La peinture belge Introduction[1] C'est sans doute la peinture qui a le plus contribué au rayonnement culturel international de la Belgique. En effet, peu de pays peuvent s'enorgueillir de rassembler, dans une meme catégorie, cinq génies sur une période de six siecles. Jan Van Eyck, Pierre Bruegel, Pierre-Paul Rubens, James Ensor, René Magritte illuminent chacun `a leur maniere les XVeme, XVIeme, XVIIeme, XIXeme et XXeme siecles. Et cette énumération ne retient vraiment que les noms des novateurs incontestés et reconnus `a l'étranger. On pourrait faire remarquer que le XVIIIeme siecle est absent. Disons que s'il n'y a pas eu émergence d'un nom parmi les autres, il n'y a pas pour autant baisse de qualité. La pratique demeure excellente. Cette qualité constante s'appuie sur un savoir-faire dont les racines se trouvent dans les corporations et leurs exigences strictes. Si ce systeme entraîna parfois quelques révoltes — la peinture ne devant pas etre considérée comme un métier mais comme un art libéré des guildes —, les artistes issus de nos territoires ont bien compris que l'on n'innove vraiment que lorsque l'on maîtrise parfaitement la technique. Dans le contexte de la peinture, le qualificatif belge doit etre entendu au sens le plus large du terme. Sans remonter `a César, Philippe le Bon n'était-il pas pour Juste-Lipse le conditor belgii et Jan Van Eyck l'auteur d'une œuvre qu'il a peinte pour Philippe le prince des Belges[2]. Il faut également se méfier de l'appellation flamand. Il fut un temps ou la qualification de peinture flamande couvrait les productions allant de Bois-le-Duc `a Arras, de Lille `a Maetrischt, de Dinant `a Middelbourg et non seulement celles d'artistes provenant des anciens Pays-Bas méridionaux mais également celle d'un Hans Memling (Allemand), de Dieric Bouts (Hollandais),… Mais ce vocable a acquis depuis pres de cent ans une valeur plus restrictive parce que dotée d'une connotation nationaliste. Or, il s'agissait d'une forme de sensibilité et d'un style et non de l'expression d'un sol ou d'une quelconque pratique linguistique, cette derniere n'ayant avec l'élan créateur que de lointaines connexions. On considere souvent que la peinture belge commence `a la période florissante des primitifs flamands au XVeme siecle. Pourtant, des le XIVeme siecle, le pays se fait déj`a remarquer par ses enlumineurs. L'œuvre de Jan Van Eyck et de ses contemporains a libéré la peinture belge du style gothique international. C'est le début de la période florissante des primitifs flamands. Cette école se caractérise par l'utilisation de la perspective produite par des effets de lumiere et d'ombre, les détails réalistes et les couleurs vivantes de la peinture `a l'huile. L'œuvre de Quentin Metsys annonce le passage `a la renaissance. Au cours de cette période, de nombreux peintres belges effectuent des voyages d'étude `a l'étranger, surtout en Italie, ou la renaissance était déj`a en plein essor. Pierre Bruegel l'Ancien est un peintre unique. Son oeuvre est dominée par le folklore paysan, ainsi que par des scenes satyriques et moralisatrices Le XVIIeme siecle est une deuxieme période florissante. Pierre Paul Rubens, peintre et diplomate, dépasse de loin tous les autres. Il associe de maniere unique le réalisme flamand et l'élégance italienne. Antoine Van Dyck est un autre grand maître, un spécialiste des portraits aristocratiques. Au XIXeme siecle, la peinture belge se libere de l'influence du classicisme français. Différents styles et écoles apparaissent. Cette diversité se poursuit au XXeme siecle, lorsque des peintres tels que James Ensor et René Magritte attirent l'attention sur le plan international. La seconde moitié du XXeme siecle se caractérise par la fusion de la peinture et de la sculpture en un art plastique plus large. Des artistes tels que Panamarenko, Pierre Alechinsky et Marcel Broodthaers en sont des représentants célebres. I. XIVeme-XVeme siecle : l'enluminure Si, `a cette époque, s'affirment avant tout dans nos régions les œuvres des Primitifs flamands, l'enluminure (c'est-`a-dire la peinture des livres) n'en connaît pas moins une période florissante. Au cours de la deuxieme moitié du XIVeme siecle, se développe un style de cour, appelé également "style gothique international" inspiré de l’esprit courtois. Ce style se caractérise § par la douceur et l'élégance des formes § par le raffinement des gestes et des attitudes Il va se diffuser via les cours françaises qui attirent de nombreux artistes étrangers venus des provinces du Nord. Ces artistes vont influencer la miniature française et créer un style que l'on pourrait qualifier de franco-flamand Cfr les freres de Limbourg qui travaillent pour le duc de Berry Si la France incarne jusqu'`a l'aube du XVeme siecle un foyer de création artistique, des les années 1420-1425, l'essentiel de la création est assuré par les Pays-Bas méridionaux ou s'impose un style d'enluminure tourné vers une recherche de réalisme, voire de naturalisme (courant nommé "pré-eyckien"). Il se définit par : § une recherche de vérité dans le rendu des personnages et des scenes illustrées § une transformation de la représentation humaine : o silhouettes élancées > trapues o moins de raffinement o plus d'authenticité Le réel essor de l'enluminure dans les Pays-Bas méridionaux se fera surtout dans la deuxieme partie du regne de Philippe le Bon (des 1445). Les ateliers d'Audenarde, de Mons, de Valenciennes, de Bruges, de Gand connaissent un développement sans précédent. Ils deviennent des centres actifs dans la production mais également dans la vente des manuscrits et des miniatures. De nombreux artistes étrangers s'installent alors dans les villes flamandes pour profiter d'un mécénat prospere intéressé par les commandes de luxe. Cfr enluminures des Chroniques de Hainaut : travail peu novateur mais révélateur de la production de l'époque. La miniature frontispice[3] du premier volume des Chroniques de Hainaut, longtemps attribuée `a Rogier Van der Weyden, illustre l'attention que le duc accordait aux livres illuminés. En 1467, il legue `a son fils Charles le Téméraire 900 livres `a son fils… II. Le XVeme siecle : Primitifs flamands Introduction La peinture sur chevalet se substitue ensuite peu `a peu `a la miniature. Elle est illustrée par les écoles de Primitifs flamands, appellation étrange, car leur art, loin d’etre « primitif », est l’aboutissement de l’évolution esthétique du Moyen Âge. Par ailleurs, tres peu d’entre eux sont véritablement flamands : § Jan Van Eyck est originaire de la principauté de Liege, ou il a travaillé longtemps avant d’aller s’installer `a Bruges, § Rogier de le Pasture est Tournaisien, et ce n’est que lorsqu’il s’installe `a Bruxelles qu’il flamandise son nom, pour en faire « Van der Weyden ». § quant `a Hans Memling, il est allemand et œuvre longtemps `a Cologne avant de se fixer `a Bruges § seul Hugo Van der Goes est Gantois. Les critiques d’art distinguent des nuances « fluviales » entre ces grands maîtres : les Mosans (< Meuse) Van Eyck aiment la vie, la nature, les joies simples, tandis que les Scaldiens (< Escaut) de la Pasture et Van der Goes sont tous les deux sensibles au tragique de l’existence humaine. Le Gantois introduit notamment la misere rurale de son temps dans ses toiles. Contexte culturel La peinture des Pays-Bas méridionaux va connaître au XVeme siecle un moment d'équilibre entre la conception de l'art du Moyen Âge et celle de la Renaissance. En Italie, des le début du XVeme siecle, les dernieres traces du gothique s'estompaient. Les artistes réalisent alors un nouvel idéal artistique : celui de la Renaissance. Un style nouveau naît de : § l'optimisme humaniste § la confiance dans les méthodes de la raison L'artiste renaissant devait avant tout représenter le monde extérieur et donner la primauté `a l'homme, d'ou : § approfondissement de l'étude de l'anatomie § approfondissement de la connaissance de la perspective `a point