Les Chinois dopent le tourisme en France Le cap des 90 millions de visiteurs étrangers en 2018 devrait être atteint, constituant un record Philippe Jacqué - Le Monde, dimanche 26-lundi 27 août 2018, p.10. En cet après-midi d’août, la foule se presse devant le 21, boulevard Haussmann, au cœur de Paris. Les yeux fixés sur leur portable, une cinquantaine de touristes asiatiques attendent, assis sur la barrière séparant le trottoir de la chaussée. A quelques mètres de là, des cars déversent des dizaines d’autres visiteurs qui s’engouffrent dans un discret magasin, siglé Galeries Lafayette, coincé entre une chaîne de cosmétiques et une parapharmacie. Ici, il n’est pas question de coupole dorée. Depuis 2017, le Shopping & Welcome Center, installé en rez-de-chaussée et sous-sol, est exclusivement consacré aux clients voyageant en groupe. « Face à la croissance récente de la clientèle asiatique, le navire amiral, installé à quelques mètres d’ici, était devenu trop encombré et on ne pouvait accueillir nos clients de manière confortable », explique Laure Chérie, la directrice du lieu, en nous guidant dans les divers univers de ce magasin déroutant pour tout client français. A l’entrée, des hôtesses et hôtes, parlant le mandarin et le cantonais, accueillent et dirigent les groupes vers un box, au sous-sol, où une courte présentation du lieu est faite. Le long de chaque mur, des bancs permettent aux visiteurs de se reposer, car, « souvent, ils arrivent directement de l’aéroport et sont assez fatigués », explique Mme Chérie. Les autres, aidés de concierges à leur disposition, peuvent mener leurs achats parmi un choix de cosmétiques, d’accessoires, de produits de parapharmacie ou un peu d’alimentaire. Autant d’articles dont cette clientèle est friande. Dernier passage obligé, la zone de détaxe, pour récupérer une partie de la TVA. Tout est fait pour optimiser leur temps de shopping. « Conditions d’accueil améliorées » Comme les Galeries Lafayette, la France se plie en quatre pour attirer la clientèle asiatique. Pour tenir à moyen terme son objectif de 100 millions de visiteurs, la France ne peut faire autrement. Le potentiel chinois – 150 millions de touristes dans le monde en 2017 – est le plus prometteur, et il ne représente aujourd’hui que 2 % des arrivées. Et ce, même si la France connaît cette année une saison touristique record, malgré les grèves du printemps. Pour la première fois de son histoire, 90 millions de touristes étrangers devraient visiter le pays, assure Christian Mantéi, le directeur général d’Atout France, l’Agence de développement touristique de la France. Ils étaient 87 millions en 2017 : « La saison est excellente. Nous avons laissé derrière nous la chute liée aux attentats de 2015. Désormais, les Américains, les Indiens et les Chinois reviennent en masse. Et, pour ces derniers, le taux de croissance est d’environ 10 %, trois fois plus rapide que la progression globale. » Selon l’organisme public, entre 2,2 millions et 2,3 millions de Chinois devraient être comptabilisés cette année, ce qui fait de la France leur première destination européenne. En 2010, ils étaient à peine 600 000 à visiter le pays. « En Ile-de-France, nous devrions passer le cap du million de voyageurs chinois cette année, contre 800 000 en 2017, souligne Christophe Decloux, le directeur du Comité régional du tourisme d’Ile-de- France. En dix ans, nous avons connu un taux de croissance de 361 % pour ces visiteurs ! » Aux quatre coins de la capitale, ces visiteurs sont de plus en plus visibles, notamment au Musée du Louvre, où ils sont repérables à leur plan de couleur rose… Dans l’aile Denon, ils jouent des coudes pour apercevoir La Joconde, se rapprocher de La Vénus de Milo ou prendre un selfie devant La Victoire de Samothrace. En huit ans, ils sont devenus la deuxième nationalité accueillie derrière les Américains, avec 626 000 billets vendus en 2017. Et la hausse se poursuit. Désormais, la signalétique est également déclinée en mandarin, tandis que des agents maîtrisant la langue ont été déployés dans les salles. Au-delà du Louvre, tous les commerces et les établissements culturels qui accueillent cette clientèle recrutent en masse des salariés parlant les langues asiatiques. « Un réel effort a été entrepris en France pour améliorer les conditions d’accueil des Chinois, pour proposer, par exemple, des petits déjeuners plus adaptés, constate Vanguelis Panayotis, consultant du cabinet MKG. De plus, cette clientèle est en train de se diversifier. Si beaucoup voyagent toujours en groupe, ils viennent de plus en plus en couple, entre amis ou en famille, notamment les millennials. » « C’est un changement majeur, confirme Valérie Pécresse, la présidente (LR) de la région Ile-de- France. Cela veut dire que l’on peut leur proposer d’autres destinations que les habituels Versailles, Louvre et tour Eiffel. L’Ile-de-France est tout de même plus riche que cela ! » Outre la capitale, les touristes chinois visitent davantage le reste du pays. L’Aquitaine, la Bourgogne, notamment pour leurs vignobles, ou la Provence-Alpes-Côte d’Azur, pour la plage et l’art de vivre, attirent de plus en plus. Ils fréquentent aussi les croisières fluviales ou les montagnes… « En 2017, nous avons accueilli dans nos villages alpins 1 500 Chinois, et nous en attendons 2 000 cette année, constate Gino Andreetta, le directeur général du Club Med en Chine. Ils apprennent à skier dans nos villages Club Med en Chine, puis ils viennent découvrir le massif alpin. » Si la croissance des touristes chinois est indéniable, il reste encore beaucoup à faire pour atteindre les 5 millions de visiteurs de cette nationalité visés dans les années à venir. « Nous devons encore travailler sur la question des visas, qui restent délivrés au compte-gouttes », juge M. Mantéi. De même, « nous devons améliorer encore leur sécurité, à laquelle ils sont très sensibles, comme l’a montré la chute des arrivées après les attentats ou après des agressions contre des cars de Chinois ces dernières années », complète Valérie Pécresse. Cela passe en particulier par l’adoption par les commerçants des moyens de paiement sans contact chinois comme Alipay, WeChat Pay ou UnionPay. Cela réduit la nécessité d’apporter des espèces, et cela les sécurise. C’est que la clientèle chinoise dépense beaucoup dans l’Hexagone, environ 1 500 euros, selon Atout France. Ils font des économies sur leur hébergement et la restauration, mais dépensent davantage pour le shopping que d’autres nationalités. C’est tellement vrai que le tourisme, qui pèse aujourd’hui plus de 7 % de produit intérieur brut, permet au pays de rétablir, un peu, sa balance des paiements. Au printemps, l’Insee et la Banque de France ont réévalué celle-ci, en revoyant à la hausse les revenus liés au tourisme, notamment chinois, de 10 milliards d’euros. Cela a permis de réduire drastiquement le besoin de capitaux extérieurs pour financer l’économie de l’Hexagone.