Le livre audio, nouveau relais de croissance de l’édition Sur un marché dominé par Hachette, de nouveaux acteurs, comme la Fnac ou Editis, vont se lancer Nicole Vulser - Cahier du Monde No.22762 - 18 mars 2018, p.8 A l’instar des Etats-Unis, de l’Allemagne, de la Suède ou de la Grande-Bretagne, un soudain tropisme se fait jour pour le livre audio en France. De nouveaux acteurs (comme la Fnac ou Editis) s’apprêtent à se lancer sur un marché dominé par Hachette (Audiolib). Gallimard et Amazon (Audible) sont déjà bien implantés et tant Apple (iTunes) que Google (Google Play Livres Audio) essaient de s’y faire une place. Une effervescence rare dans le domaine morose de l’édition – dont les ventes ont légèrement baissé de 1,2 % l’an dernier à 4 milliards d’euros selon l’institut GFK – qui tient au fait que ce micromarché semble très porteur, grâce à l’engouement pour les téléchargements numériques. Au niveau mondial, l’association des éditeurs audio l’estime à 2,1 milliards de dollars (1,7 milliard d’euros), en hausse de 18,2 % par rapport à 2016. Selon Valérie Lévy- Soussan, PDG d’Audiolib, « dans le numérique, le marché français connaît une croissance à deux chiffres. Nos volumes globaux ont progressé de 50 % entre 2014 et 2017, grâce aux téléchargements de livres, qui ont été multipliés par 2,8, tandis que les ventes de CD se maintiennent ». Pendant longtemps, les Français ont considéré que ces livres étaient réservés aux non-voyants, ou à ceux qui n’aimaient pas ouvrir un ouvrage. Mais ces préjugés tendent à disparaître doucement, et le marché reste à conquérir. Le nombre de titres enregistrés augmente, ce qui permet d’écouter Du côté de chez Swann, de Proust, lu par André Dussollier (Audible), ou La Chambre claire de Roland Barthes, récitée par Daniel Mesguich (Audiolib), tout en faisant du vélo, de la course à pied ou en restant calé dans un canapé. « La voix est essentielle » Les Editions des femmes-Antoinette Fouque avaient lancé la première collection en France de « livres parlants » lus par des comédiennes, dès 1980, avant que les Éditions Thélème ne s’y mettent et que Gallimard ne commercialise en 2005 sa collection « Ecoutez lire ». Trois ans plus tard, Hachette a racheté à France Loisirs une structure qui allait devenir Audiolib, encore codétenue à 40 % par Albin Michel. « Nous travaillons avec tous les éditeurs », explique Valérie Lévy- Soussan, qui sort une centaine de nouveautés par an. En équilibrant ses choix entre les livres plus exigeants, les polars, le grand public. Pour ses 10 ans, l’entreprise va enregistrer les trois volumes du Seigneur des anneaux, l’œuvre culte de J.R.R. Tolkien, lue par Thierry Janssen. « Si un livre est vendu en papier à 3 500 exemplaires, il le sera en audio à 35 » prévient la patronne d’Audiolib, en regrettant qu’il existe encore un plafond de verre pour un livre audio, à 40 000 exemplaires. Chez son concurrent Audible, le top 3 des meilleures ventes réalisées en France en 2017 est composé de Ta deuxième vie commence quand tu comprends que tu n’en n’a qu’une de Raphaëlle Giordano, Sapiens : une brève histoire de l’humanité de Yuval Noah Harari et Tout le monde n’a pas eu la chance de rater ses études d’Olivier Roland. Pour Constanze Stypula, directrice générale France d’Audible, « la question de la voix est essentielle. Nos clients préfèrent des voix masculines qui ne surjouent pas ». Chez tous ces éditeurs, qui utilisent des studios d’enregistrement, « on compte des acteurs et des voix stars », souligne Mme Stypula. « La plupart du temps nous faisons appel à des comédiens, mais parfois, les auteurs lisent eux-mêmes leurs romans. C’est le cas de Jean Echenoz ou de Pierre Lemaître », raconte Valérie Lévy- Soussan. « Ce n’était pas évident pour les 14 heures des Couleurs de l’incendie. Pierre Lemaitre s’est exercé en lisant intégralement Guerre et Paix à sa femme… et les tests se sont avérés concluants », ajoute-t-elle. Pierre Conte, le directeur général d’Editis, avait annoncé en janvier sa volonté d’investir avant l’été le marché du livre audio, sous la marque Lizzie, en consacrant 2 millions d’euros à ce projet. « Les délais seront tenus : nous pensons lancer Lizzie le 7 juin. La première année, 200 titres seront accessibles chez Amazon et Kobo, puis sur les autres plates-formes », explique Marie-Christine Conchon, présidente d’Univers Poche, chargée de la nouvelle marque. Son objectif consiste à atteindre 500 à 600 titres d’ici à trois ans. Pour se faire une place, elle compte « proposer des livres audio à un prix équivalent à celui du livre papier ». Casser les prix, donc. En espérant réaliser 2 millions d’euros de chiffre d’affaires pour atteindre l’équilibre financier en juin 2019. Rakuten Kobo, diffusée par la Fnac, devrait proposer des ventes à l’unité et lancer plusieurs formules d’abonnement, à l’instar de ce qu’elle commercialise déjà dans les pays anglo-saxons. L’offre la moins élevée coûte 10 dollars (soit 8,10 euros) par mois et donne accès à un livre audio chaque mois. D’autres forfaits annuels sont à l’étude pour les plus accros. Le livre audio servira-t-il aussi d’alibi culturel en France pour les vendeurs d’enceintes connectées comme Google – qui vend déjà des livres audio dans 45 pays – et, bientôt, Amazon ou Apple ? Sans aucun doute. « La voix et l’audio ont un nouveau rôle à jouer dans l’ère numérique », assure Mme Stypula. « En langue anglaise, il est déjà possible de faire une requête à l’assistant Google pour aller au chapitre suivant, demander le nom de l’auteur ou lancer un minuteur pour arrêter la lecture », souligne Florian Pagès, responsable des partenariats Google Play Livres et Livres audio en France. Jusqu’à cinq personnes d’une même famille peuvent profiter (pas encore en France) de l’achat d’un même livre audio en numérique. La direction du groupe américain n’omettant jamais ses intérêts, même le moyen de paiement sur Google Play pourra être partagé.