6.2.1. La IV^e République La France de l’après-guerre est un pays secoué par de nombreux événements historiques dont l’historiographie officielle oubliera une partie pendant plusieurs décennies. Résistance, service du travail obligatoire pour de jeunes Français, répression nazie, invasion, guerre ; mais aussi collaboration, régime de Vichy, persécution de la population juive et surtout l’épuration qui a causé plus de morts que toutes les années précédentes. Tout ceci, l’idéologie gaullienne cache derrière le slogan « Nous nous sommes libérés seuls ». Ce slogan est consenti d’une façon unanime des deux côtés du spectre politique. En août 1944, la «majorité silencieuse» accueillit à Paris le général De Gaulle par des ovations un peu plus importantes que le maréchal Pétain au printemps de la même année. De Gaulle proclame la IV^e République et en devient son premier président bien que pour quelques mois seulement. De Gaulle trouve la solution pour dissoudre des commandos communistes, il amnistie le chef du parti, Maurice Thorez, qui, en tant que déserteur, séjourne à Moscou. Les communistes, devenus membres du gouvernement, dominent les syndicats et investissent dans la propagande (en 1945, L’Humanité tire à 456 000 exemplaires, tandis de Le Figaro, le journal bourgeois, à 382 000 exemplaires ; de nos jours « L’Huma » doit être subventionné par le gouvernement) En janvier 1946, De Gaulle proteste contre le projet d’une Assemblée unique et plénipotentiaire où le rôle principal est joué par les partis politiques. « Ma mission est terminée, le régime exclusif des partis a reparu. Je le réprouve ». En 1947, il crée son propre parti, le Rassemblement du peuple français (R.P.R.), sous le prétexte qu’ « en 1944 les Français étaient malheureux, maintenant ils sont mécontents ».[1] Le tripartisme (socialistes, chrétiens-démocrates et communistes) triomphe en 1946 lors des élections législatives. En 1947, le premier ministre Paul Ramadier élimine les ministres communistes, mais s’en suivent des années d’instabilité politique (1947-1950). La réforme du système électoral diminue encore plus le pouvoir des communistes, ainsi que l’importance du R.P.R. de De Gaulle. La tentative de Pierre Mendès France de renforcer le pouvoir exécutif et celui des institutions n’a pas fonctionné. La France de l’après-guerre subit un processus de nationalisation et d’étatisation du secteur industriel, bancaire et des médias. On crée des comités d’entreprises. L’économie devient planifiée et elle s’internationalise (Communauté européenne du charbon et de l’acier, 1951). Le plan Marshall et les prêts financiers des Etats-Unis apportent leurs fruits ; mais à la croissance succède l’inflation ; la stabilisation de la monnaie en 1952 est la réussite d’Antoine Pinay. L’industrie se modernise, le taux de croissance est de 7-8% par an ; l’agriculture est stagnante. L’essor de l’automobilisme fait bouger le pays. Le pays en changement a besoin de nouvelles forces ouvrières, l’exode rural et l’immigration économique différencient la population (en 1960 le nombre d’urbains dépasse les 70%) ce qui est lié avec un boom dans l’industrie de bâtiment. L’industrie fait revivre ou tomber en dépression économique et dépeuple des régions entières. Les petits commerçants et les artisans se rallient au mouvement poujadiste. Le nombre d’agriculteurs baisse sensiblement, le secteur tertiaire est en expansion. Le taux de cadres industriels atteint 20%. Tout ceci change visiblement la face de la classe moyenne traditionnelle. Dans le domaine culturel, centralisé depuis toujours à Paris, domine l’existentialisme sous ses différentes formes. Les lauréats français du Prix Nobel dans la première décennie de l’après-guerre sont André Gide (1947), François Mauriac (1952), Albert Camus, méprisé par la gauche politique le reçoit en 1957. Sartre, marxiste, le refuse en 1964. La littérature et les sciences humaines suivent la grande vogue de communisme (cf. la saga d’Aragon, l’activité politique d’Eluard ou de Picasso. Les plus importants adversaires de gauche au point de vue idéologique sont des libéraux (Albert Camus, Raymond Aron) et des personnalistes (revue L’Esprit) La France d’après-guerre