Les pique-niques urbains Au mois d’aout, `a Paris, ils ont envahi les berges de la Seine. Qui ? Les pique-niqueurs du dimanche, mais aussi du samedi, voire des soirs de semaine. Pour renouer avec les joies du plein air telles que les fixaient les Impressionnistes sur leurs toiles – mais, fait nouveau -, au coeur du paysage urbain. Décryptage. Le terme de pique-nique, dans son acception la plus large, renvoie `a de nombreuses représentations tirées de la littérature, de la peinture mais aussi de la photographie et du cinéma. Des parties de chasse de Louis XV, immortalisées par des peintres de cour ayant pour nom De Troy, Natoire ou Van Loo – aux déjeuners d’artistes mis en scene par Manet et Monet, jusqu’`a des films récents (Le pique-nique de Lulu Kreutz de Didier Martiny, 1999), ce que l’on appelait autrefois « déjeuner sur l’herbe » s’est longtemps apparenté, dans les esprits, `a un repas champetre. Jusqu’`a un pique-nique national, baptisé `a juste titre Incroyable, qui `a l’orée du XXIe siecle, a contribué `a revisiter la tradition en donnant naissance `a un genre nouveau : le pique-nique urbain. Depuis, celui-ci a fait des émules et est en passe de devenir une pratique culturelle `a part entiere. Naissance d’un genre Rappel : pour célébrer l’an 2000, le 04 juillet de cette année-l`a, des milliers de Français ont partagé leur repas dans une atmosphere de fete autour d’une nappe de plusieurs centaines de kilometres, le long du méridien de Paris. Le pique-nique traversait, sur un axe des vingt arrondissements que compte la capitale. Alors que la notion de pique-nique véhiculait jusqu’alors des images tres stéréotypées – au nombre desquelles le sous-bois mousseux, l’herbe grasse et l’incontournable sieste `a l’ombre d’un arbre – on pu assister `a d’étonnantes variations urbaines autour de ce concept fédérateur. Attablés au beau milieu de l’avenue de l’Opéra, adossés aux balustrades du pont des Arts (avec vue imprenable sur la Seine !) ou carrément assis en tailleur dans la tres académique Cour carré du Louvre, les convives de ce banquet d’exception ont spontanément adapté le genre du picotage en plein air `a ce nouveau cadre. Et alors qu’il ne devait y faire qu’une escale, le pique-nique depuis ce jour investi la capitale, des parcs et les jardins aux bancs, ponts, escaliers publics en passant par des lieux insolites comme la grande Dalle de la Défense, les volées de marches qui gravissent la butte Montmartre ou encore les berges du port de l’Arsenal et du canal Saint-Martin. Il s’est meme invité dans les cours d’immeubles et sur les trottoirs pour les «repas de quartier ». Une communauté bien définie Autre cadre, autres rites. La population qui, par le biais d’un repas partagé en plein air, se réapproprie l’environnement dans lequel elle évolue au quotidien n’est évidemment pas celle qui envisage le pique-nique comme prétexte d’évasion et de mise au vert dominicale. Egalement active, mais plus jeune, cette communauté compte, `a dire vrai, plus de célibataires que de familles avec enfants. Si elle se prete de bonne grâce, lorsque l’occasion s’en présente, au jeu du pique-nique du week-end, elle n’en est pas moins avide de sa déclinaison en semaine, le soir. Une formule plus intime, plus resserrée, qui évacue la dimension ludique du pique-nique pratiqué dans le contexte familial voire scolaire (ou il s’agrémente `a l’envi de parties de cache-cache, de ballon, de cartes, etc.) pour ce recentrer sur ses aspects de convivialité et de partage. Deux tendances peuvent cependant se distinguer. Soit une attention toute particuliere est accordée au lieu et au décorum du pique-nique – qui se veut alors l’expression la plus poussée de l’art de la table, comme par l’exemple le mystérieux « Pique-nique blanc » qui réunit aux chandelles et une fois par an, dans un endroit différent de la capitale, des centaines d’invités par le seul biais du bouche-`a-oreille. Soit, dans sa version bon enfant, il permet de pallier de maniere originale l’exiguité de logements parisiens ou la difficulté, pour des groupes de plus de dix personnes, de se retrouver dans un restaurant – et fait ainsi, d’une certaine maniere, abstraction du cadre dans lequel il s’organise. Dans tous les cas, le pique-nique demeure ce repas informel et joyeux, ou plaisir et mets sont aussi équitablement partagés. Félicie Geslin