La baguette de pain rêve d’un classement par l’Unesco Les boulangers français veulent faire reconnaître leur savoir-faire et le caractère emblématique de ce « trésor national ». STÉPHANE KOVACS – LE FIGARO – Mardi 23 avril 2019 PATRIMOINE Juste un peu de farine, de l’eau, du sel et de la levure. Mais, surtout, énormément de savoir-faire ! « Un pétrissage lent, un façonnage à la main, une très longue fermentation et une cuisson dans un four à sole », énumère Dominique Anract, président de la Confédération nationale de la boulangerie-pâtisserie française (CNBPF). Voilà les secrets de la baguette de tradition française, « un produit exceptionnel qui fait partie de notre patrimoine, poursuit-il, un mets ancestral qui touche tellement le cœur des foyers que nous souhaitons mettre ce trésor national à l’honneur ». Après l’inscription, en novembre 2018, des « savoir-faire artisanaux et (de) la culture de la baguette de pain » à l’Inventaire national du Patrimoine culturel immatériel (PCI), les boulangers comptent bien désormais obtenir une reconnaissance mondiale par l’Unesco. « C’est au tout début du XXe siècle que l’un des pains longs prit le nom de “baguette”, rappelle Loïc Bienassis, historien et membre du comité scientifique de cette candidature à l’inscription au Patrimoine culturel de l’humanité. Le terme devient banal à Paris entre les deux guerres mondiales, pour se généraliser partout en France, même dans les campagnes, à partir des années 1960, supplantant les gros pains rustiques. » L’étymologie du mot “copain” Durant l’été 1954, le grand romancier américain John Steinbeck tient une chronique littéraire, « One American in Paris », au Figaro : « L’air est plein de l’odeur du pain fraîchement défourné et je vois les ménagères qui se hâtent de rapporter à la maison la longue baguette serrée sous leur châle », décrit-il. « Finalement, la baguette a été reconnue comme emblème par les étrangers avant de l’être par les Français, constate l’historien. Aujourd’hui, les supporteurs français brandissent régulièrement des baguettes dans les stades… Chacun se reconnaît dans la baguette, car elle revêt une véritable dimension identitaire, une identité bon enfant. » En France, 33 000 artisans boulangers vendent quelque 32 millions de baguettes chaque jour, dont plus d’un million à Paris. « Elle symbolise le partage et le don : c’est d’ailleurs l’étymologie du mot “copain”, qui signifie celui avec lequel on partage le pain, explique le sociologue de l’alimentation Éric Birlouez. Dans un pays qui “s’archipellise”, selon le politologue Jérôme Fourquet*, l’acte d’achat du pain est lui aussi un facteur de lien social : 85 % des ménages l’effectuent prioritairement au sein d’une boulangerie de leur quartier ou village. Et lors de ce rituel quotidien, on y croise ses voisins, on y dépose à l’occasion une petite annonce… » Secrétaire d’État auprès du ministre de l’Économie et des Finances, Agnès Pannier-Runacher abonde dans le même sens : « Le pain, assure-t-elle, a un rôle majeur à jouer dans la revitalisation des territoires et des centres bourgs, où il constitue un élément fondateur de convivialité intergénérationnelle. » Avec la concurrence des céréales au petit déjeuner des enfants, des hamburgers à la pause déjeuner, la consommation de baguettes est en forte baisse depuis soixante-dix ans. Les Français n’en mangent plus que 94 grammes par jour en moyenne, soit près d’une demi-baguette. La mondialisation, la mécanisation, l’automatisation… autant de menaces sur ce « trésor envié dans le monde entier », craignent les boulangers. En 2010, l’Unesco avait classé le repas gastronomique des Français au Patrimoine culturel immatériel de l’humanité. Alors pourquoi pas le pain, qui l’accompagne nécessairement ? se demandent- ils. Ils ont en tout cas le soutien du président de la République. « Je connais nos boulangers, ils ont vu que les Napolitains avaient réussi à classer leur pizza au patrimoine mondial de l’Unesco, lançait Emmanuel Macron en janvier 2018 devant quelques artisans à l’Élysée. Donc ils se disent “Pourquoi pas la baguette ?”, et ils ont raison ! » La première étape - nationale - étant remplie, les boulangers peaufinent désormais leur dossier pour l’Unesco. « Il faut effectuer une enquête sociologique sur les habitudes de consommation, détaille Loïc Bienassis, présenter des mesures de sauvegarde, pour montrer comment pérenniser ce savoir-faire. Ensuite, cela passera entre les mains du ministère de la Culture, qui devra faire un choix parmi les dossiers. » Car le métier de bouquiniste et les bistrots et terrasses de Paris sont également sur les rangs… La France, ne pourra garder qu’une candidature nationale pour la prochaine session, dans moins de deux ans. * Auteur de « L’Archipel français », Éditions du Seuil.