est occupée par des guerres coloniales : Indochine, Madagascar, Afrique, Maghreb… Bien que le contingent militaire français en Indochine compte 500 000 de soldats, la catastrophe de Dien Bien Phu en 1954 est déterminante pour toute l’époque à venir. Trois milliards de francs et la vie de 92 000 soldats ont été sacrifiés inutilement. Dans les années 1960, c’est tout l’empire colonial français qui s’effondre. Le Maroc et la Tunisie deviennent indépendants, l’Algérie se retrouve bloquée. En 1958, le Comité de salut public prend le pouvoir en Algérie sous la direction du général Jacques Massu. Le parlement confus appelle De Gaule et lui confie la charge de créer une nouvelle constitution, celle de la V^e République. La guerre fait rage. Attentats, provocations, supplices, viols, massacres de la population civique deviennent la réalité quotidienne de l’Algérie. Les Maghrébins vivants en France soutiennent la Résistance algérienne. Le nombre de Français « de souche » qui coopèrent avec le réseau clandestin (les porteurs des valises) augmente également. Au début, même la gauche (Guy Mollet, François Mitterrand) soutient la guerre d’Algérie, paradoxalement, c’est la droite qui y met un terme dans des conditions dramatiques où, en mai 1961, l’armée en Algérie annonce son intention de renverser le gouvernement en France. De Gaulle lance ces mots pathétiques à la nation : « Français, Français, aidez-moi ! » A ce moment, la majorité des Français, fatigués par la guerre, accepte l’indépendance de l’Algérie. Les insurgés créent l’organisation terroriste O.A.S. qui organise des attentats dans la métropole. Les attentats de l’O.A.S. ont eu un tel retentissement politique que certains politiciens ont fait truquer les attentats pour renforcer leur image (par exemple l’affaire Mitterrand à l’Observatoire). Les accords d’Evian sont signés le 18 mars 1962, mais tout le processus complet ne prend réellement fin que le 22 août 1962, par l’attentat manqué contre De Gaulle. Près d’un million de Pieds-noirs appauvris et des milliers de Harkis immigrent en France. 6.2.2. Les débuts de la V^e République Les années 1960 se présentent comme la décennie de la « majorité silencieuse » de De Gaulle. C’est une période de stabilité, de prospérité et… de consommation. Le nouveau franc est introduit en 1958, et en 1963, ouvre le premier supermarché. La France s’intègre dans l’union économique internationale, l’industrie s’organise en monopoles, le capital se concentre. Les centrales nucléaires, l’industrie aéronautique, l’informatique et les télécommunications se développent. Les agriculteurs reçoivent des dotations. Toute l’Europe de l’Ouest vit ses Golden sixties ou Trente Glorieuses (1945-1975) qui sont en France liées avec De Gaulle. Après la chute de l’empire colonial, De Gaulle trouve une nouvelle source de stabilité intérieure en menant une politique de prestige international. Il supprime le siège principal de l’O.T.A.N. à Paris ; il congédie la Grande Bretagne de la C.E.E. ; il soutient les séparatistes du Québec. La « force de frappe » (bombe atomique) fait désormais partie de l’arsenal militaire français. La politique de « la détente, l’entente et coopération » fait préférer l’Allemagne à la Grande Bretagne et la France se lie d’amitié avec la Russie et la Chine communistes. De Gaulle demande aux Français un boom démographique (12 millions de bébés en dix ans). Tout ceci, de même que l’arrivée des Pieds-noirs, des Harkis et d’autres immigrés d’Afrique du Nord entraîne des changements sociaux. Dans l’urbanisation, c’est le développement des banlieues H.L.M., dans la scolarisation, le nombre grandissant des bacheliers (5% de la population en 1950, déjà 12% en 1963). La civilisation du loisir dont l’emblème devient le Club Méditerranée profite depuis 1963 des quatre semaines de congés payés. Le nombre de postes de télévision se multiplie. Influencée par l’existentialisme, la « Nouvelle vague » cinématographique fait son apparition dans les années 1960 (Claude Chabrol, François Truffaut, Jean-Luc Godard). En 1960 la critique sociologique la caractérise ainsi : « sentiment du tragique, horreur du rocambolesque, du mélo, du burlesque, goût de la contemporanéité, plus grande autonomie des personnages féminins, défaut du sens familial, indifférence ou ignorance quant à l´activité professionnelle » en résumant « que les auteurs sont des petits aristos qui ont le goût des mains blanches ».