Breve histoire du mouvement flamand Le mouvement flamand Quand on parle de « mouvement flamand », on parle d’un mouvement de revendications nationalistes flamandes. Au départ, il se contentait de se battre pour les droits linguistiques des Flamands. Mais peu `a peu il a élargi ses revendications pour aboutir `a un mouvement séparatiste. Ce mouvement est né presque en meme temps que l’État belge. En effet, `a l’origine, la seule langue officielle de la Belgique est le français, qui est la langue de l’élite bourgeoise au pouvoir. Au sortir de la révolution de 1830, la population flamande s’estimait libérée du calvinisme néerlandais mais menacée par la position d’infériorité de la langue néerlandaise dans le nouvel Etat. Depuis longtemps, les bourgeois francisés de Flandre maintenaient le néerlandais `a l’état de langue populaire, sans plus, et cette situation était encore aggravée par l’existence des multiples formes dialectales de la langue. La seule langue de l’administration, de la justice, de l’enseignement, est donc dans un premier temps le français, langue de l’élite qui se maintient au pouvoir grâce au systeme du suffrage censitaire[1]. En 1846, le premier recensement de la population du pays est organisé : les Flamands apparaissent majoritaires avec 2,4 millions pour 1,8 millions de francophones. Deux organisations contribuent `a rendre vigueur `a la langue néerlandaise : le Davisfonds et le Willemsfonds. Le Leeuw van Vlaanderen, roman de Henri Conscience joue un rôle dans la prise de conscience culturelle du peuple flamand. Les premiers objectifs culturels du mouvement flamand sont atteints sous le regne de Léopold II : création d’un théâtre flamand `a Bruxelles et `a Anvers, installation d’un opéra flamand `a Anvers et `a Gand, création d’une Académie royale de langue et littérature néerlandaise. Parallelement, le néerlandais devient, en plus du français, langue des tribunaux et de l’administration en Flandre, et langue de l’enseignement moyen. A partir des années 1890, se crée un mouvement lancé par une nouvelle bourgeoisie intellectuelle flamande, qui demande la reconnaissance du néerlandais comme langue officielle de l’Etat. La loi De Vriendt-Coremans, dite loi « d’équivalence », est signée par Léopold II en 1898. C’est aussi l’époque du suffrage universel plural[2] (1893), qui enleve le monopole du pouvoir `a l’élite francophone du pays. Avec cette loi d’équivalence, les lois sont désormais traduites dans les deux langues, le français et le flamand. Au cours des années qui précedent la Premiere guerre mondiale, les revendications flamandes se concentrent sur l’instauration d’un enseignement universitaire en néerlandais. Pendant la guerre de 1914-18, le gouverneur général en Belgique occupée, von Bissing, reprend sournoisement des revendications flamandes, et sépare la Belgique en deux zones linguistiques. Mais cette politique menée de l’extérieur se heurte `a la résistance des chefs du mouvement flamand. Sur le front de l’Yser, les trois quarts des soldats sont flamands, alors que les officiers sont en majeure partie francophones. Cette situation était sans effet sur la combativité et l’efficacité des troupes, mais elle fut exploitée par des activistes, qui en profiterent pour entretenir un sentiment d’injustice du côté néerlandophone. Au sortir de la Premiere Guerre mondiale, on érige, `a la sortie de la ville de Diksmuide, une tour, dite « tour de l’Yser », qui devient le symbole de l’injustice subie par les Flamands lors de la guerre 14-18. Détruite en 1946, elle fut tres vite reconstruite et, depuis lors, un pelerinage y est organisé, chaque année, par les nationalistes flamands. Des 1919, le suffrage universel pur et simple démocratise encore un peu plus la Belgique. Les revendications culturelles flamandes se multiplient et nombreuses sont celles qui seront écoutées. Ainsi des 1919, les Flamands peuvent utiliser leur langue dans l’enseignement universitaire. Et en 1930 commence la flamandisation de l’université de Gand. Le gouvernement va, par ailleurs, instituer l’unilinguisme. En 1932, le gouvernement institue l’unilinguisme : les administrations nationales sont divisées en deux sections, l’une de langue néerlandaise, l’autre de langue française. A l’armée, il y aura désormais des unités néerlandophones et d’autres francophones. L’enseignement et l’administration locale seront unilingues : de langue française en Wallonie, de langue néerlandaise en Flandre. Le bilinguisme est instauré `a Bruxelles. La question royale[3] qui occupe l’apres-Deuxieme Guerre mondiale va mettre en lumiere un peu plus les clivages existant entre les deux communautés linguistiques. En effet, lors de la consultation populaire du 12 mars 1950, alors que les Wallons et les Bruxellois se révelent en majorité (avec 52 et 58%).contre le retour du roi, les Flamands, catholiques et monarchistes, votent « oui » en faveur du retour de Léopold (72%). En outre, depuis la fin de la Deuxieme guerre mondiale, la Wallonie est entrée dans une phase de récession : elle n’arrive pas `a réformer sa vieille économie basée sur le charbon, l’acier et le