LES CHANSONS DE GESTE LA CHANSON DE ROLAND Ganelon, le baron félon CXXXIV^2 Le comte Roland, avec peine et souffrance, A grande douleur sonne son olifant^3. Par la bouche, le sang clair jaillit. La tempe de son cerveau éclate. La portée ^4 du cor qu'il tient est tres grande ; Charles^5 qui passe les ports, l'entend. Le duc Naimes le perçoit, les Français l'écoutent. Le roi dit: >> J'entends le cor de Roland ! Jamais il ne l'eut sonné, s'il n'eut été a combattre. << 10 Ganelon répond : >> Il n'y a aucune bataille ! Vous etes vieux, votre tete est fleurie et blanche ^6 Par de telles paroles vous ressemblez `a un enfant. Vous connaissez bien le grand orgueil de Roland ; Il est surprenant que Dieu le tolere si longtemps. Il a déjá pris Noples^7 sans votre commandement. Les Sarrasins assiégés firent une sortie Et se battirent contre le bon vassal Roland ; Et lui, avec les eaux courantes, il lava ensuite les prés du sang répandu ; Il agit ainsi pour qu'il n'y parut pas. Ne fut-ce que pour un lievre, il sonne le cor toute la journée. Il est maintenant `a plaisanter devant ses pairs^8 Sous le ciel, il n'y a personne qui osât l'attaquer au combat. Chevauchez donc ! Pourquoi vous arretez-vous ? La Terre des Aieux est bien loin devant nous. << La Chanson de Roland (vers 1766 `a 1784) LA CHANSON DE ROLAND La mort de Roland CLXXIV Roland sent que la mort le prend tout entier, Qu'elle lui descend de la tete sur le coeur. Il est allé en courant sous un pin, Il s'est couché sur l'herbe verte, face contre terre^1, Il met sous lui son épée et son olifant, Il tourne la tete du côté de la gent paienne^2 ; Il a fait cela parce qu'il veut véritablement Que Charles et tous les siens disent Qu'il est mort en vainqueur, le noble comte. Il proclame ses fautes, se frappant la poitrine `a petits coups répétés, pour ses péchés il tend vers Dieu son gant^3. CLXXV Roland sent que son temps est fini. Il est sur un sommet aigu, le visage tourné vers l'Espagne, D'une main il se frappe la poitrine : >> Dieu, mea culpa `a ta miséricorde, Pour mes péchés les grands et les petits, Que j'ai commis depuis l'heure de ma naissance Jusqu'`a ce jour ou je suis ici frappé `a mort ! << Il a tendu vers Dieu son gant droit. Les anges du ciel descendent vers lui. Chanson de Roland (vers 2355 `a 2374)