[2] Mais le public populaire apprécie surtout Brigitte Bardot, Jean Marais, Jean Gabin, Jean-Paul Belmondo ou Gérard Philippe. Les années 1960 préfèrent les Rolling Stones et les Beatles à Juliette Gréco, Yves Montand, Léo Ferré ou Georges Brassens. En juin 1963, la place de la Nation accueille 150 000 fans de Sylvie Vartan et Johnny Hallyday. Serge Gainsbourg impressionne le public un peu plus intellectuel. Le monde de la mode subit aussi des changements. La mode des jeunes vient plutôt de Londres (Mary Quand). Les beaux-arts, quant à eux, déménagent à New York. La littérature est attaquée par le « Nouveau roman » (Robbe-Grillet, Butor, etc.) qui renonce à l’engagement politique de l’art. Mais le public est conquis par d’autres auteurs : on vend deux millions d’exemplaires du roman Papillon d’Henri Charrière. La fin des années 1960 est accompagnée par un boom de la bande dessinée pour les adultes. Le caricaturiste Georges Wolinski devient une star. Le ministre de la culture André Malraux subventionne largement la culture française pour en faire un article d’exportation tout comme un article touristique. Les expositions mondiales sont censées donner l’impression d’une culture mondiale unifiée sous l’égide française. Dans les régions, la consommation culturelle est subventionnée par les Maisons de la culture. Le Théâtre de France se constitue sous la direction de Jean-Louis Barrault. Le Grand Palais devient un espace d’expositions et de nouveaux musées sont créés. Paris change de « look » après le « grand lessivage ». Les médias sont aux mains du gouvernement : « La ORTF, c´est le gouvernement dans la salle à manger de chaque Français, » dit en 1964 le ministre Alain Peyrefitte. [3] Après la « nouvelle vague » au cinéma et le « Nouveau roman » en littérature, c’est le structuralisme dans la science et aussi la « nouvelle histoire ». L’existentialisme dans toutes ses formes soulignait le rôle de l’homme et de la diachronie. Cela concerne évidemment aussi le marxisme qui, depuis toujours, inclut la contradiction entre la légitimité de la base économique et l’acte révolutionnaire. Ainsi le Marx jeune et révolutionnaire (presque existentialiste) de Sartre et remplacé par le Marx mûr, plus scientifique (alors structuraliste) de Louis Althusser. Tout devient structuraliste : l’historiographie, l’anthropologie, la sociologie, etc. Le sociologue Alain Touraine se permet de dire : « Des chansons en ont remplacé d’autres, et Claude Lévi-Strauss, si je puis dire, a remplacé Sartre. »[4] Claude Lévi-Strauss, Jacques Lacan, Michel Foucault, Roland Barthes, Pierre Bourdieu et leurs structures, textes, discours et économisme mènent une croisade glorieuse. Le changement se reflète aussi dans la terminologie. Les années 1950 parlent de sciences humaines ; les années 1960 de sciences sociales ; les années 1970 font le compromis avec les sciences de l’homme et société pour en finir dans les années 1980 avec les sciences de l’homme.[5] Dans la vie française, les « familles notables » ont depuis toujours joué un grand rôle, à cause soit de leurs origines nobles, de l’étendue de leurs biens ou de leur influence locale. L’Etat centralisé a besoin d’élites. Dans la France d’aujourd’hui ce sont des énarques, des normaliens et des polytechniciens qui constituent ensemble un réseau officieux et enfermé. A l’époque de De Gaulle il s’agissait de ses « barons » (les universitaires renommés). Les problèmes de différences sociales se résolvent en France par la révolution : en 1789, 1871 et 1968. La vie commune de différentes générations est en histoire appelée l’incontemporanéité de la contemporanéité. C’est particulièrement le cas de la France de 1968. Les admirateurs de Jean-Paul Sartre (Annie Kriegel[6]) ont fini leurs études et commencent eux-mêmes à enseigner. Dans les années 1960, le nombre des lycées se multiplie, le nombre d’étudiants dépasse 600 000 et la plupart d’entre eux n’est pas sûre de son avenir. La culture