Dette publique: le lourd aids du non-dit. Le Monde, 8/10/2020 Editorial du « Monde ». Nul ne conteste aujourd’hui que la violence de la crise économique et sociale justifie un soutien massif de l’Etat à l’appareil productif. Reste que sur le solde de la dette hors Covid, le gouvernement entretient un flou coupable. Depuis l’apparition de la crise sanitaire, l’Etat soutient à bout de bras l’économie. « Tout sera mis en œuvre pour protéger nos salariés et nos entreprises, quoi qu’il en coûte », avait décrété le président de la République en mars. Promesse tenue : des milliards d’euros d’argent public sont déversés chaque mois pour soutenir les secteurs les plus en difficulté et financer les amortisseurs sociaux, en particulier le chômage partiel, qui a été utilisé bien plus massivement que durant la crise de 2008. Parallèlement, le gouvernement a lancé un plan de relance de 100 milliards d’euros sur deux ans dont 40 milliards d’euros seront financés par des fonds européens. Il faudra trouver le reste, ce qui ne pose apparemment aucun problème : le robinet des liquidités coule à flots, alimenté par l’emprunt qui vient gonfler de plus de 200 milliards d’euros un stock de dettes déjà important. A condition que la reprise de l’épidémie ne vienne pas encore alourdir la facture, la dette publique devrait atteindre 2 612 milliards d’euros à la fin de l’année et dépasser de plus de 17 points le niveau de la richesse nationale. Son bond en sept mois aura été plus rapide qu’au cours des dix années précédentes. C’est vertigineux. Paradoxalement, l’atonie du débat public autour de son envolée contraste avec les polémiques récurrentes qui ont eu lieu ces dernières années autour de sa soutenabilité. Nul ne conteste aujourd’hui que la violence de la crise économique et sociale justifie un soutien massif à l’appareil productif. C’est la seule façon d’espérer un redémarrage rapide de l’économie. Par ailleurs, le débat moral autour de l’Etat cigale n’a, cette fois, pas lieu d’être : si la puissance publique dépense aussi massivement c’est parce que l’épidémie l’a obligée à mettre partiellement ou totalement sous cloche l’activité privée. Il était légitime qu’elle prenne le relais. Enfin, les conditions d’emprunt créées par la politique monétaire accommodante de la Banque centrale européenne ont radicalement changé les termes du débat : l’Etat emprunte aujourd’hui à si bas coût qu’il parvient à alléger sa charge de remboursement tout en continuant à emprunter. Pourquoi s’en priverait-il ? Fardeau pour les générations futures La vigilance est néanmoins de mise. Si la signature de la France est bonne, le pays traîne un passif qui peut se retourner contre lui si la confiance des marchés financiers venait soudainement à manquer ou si les taux recommençaient à augmenter. Avant le déclenchement de l’épidémie, la dette publique était proche de 100 % du PIB. Elle restait nettement supérieure à celle de l’Allemagne ou des pays européens dits frugaux, qui se retrouveront en position de force lorsque la reprise s’enclenchera. Le ministre de l’économie martèle que la France remboursera sa dette. Pour tenter de crédibiliser sa démarche, il assure que celle qui est liée au Covid sera cantonnée dans un projet de loi spécifique qui sera présenté au début de l’année prochaine. Une ou plusieurs recettes seront spécifiquement affectées à son amortissement, qui s’étalera jusqu’en 2042. Mais il reste le solde de la dette hors Covid, sur lequel le gouvernement entretient un flou regrettable. Pour ne pas accroître l’inquiétude des Français, il exclut toute hausse d’impôts. Il assure au contraire que le retour de la croissance permettra de le rembourser. Au regard du rythme des dernières années, il est permis d’en douter. Fardeau majeur pour les générations futures, son remboursement pourrait revenir au centre des préoccupations de la campagne présidentielle de 2022 et relancer un débat qu’il faudra trancher tôt ou tard.