AUJOURD’HUI EN FRANCE – LUNDI 18 FÉVRIER 2019 – DOSSIER RÉALISÉ PAR VINCENT MONGAILLARD, pp.10-11 PAS D’ORTHOGRAPHE, PAS DE TAF ! EXCLUSIF Selon un sondage, 52 % des DRH assurent que le niveau d’orthographe joue dans la mise l’écart de candidatures. C’est un réel critère de sélection. UN CV TRUFFÉ DE FAUTES, et hop, à la poubelle ! Un salarié qui rédige des e-mails en langage texto, et hop, au placard ! Un bon commercial qui confond futur et conditionnel, et hop, adieu la prime ! Les lacunes en orthographe sont des freins impitoyables à la recherche d’un emploi mais aussi à la progression de carrière. C’est ce qui ressort d’un sondage OpinionWay pour Mon coach Bescherelle, l’application du roi de la grammaire, que nous publions en exclusivité et qui sera présenté demain à Paris à des responsables de ressources humaines. Selon cette « grande consultation sur l’orthographe et l’employabilité »*, la moitié d’entre eux (52 %) affirment que le niveau en expression écrite a pu jouer dans la mise à l’écart d’une candidature. Ils sont 44 % à reconnaître qu’un faible niveau a pu « susciter des remarques » et 15 % que de telles failles ont pu « freiner une promotion ». Pour la quasi-totalité des recruteurs (99 %), bien s’exprimer à l’écrit est important quand on recherche un emploi mais aussi une fois embauché. Plus de neuf sur dix (92 %) estiment que des faiblesses en la matière peuvent avoir un impact sur l’image de leur entreprise. « Dans un monde d’hypercommunica-tion, la maîtrise du français est essentielle. Les salariés sont amenés de plus en plus souvent à prendre la parole par écrit, beaucoup sont devenus les ambassadeurs de leur employeur sur les réseaux sociaux », analyse Célia Rosentraub, directrice des Editions Hatier. INDISPENSABLE « C’est clairement un critère de sélection. Quelqu’un qui écrit comme ça se prononce, ça nous fait un peu peur ! » prévient Nadia Bouya, responsable de marque chez Aliscom, distributeur de produits high-tech. « Lors de la phase de recrutement, si le candidat a un blog ou un compte Instagram, on repère s’il fait ou non des fautes », poursuit-elle. « Entre deux candidats, l’orthographe peut faire la différence. C’est un plus indispensable pour se détacher », résume Stéphane Daviet, à la tête de deux agences immobilières. Avec l’arrivée sur le marché du travail d’une génération qui n’a pas grandi avec le Bled, les DRH n’ont jamais autant été confrontés aux fautes de leurs employés. En première ligne, les ingénieurs qui ont tout misé sur les maths et la physique, boycottant le passé simple ou la ponctuation. Désormais, tout en veillant à ne pas stigmatiser, ils n’hésitent plus à leur proposer des leçons de grammaire. Résultat : un véritable business de la chasse aux fautes dans les entreprises est né, alimenté par des applications sur smartphones, des logiciels, des coachs… Selon l’étude, une bonne moitié des DRH (54 %) envisageraient de financer des séances d’orthographe pour certains salariés. « Pendant longtemps, les entreprises n’osaient pas en parler, il y avait comme une honte à compter dans son personnel des gens fâchés avec l’orthographe. Mais le tabou s’est levé depuis qu’elles ont pris conscience que c’était un fléau généralisé », décrypte Pascal Hostachy, patron du Projet Voltaire, leader dans la remise à niveau en orthographe, avec 1 200 sociétés parmi ses clients. « Lors d’un entretien, un manageur peut suggérer une formation. Cela aide à progresser, mais on ne devient ni Proust ni Maître Capello du jour au lendemain ! » sourit Florence Bonadei, responsable RH chez OPPBTP, qui fait du conseil en prévention pour les entreprises du bâtiment. * Etude réalisée du 7 au 14 janvier 2019 selon la méthode des quotas, auprès d’un échantillon de 205 responsables RH d’entreprises françaises privées ou publiques d’au moins 50 salariés. « Des recruteurs peuvent y voir un manque de respect » Christelle Martin Lacroux, chercheuse en sciences de gestion ENSEIGNANTE-CHERCHEUSE en sciences de gestion à l’université de Grenoble, Christelle Martin Lacroux a consacré sa thèse à « l’appréciation des compétences orthographiques en phase de présélection des dossiers de candidature ». Pour elle, « à CV égal, celui qui contient au moins cinq fautes a trois fois plus de risques d’être écarté ». Quel regard le recruteur porte sur le candidat qui envoie un CV truffé de fautes ? CHRISTELLE MARTIN LACROUX. C’est à ses yeux quelqu’un qui ne sait pas s’adapter, qui ne maîtrise pas les normes, qui n’a pas mesuré l’enjeu que représentait une candidature. Cela dépasse la simple compétence orthographique. Des recruteurs peuvent y voir un manque de respect, de politesse, ça augure un laxisme, un manque de professionnalisme. Pour certains, ça pose même des questions sur l’intelligence du candidat ! Mais, en se focalisant ainsi sur l’orthographe, les DRH peuvent passer à côté de talents ? Oui, la faute crée un effet de halo qui va occulter les atouts d’un CV. Même pour les métiers faiblement qualifiés, cela reste un critère de sélection, un indice de sérieux. Les recruteurs vont donner de l’importance aux fautes, considérant que la candidature n’a pas été soignée. Est-ce une spécificité française ? Les compétences écrites sont aussi importantes chez les Anglo-Saxons. Mais, en France, il y a une dimension affective plus forte. Tout le monde a un avis sur l’orthographe ! Et il y a un paradoxe : on est très sévères avec les jeunes qui font des fautes lors de leur entrée sur