et l’éducation traditionnelles subsistent tout comme le règne des élites. Ce sont des enseignants qui apprennent aux étudiants qu’il faut changer, sauf qu’on ne sait pas trop quoi ni comment. Les premières bagarres éclatent au début du mois de mai. Le mouvement du 22 mai s’essouffle vite. En juin les partis civiques gagnent aux élections (358 mandats sur 485). Mais la réforme de De Gaulle basée sur la participation, la régionalisation et la réforme des institutions est refusée. Les élites et les notables sont inquiets et c’est l’immobilité et les vieux ordres qui gagnent finalement. L’éclat inattendu des événements de Mai, ainsi que son échec, le Printemps de Prague, la démission et la mort de De Gaulle et l’arrivée de Georges Pompidou ont fini avant terme les années 1960. Le prix Nobel 1969 est décerné à Samuel Beckett, un non-engagé. Pour certains, l’année 1968 fut un choc profond. Louis Aragon demande : « Ô, mes amis, est-ce que tout est perdu ? » Les alternatifs partent s’installer à la campagne. La majorité pourtant suit l’opinion de Jean Gabin : « Moi, je suis un vieux libertaire, un vieux anar. D’ailleurs, tous les anars sont des bourgeois. Ils veulent la sûreté, la tranquillité. Un rêve bourgeois ». [7] 6.2.3. Les Trente sinistres En 1974, le président Georges Pompidou issu du R.P.R. meurt et il est remplacé par Valéry Giscard d’Estaing, libéral, centriste et européen, décidé à moderniser la France. Il s’agit entre autres de l’autorisation de l’avortement, de la législation sur le divorce et de la réforme de l’audiovisuel. L’âge de la majorité est abaissé à 18 ans. Une réforme de l’Education nationale est mise en route (en 1945, l’enseignement public s’occupe de 737 000 élèves et étudiants, en 1972, il s’agit de 3 718 000 et en 1975 le nombre dépasse 5 millions). C’est aussi dans ce secteur que la France change radicalement au point de vue démographique, social et politique. L’époque des Trente Glorieuses tire à sa fin et la période des Trente sinistres commence à s’installer. En 1973, le prix de pétrole augmente quatre fois, cinq ans après une double augmentation provoque des chocs pétroliers. La production industrielle baisse, la monnaie est affaiblie, le taux du chômage grimpe, le sentiment de mécontentement provoque des mouvements sociaux. Une période de crise de croissance, de crise économique, de chômage s’installe partout en Europe, pourtant la modernisation de l’industrie continue (Airbus, la fusée Ariane, les centrales nucléaires). En 1977 est inauguré le Centre Pompidou. En 1981, pour la première fois sous la V^e République, la France a un gouvernement et un président socialiste : François Mitterrand. Auparavant adversaire de la constitution de la V^e République, il l’utilise désormais à son profit et devient une sorte de monarque républicain. Les libertés locales, la liberté d’expression se renforcent, de nouvelles mesures sociales entrent en vigueur. Mitterrand accentue la socialisation, la décentralisation, les droits des ouvriers. La lutte contre le chômage est devenue prioritaire : le SMIG, la pension de retraite, la durée des congés, les allocations familiales, tout augmente. On nationalise le secteur bancaire et la grande industrie représentant 40% de la production nationale. Cette démarche coûteuse (43 milliards de francs), renforcée par la récession économique mondiale, provoque une baisse de la production, l’inflation, la dévaluation de la monnaie, le déficit des caisses de l’Etat et entraîne des augmentations fiscales. Les clochards sont rebaptisés S.D.F. (sans domicile fixe). La droite remporte les élections législatives et en 1986 Jacques Chirac est nommé premier ministre. Le régime politique semi-présidentiel doit au cours des années 1980 apprendre (avec succès) à faire cohabiter la gauche et la droite françaises. C’est à cette époque que les attentats perpétrés par des islamistes et le groupe Action directe (de gauche) se multiplient. Des affaires de financement occulte des partis et des institutions d’Etat éclatent, tout comme celles de trafic d’armes illégal soutenu par l’Etat, de violences urbaines, des actes arbitraires de la police. La Nouvelle-Calédonie et la Corse manifestent leur mécontentement et au Liban, on retient des otages français. Le ministre de la Culture Jack Lang prolonge la conception « d’Etat culturel » d’André Malraux. La Cité des sciences et de l’industrie, le Grand Louvre, l’Opéra-Bastille ouvrent leurs portes au public, on prépare l’édification de la « Très grande bibliothèque ». La Grande Arche de la Défense et le palais ministériel de Bercy sont en construction. En 1988, François Mitterrand entame son deuxième septennat. « La vie politique en France manque singulièrement de relief : elle s´enlise dans des affaires mesquines, se dilue en incidents mineurs » indique René Rémond en 1991.