central (la plus proche de la vision de l'œil humain) § épanouissement d'un certain naturalisme (en peinture comme en sculpture) Dans les Pays-Bas méridionaux, si la production est encore largement soutenue par les milieux de Cour et l'Eglise, les Villes et la bourgeoisie commencent elles aussi passer commande. Sous l'influence de cette nouvelle clientele, se confirme la tendance `a privilégier l'homme et la représentation du monde naturel. L'iconographie Les vastes programmes iconographiques sculptés dans la pierre des cathédrales du Moyen Âge disparaissent. Des la fin du XVeme siecle, des retables succede aux tympans et aux chapiteaux pour exposer aux fideles les Écritures. De proportions imposantes, le retable se présente soit sous forme d'un panneau simple soit sous forme d'un triptyque ou d'un polyptyque comme le polyptyque de L'Agneau mystique (1432) peint par les freres Van Eyck. Pour leurs tableaux `a sujet religieux, les Primitifs flamands s'appuyaient notamment sur l'Ancien et le Nouveau Testament mais également sur les Évangiles apocryphes, c'est-`a-dire non reconnus aujourd'hui comme ayant écrit sous l'inspiration de Dieu, ainsi que des légendes que l'Église avait alors tolérées sans vraiment les reconnaître, comme par exemple La Légende dorée de Jacques de Voragine (XIIIeme s.)[4]. Mais les Primitifs flamands ne se limiterent pas aux sujets religieux : § sujets profanes : il nous en reste peu en dehors de ceux de Jérôme Bosch (les textes nous renseignent `a ce sujet) § les tableaux de justice : but moralisateur car, placé dans les tribunaux, ils étaient l`a pour rappeler aux juges leur devoir. § le portrait : "la plus étonnante conquete des Primitifs flamands". La volonté de rendre un visage en s'attachant aux traits vus de profil apparaît au siecle précédent mais Van Eyck et le Maître de Flémalle vont lui donner ses lettres de noblesse en présentant le modele De trois-quarts (avec effets d'ombre et de lumiere) § l'étude psychologique des portraits sera approfondie par Van der Weyden, Hans Memling Le style et la technique, révolution esthétique Le réalisme dans le rendu des formes et des matieres va etre une constante chez les Primitifs flamands. Jan Van Eyck analyse le moindre détail de la nature : il exécute un véritable travail d'orfevre, alliant `a un grand-savoir faire une sensibilité rare et un don d'observation hors du commun. Ses portraits sont de scrupuleuses descriptions de l'anatomie des modeles : éclairés par les effets de la lumiere oblique, les visages acquierent une présence extraordinaire. Pour rendre de façon si réaliste les effets de la lumiere, les Primitifs flamands vont devoir mettre au point de nouvelles techniques. L'utilisation de l'huile dans la tradition picturale remonte loin dans l'histoire de la peinture médiévale. Dans les années 1420, Jan Van Eyck va mener cette technique `a sa perfection grâce `a l'utilisation des glacis : grâce `a cette innovation, ils obtiendront des résultats spectaculaires dans le rendu des couleurs et des textures (éclat et brillance). Jusque l`a, les peintres mélangeaient leurs pigments (poudre fine provenant d'une substance minérale broyée) avec un liant `a base de jaune d'œuf pour obtenir une pâte qu'ils délayaient ensuite avec de l'eau. Cette technique, dite "a tempera" ou `a la détrempe, présente l'inconvénient de sécher rapidement et donc ne permet pas les retouches. En outre, ce médium `a composante organique est sensible `a l'humidité, laquelle est favorable au développement de micro-organismes qui peuvent gravement endommager l'œuvre. De l`a, les recherches en vue de trouver un liant inerte (non-organique) plus efficace. Depuis des siecles, on recourait `a des huiles essentielles (un traité du XIIeme siecle attribué au moine Théophile en fait mention), mais son usage était limité par le fait qu'au contact de l'air, l'huile a tendance `a durcir. C'est Jan Van Eyck (1390-1441) qui trouve la recette idéale en ajoutant de l'essence de térébenthine aux pigments liés `a l'huile de lin, ce qui permet le séchage par évaporation. La peinture `a l'huile autorise la superposition de fines couches transparentes de couleur (les glacis) qui permettent d'obtenir § des effets de lumiere et d'ombre d'une grande subtilité § une grande richesse dans les teintes § le peintre peut ainsi faire ressortir les plus infimes détails dans le rendu des textures et des formes conférant ainsi `a l'oeuvre une grande uniformité et une grande sensualité. Robert Campin, dit le maître de Flémalle (1378-1444) Entre 1375 et 1378, Robert Campin naît en Hainaut `a Valenciennes. De l`a, il va s'établir dans la ville toute proche de Tournai, ou on le retrouve, de 1405 `a 1439, comme décorateur, peintre, expert de travaux de sculpture et de peinture, ordonnateur et dessinateur de patron de tapisserie. En 1423, il est le chef des corporations de peintres de Tournai. Son atelier compte de nombreux apprentis dont certains vont devenir des maîtres, comme Roger de le Pasture (Roger Van der Weyden). L'érudition contemporaine a pu établir que Robert Campin était bien l'artiste des tableaux que l'on attribue `a un peintre dénommé "le Maître de Flémalle". Dans cette localité, située en aval de Huy, sur la rive gauche de la Meuse, existait une commanderie des Templiers pour l'église de laquelle Robert Campin a fort bien pu exécuter trois de ses oeuvres les plus représentatives : la Sainte Véronique, le Mauvais larron et la Vierge `a l'Enfant du musée Städel de Francfort. En outre, le paysage de la Nativité du musée de Dijon, dont il est l'auteur sensible et inspiré, représente vraisemblablement Huy dans sa réalité urbaine et son environnement rural. On a pu dire `a son propos que, dans cette oeuvre, l'artiste nous avait offert une synthese des composantes du visage de la Wallonie ou tout semble mesure et douceur. Quant `a la ville elle-meme, André Joris, le meilleur conservateur de la cité mosane au Moyen Age, a pu, apres l'archiviste flamand Gaston van Camp, en identifier les éléments topographiques et architecturaux, la collégiale Notre-Dame munie alors de sa haute fleche, l'enceinte urbaine, quelques monuments. En 1205, le grand orfevre Nicolas de Verdun avait fait pénétrer `a Tournai les formules de l'art de la Meuse moyenne. Quoi d'étonnant que le Tournaisien Campin, `a quelques siecles de distance, se soit souvenu et inspiré d'un style décoratif venu d'une région qu'il devait bien connaître ? Mais le maître de Flémalle est également attentif aux caractéristiques de l'école tournaisienne de sculpture : § accent sur la monumentalité § accent sur la sculpturalité, § accent sur la méditation, § sans méconnaître, toutefois, la saveur anecdotique de certaines scenes. § le caractere sculptural du style de Campin s'accompagne d'un intimisme savoureux. Illustration : L’Adoration des Bergers Le sujet de ce tableau de chevalet est religieux, et nous remarquons une fois encore toute l’importance accordée `a la Vierge. Nous avons un cadre gothique ; cela confirme les avancées de la peinture française. Nous avons un espace tres développé qui embrasse un large panorama et va jusqu’`a l’horizon. Cette peinture cherche un certain réalisme ; elle est minutieuse et détaillée. L’étable n’est pas tres accueillante mais elle nous permet d’observer les techniques de construction : torchis, éléments de fixation des planches de l’étable,… Et cela n’a rien `a voir avec le message religieux. Quant `a l’enfant Jésus, il faut vraiment chercher pour le trouver… Notons le foisonnement de draperies aux pieds de la Vierge. On peut y remarquer les restrictions imposées par la peinture : - la présence de phylacteres se déroulant au- dessus des tetes des personnages qui doivent les dire (cela ne correspond `a rien dans la nature). - du point de vue de la scene, nous avons une vue surélevée de la scene ; la perspective cavaliere permet de déployer l’espace. - le point de vue religieux est un point de vue plus collectif