DOCUMENT X.c.
                              
         Charte d'affranchissement du servage (1248)
   
   >>   A  tous  ceux  qui  ces  présentes  lettres  verront,
Guillaume,  abbé  de Saint-Denis en France,  et  le  couvent
dudit  lieu, salut dans le Seigneur. Nous faisons savoir  ce
qui  suit. Ayant égard au danger que couraient les  âmes  de
certains de nos hommes de corps, tant par suite des mariages
par  eux contractés que des excommunications qui liaient  et
pourraient lier ŕ l'avenir beaucoup d'entre eux (...)  Ayant
en  outre  pris  le  conseil  de  bonnes  gens,  nous  avons
affranchi et affranchissons, par piété, nos hommes de  corps
des   villages  de  la  Garenne,  soit  de  Villeneuve,   de
Gennevilliers, d'Asničres, de Colombes, de Courbevoie et  de
Puteaux, manants dans ces villages au temps de la concession
de cette liberté, avec leurs femmes et leurs héritiers issus
ou  ŕ  issir ŕ l'avenir de leur propre corps. Nous les avons
délivrés  ŕ  perpétuité de toutes les charges  de  servitude
auxquelles  ils  étaient tenus auparavant,  c'est-ŕ-dire  du
formariage,  du chevage, de la mainmorte et  de  tout  autre
genre  de servitude de quelque nom qu'on la nomme,  et  nous
les  donnons ŕ la liberté. Cependant nous ne les tenons  pas
quittes  du  respect et des autres devoirs  qu'ŕ  raison  du
patronat le droit exige des affranchis envers les auteurs de
l'affranchissement  (...)  Nous  gardons   aussi   sur   les
individus des deux sexes la justice de toute sorte que  nous
avons sur nos autres hommes affranchis ou libres (...)
   >>  On saura enfin que lesdits hommes ont donné pour cette
liberté  ŕ  nous et ŕ notre église mille sept  cents  livres
parisis pour acheter ŕ notre église des revenus.
   >>  En  témoignage de quoi, et pour la mémoire  des  temps
futurs, nous avons remis ŕ ces męmes hommes et ŕ leurs hoirs
le présent parchemin confirmé par la force de nos sceaux.
   >> Fait l'an du Seigneur 1248 au mois de novembre. <<
   
               Trad. M. Bloch, in G. Duby, L'Économie rurale
           et la Vie des campagnes dans l'Occident médiéval,
                            Paris, Aubier, 1962, p. 747-748.
   
   Ce document est une charte provenant de l'abbaye de Saint-
Denis.  Les  chartes constituent, ŕ côté des  chroniques  et
autres textes narratifs, l'essentiel des sources médiévales.
Mes  obéissent dans leur composition ŕ des rčgles immuables,
avec  au  début  une  invocation  pieuse  et  un  salut  aux
destinataires, suivis d'un exposé des motifs. Vient  ensuite
la  partie  principale de l'acte, le dispositif. La  charte,
qui  est authentifiée par un sceau, se termine ici avec  les
éléments  de datation. Nous n'en avons pas l'original,  mais
une copie du 13e sičcle, donc trčs proche, conservée ŕ Paris
aux  Archives nationales (LL1157, fol. 493). Cet acte  donne
une  description  précise des charges  qui  pčsent  sur  les
serfs,  appelés hommes de corps ou manants, dépendant  d'une
grande  abbaye : formariage, chevage, mainmorte.  Il  décrit
aussi  certaines  conséquences de cet état de  dépendance  :
l'interdiction de se marier hors du groupe des  serfs,  sous
peine d'excommunication. Au sujet de l'affranchissement lui-
męme,  on  peut  faire deux constatations : d'une  part,  la
liberté  accordée n'est pas totale et les affranchis restent
ŕ  beaucoup d'égards sous la tutelle du seigneur  ;  d'autre
part,  cette liberté est achetée trčs cher, ce  qui  est  un
indice de l'enrichissement de la paysannerie.