Georges Brassens : Les Passantes Je veux dédier ce poème À toutes les femmes qu'on aime Pendant quelques instants secrets À celles qu'on connaît à peine Qu'un destin différent entraîne Et qu'on ne retrouve jamais À celle qu'on voit apparaître Une seconde à sa fenêtre Et qui, preste, s'évanouit Mais dont la svelte silhouette Est si gracieuse et fluette Qu'on en demeure épanoui À la compagne de voyage Dont les yeux, charmant paysage Font paraître court le chemin Qu'on est seul, peut-être, à comprendre Et qu'on laisse pourtant descendre Sans avoir effleuré la main À celles qui sont déjà prises Et qui, vivant des heures grises Près d'un être trop différent Vous ont, inutile folie Laissé voir la mélancolie D'un avenir désespérant Chères images aperçues Espérances d'un jour déçues Vous serez dans l'oubli demain Pour peu que le bonheur survienne Il est rare qu'on se souvienne Des épisodes du chemin Mais si l'on a manqué sa vie On songe avec un peu d'envie À tous ces bonheurs entrevus Aux baisers qu'on n'osa pas prendre Aux cœurs qui doivent vous attendre Aux yeux qu'on n'a jamais revus Alors, aux soirs de lassitude Tout en peuplant sa solitude Des fantômes du souvenir On pleure les lèvres absentes De toutes ces belles passantes Que l'on n'a pas su retenir Paroliers : Antoine Pol / Georges Brassens Paroles de Les Passantes © Ed. Musicales 57 Georges Brassens : L'orage Parlez-moi de la pluie et non pas du beau temps Le beau temps me dégoutte et me fait grincer les dents Le bel azur me met en rage Car le plus grand amour qui m'fut donné sur terre Je l'dois au mauvais temps, je l'dois à Jupiter Il me tomba d'un ciel d'orage Par un soir de novembre, à cheval sur les toits Un vrai tonnerre de Brest, avec des cris d'putois Allumait ses feux d'artifice Bondissant de sa couche en costume de nuit Ma voisine affolée vint cogner à mon huis En réclamant mes bons offices " Je suis seule et j'ai peur, ouvrez-moi, par pitié Mon époux vient d'partir faire son dur métier Pauvre malheureux mercenaire Contraint de coucher dehors quand il fait mauvais temps Pour la bonne raison qu'il est représentant D'une maison de paratonnerres " En bénissant le nom de Benjamin Franklin Je l'ai mise en lieu sûr entre mes bras câlins Et puis l'amour a fait le reste Toi qui sèmes des paratonnerres à foison Que n'en as-tu planté sur ta propre maison Erreur on ne peut plus funeste Quand Jupiter alla se faire entendre ailleurs La belle, ayant enfin conjuré sa frayeur Et recouvré tout son courage Rentra dans ses foyers faire sécher son mari En m'donnant rendez-vous les jours d'intempérie Rendez-vous au prochain orage A partir de ce jour j'n'ai plus baissé les yeux J'ai consacré mon temps à contempler les cieux A regarder passer les nues A guetter les stratus, à lorgner les nimbus A faire les yeux doux aux moindres cumulus Mais elle n'est pas revenue Son bonhomm' de mari avait tant fait d'affair's Tant vendu ce soir-là de petits bouts de fer Qu'il était devenu millionnaire Et l'avait emmenée vers des cieux toujours bleus Des pays imbécil's où jamais il ne pleut Où l'on ne sait rien du tonnerre Dieu fasse que ma complainte aille, tambour battant Lui parler de la pluie, lui parler du gros temps Auxquels on a tenu tête ensemble Lui conter qu'un certain coup de foudre assassin Dans le mille de mon cœur a laissé le dessin D'une petite fleur qui lui ressemble