que le profane. Jan Van Eyck (1390-1441) Jan Van Eyck fut le principal représentant des primitifs flamands. Les caractéristiques fondamentales du style de Van Eyck sont : § la reproduction d'espaces en trois dimensions grâce `a la perspective aérienne, § la plasticité des formes § la représentation réaliste des personnes et de leur proche entourage § le perfectionnement de la technique de la peinture `a l’huile[5] — on a d’ailleurs longtemps cru qu’il avait inventé la peinture `a l’huile — qui permet de rendre la luminosité des couleurs, par exemple le brillant des étoffes § le naturalisme de ses compositions[6]. Illustration : L'homme au turban Toutes ces caractéristiques sont bien illustrées dans le célebre polyptyque de vingt volets, l'Adoration de l'Agneau mystique, qui est exposé `a l'Eglise Saint-Bavon de Gand. Ce polyptyque comporte une inscription selon laquelle cette oeuvre aurait été commencée par Hubert Van Eyck pour etre achevée par son frere Jan en 1432. Elle a donné lieu `a de nombreuses disputes et cette énigme qui n'est toujours pas résolue. Dans l'Adoration de l'Agneau mystique, Jan Van Eyck présente les personnages d'Adam et Eve comme deux nus réalistes (`a ce que l'on sait, les premiers dans la peinture flamande). Les personnages des commanditaires sont représentés par deux portraits réalistes. La lumiere splendide et la profondeur du paysage `a l'arriere plan sont des caractéristiques permettant de reconnaître l'authenticité de Van Eyck. Le polyptyque ouvert se compose de deux registres se trouvant l'un au-dessus de l'autre. L'Adoration de l'Agneau mystique est le panneau central du registre inférieur. De gauche `a droite, les volets représentent : les juges integres (ce panneau fut volé en 1934 et remplacé par une copie), les chevaliers du Christ, les ermites et les pelerins. Au registre supérieur trône le Christ entre la Ste Vierge et St Jean-Baptiste. Aux extrémités se trouvent Adam, `a gauche, et Eve, `a droite, tous deux flanqués de chœurs d'anges. Le polyptyque fermé présente notamment l'annonciation et les portraits des donateurs. L'Agneau mystique est considéré comme le début de la peinture flamande. Il se distingue par une conception monumentale et une harmonie des couleurs inégalée. D'autres grands moments de l'œuvre de Van Eyck sont La Vierge au chancelier Rolin (v. 1436, Louvre) et La Vierge au chanoine Van der Paele (1436, Musée Groeninge, Bruges). Thimothée (1432, Londres, National Gallery), L'Homme au turban (1433), Le portrait de Marguerite Van Eyck, l'épouse du peintre (1439) et les Arnolfini font partie des portraits les plus suggestifs, qui ont inspiré les meilleurs portraitistes du XVeme siecle. Illustration : Les époux Arnolfini Ce tableau est un portrait d’un couple dont le mari est un riche commerçant italien installé `a Bruges. Van Eyck est l’artiste gothique nordique qui a été le plus loin dans son souci du détail et de la crédibilité. A l’époque, nous avons toujours des mariages religieux mais ceux-ci ne sont pas toujours contrôlés. Les conditions de validité de mariage sont réduites `a quelques paroles, gestes et `a plusieurs témoins (ce sont donc des cérémonies « dépouillées »). Les gestes des mariés sont assez expressifs. Cependant, la main levée n’est pas tres naturelle. Pourquoi ? Car ce sont deux gestes successifs, deux gestes rituels du mariage qui nous sont montrés simultanément. Les témoins sont présentés indirectement au moyen d’une mise en abyme grâce au miroir situé derriere le couple. Au-dessus de ce miroir, il y a la signature du peintre en lettres gothiques (Van Eyck est l’un des rares artistes `a signer `a cette époque). Van Eyck était l`a et se présente comme un témoin (cfr miroir) : « fuit hic ». Ce tableau est témoignage du mariage ; il est la représentation de ce qui a été, et cela de maniere fidele. Nous pouvons donc bien dire que ce tableau reflete une réalité avec fidélité. Nous ne sommes plus dans le symbole mais la représentation : ce tableau reflete une réalité et ne symbolise pas un ordre supérieur (manifeste d’une nouvelle « éthique » de la peinture, il y a de nouveaux buts, de nouveaux messages `a délivrer). Le point de vue adopté est celui de quelqu’un qui assiste `a la scene. Nous devenons nous-memes témoins. Tandis que Van Eyck, lui, fait un travail atmosphérique : il joue sur les ombres. Il y a un passage insensible entre les éléments qui crée une homogénéité spatiale. Il crée une ambiance lumineuse pour lier une solidarité entre les éléments. Van Eyck va se rapprocher de l’expérience de la réalité que nous percevons. Seule la peinture `a l’huile pouvait permettre ce « flou » entre les éléments. L’huile translucide se rajoute au travail des ombres et de la lumiere. Il apporte un grand soin aux détails de la réalité (ex. : le pelage du chien). C’est une perspective linéaire, unitaire (elle correspond au point de vue d’un seul individu). Le caractere individualiste est accentué dans le fait que c’est un portrait. La signature du tableau atteste aussi l’affirmation de la singularité de l’individu. Dans ce tableau de Van Eyck, nous distinguons tout de meme certaines restrictions : § les gestes conventionnels du mariage qui font partie d’un rituel (pour nous ; ces gestes ne sont pas ceux d’un mariage). § la retranscription d’un code extérieur `a la peinture : o beaucoup de symboles dans ce tableau : le chien est le symbole de la fidélité ; une seule bougie dans un lustre signifie l’unité, l’humilité et la mortalité (car elle se consume) o il en va de meme pour la disposition des objets (l’homme est pres de la fenetre car il appartient au monde extérieur `a chaussures, alors que la femme est vouée `a rester `a l’intérieur : elle n’a que des pantoufles. Cela est significatif d’un ordre social. Cependant, pour que ces symboles semblent naturels (toujours dans un esprit de réalisme), Van Eyck crée une sorte de désordre (les pantoufles sont jetées comme au hasard ; le chien est hérissé face `a l’inconnu). Remarque : la mariée est enceinte, cela symbolise le fait que le mariage est avant tout destiné `a la procréation ; idée de fécondité. Roger de le Pasture ou Van der Weyden (1399/1400 – 1464) Quand on passe du maître de Flémalle `a Roger de la Pasture, on ne passe pas seulement d'un maître `a un disciple qui égale, et finalement dépasse son maître, mais d'un univers de formes et de pensées `a un autre univers, dominé par la rigueur du style et la profondeur de la conception. D'un monde paisible ou le temps s'écoule au rythme de la méditation individuelle, des travaux de la ville et des champs, nous voil`a transportés dans un au-del`a du tableau vibrant de tension dramatique et de tragédies humaines. Né `a Tournai en 1399 ou 1400, de parents tournaisiens, on retrouve Roger de la Pasture `a Bruxelles en 1435 tout en restant en contact avec sa ville natale. En 1450, année sainte, il séjourne `a Rome. Il meurt `a Bruxelles dont il est le peintre officiel , le 18 juin 1464. Aucune oeuvre de Rogier Van der Weyden n'est documentée, elles ne sont ni datées, ni signées. Son oeuvre a été reconstituée par les historiens de l'art. Les tentatives de la classer par ordre chronologique ou d'en esquisser une évolution stylistique sont purement hypothétiques. L'émotion forte et l'attendrissement sont deux caractéristiques typiques de sa peinture. Artiste gothique, il était imprégné de ses propres fautes et s'adressait au Rédempteur et `a la Vierge. Ses sujets préférés sont la Vierge et L'Enfant (sur bois), les scenes bouleversantes du calvaire du Christ et du jugement dernier. C'est un peintre d'une grande technique et en meme temps un profond observateur de l'âme humaine. D'entrée de jeu, il se débarrasse de tous ce qui pourrait apparaître détail ou narration anecdotique pour aller `a l'essentiel. Il voit la scene autant en sculpteur qu'en peintre : les figures se détachent en fort relief sur un fond neutre. Il met en page et en place les personnages qui