[8] La politique devient illisible et la différence entre la droite et la gauche politique s’efface. Les incertitudes économiques continuent, le taux de chômage est toujours haut, les réformes se font rares et sont boudées, la guérilla sociale, la flambée lycéenne et étudiante, la hantise de l’immigration, la pestilence des affaires persiste. Les affaires touchent surtout les partis gouvernementaux qui se procurent de l’argent à l’aide de fausses factures (les entreprises privées donnent de l’argent aux entreprises d’Etat qui le « lavent » et le réinjectent dans les caisses des partis). Après maintes obstructions, les ministères cèdent finalement à la justice et le président de l’Assemblée Henri Emmanuelli (PS), tout comme Alain Juppé (RPR) se retrouvent devant le tribunal. L’entourage de président est aussi touché : Bernard Tapie est jugé et condamné. Le premier ministre Pierre Bérégovoy, ne sachant expliquer d’où provient l’argent avec lequel il avait acheté son appartement, se suicide. Plusieurs ministres et maires de communes sont jugés à cause de malversations. Le secrétaire du président Jacques Attali et l’ancienne premier ministre Edith Cresson sont obligés de quitter leurs postes européens. Le président actuel, Jacques Chirac est pour le moment protégé par l’immunité présidentielle. En 1998, Maurice Papon est condamné pour son rôle dans la déportation des Juifs pendant la guerre, mais il reste impuni pour le massacre des Maghrébins en 1961 Le radicalisme persiste, les termes comme moderne, avant-garde, expérimental, utopie sont toujours déclinés un peu partout. En même temps, on renverse les idoles (Marx, Freud). En 1974 sort la traduction de L´archipel du Goulag d’Alexandre Soljenitsyne (650 000 exemplaires). Le bruit que fait le film L’aveu (1970) de Costa-Gavras tourné d’après le livre d’Artur London prépare l’arrivée de Milan Kundera. La droite politique commence aussi à examiner sa conscience (Le mal français d’Alain Peyrefitte de 1976). Le révisionnisme anti-progressiste apparaît, ainsi que les libéraux et les libertaires (Michel Maffesoli). On redécouvre la philosophie de Vladimir Jankélévitch et d’Emmanuel Lévinas. Et les nouveaux philosophes Bernard-Henri Lévy et André Glucksmann entrent sur la scène médiatique. François Furet fait une relecture du passé révolutionnaire dans son livre Penser la Révolution française (1978). La mort de Louis Aragon (1982), de Jean-Paul Sartre (1983) et de Raymond Aron (1983), tout comme la remise du Prix Nobel à Claude Simon représentent la fin symbolique de toute une époqueStyle moderne, avant-gardes, grands systèmes, idéologie et nationalisme s’effacent au nom du post-modernisme demandant la variabilité et l’éclectisme. Le gauchisme se dilue dans le féminisme, l’écologie, le régionalisme… Les arts plastiques se développent dans l’art conceptuel, on découvre l’art brut et on réhabilite l’art pompier. L’architecture post-moderne se mélange au style rétro. On assiste à la naissance de nouveaux arts : après la photographie, le neuvième art devient la B.DLa sociologie, jusqu’alors influencée par le structuralisme, est animée par le contestateur Jean Baudrillard et la sociologie de l’action d’Alain Touraine. L’historiographie, elle aussi, fait ses adieux aux structures et à l’Histoire, elle donne priorité à la mémoire (Pierre Nora : Lieux de la mémoire, 1984). L’épistémologie commence à étudier la science en tant que telle. Des nouveaux philosophes entrent sur la scène. Jean-Paul Lyotard détruit les grands systèmes et favorise les petits. Jacques Derrida s’intéresse à ce que les philosophes n’avaient pas dit et démontre que la philosophie occidentale est la philosophie de l’homme blanc. Mais la vie (spectateur, auditeur, lecteur) demande plus. Bien que les metteurs en scène de la « Nouvelle vague » se soient débarrassés de leurs péchés de jeunesse et continuent à tourner, et que le cinéma est largement subventionné par l’Etat, le secteur cinématographique subit une baisse considérable des fréquentations. Bernard Pivot occupe la télé française avec ses émissions culturelles depuis 1975.