Actualité Économie « Sur le front des comptes publics, on est très mal » En raison de la crise des Gilets jaunes, la réduction du déficit est passée au second plan. Le spécialiste François Ecalle tire la sonnette d'alarme. Par Marc Vignaud Publié le 28/02/2019 à 15:34 | Le Point.fr Comment Emmanuel Macron va-t-il faire pour se sortir de l'impasse budgétaire qui le guette ? Pour calmer la colère des Gilets jaunes, le président de la République a lâché 11 milliards d´euros sous forme de réduction d´impôt en 2019 (dont 3,9 milliards d'euros de manque à gagner rien qu'avec l'annulation de l'augmentation de la taxe carbone), mais aussi de dépenses supplémentaires pour financer la prime d'activité. Pour limiter les dégâts, le gouvernement s'est engagé à prendre des mesures compensatoires. Si tous les leviers promis (réduction de 1,5 milliard des dépenses de l'État, report de la baisse de l'impôt sur les sociétés, taxe de 500 millions d'euros sur les géants du numérique) sont bien activés dans un projet de loi de finances rectificative programmé pour mai, la facture nette sera réduite à 7,4 milliards. Ce qui ferait déraper le déficit à 3,2 % du PIB cette année, contre un objectif de départ de 2,8 %... Mais c'est pour la suite que les choses vont se corser. Vu l'état de l'opinion, on voit mal comment le gouvernement va pouvoir reprendre l'augmentation des taxes sur les carburants à partir de 2020 comme si de rien n'était, alors que l'annulation était censée se limiter à la seule année 2019. Ainsi que le souligne le magistrat de la Cour des comptes en disponibilité François Ecalle sur son site internet Fipeco spécialisé sur les finances publiques, c'est en fait toute la trajectoire de hausse de la taxe carbone sur les carburants qui a été annulée en catastrophe, lors du vote du projet de loi de finances 2019, à la fin de l'année dernière. Autrement dit, pour reprendre sa progression, il faudrait la faire voter dans le projet de loi de finances à l'automne ! Autant dire qu'il faudra beaucoup de courage à la majorité, en admettant que ce soit possible. En l'absence d'un tel vote, le manque à gagner pour l'État atteindrait 7 milliards d'euros supplémentaires d'ici 2022 ! Bien conscient de l'impasse budgétaire et pour ne pas abandonner totalement ses promesses en matière d'écologie, Emmanuel Macron a signifié, ces derniers jours, sa volonté de reprendre la trajectoire d'augmentation des taxes sur le carburant, mais en l'assortissant d'un mécanisme de frein en cas de montée en flèche des prix du pétrole comme cela a été le cas l'année dernière avant la fronde des Gilets jaunes. Le journal Les Échos de jeudi évoque par ailleurs une possible division par deux de l'augmentation prévue au départ. Le manque à gagner baisserait alors à 3,5 milliards d'euros dans un scénario favorable dans lequel les prix du pétrole n'augmenteraient pas trop. Mais c'est loin d'être garanti. Une reprise de l'augmentation de la taxe carbone en 2020 pourrait par ailleurs nécessiter une hausse parallèle des dépenses publiques en faveur de la transition écologique pour faire passer la pilule auprès des Français, ce qui n'aurait donc pas pour effet de réduire le déficit public. Les ballons d'essai de Bercy Autant d'éléments qui vont creuser à partir de 2020 le déficit structurel, celui qui ne dépend pas de la conjoncture, alors qu'il ne devrait se réduire que très faiblement en 2018 et rester stable en 2019. Autrement dit, la France ne respectera pas du tout les règles européennes qui nécessitent théoriquement de le diminuer de 0,5 % par an, même si les sanctions financières prévues en pareil cas restent une perspective encore théorique et lointaine. Réduire le déficit structurel pendant les périodes de croissance correcte est pourtant important pour pouvoir, au contraire, le laisser se dégrader en cas de récession... Du côté des éléments positifs, la charge de la dette pourrait être allégée de 10 milliards d'euros d'ici 2022 grâce à une remontée des taux d'intérêt plus lente que prévu par Bercy. Sauf que cette bonne nouvelle n'en est pas vraiment une, car elle reflète simplement la dégradation de la conjoncture en Europe. La croissance devrait elle aussi ralentir. Selon les dernières prévisions de la Banque de France, elle devrait plafonner à 1,6 % en 2020 et à 1,4 % en 2020 par an alors que le gouvernement table lui sur 1,7 % par an… François Ecalle ne cache pas son inquiétude : « Sur le front des comptes publics, on est très mal, explique le spécialiste, d'autant que « des hausses de dépenses et des baisses d'impôts supplémentaires sont à prévoir à l'issue du grand débat national. À Bercy, ils le savent. C'est pour ça qu'ils lancent des ballons d'essai sur les niches fiscales, notamment. » Cela permettrait en effet d'augmenter un peu les recettes sous couvert de justice fiscale. C'est ce qui explique sans doute cet aveu étonnant, devant la commission des Finances de l'Assemblée nationale le 20 janvier, de Gérald Darmanin, le ministre des Comptes publics : « On est parfois un peu seul dans le désert à prêcher la tenue de la dépense puisqu'on a souvent le mauvais rôle. Et donc je ne peux pas vous garantir que cet effort sera tenu tout le quinquennat puisqu'il faut tous les jours mettre la pierre à l'ouvrage. » Le programme de stabilité, document qui actualise la trajectoire budgétaire de la France, qui doit être envoyé à Bruxelles fin avril ou début mai, s'annonce un casse-tête.