participent `a l'action. Mais, surtout, il individualise les acteurs du drame par une expression gestuelle appropriée tout en les réunissant dans un meme sentiment de douleur silencieuse qui adoucit les corps et les âmes. Hans Memling (circa 1440 – 1494) : né en Allemagne, il fera carriere dans les territoires des Pays-Bas méridionaux, et plus particulierement `a Bruges. Héritier de Van der Weyden et des freres Van Eyck, précurseur de Bruegel, il incarne un juste milieu, une sorte de classicisme qui émeut par sa simplicité et sa finesse. Jérôme Bosch (circa 1450-1516) Jérôme Van Aken or Aken, dit Jérôme Bosch d’apres sa ville natale Bois-le-Duc [‘s-Hertogenbosch], est né vers 1450. Il a donné une nouvelle vision de la peinture. Son activité `a Bois-le-Duc est attestée de 1488 `a 1512 par plusieurs mentions dans les registres de la Confrérie de Notre-Dame. Seuls cinq de ses tableaux, et parmi eux La Tentation de Saint-Antoine et Le Jardin des Délices, sont signés "jheronimus bosch" mais aucun n'est daté. Dans un contexte religieux en plein changement, animé par le mouvement de l’humanisme bourgeois des XVeme et XVIeme siecles, Jérôme Bosch acquiert célébrité et respect de son vivant. Ses œuvres sont appréciées des membres du clergé et des personnages de haut rang qui les collectionnent, tels que Philippe le Beau, Marguerite d'Autriche, Philippe II. En effet, en 1516 et 1517, Bois-le-Duc fut frappé d’une terrible épidémie de peste, dont le peintre fut peut-etre victime. On sait en tout cas que Jérôme Bosch fut enterré le 9 aout 1516 dans son village natal, dans lequel il a travaillé toute sa vie, contrairement aux autres peintres flamands des XVeme-XVIeme siecles. Ce qui le différencie également de ses contemporains est qu’il ne représente pas les personnages par leurs traits physiques mais par leurs traits de caractere. Par ailleurs, l’œuvre de Jérôme Bosch est clairement moralisatrice. Comme au Moyen Âge, la majorité de la population étant analphabete, il fallait trouver une alternative `a l’écriture pour diffuser les valeurs et les idées de l’Eglise :l’art était une des solutions. Les images reprises de la culture populaire dans l’œuvre de Jérôme Bosch nous paraissent mystérieuses mais leur symbolique devait etre plus limpide `a l’époque. Ses tableaux furent fort appréciés et tres imités des la fin du XVIeme siecle, en raison d’un véritable renouveau boschien, qui se produisit `a Anvers durant les années 1550 et auquel participerent des artistes tels que Pieter Huys et Bruegel l’Ancien, dans d’infinies variations de ses compositions. Illustration : Le Jardin des délices terrestres Œuvre morale et didactique, Le Jardin des délices terrestres a pour objet la chute de l’Homme, selon une tradition iconographique établie au Moyen Âge : § sur le revers des volets, évocation de la création du monde, § sur les trois faces, représentation des perversions humaines. Sur le panneau de gauche, Bosch dépeint le Paradis ou se tiennent Eve et Adam. La fontaine de la Connaissance et l’arbre du Bien et du Mal annoncent la faute originelle. Les plaisirs représentés sur le panneau central, appelé le Jardin des délices terrestres, évoquent une humanité dépourvue de conscience morale. La fontaine de Jouvence et l’œuf, symbole de l’enfance, suggerent l’état originel, alors que le reste de la composition est consacré aux vices, annoncés par une armée d’hommes-poissons. Dans la partie médiane, § des cavaliers accompagnés d’animaux = les vices § entourent un bassin = la lascivité § dans lequel se baignent des femmes blanches et noires = la tentation Le registre inférieur représente le lac et le jardin de l’amour : § des couples s’y enlacent ou dévorent des fruits, symboles sexuels; § inconstance (la bulle de cristal craquelée, le papillon), § copulation (les coquilles de moules), § adultere et homosexualité, § mort et péché (le hibou et le martin-pecheur) sont évoqués. En bas `a droite, saint Jean-Baptiste annonce `a Eve la venue du Sauveur. Dans l’Enfer peint sur le panneau de droite, de sombres guerres poussent les condamnés vers leur châtiment. Une iconographie tres stricte sert, l`a encore, la dénonciation des péchés : § l’appât du gain signifié par la table de jeu renversée, § l’ivrognerie par la taverne représentée dans l’estomac d’un monstre § la luxure (le couple attaché `a une lyre et `a une cithare) § la perversion (un homme chevauchant une femme). III. XVIeme siecle : la renaissance Au XVIeme siecle, on va voir plusieurs changements s'opérer : § déclin des ateliers brugeois § développement d'autres centres : Anvers, Malines, Bruxelles, Liege § voyages en Italie et en France effectués par les maîtres de l'époque. § succession d'idéaux esthétiques différents (tradition des Primitifs, l'antique, Rome-Florence-Venise; styles personnels et originaux) § apparition de nouveaux genres : paysage, nature morte, le nu, sujets mythologiques Quentin Metsijs (Anvers) Il est le véritable fondateur de l'école d'Anvers, pionnier de la peinture de genre C'est en 1491 que Metsys est mentionné pour la premiere fois comme peintre, `a la guilde d'Anvers. Il aurait été formé dans l'entourage de Dieric Bouts (primitif flamand). Ses premieres œuvres certaines datent de 1509. Artiste apprécié de la riche et puissante bourgeoisie flamande, il reste longtemps fidele `a l'héritage de Van der Weyden et de Van Eyck. Il l'infléchit toutefois progressivement en donnant `a ses compositions un caractere plus lyrique et en usant de teintes moins éclatantes que ses prédécesseurs. Dans la premiere décennie du siecle, il reçoit plusieurs commandes de retables d'importance: le Retable de sainte Anne, achevé en 1509, et la Déploration du Christ, terminé en 1511 (pour la cathédrale d'Anvers). Les personnages qui occupent la premiere place montrent l'intéret croissant de Metsys pour le rendu psychologique, qui pourra friser le caricatural Ses teintes continuent de s'alléger jusqu'`a rendre une sorte d'éclat translucide. Il réalisa le meilleur de son œuvre avec ses fameux portraits de personnalités et de membres de la haute bourgeoisie flamande (Érasme, galerie Corsini, Rome; le Preteur et sa femme , 1514, Louvre, Paris). Illustration : Le preteur et sa femme (1514) La scene représente un couple dans un espace assez exigu, boutique ou arriere-boutique dotée d’un comptoir dont le bord clouté est exactement parallele au bord inférieur du tableau, et, sur le mur du fond, d’étageres aux objets multiples. Derriere le comptoir, l’homme, banquier ou changeur, ou peut-etre joaillier (comme l’indiquerait la présence de perles et de bagues sur le comptoir), installé devant un tas de pieces d’or, est absorbé par la pesée de l’une d’entre elles dans une fine balance qu’il tient de la main gauche ; la femme, suspendant le geste qui tourne la page d’un livre pieux enluminé, suit l’opération du regard. Influence de Van Eyck § Au premier plan, au milieu du comptoir, un petit miroir convexe dirigé vers le spectateur, `a la façon de Van Eyck dans le portrait des Époux Arnolfini (1434, National Gallery, Londres), renvoie l’image d’une fenetre donnant sur l’extérieur et d’un personnage (le peintre ?). § Il semble que ce type de composition `a deux personnages dérive d’un double portrait de Van Eyck — un marchand faisant des comptes avec son régisseur — aujourd’hui perdu. § La marque de la tradition du XVe siecle et de l’influence de Van Eyck est d’ailleurs sensible dans le style, qui garde une empreinte archaisante, comme dans les vetements, tres proches de ceux des portraits de Margarite Van Eyck (1439, musée de Bruges) et d’Arnolfini (vers 1440, musée de Berlin) peints par Van Eyck soixante-quinze ans plus tôt. Innovation § dans les harmonies délicates § l’éclairage diffus § dans l’esprit plus profane qui porte l’œuvre vers la scene de genre : personnages typés, dans une activité de travail précisément définie, avec outils et instruments appropriés exactement décrits, sans recherche