le marché du travail. Mais, parallèlement, des consignes sont parfois données au moment des examens pour ne pas pénaliser les élèves mauvais en orthographe. Les recruteurs de demain, qui appartiennent à la génération fâchée avec l’orthographe, seront-ils plus indulgents ? Lors de mon enquête, j’ai fait passer un test d’orthographe à 536 recruteurs. Ceux qui étaient les moins bons étaient ceux qui étaient les moins sévères avec les CV contenant des fautes. On peut donc imaginer que les futurs chargés de recrutement, moins forts en orthographe que leurs aînés, seront aussi moins sévères. Sauf si l’intelligence artificielle s’impose, effectue un repérage automatique des fautes et, grâce à des paramétrages, élimine les candidatures au-delà de x fautes. « Je ne veux pas passer pour une imbécile » Charlotte, 21 ans, étudiante en BTS en alternance, qui fait relire ses mails professionnels avant un envoi. ILS REDÉCOUVRENT les charmes du COD et du COI, de la ponctuation, de la cédille, des multiples exceptions aux règles… Fatih, Damien, Charlotte, Ilona et leurs camarades en BTS négociation et digitalisation de la relation client, à Paris, ont droit à des séances d’orthographe, de grammaire et de conjugaison grâce à l’application Mon coach Bescherelle. « Il faut parfois remédier à des lacunes anciennes qui remontent à l’école primaire, notamment les accords de participe passé et les terminaisons de verbe. Ce sont des futurs commerciaux amenés souvent écrire. Qu’ils ne fassent pas de fautes est donc une exigence de leurs employeurs », rappelle leur prof principale, Melinda Feval, responsable de la formation à l’école IMC (Institut de Management Commercial). POURTANT PLUS UN CRITÈRE POUR OBTENIR LE BTS Ces jeunes motivés, qui passent leur diplôme en alternance, ont déjà un pied dans le monde de l’entreprise. « On a eu des élèves qui ont vu leur période d’essai s’arrêter car ils étaient incapables d’écrire correctement. Cela donnait une mauvaise image de la société dans laquelle ils travaillaient », prévient l’enseignante en management d’entreprise. Quand elle corrige des copies, elle ne laisse donc rien passer, soulignant au stylo violet ou bleu turquoise (plutôt qu’au rouge, jugé trop agressif) les fautes même si, visiblement, ce n’est plus un critère de sélection lors de l’examen final. « Je fais partie des jurys de BTS, on nous demande de ne plus sanctionner l’orthographe », s’étonne-t-elle. Mais qu’importe : ses élèves ont compris qu’ils doivent savoir éviter les pièges du français s’ils veulent faire une belle carrière. Damien, 19 ans, qui partage son temps entre son école et une banque, en a bien conscience. « Si je fais des fautes, les clients ne vont pas me prendre au sérieux », s’alarme le jeune homme qui écrit « instinctivement » et qui, parfois, est trahi… par son instinct ! « Dans les métiers où l’on envoie plein de mails, c’est déterminant », enchaîne Ilona, 20 ans, embauchée par un distributeur de produits high-tech. « C’est une question de crédibilité », synthétise Fatih, 20 ans, en action chez un vendeur de fournitures industrielles. Ce tchatcheur déterminé entend bien devenir un crack en syntaxe. « Je veux être aussi à l’aise l’écrit qu’à l’oral », ambitionne-t-il. Charlotte, 21 ans, qui se retrousse les manches dans l’entreprise familiale de confitures artisanales, « adore » dégainer sa plume. « Mais je fais énormément de fautes », regrette-t-elle. Alors, avant chaque départ de courriel professionnel, elle demande à sa belle-mère, avocate, d’éliminer ses erreurs. « Je ne veux pas passer pour une imbécile auprès de mes clients », justifie-t-elle. Pour elle, c’est « capital » de s’améliorer. Elle a une grosse marge de progression. « Ce sont souvent des fautes d’inattention. Je veux aller trop vite tout le temps », confesse-t-elle. La guerre des certifications LES RECRUTEURS risquent d’en perdre leur latin. Désormais, il existe trois certifications en orthographe. Les postulants à un job sont en effet de plus en plus nombreux à indiquer sur leur CV le score qu’ils ont obtenu lors d’une évaluation payante, sous forme de QCM, de leur maîtrise de la langue française.  LE CERTIFICAT VOLTAIRE, créé en 2010 et noté sur 1 000 points, a une bonne longueur d’avance sur ses rivaux. Pour s’inscrire, il faut débourser 59,90 €. « 50 000 personnes le passent chaque année dans 1 200 centres d’examens. Quand on peaufine son CV, c’est la référence, celle qui est connue de tous », vante Pascal Hostachy, inventeur du concept.  LA CERTIFICATION LE ROBERT a vu le jour en novembre 2016, sous l’impulsion du père des dictionnaires et d’Orthodidacte, plate-forme d’apprentissage des pièges de la langue française. Moyennant 110 €, l’expression et le vocabulaire sont notés en plus de l’orthographe. « On a un accord avec la Poste qui permet à nos candidats de passer la certification dans des conditions très rigoureuses en centre postal, auprès de postiers reconvertis dans la surveillance d’examens », signale Charles Bimbenet, directeur général des Editions le Robert.  LE BESCHERELLE a débarqué avec son label l’an dernier. « On a une caution de marque et un savoir-faire disciplinaire sans commune mesure », se targue Célia Rosentraub, directrice générale des Editions Hatier, qui publient la collection Bescherelle. Au-delà de la certification en orthographe (79,90 €), sa maison propose une formule « complète » à 189,90 € évaluant, entre autres, la capacité du candidat à « rédiger efficacement ».