X 38 GRAND ANGLE LIBERATION LUNDI14 MARS 2011 Kamol aaoni de nrpvpntion et de mediation au Mureaux. a la sortie des classes du college Jean-Vilar, fin novembre 2010. Les médiateurs veil lei U aux liens Pour pallier l'absence d'ilotiers, de plus en plus de villes recourent a des trentenaires issus des quartiers populaires. Aux Mureaux, ils sont une quinzaine a desamorcer les tensions entre les habitants. Par WILLY LE DEVIN Photos VINCENT NGUYEN. RIVA PRESS CA est d'abord une can-" deur qui vole en eclats. Lorsque Ton demande a Manu, 1' indeboulonnable chef de l'equipe d' «agents de prevention et de mediation» des Mureaux (32 000 habitants), la situation qui l'a le plus marque en quinze ans de mediation, il repond du tac au tac: «Demandez-nousplut6t ce que nous n 'avons pas encore vecu. Ca ira phis vite.'» Depuis 1995, date de la creation par la muni- cipalite de cette escouade de l'ombre, ce quinqua räble, au regard bleu percant et ä l'accent portugais fleuri, a desamorcö une pelletee de conflits, ecope des appartements inondes, conduit plusieurs personnes ä la prefecture chercher des papiers, canalise un mouvement de travailleurs clandestins, se-curise des dizaines de concerts. Aujourd'hui, ils sont une quinzaine ä arpenter ä ses cotes les rues de cette ville des Yvelines, de jour comme de nuit. II y a Pierre, 37 ans, l'adjoint de Manu et responsable de l'equipe du soir, mais aussi Mohammed, Kamel, Baboy, Dominique... Tous entre 30 et 40 ans, Les Mureaux grandis aux Mureaux, payes au Smic (ou le-gerement plus), et d'origines plurielles. Comme beaucoup d'autres «partiss'etablir dans un environnement plus favorable pour reussir», dit Manu, ils auraient pu tourner le dos ä la ville. Mais ils ont pour les Mureaux la tendresse que Ton accorde aux lieux oü l'on a fait ses premieres armes: «Fuir etait une solution, dit Pierre, mats, on a fait le chovc d 'apporter notre energie ä la ville presentee in -justement par les medias comme un territoire detestable. Iln'yapas unjour oü je le re-grette.» A les ecouter, mediateur ne serait pas tant un travail qu'un service, melant inti- __X LIBERATION LUNDI14 MARS 2011 39 mement efficacite et affect. «L'idee est detis-ser des liens privilegies avec les habitants. On aide ä monter les courses, on encadre les matchs depot, on fait en sorte quejeunes etpoliciers ne sefassentpas la guerre. Rfaut montier qu'on est lä meme quand tout va bien. C'est tres important que les gens percoivent une presence continue, a fortiori quand il ne se passe rien de grave. Si notreparole est credible dans les situations de tension, c'est uniquementparce que nous sommes en permanence dans un rapport deproximite», decrit Pierre. Manu abonde: «On est en permanence dans le relationnel, il faut parier vrai, avec les codes des banlieues. Pour nous, c 'est naturel puisque nous venons de ce milieu. Les Muriautins nous acceptent dans leur cercle car nousfaisons partie des leurs. C'est tout le travail qu'etaient en passe de reus-sir les ilotiers avant que le gouvernement ne fasse l'erreur de les supprimer.» Les agents de la police de proximite, mise en place par les socialistes en 1998, ont ete supprimes par Nicolas Sarkozy en 2003. Rupture avec les caVds La mediation a longtemps souffert du cote fourre-tout qu'elle inspirait. «Les mediateurs etaient bien souvent des emplois-jeunes, qu 'on mettait un peu partout sans savoir exactement pourquoi», explique-t-on ä Omega 16, un institut d'Angouleme (Charente) charge d'evaluer l'efficacite des dispositifs de mediation. Laurent Giraud, directeur de France Mediation, un reseau polymorphe regroupant 43 structures de mediation sur l'ensemble du territoire francais, note, lui, «un net regain d'interet pour la discipline». «De nombreux elus locaux qui avaient aban-donne la mediation pour des raisons budgetai-res ou ideologiquesy reviennent de plus en plus, lis se rendent compte qu 'entre la police et des A la salle de boxe du gymnase Pierre-de-Coubertin. seur de boxe au club des Mureaux, le jeune homme croit en son job: «Je dors bien quand je sais que tous les eleves du college sont rentres chez eux dans le calme.» Pour les jeunes perturbateurs, Kamel dispose d'un arsenal allant de la simple reprimande aux heures de colle. «C'est assez inedit, les heures de colle, et cela resulte d'un accord spe-cifique, passe entre les agents de preventions et les differents chefs d'etablissement. Ce qui nous interesse, c'est de montrer aux adolescents que la discipline ne s 'arrete pas enfranchissant le portail de l 'etablissement», observe le jeune homme. Ces competences elargies temoignent d'une diversification de Taction des mediateurs autrefois cantonnes aux seules actions de terrain. II n'est pas rare, desormais, de les voir participer aux decisions municipales. Le maire des Mureaux, Francois Garay (divers gauche), leur accorde une place importante dans la baisse de 30% de la delinquance en-registree par la ville depuis 2007 (selon les chiffres du commissariat). Ainsi, la cellule de prevention des risques urbains consulte sys-tematiquement les mediateurs lorsqu'il s'agit de «sonder la sürete» de la zone d'implanta-tion d'un futur commerce. De meme, il