d’idéalisation. § En meme temps, Metsys, imprégné de la sagesse humaniste d’Érasme, joue d’une symbolique qui confronte la balance et le livre de priere — l’avarice et le salut de l’âme — tout en interprétant la sentence biblique, « Que la balance soit juste et les poids égaux », jadis inscrite sur le cadre (disparu) du tableau. Pieter Breughel l'Ancien (1565-1569) Il semble que Pierre Breughel l'Ancien[7] soit venu de la ville de Breda (Brabant Septentrional), aujourd’hui aux Pays-Bas. On pense qu’il étudia avec Pieter Coeck `a Anvers, dont il épousa la fille. En 1551, il devint maître `a la guilde de Saint-Luc, la corporation des peintres d’Anvers, mais en 1553 il se fixa `a Bruxelles. Il entreprit un voyage en Italie de 1552 `a 1553, dont il rapporte un grand nombre de croquis (suite des Grands paysages). C’est l`a qu’il mourut en septembre 1569. Leurs deux enfants, Pieter, dit Bruegel le Jeune et Jan, dit Bruegel de Velours, devinrent des peintres de renom. On considere souvent l’art de Bruegel (ou Brueghel, ou Breughel) comme la phase ultime d’une longue tradition de peinture flamande, initiée par Jan Van Eyck au XVe siecle. Bruegel peignit : § des scenes idéalisées de la vie quotidienne, fruits d’une observation minutieuse de la paysannerie, § des épisodes de la Bible qu’il situa dans des paysages de l’Europe du Nord contemporaine. Il y a toujours beaucoup d'humour dans les peintures de Breughel. Cfr Karl van Mander, Het Schilder-Boeck (1604) : Rares sont ses tableaux que l'on peut regarder sans rire et meme celui qui est grave et sérieux ne peut s'empecher de pouffer ou de sourire. Les peintures de Brueghel sont presque toujours comprises du premier coup d'œil (dans leur ensemble tout au moins, car nous hésitons parfois sur des détails). Cette étonnante clarté est due : § `a la précision de son dessin, fruit de ses études inlassables du sujet (beaucoup de ses dessins portent la mention : " d'apres nature ") § `a l'intensité des couleurs vraies § `a une habile composition La Nature mere de Beauté et d'Harmonie selon le dit de Rabelais passionne Breughel Breughel se consacra d’abord aux paysages, auxquels il voua un intéret particulier toute sa vie. Ces croquis révelent le talent de Bruegel pour saisir l’atmosphere propre `a chaque saison et les qualités changeantes de la nature. On retrouve ces memes caractéristiques dans ses travaux plus tardifs, comme Chasseurs dans la neige. Illustration : Chasseurs dans la neige (1565) Ce chef-d'œuvre appartient `a la "série des Douze Mois". Ce sont les enlumineurs du XVeme siecle qui furent les premiers `a oser peindre des paysages de neige. C'est plutôt au mois de décembre que Brueghel semble faire allusion en donnant une image synthétique de la nature et de l'homme en hiver : § la nature offre un visage familier : routes villageoises, plaines, arbres, glace, § mais elle englobe aussi des merveilles étrangeres : une montagne aux parois abruptes. § L'homme rentre chez lui, fatigué de ses travaux du jour, mais il prépare aussi son repas et se distrait en patinant. L'intérete de la toile réside surtout dans sa composition : Breughel a rendu la notion d'espace en disposant les arbres, les chasseurs et les chiens suivant une diagonale qui se prolonge `a travers les vastes étendues du centre et de l'arriere-plan du tableau. Ces memes arbres, s'opposant `a la diagonale formée par la pente de la colline du premier plan, ne font que réaffirmer le premier plan du tableau et établissent `a la perfection cet équilibre et ces ordonnances de rythmes, sans lesquels les détails les plus étonnants ne sauraient créer autre chose que la confusion. Au contraire des représentations de la fin du Moyen Âge sur les travaux des saisons et les miniatures consacrées aux mois de l’année, les paysages de Bruegel ne contiennent pas de clefs allégoriques ou symboliques. Ils témoignent de la simplicité de la vie `a la campagne, dans une nature qui évolue en symbiose avec l’homme. A côté de paysages, on trouve de nombreuses gravures nettement inspirées de l’univers étrange de Jérôme Bosch. On trouve l’empreinte de cette marque profonde dans la série de gravures intitulée les Sept Péchés capitaux (1556-1557), peuplée de personnages fantastiques, de créatures monstrueuses et de nains démoniaques. —> Cette série témoigne des conflits religieux qui bouleverserent l’équilibre politique des Pays-Bas lors de la Réforme protestante. A la fin des années 1550, Breughel peignit une série de grands panneaux aux compositions complexes, décrivant divers aspects de la vie rurale flamande. ———> Toutes ces œuvres, `a l’iconographie apparemment naive, expriment le désir d’une vie stable et une aspiration `a l’harmonie sociale. Bruegel continua d’explorer ce theme dans des œuvres plus tardives. Illustration : Repas de noces (entre 1566 et 1568) La Danse de paysans (entre 1566 et 1568) Dans cette toile, Breughel décida de mettre l'accent sur les circonstances qui accompagnent un événement plutôt que sur l'événement lui-meme. Pour lui, il devint plus important de décrire une danse paysanne flamande que la noce qui en était le prétexte. A dire vrai, nous serions presque excusables de douter de la présence des mariés que l'on ne distingue pas tres bien `a premiere vue. Mais tout `a fait dans le fond, nous pouvons découvrir la couronne de la mariée, encore suspendue au dais[8] qui marquait sa place. La mariée est la jeune fille aux cheveux roux (au centre et `a gauche) qui porte une guirlande sur la tete, ce qui permet de la distinguer des autres femmes, coiffées de mouchoirs blancs. Lui donnant la main, voici le marié qui occupe exactement le centre de la composition. Partout ailleurs, le tableau n'est que rythme de danse, avec les couples du premier plan qui évoluent librement entre la silhouette fixe du joueur de cornemuse `a droite, et celle du spectateur, `a gauche, qui sont l`a comme des poteaux. Les critiques sont loin, aujourd’hui, de ne voir en Breughel qu’un artiste d’origine rurale se limitant `a la peinture de personnages simples et facétieux, comme le décrivit, en 1604, le peintre et historien d’art Karel Van Mander. On sait désormais quel homme de savoir était Breughel, qui fut l’ami d’érudits comme le géographe Abraham Ortelius. On a donné diverses interprétations de l’œuvre de Bruegel, dans laquelle on a pu voir tour `a tour un écho des principes de plusieurs théologiens : § une métaphore des conflits opposant catholiques et protestants, § une dénonciation de la domination politique espagnole sur les Pays-Bas § ou encore une illustration graphique des allégories dramatiques interprétées en public par les écoles de rhétorique flamandes. Bruegel connut de son vivant un tres large succes, et son influence sur la peinture du Nord fut considérable. L’esprit de l’Humanisme et de la Renaissance fut arreté avec les troubles politiques et religieux qui marquerent le regne de Philippe II. Lorsque la vie intellectuelle reprit de la vigueur, sous les archiducs Isabelle et Albert, le Baroque triompha au travers de la Contre-Réforme. Le Baroque se propagea avec l’action des jésuites, pour qui l’art était un instrument de propagande, car il parlait au peuple. Fort logiquement, il s’imposa d’abord dans l’architecture religieuse, avant d’écrire aussi ses lettres de noblesse dans l’architecture civile, lorsque Pierre-Paul Rubens construisit sa propre demeure `a Anvers. IV. XVIIeme siecle : le baroque C'est le siecle du triomphe de l'école d'Anvers. Les noms les plus fameux : Pierre-Paul Rubens, Antoon Van Dyck, Jacob Jordaens. Pierre Paul Rubens (1577-1640) Début XVIIeme, les artistes sont tres conscients des tendances qui bouleversent l'art. Il suffit de lire le Schilder-boeck (1604) de Karel van Mander pour le réaliser pleinement. Pour ce dernier, le centre incontestable des nouvelles tendances est Rome. La production artistique y est en effet favorisée du fait de la conjoncture rassemblant des éléments favorables `a