[9] Le roman populaire devient encore plus populaire, les grands auteurs reviennent à la narration, pourtant « le grand lecteur » (celui qui lit plus que vingt-quatre livres par an) est en voie de disparition. Le nombre des lecteurs inscrits dans les bibliothèques ne dépasse pas 20%.[10] En 1993, la droite remporte les élections législatives, le premier ministre devient Edouard Balladur. Le budget des caisses de l’Etat se solde par un déficit de 700 milliards de francs. Jacques Chirac devient le président en 1993. Une partie de l’Histoire française est finie. 6.2.4. Bilan La population française est passée de 40 millions en 1946 à 60 millions en 2005. La moitié de la population féminine travaille. La classe ouvrière, malgré l’affluence des immigrés, diminue. La population rurale est minoritaire et le travail agricole s’est modernisé. Le transport automobile, le réseau d’autoroutes et le T.G.V. ont effacé les distances et l’encadrement régional. L’Education nationale a subi un changement intense. En 1946, il y avait 26 000 bacheliers, en 1995 il y en a eu 459 000, et actuellement 60% de la population possède le baccalauréat. Les étudiants étaient 129 000 en 1946 ; en 1995, ils sont déjà 2 170 000 La religion, le lien traditionnel, est en déclin. 80% de la population déclare son appartenance au rite catholique, mais seulement 10% son pratiquants. Le clergé a vieilli. Le nombre de musulmans augmente. Il en va de même pour les structures familiales, l’époque des tribus – homosexuelles, féministes, religieuses, culturelles – aurait, paraît-il commencé. La France est un des plus riches pays du monde, avec un niveau de vie et des services sociaux efficaces. Pourtant les Français sont mécontents. L’incertitude de l’avenir les tracasse. En 1974 le chômage ne touchait que 4% de la population active, depuis il fluctue autour de 10%. Les Français sont touchés par l’exclusion, le nombre des marginaux (S.D.F., immigrés pas toujours clandestins) va en augmentant. La délinquance de la jeunesse est forte, ainsi que le montre les émeutes dans les banlieues. L’Etat intervient de plus en plus par l’intermédiaire des tribunaux judiciaires. Comme un peu partout en Europe, nous sommes témoins de l’inquiétude, de la crise des valeurs. Tintin et Astérix sont les seuls à traverser inchangés et avec bonne humeur toutes ces périodes orageuses. D’ailleurs c’est finalement le général De Gaulle qui est sorti gagnant du concours télévisé visant à élire le plus grand Français de tous les temps. ________________________________ [1] Cité selon : MIQUEL, P. Histoire de la France. Paris : Fayard, 1976, p. 558 -559. [2] Cité selon : WINOCK, M. Chronique des années soixante. Paris : Seuil, 1987, p. 55. [3] BECKER, J.-J., Crises et alternances 1974-2000. Paris: Seuil 2002, p. 44. [4] Cité selon : WINOCK, M. Chronique des années soixante. Paris : Seuil, 1987, p. 48. [5] GUILLAUME, M. L´État des sciences sociales en France. Paris : La Découverte, 1986, p. 10. [6] BECKER, J.-J., Crises et alternances 1974-2000. Paris: Seuil 2002, p. 508. [7] Cité selon : WINOCK, M. Chronique des années soixante. Paris : Seuil, 1987, p. [8] Cité selon : BECKER, J.-J. Crises et alternances 1974-2000. Paris : Seuil, 2002, p. 480. [9] ORY, P. La révolution de 1975. [en ligne]. [réf. 206-07-10]. Disponible sur : https://www.lexpress.fr/culture/livre/la-revolution-de-1975_810707.html [10] HERSENT, J.-F. [en ligne] Nicole Robine, Lire des livres en France des années 1930 à 2000. [consulté le 5 août 2006]. Disponible sur : http://bbf.enssib.fr/sdx/BBF/frontoffice/2000/05/document.xsp?id=bbf-2000-05-0150-012/2000/05/fam-c ritique/critique&statutMaitre=non&statutFils=non