L’autre immigration Print E-mail Written by Martin Hybler Tuesday, 03 October 2006 Du moment ou l’on parle d’émigration dans l’Europe actuelle, on pense presque de maniere automatique `a l’afflux (considéré avec crainte et rancoeur) des migrants en provenance du Maghreb, d’Afrique, des ex-républiques soviétiques, `a propos duquel les pays européens ont une attitude souvent ambivalente: d’un côté ils ont besoin, du fait d’une population vieillissante, d’un apport de main d’oeuvre bon marché recherchant des conditions de travail et des salaires que les travailleurs autochtones n’accepteraient jamais, d’un autre côté ils s’efforcent de restreindre le flux d’une migration souvent illégale par des politiques restrictives, de peur d’un déferlement de migrants affamés en provenance du tiers monde, lesquels s’accaparent de notre bien etre. On sait moins de choses tout comme on parle moins des mouvements migratoires qui ont lieu dans le cadre de l’Union Européenne, mouvements dont l’importance n’est pourtant pas négligeable. C’est vrai qu’il s’agit de gens qui simplement déménagent, s’adaptent facilement, ne créent pas de problemes particuliers; ainsi leur présence reste-elle ignorée. J’aimerais `a ce propos attirer l’attention sur un phénomene, dont on ne parle guere en France meme, et qui je le suppose est pour ainsi dire ignoré en dehors des frontieres françaises. Il s’agit de l’importante vague de Britanniques qui s’installent dans les régions rurales du Centre de la France. Il est question pour etre plus précis d’un mouvement migratoire qui a lieu d’un côté comme de l’autre de la Manche. Beaucoup de jeunes Français entreprennent d’aller chercher du travail en Grande Bretagne, la France étant affectée de maniere chronique d’un fort taux de chômage tandis qu’on trouve plus facilement du travail de l’autre côté de la Manche. Il s’agit naturellement d’une immigration temporelle - les jeunes gens travaillent en Angleterre quelques années ils acquierent de l’expérience ainsi qu’une maîtrise de la langue, ce qui leur sert `a leur retour sur le marché du travail en France. Dans la direction inverse il s’agit de quelque chose de différent. Les Anglais qui s’installent en France étaient il y a encore quelques années surtout des retraités qui en regle générale appartenaient aux classes plus aisées de la société. Désormais il s’agit d’avantage de familles avec des enfants scolarisés, qui pensent s’installer en France de maniere durable et refaire leur vie ici. Les raisons de migrer invoquées par ces personnes sont en premier lieu les prix bien plus bas, par comparaison avec ceux de Grande Bretagne, de l’immobilier `a la campagne, mais surtout un systeme de santé publique et de services sociaux (important pour la vieille génération) qui fonctionnent correctement ainsi que le niveau incomparablement supérieur d’une école publique accessible `a tous (importante pour les familles avec des enfants), des conditions de vie avantageuses et stables. Comme autres raisons apparaissent dans les enquetes le rythme de vie plus tranquille, ou le travail est au service de la vie et non le contraire, la cuisine française etc… Il s’agit avant tout de gens qui fuient le libéralisme omnipotent de la Grande Bretagne, l’effondrement du systeme de santé publique, de l’Education et des services sociaux. Il est difficile de faire des estimations chiffrées sur le volume de cette émigration, mais il s’agit surement d’un chiffre autour de 500 000-600 000 personnes. Dans certaines régions du Limousin, les Anglais représentent aujourd’hui 5 pour cent de la population, et encore d’avantage, de maniere saisonniere en Dordogne, Aquitaine, et probablement de meme en Bretagne et Normandie. Il s’agit dans l’ensemble d’installations dans des régions durement affectées par un dépeuplement et le départ des gens vers les villes. Aujourd’hui nous voyons dans de nombreux villages des propriétés fraîchement restaurées avec des pelouses impeccables et de jardins soignés `a l’anglaise, ce qui contraste avec l’anarchisme traditionnel et une certaine négligence des voisins français. Des superettes avec des marchandises anglaises se sont ouvertes ainsi que agences immobilieres destinées `a une clientele anglaise. Des journaux régionaux anglais font leur apparition ainsi que des stations radio. Il est meme possible de trouver des restaurants anglais (ou l’on fait heureusement de la cuisine française) et des pubs. Les liens directs avec l’Angleterre assurés par des compagnies pratiquant des prix bas se sont multipliés. Pour une poignée d’euros il est possible de se rendre en tout commodité `a Londres ou dans d’autres villes anglaises. Ces migrants qui appartiennent plutôt aux classes moyenne ou supérieures, développent en France des activités économiques dans différents domaines, créent des entreprises, se consacrent au commerce ou `a l’artisanat, sont employés dans le tourisme orienté vers une clientele britannique, ou bien vivent d’un travail a distance sur ordinateur, lequel ne requiert pas d’etre présent sur un lieu précis. Parfois il s’agit d’authentiques agriculteurs. Si l’afflux des sujets britanniques correspond numériquement `a la couche la plus importante de ce mouvement migratoire on trouve aussi dans la campagne française d’autres migrants, avant tout des Hollandais et des Belges. L’attitude des habitants locaux est contradictoire: d’un coté ils accueillent favorablement la revitalisation économique, la reconstruction de vieilles maisons qui souvent tombaient en ruines, le peuplement de villages vidées de leurs habitants, d’une autre côté ils réagissent avec rancoeur `a la hausse des prix de l’immobilier provoquée par l’afflux des migrants, lesquels restent inabordables pour la plupart des «autochtones» et suivent avec méfiance l’«anglicisation» croissante de la campagne française. Se réveillent ainsi de vieux réflexes anti-anglais, qui remontent `a la vieille histoire de l’Aquitaine des Plantagenets et, plus tard, `a la guerre de cent ans, quand la présence anglaise était synonyme d’un asservissement brutal, d’interminables guerres dynastiques et de guerres fratricides. Traduit par Nicolas Boldych