l'art : d'une part, le XVIIeme siecle va connaître une longue liste de papes aux gouts fastueux, tous issus de la noblesse italienne (Borghese, Barberini, Ludovisi…) ; d'autre part, les artistes rivalisent entre eux et font monter le niveau de la production artistique Cfr Annibale Carrache qui s'inspirait de la simplicité de Raphaël Cfr le Caravage dont le réalisme brutal (pour lui, il y a nécessité absolue de peindre `a partir de la nature) et son sens théâtral de l'éclairage avaient provoqué un choc perceptible `a travers tout le XVIIeme siecle. Rubens va faire un voyage en Italie au cours duquel il étudiera le Caravage ainsi que les maîtres de la Renaissance de Rome, de Florence et de Venise et les vestiges de la sculpture antique. Ces éléments vont influencer le style de Rubens : puissant et glorieux, il sera jugé par les futurs clients d'Anvers comme propre `a glorifier les personnages du ciel et de la terre. Son style donna également un ton tout `a fait particulier `a la Contre-Réforme[9]. Précisons au passage que le "baroque" est considéré comme l'art de la Contre-Réforme, exprimant le triomphalisme du catholicisme. Tres vite l'artiste va évoluer vers un style plus modéré, d'une grande élégance et d'une virtuosité extreme qui rencontrera un vif succes aupres des cours européennes (France, Angleterre, Espagne). Illustration Le purgatoire La descente de croix Ses contemporains plus jeunes, Antoon Van Dyck et Jacob Jordaens, nuancent ce style selon leur tempérament. Antoon Van Dyck (1599-1641) Aristocrate raffiné, Antoon Van Dyck a créé une forme d'élégance qui lui était propre et tres appréciée de la classe aristocratique. Il fit fortune dans le portrait (Charles Ier d’Angleterre, Philippe IV d’Espagne). Illustration : Autoportrait; Margareta Snyders Jacob Jordaens (1593-1678) .L'œuvre de Jacob Jordaens a subi deux grandes influences : § influence du Caravage § influence de Rubens : certaines œuvres de ses débuts furent longtemps attribuées `a son aîné. La palette[10] de Jordaens est plus exubérante que celle de Rubens et sa typologie est moins idéalisée : de ce fait, on le considere comme un peintre plus populaire, plus terrien. Il « peignit des scenes de beuveries et de ripailles dans lesquelles il entassa des chairs grasses et luisantes, des victuailles succulentes, inondées de lumiere. Ses Banquets des rois, ou claquent les rires sont célebres sans avoir la classe des tableaux de Rubens »[11]. Illustration Le roi boit ! (détail) Dans Le roi boit !, Jacob Jordaens évoque une manifestation typiquement flamande, la Fete des Rois, prétexte `a un festin entre parents et amis. A partir des années 1630, le peintre réalise plusieurs versions sur ce theme, représentant dans l'une d'elles les membres de sa propre famille (Musée du Louvre, Paris). Dans la version conservée `a Vienne, les expressions des convives s'exacerbent. Le roi, dans un état d'hébétude, coiffé de la couronne de papier et les yeux mi-clos, porte un verre `a ses levres, tandis que les convives, euphoriques, trinquent `a sa santé. Le réalisme vital, nuancé par la lumiere dans toutes ses manifestations, voil`a comment l'ion pourrait résumer les caractéristiques les plus essentielles de la peinture du XVIIeme siecle. L'accent est mis sur le sujet représenté. On comprend toute la distance parcourue depuis le réalisme méticuleux des Primitifs flamands. Cela est du `a : § perfection de la reproduction de l'espace § utilisation de la peinture `a l'huile (qui par rapport `a la technique du glacis permet un rendu plus fluide) § importance donnée `a la lumiere qui n'est plus un médium neutre mais un élément dramatique. VI. Le XVIIIeme siecle Longtemps déconsidérée, la peinture du XVIIIeme siecle est aujourd'hui redécouverte. Il s'agit en fait d'une période d'une grande vitalité et créativité originale, bien qu'elle n'ait pas compté, il est vrai, de grands créateurs comme aux siecles antérieurs. Le XVIIIeme siecle est un siecle caractérisé par : § le renouveau moral et philosophique § le développement de la raison critique et la progressive laicisation de la société. L'absence d'une cour princiere rayonnante ainsi que l'immobilisme du pouvoir espagnol ont privé le pays de l'occasion de participer pleinement `a la culture de l'Europe de l'Etat moderne. Les artistes s'engagent dans une phase de conservatisme, de perte 'inspiration et d'appauvrissement de la culture picturale. Désormais c'est de l'extérieur que viennent les impulsions décisives en matiere artistique. Mais ces courants novateurs avaient été élaborés dans des contextes culturels différents (Paris, Rome, Londres) ; une fois introduits aux Pays-Bas, ils se dénaturerent sans parvenir `a créer de synthese comme cela avait été le cas au XVIIeme siecle. On note également l'absence d'une grande figure créatrice qui aurait pu rassembler autour d'elle une école. C'est la dispersion dans les choix stylistiques qui caractérisent la peinture "belge" au XVIIIeme siecle, qui passe du baroque tardif flamand au néo-classicisme. VII. Le XIXeme siecle : le siecle des bouleversements Le XIXeme siecle voit se multiplier les écoles : néo-classicisme, romantisme, réalisme… Des clans se constituent et s'affrontent parfois violemment, notamment lors de Salons. La presse, qui connaît alors un essor hors du commun, en fait écho. Le public est donc largement au courant de ces débats, d'autant plus que cette époque voit également se créer les revues d'art. Certaines sont l'organe de cercles d'artistes Cfr L'art moderne = organe du groupe des XX. Il faut surtout comprendre qu'au XIXeme siecle, les écoles et mouvements ne se succedent pas forcément mais se chevauchent, les styles cohabitent. Romantisme (`a partir de 1830) Ce mouvement prit de l'ampleur au lendemain de l'indépendance de la Belgique. Les sujets d'histoire nationale y occupaient une place de choix. Citons parmi les peintres qui illustrerent cette branche : Wappers, Louis Gallait Cfr illustration Antoine Wiertz, lui, traita de sujets littéraires, religieux, mythologiques ou historiques. Il n'hésita pas parfois `a meler érotisme et macabre Cfr illustration : La belle Rosine, 1847 Réalisme (`a partir de 1848) Parmi d'autres, Félicien Rops qui fut également un précurseur du symbolisme évoqua dans des œuvres teintées d'un érotisme qui fit scandale, la misere sociale ou matérielle de son temps. Impressionnisme On va voir apparaître une génération d'impressionistes (r Anna Boch, Frans Courtens, Isidore Verheyden). Mais leur impressionnisme se différencie de l'impressionnisme français, en ce que la forme ne se dissout pas dans la lumiere. On parle d'un "impressionnisme autochtone[12]" pour cette peinture qui veut rendre la vibration de la lumiere tout en restant foncierement attachée au sujet. Cet impressionnisme assagi est également appelé "luminisme". Certains des peintres de la jeune génération entendaient affirmer leur modernité. En 1883, est créé le groupe des XX (relayé en 1894 par l’association de la Libre esthétique qui continuera son action jusqu’en 1914) [13]. Ce cercle, fondé par James Ensor, rassemble une vingtaine d’artistes d’avant-garde, tels Fernand Khnopff, Léon Spilliaert, Félicien Rops,… Ce groupe est lié avec la revue L’Art Moderne : Octave Maus, par exemple, est le secrétaire du groupe des XX et également un des fondateurs de la revue. Dans le meme esprit que celui des architectes de l’Art Nouveau, les XX considerent que l’artiste moderne doit s’occuper de tout ce qui nous intéresse et nous touche. L’art au quotidien doit rendre la vie plus agréable et plus sociale. Les XX entendaient organiser chaque année une exposition de peinture belge mais aussi étrangere. Ils ont pu établir des liens tres forts avec le milieu artistique français de l’époque et ont contribué `a révéler au monde des peintres majeurs tels Cézanne, Gauguin, Van Gogh et Seurat. « Grâce au cercle des XX, Bruxelles devient, dix ans avant le tournant du siecle, un centre important