leur incombe de signaler aux services techniques de la ville les degradations de mobiliers urbains. «Cefte tdche, ap-paremment futile, est essentielle, explique-t-on chez Omega 16. Une population evoluant dans un espace degrade est davantage en proie ausentiment d'insecurite. Or, un lampadaire casse, et remplace immediatement envoie aux habitants des signaux de vigilance, de reactivite de la force publique, et done de protection. L'en-vironnement et le climat general sont moins an-xiogenes. Et la population ne se cristallise pas autour d'un sentiment d'insecurite.» simplement un lien evident et indispensable. (1)» «Ce quiseduit d'autantplus, conti-nue-t-il, c'est que la mediation est sortie de cet amalgame recurrent avec la politique des grands freres. On a trop longtemps achete la paix sociale en conflant des responsabüites aux caids. Desormais, un mediateur c'est une somme de competences reconnues, 350 heures deformation encadree, un cahier des charges precis ä respecter, et une solide experience du terrain.» Le collectif assure par ailleurs que le debar sur la mediation sociale «sepose ä nouveau defaqon insistante» au ministere de la Ville, et que nombre de localites, notamment en region parisienne, lancent des appels d'offres pour se doter d'equipes specialisees. Et pour cause: en matiere de securite, les trois quarts des meilleurs eleves de France sont des villes qui ont recours ä cette pratique, estime-t-on encore du cote de France Mediation. Toutefois, celle-ci n'est pas la panacee car eile ne regie en rien les problemes de securite pure qui relevent des forces regaliennes de l'Etat. De l'aveu meme de Manu, «laparole des agents est loin d'etre toujours entendue: pourquoi unjeune qui gagne trente fois notre sa -laire grace au traflc de drogue et qui roule dans des voitures de luxe nous ecouterait-il ? Face ä ce type de public, nous sommes impuissants. R nousfaut une collaboration aigue de lapolice». Dans son livre Operation banlieues (2), le journaliste Hacene Belmessous loue la mediation pour son «utüite sociale significative». Sa demonstration se fonde sur une etude re-coupant des donnees scientifiques solides, recueillies ä Marseille, Angouleme, Niort, Lille et Chalon-sur-Saöne (3). Ces villes con-naissent de facon quasi immediate «une baisse des incivilites en moyenne de 30 % grace ä la mediation sociale». Toujours selon cette etude, les dispositifs d'agents de prevention a la sortie des etablissements scolaires sont unanimement apprecies par la population: «Lesparents d'eleves sont particulierement de-mandeurs. Les mediateurs ont un effet apaisant pour I 'ensemble des enfants et des adolescents. Sans eux, il y aurait plus d 'intolerance.» Reprimandes et heures de colle Aux Mureaux, ils veillent ainsi a la sortie des etablissements scolaires. S'il n'est pas question, pour Manu, de «se substituer auxprofes- seurs d 'education civique», ils interviennent dans les classes afin «defamiliariser lesjeunes a notre presence et a nofre role». «C'est important qu'ils aient une perception parfaitement claire de notre statut et de nos competences. Nous ne sommes pas des professeurs, pas des juges, pas des grands freres, pas despoliciers», precise-t-il. Kamel, qui se poste tous les soirs devant le college Jean-Vilar dans le quartier de Grand-Ouest, declame: «On ne respecte que ce qu 'on connait.» Partageant son temps entre la mediation et ses activates de profes- «Parler aux mamans» Seul point de friction persistant: la confiden-tialité nécessaire ä la discipline hérisse toujours le poil de certains édiles, peu enclins ä déléguer une certaine autonómie ä leurs agents. Car bien des secrets sont entre les mains de Manu et de son équipe. «Ces choses de l'intime», dit Pierre. Des confidences dont ils ne seront parfois que les seuls détenteurs, glanées sous le feu de la confiance et de l'es-time. «On connait les soucispropres ä chaque famille. Telle femme a été meurtriepar les coups de son mari. Tel adolescent a vu sonfrere partir envrüle», explique Pierre. Mohammed, em-mitouflé dans son gilet jaune au sigle de la ville, opine du chef: «Rfaut ábsótument parier aux mamans, affirme-t-il, elles qui sont sou-vent si effacées dans la vie des quartiers.»Ils recueillent ainsi des informations essentielles pour adopter le bon ton, trouver les mots jus-tes, ceux qui touchent. Certaines sont consignees dans des notes que les mediateurs s'échangent, puis classent dans leur modeste bureau d'un immeuble de Bécheville, un quartier des Mureaux. Sur une chaise de leur local tróne Winnie, une énorme peluche, mascotte de ľéquipe. Au mur, un article sur Charléne, 10 ans, erüe-vée et violée en 2006, ŕinalement retrouvée par la police le lendemain dans la commune voisine d'Aubergenville. Manu se fige, ému. «J'avais mis toute mon équipe sur lepontpour laretrouver. Onn'apasréussi, läche-t-il, nous ne sommes pas la solution ultime á tous les problemes.» (1) Le Fonds interministériel de prevention de la délinquance alloue 8o% de ses credits d la vidéo-surveillance. (2) La Dicouverte, 20)0, 200 pp., 15 €. (3) Réalisée sur un an par Oméqa 16, auprés de 500 personnes en relation directe avec des agents de mediation.