICTION Elies manifestent le travail sur le signifiant, sur l a forme des mots et exhibent notamment le materiel sonore du discours. E l l e s affectent le signifiant graphique, phonique ou la morphologic du m o t : on releve, entre autres, Falliteration, I'anaphore, I'antanaclase, I'apherese, F apocope, F assonance, la paronomase. O n peut les lire differemment entermes de reprise, de repetition, d'effet incantatoire, de rythme, d'effritement et de dissemination de la forme et du sens, de musicafite. O n tachera de cemer leurs valeurs expressives. LES FIGURES DE CONSTRUCTION Elles consistent en l a combinaison des mots dans la phrase et affectent Fordre sujetverbe-objet propre a la langue fran^aise, ou l a tendance progressive de celle-ci. C e s infractions recourent a trois procedes : - I'effacement (anacoluthe, aposiop^se, asyndete, ellipse, zeugme); V .' - I'insertion d'un element (adjectio, geminatio, gradatio, enumeratio); - la permutation ou disposition nouvelle (anastrophe, chiasme, epanorthose, hyperbate, parallelisme, polysyndete). . Les effets de sens sont multiples : acceleration, caracterisation plus nominale, raccourci, mise en valeur, insistance, gommage des contours, etc. Elles ne prennent sens que dans le contexte complexe oij elles sont inserees. O n examinera le terme ou l a proposition affectes par ce phenomene. Le lait tombe : adieu, veau, vache cochon, couvee. (J. de La Fontaine, Fables, «La Laitiere et le pot au lait») L a constmction menage des effets de rupture et de rythme accelere, par 1'accumulation en decrescendo mimant l a perte des animaux. d'operer u n deplacen donnent la possibility i I'allegorie, I'antithese,! metalepse, l'ironie,la] LES FIGURES DE REPETITION I I s'agit d'une variete de figures de construction, comme I'anaphore, I'epitrochasme, I'isolexisme, le polyptote. L a repetition est u n puissant moteur au service de l a progression textuelle. Pour ces figures egalement les effets de sens sont multiples et largement dependants du contexte dans lequel elles prennent place. Pour les examiner, il conviendra de prendre en consideration I'ensemble du passage ou du texte clos, comme un poeme, qui servira d'aune, mais egalement I'espace de l a phrase, du vers et de l a strophe. L a repetition peut avoir lieu a plus ou moins grande echelle. O n distinguera ainsi deux effets de sens possible. L e premier portera sur la composition du texte. L e s figures de repetition concourent a I'elaboration de 1'architecture generale du texte par l a reprise de segments. U n e reprise particulierement marquee peut etre celle du titre ( - ^ Les Pas, p. 160). Dans u n deuxieme temps, on regardera les effets plus contextuels engendres par ces figures comme 1'incantation, I'insistance, le soulignement d ' u n enchainement, ou revocation d'une rupture, une association, ou une correspondance. Dans l a poesie modeme, l a repetition peut se substituer a l a regularite produite par les metres et les r i m e s ; elle s'y fait trace de ce qui reste 1'essence de l a poesie. Le Rhin, le Rhin est ivre ou se mirent les vignes (G. Apollinaire, Alcools, Rhenanes, «Ni}\\« L'epizeuxe redouble au sein du vers le substantif sujet, creant u n effet d'insistance incantatoire et magique. LES FIGURES DE PENSEE E l l e s concement 1'expression des idees dont elles affectent ou modifient 1'expression logique. E l l e s se rattachent a des manipulations enonciatives dans l a mesure oii elles sollicitent (parfois sur le mode de l a polyphonie) l a cooperation du lecteur et de I'auteur. L e s figures de pensee modifient le regard porte sur le monde. E l l e s peuvent affecter le mot ou des unites superieures, allant jusqu'au discours. L e s figures de pensee transgressent l a relation entre le concept et le referent d ' u n point de vue logique, c'est-a-dire en termes de vrai et de faux. E l l e s permettent de dire autrement. Je vous offre men 1 Que vous accepterez En combattant ] De ne vous point co L a litote con attenuee qui sign nettement ses co LES FIGUR E l l e s sont fonda du referent. Ellesj Questi L e s figures i siblement un plaisir estt une sensibili jusqu'ajou aussi des i elles ont i definir. Onj 8 5 L E Q O N S D E S T Y L I S T I Q U E INTERROGER LE TEXTE rer un deplacement d u sens, de diminuer o u d'augmenter I'expression. E l l e s a. .ent la possibilite de cacher quelque chose o u de le mettre en valeur. O n retient lallegorie, I'antithese, l a diatypose, I'euphemisme, I'hyperbole, I'hypotypose, l a letalepse, I'ironie, l a litote, I'oxymore, l a periphrase, la prosopopee. La litote compter parmi vos ennemis doit se comprendre comme une expression 'nuee qui signifie tout le contraire, puisque le lexique du microcontexte affiche assez ment ses connotations amoureuses. . LES FIGURES DE SENS OU TROPES s sont fondees sur un ecart entre le sens propre et le sens figure, dans la designation referent. Elles sont etudiees infra (-> Mise au point: les tropes, p. 170). ^ Questionner stylistiquement les figures - ^ ^ " 1: figures donnent-elles a v o i r ? a entendre? a comprendre? Peignent-elles plus senlement une idee abstraite? Servent-elles a omer, a crypter le sens? Procurent-elles plaisir esthetique? L e s figures traduisent I'originalite d'une ecriture, expriment sensibilite particuliere. Elles conl^rent de l a force a I'expression et peuvent aller squ'a jouer un role persuasif ou argumentatif. N'oublions pas que les figures sont si des moyens detoumes pour dire « autrement» ce qui ne peut se dire litteralement; es ont ainsi une saillance particuliere que les indices microcontextuels permettent de linir. On s'interrogera sur les valeurs de cette difference. P Y R R H U S Je wus offre mon bras. Puis-je espdrer encore vous accepterez un coeur qui vous adore ? iibattant pour vous, me sera-t-il permis > ous point compter parmi mes ennemis ? (J. Racine, Andromaque, 1,4) F R E D E R I C C A L A S Lecons de stylistique Cours et exercices corriges 3^ edition A R M A N D C O L I N