de l’avant-garde en Europe occidentale »[14]. C’est par exemple lors du Salon du Cercle des XX qu’a été achetée l’unique toile que Van Gogh ait vendue de son vivant. L'exposition en 1887 de La Grande Jatte fut un des événements marquants du groupe. Si elle scandalisa une bonne part du public, l'œuvre de Seurat intéressa les vingtistes et plusieurs d'entre eux essayerent la séparation des tons, notamment Théo Van Rysselberghe. Illustration Symbolisme `a partir de 1880 Si par définition l'art symboliste propose des images contraires `a la réalité visible, il s'oppose de toute évidence : § au réalisme qui affirme que la peinture est essentiellement un art concret § `a l'impressionnisme ou au pointillisme qui prétend se fonder sur une approche scientifique de la couleur. Contre les matérialistes, le peintre symboliste postule ne réalité cachée, un monde invisible qu'il tente de révéler. Le symbolisme est moins occupé par la recherche formelle que spirituelle. Quelques noms : Khnopff, Rops, Mellery, Degouve de Nuncques… Sur le plan artistique, une unité se dessine, au-del`a des générations et des différences formelles, `a travers des themes privilégiés qui sont essentiellement symbolistes : § la mort : esprits marqués par la déchéance du corps et la conscience de l'instabilité du monde => marqués par la mort § la femme : dans l'imaginaire fin de siecle, la femme oscille entre l'apparition asexuée et la femme diabolique; de l`a découle un nouvel érotisme sulfureux, teinté de sadisme et satanisme § l'inconscient : les symbolistes scrutent les ambiguités de la conscience. Parallelement `a la psychanalyse naissante, les artistes explorent la nature de la sexualité et les zones cachées de l'esprit. Félicien Rops (1833-1898) Né `a Namur, Rops entame des études de juriste `a l'ULB. Il fait partie des membres fondateur de la revue Uylenspiegel avec Charles De Coster : il fournira de nombreuses illustrations pour celle-ci. A l'heure du réalisme, cet hebdomadaire traduit la volonté des jeunes artistes de se détacher de l'influence française et de toute forme d'académisme. Cet esprit motive sa participation `a la naissance de la société libre des Beaux-Arts. Selon Huysmans, il est le peintre du satanisme : "l'homme possédé par la femme" et la "femme possédée par le Diable" composent les deux versants d'une liturgie du péché que célebre – entre autres – Barbey d'Aurevilly dans Les Diaboliques. Illustration : frontispice Son œuvre est également marquée par l'érotisme Illustration La tentation de Saint Antoine Pornocrates (1878) qui fit scandale `a l'exposition des XX en 1886 Fernand Khnopff (1858-1921) Khnopff fut élevé au cœur de Bruges. Exposé pour la premiere fois en 1881, il fait partie des membres fondateurs du groupe des XX. Fernand Khnopff se fait, quant `a lui, peintre de la femme ange ou démon, qui prend souvent les traits de Marguerite, sa sœur, qui est aussi son modele de prédilection. Illustration Ce tableau marque l'irruption dans le genre du portrait du theme (nouveau) de la "femme mystérieuse". Enigmatique, inabordable et d'une tristesse infinie, telle apparaît cette jeune femme dans une piece si banale qu'elle nous semble irréelle. Marguerite est placée de façon presue symétrique `a une porte fermé, qui ferme son univers `a l'arriere comme il l'est déj`a `a l'avant. Alors que le portarit traditionnel se caractérise par son ouverture, ici nous nous confrontons `a un mur invisible. Avec sa robe `a col montant et ses mains gantées, elle semble protégée d'une cuirasse. Seul son regard pourrait donner acces `a sonb âme mais elle le détourne. C'est proprement la représentation de l'idéal féminin incarné dans sa sœur. Ses tableaux reprennent des themes littéraires : ambivalence de la femme (incarnée tour `a tour par la Sphinge ou l'Ange, la solitude, les villes désertées. Le climat mystérieux et hermétique de ses tableaux témoigne de son gout du fantasme et du reve. Khnopff décore le plafond de la salle des mariages de l’Hôtel de ville de Saint-Gilles et réalise quelques œuvres pour la salle de musique du palais Stoclet (Bruxelles). Parmi ses œuvres les plus célebres, on peut citer Les Caresses (1896) Illustration Cette confrontation de la sphinge et de l'androgyne dans un paysage imaginaire peuplé de colonnes bleues et d'inscriptions énigmatiques soulevent de nombreux décryptages. Allégorie du choix de l'homme devant la puissance ou la volupté (le léopard qui est ici en fait un guépard était au moyen âge le symbole de la volupté). VIII. XIXeme-XXeme siecle : les précurseurs Deux artistes vont exprimer les mutations qui s'accomplissent au tournant du siecle, moment clé dans l'histoire de l'art ou se confrontent la tradition séculaire de la figuration et la désintégration naissante de celle-ci. James Ensor et Léon Spilliaert sont les peres d'une œuvre inclassable qui : § synthétise les conquetes de la production contemporaine (réalisme, impressionnisme, symbolisme) § préfigure la modernité (fauvisme, expressionnisme, surréalisme) Ensor se libere du réalisme par un travail § sur la palette (claire et contrastée) § sur l'image d'une dimension métaphorique sans précédent Spilliaert, voulant unir revé et réalité, oriente son art de formes et de couleurs dénaturées, vers le chemin de l'abstraction métaphorique. James Ensor (1860-1949) James Ensor est né en 1860 `a Ostende ou il passe son enfance dans la boutique de coquillages et de masques de sa grand-mere. On a comparé sa carriere `a un film montrant `a l'accéléré pres d'un demi-siecle de peinture, allant du naturalisme `a l'expressionnisme et au surréalisme en passant par l'impressionnisme, le symbolisme et le fauvisme. On ne peut donc associer son nom `a un style pictural défini; il les transcende tous. Méconnu pendant ses années de génie, il fut feté dans sa vieillesse, alors qu'il ne faisait que se survivre. Tendance réaliste Il connaît une premiere période réaliste et "sombre" : il y traite de sujets bourgeois. Illustration : La musique russe Tendance impressioniste Lors de l'exposition des peintres impressionnistes français `a Bruxelles, beaucoup d'artistes découvrirent leur technique et leurs couleurs éclatantes. Ensor aussi, suit cette tendance, tout en restant tres loin des œuvres françaises. En 1886, il éclaircit sa palette, et réalise des études sur la lumiere, omniprésente et astucieusement brossée, dans de grandes compositions extérieures. On dira d'Ensor qu'il pousse l'impressionnisme jusqu'au tachisme. Cfr Illustration La Tentation de saint Antoine (1887) est en effet tachiste et plus que fauve. Tendance symboliste C'est dans le contexte du symbolisme que se comprennent le mieux les grands themes ensoriens: § le masque § le Christ § le squelette § l'autoportrait Née au sein du mouvement symboliste belge, cette thématique se précise : le masque, d'abord ornement, ne tarde pas `a devenir humain. La face humaine, lieu par excellence d'expression, est assaillie et portée vers ces ultimes retranchements. Elle exprime la laideur, les grimaces, les tares et les angoisses. C'est la nature qui se désagrege qui fond en pourriture. C'est l'essence meme de la vie qui est gangrenée par l'absurde et que seule une sagesse supreme peut sauver. Le masque est devenu pour lui le symbole de l'hypocrisie. Illustration : Les masques et la mort ; L'ironie La figure mythique du Christ correspond au moi idéal ensorien. Illustration : L'Entrée du Christ `a Bruxelles (1888) : œuvre la plus retentissante d'Ensor, bouffonnerie ubuesque, mais aussi allégorie symboliste et manifeste de la peinture moderne. Cette toile monumentale (2,58 x 4,30 m) d'Ensor représentée ci-dessous se melent des revendications ouvrieres ("Vive la sociale !") aux slogans catholiques ("Vive Jésus, roi de Bruxelles !"). On aperçoit le Christ auréolé au fond du tableau. L'influence des peintres flamands, ses aînés On retrouve chez Ensor les caractéristiques des peintres flamands, ses aînés: § le gout de la truculence de la kermesse § approche de la vie avec la plus ardente piété. James Ensor reprit avec La cene dernier repas du Christ comme le fit les peintres belges, ses aînés. Il donne comme eux un sens sacré aux victuailles, une valeur d'aliment spirituel. C'est le poisson embleme des premiers chrétiens qu'il porte sur la toile Le banquet des affamés. Illustration "L'art belge verse `a tout moment dans la démesure" écrit Paul Hensaerts ; Ses artistes se mettent `a empoigner la vie en une ardeur brutale : le chahut de ses fetes, ripailles et kermesses en sont le theme le plus usité. Ensor n'échappe pas `a cette avidité primitive. Il reprend dans ses visages ci-dessous exposés l'observation de Jérôme Bosch qui avec une ironie attristée exprime dans ses visages grimaçants des agissements des hommes. L'art belge : Ensor juste apres Rubens Bien qu'il n'ait pas formé d'éleve, tous les peintres belges contemporains se reconnaissent une dette `a son égard. Son influence fut tres grande dans les pays germaniques et nordiques ainsi qu'aux États-Unis. Il fut le "précurseur" de nombreux peintres : Frits Van den Berghe et Alechinsky, Kubin, Klee, ... Peintre des masques et des squelettes, individu solitaire, tourmenté par ses démons, il incarne : § l'inquiétude moderne, § l'esprit de provocation, § le conflit entre l'artiste et la société. Ses incursions dans le fantastique, sa fuite hors du réel touchent la sensibilité contemporaine plus que l'évasion d'un Gauguin vers un Éden mythique. En 1929 il est anobli au titre de Baron. Sa flamme artistique s'éteint progressivement. Il meurt dans sa ville natale en 1949. Léon Spilliaert (1881-1946) Né en 1881 `a Ostende, il prend sa ville natale comme theme d'inspiration. Émile Verhaeren l'introduit au Salon de Printemps ou il fait sa premiere exposition (1900). Il excelle dans l'utilisation des différentes techniques (pastel, aquarelle, huile, encre de Chine,…) et pratique un art completement personnel imprégné de silence et de mystere. IX. XXeme siecle : rupture et continuité Le vingtieme siecle et le modernisme se caractérisent par une série de points de rupture ainsi que par une continuité. La peinture belge s'inscrit dans ce mouvement moderniste international avec cependant des réactions différentes. Cfr le surréalisme de Magritte se distancie, par sa logique, d'André Breton en meme temps qu'il pose de nouvelles questions sur la peinture. Apres 1945, les mouvements artistiques se succedent et se chevauchent sans relâche. René Magritte (1898-1967) Né `a Lessines, Magritte entreprend des études `a l'Académie royale des Beaux-Arts de Bruxelles. Il s'intéresse au cubisme et au futurisme avant de découvrir en 1923 la peinture de De Chirico qui le marque profondément. Des sa premiere exposition personnelle, `a Bruxelles en 1927, il adopte une technique et une thématique qui le suivront tout au long de sa carriere. Intégrant dans son œuvre un répertoire de motifs tirés du quotidien, les transformant par des modifications d'échelle ou de perspective, il réalise des images déroutantes et poétiques ou troublantes, les juxtapositions inattendues d'éléments ou d'objets sans lien logique apparent engendrant un vif sentiment de mystere. Ses tableaux, peints avec une froide neutralité, jouent sur l'écart entre la représentation des choses et leur désignation, contribuant par le biais de l'humour et de l'absurde `a créer une sorte de réalisme magique aux implications souvent érotiques. L’œuvre de Magritte est la seule manifestation visible du groupe surréaliste bruxellois qui fonctionne presque comme une société secrete. Derriere ses tableaux, se cache un travail de groupe ; il y a un travail d’échange entre Magritte et le groupe surréaliste belge. En effet, Goemans, Scutenaire, Nougé faisaient des commentaires sur l’œuvre de Magritte, donnaient une maniere de l’interpréter, et en ont fait une œuvre de contestation ; leur participation touche aussi et surtout les titres des tableaux (capital chez Magritte). Remarque : - Une œuvre de Magritte se compose toujours de deux éléments, un tableau et un titre; il n’est pas possible de comprendre son œuvre si on ne fait pas ce rapport entre mots et images. Illustration La trahison des images ; La condition humaine ;… La trahison des images démontre de façon aiguë et péremptoire la distance entre objet et mot (E.L.T. Mesens)[15]. Il est `a noter que Magritte n’a jamais revendiqué l’étiquette surréaliste, pour lui elle ne signifiait rien. Cette attitude est tout `a fait logique et cohérente par rapport `a l’attitude de tout le groupe surréaliste belge[16] A l'exception de quelques périodes d'expérimentations diverses (style « Renoir » en 1943-1946, période « Vache » en 1948), sa peinture ne connaît pas d'évolution stylistique notable. Vers la fin de sa vie, sa notoriété croissante lui vaut d'importantes commandes (palais des Beaux-Arts de Charleroi, 1957). Cfr article extrait De Facto Paul Delvaux (1897-1994) Né `a Antheit, dans la province de Liege, Paul Delvaux étudia la peinture et l’architecture `a l’Académie des beaux-arts de Bruxelles de 1920 `a 1924, ou il suivit les cours de Constand Montald. Ses premieres œuvres furent influencées par l’impressionnisme, puis par l’expressionnisme allemand, qu’il connut notamment par l’intermédiaire de Gustave De Smet. Il participa `a l’exposition Minotaure de Bruxelles en 1934 au côté de René Magritte, de Salvador Dalí, de Max Ernst, de Joan Miró et de Balthus. Une rupture s’opéra alors : Delvaux détruisit la plupart de ses premieres toiles. Marqué des 1930 par la baraque de la collection de cires anatomiques peu ragoutantes du Docteur Spitzner `a la Foire du Midi, il découvre le surréalisme et sa propre version du mystere en 1934 sous l’influence de Giogio de Chirico et de Magritte. Ses tableaux se caractérisent par un érotisme glacé et des themes récurrents : § femme aux grands yeux (stéréotypée, figée dans un cadre strictement défini) § jardin § gares désertes (et trains) § ruines Une pénombre inquiétante ajoute souvent `a leur mystere. Un homme, habillé (le double de l’artiste ?), les ignore ou les regarde avec impassibilité. Des squelettes hantent parfois ces paysages imaginaires. ------------------------------- [1] Cfr Robert-Jones P., L'histoire de la peinture en Belgique du XIVeme siecle `a nos jours, Tournai, 2001. [2] "…quam philippo belgarum principi pinxit" (Bartholomaeus Facius) [3] Illustration placée en regard de la page titre d’un livre, gravure placée face au titre [4] Ouvrage rédigé en latin par Jacques de Voragine entre 1261 et 1266 qui raconte la vie de 180 saints, saintes et martyrs chrétiens ainsi que certains épisodes de la vie du Christ, suivant le calendrier liturgique. [5] Superposition de couches de glacis qui donnent une transparence et une luminosité diffuse. [6] La Vierge au chanoine Van Paele (verrues) ou les deux pommes dans la Vierge de Luques. [7] Ainsi appelé pour le différencier de Pierre Breughel le Jeune (1564/65-1637/38), fils aîné de Pierre Breughel l'Ancien. [8] Ouvrage de bois ou de tissu suspendu au-dessus d’un autel ou de la place d’un personnage éminent [9] Mouvement `a l'intérieur de l'Église catholique romaine aux XVIeme et XVIIeme siecles, qui était destiné `a limiter l'expansion du protestantisme. Certains historiens récusent ce terme car il met en avant les éléments négatifs de ce mouvement et préferent la dénomination de Réforme catholique, en insistant sur la spiritualité qui animait un grand nombre de responsables de ce mouvement, souvent sans aucun rapport direct avec la Réforme protestante. [10] Ensemble des couleurs, des nuances habituellement utilisées par un peintre [11] Dorchy H., Histoire des Belges, p. 166. [12] Cfr Burnes-Jones, p. 280 [13] Cfr Block, The golden decades, p. 72 sq [14] Becks-Malorny U., James Ensor, p. 27. [15] Cfr vidéo [16] On se souvient de Histoire de ne pas rire : « Exégetes, pour y voir clair, rayez le mot surréalisme. » (cfr supra).