verre, les syndicats défendent pied `a pied les droits acquis des travailleurs, et les patrons manquent d’esprit d’initiative. La dénatalité, en Wallonie, fait que les Wallons ne représentent plus que 33,6% de la population belge. Au contraire, la population flamande augmente, et l’économie flamande prospere grâce `a des industries nouvelles : constructions métalliques, chimie, pétrochimie, assemblage automobile, électronique. Les entrepreneurs sont dynamiques et les investisseurs étrangers attirés par cette région qui connaît si peu de troubles sociaux. Fait paradoxal, la logique d’affrontement est lancée par une loi qui n’a pas de caractere linguistique : il s’agit de la « loi unique » de 1960, une loi instituant de nouveaux impôts et réduisant les dépenses publiques dans la sécurité sociale et l’enseignement, ce `a cause « des dépenses provoquées par les événements africains ». Le secrétaire général de la FGTB, Fédération générale du Travail de Belgique, syndicat socialiste, lance alors un mot d’ordre de greve générale, contre ce qu’il appelle la « loi inique » ( = injuste). Mais la greve n’est suivie qu’en Wallonie, ou elle prend rapidement un caractere violent, car le syndicat chrétien, majoritaire en Flandre, s’en désolidarise. Apres cet épisode, il apparaît évident que les comportements ne sont pas les memes au sud et au nord du pays, et que la solidarité entre les travailleurs flamands et wallons n’existe plus. De plus, une idée nouvelle est lancée, la revendication du « droit pour la Wallonie `a disposer d’elle-meme et de choisir les voies de son expansion économique ». Cette idée rejoint celle du parti nationaliste flamand, la Volksunie, depuis toujours en faveur du fédéralisme. Le gouvernement suivant fait voter trois lois linguistiques, qui font entre autres de Bruxelles une capitale bilingue limitée aux 19 communes, mais prévoit des « facilités » linguistiques dans les rapports avec l’administration pour 6 communes flamandes de la périphérie bruxelloise, peuplées majoritairement de francophones. Aux extrémités est et ouest du pays, les communes de Mouscron et Comines, en Flandre mais majoritairement francophones, sont rattachées `a la province du Hainaut, tandis que les communes de Fourons, en Wallonie mais habitées par une population qui parle un dialecte bas-allemand, sont rattachées au Limbourg. En outre, le régime linguistique de l’enseignement est réorganisé. Il faut ensuite, pour lancer une véritable réforme institutionnelle, une majorité spéciale de deux tiers des voix `a la Chambre et au Sénat. Tant que cette majorité n’existe pas, la réforme est retardée (on parle d’une « mise au frigo »), et les mécontentements s’amplifient. S’estimant menacés par les Flamands, des intellectuels francophones créent un parti nouveau : le FDF, Front démocratique des Bruxellois francophones. Ils s’allient au parti communautaire RW (Rassemblement Wallon). En Flandre, la Volksunie et les fondations culturelles obligent les sociaux-chrétiens flamands `a durcir leurs positions. L’occasion leur en est fournie avec l’affaire de l’Université catholique de Louvain (Leuven), dont les éveques proclament encore l’unité en 1966. Mais bientôt, les Flamands réclament, au cri de Walen buiten (les Wallons dehors) le déménagement forcé de la section francophone. Celle-ci se réinstalle sur un site vierge, dans le Brabant Wallon : le site de Louvain-la-Neuve. Il en coutera des dizaines de milliards de francs belges. C’en est trop pour les catholiques francophones, qui prennent leurs distances avec leurs homologues flamands. En 1968, le Parti social-chrétien unitaire éclate et se « communautarise ». Ce sera le tour du Parti libéral en 1972, et ensuite du Parti socialiste en 1978. De plus en plus, une réforme institutionnelle et constitutionnelle semble la seule solution envisageable. La premiere étape de cette réforme aura lieu sous le gouvernement de Gaston Eyskens, en 1970 ; une majorité des deux tiers est trouvée, et la Belgique unitaire disparaît. La Constitution révisée reconnaît officiellement trois communautés : la Communauté culturelle française, la Communauté culturelle néerlandaise et la Communauté culturelle allemande, chacune avec leurs conseils, agissant par décrets dans leurs domaines de compétence (matieres culturelles, enseignement). La Constitution crée aussi trois régions, la Région flamande, la Région wallonne et la Région bruxelloise, et ébauche aussi leurs institutions. En 1974, une loi crée des conseils régionaux et définit les compétences des régions (aménagement du territoire, urbanisme, logement, politique économique régionale, politique de l’eau…) La deuxieme grande étape intervient en 1980, alors que Wilfried Martens est Premier ministre. Les compétences des communautés sont élargies aux matieres dites « personnalisables », c’est-`a-dire qui sont étroitement liées aux personnes dans leur épanouissement personnel et social. La Communauté flamande fusionne avec la Région flamande, alors que la Communauté française reste distincte de la région wallonne. Les compétences des Régions flamande et wallonne sont précisées et étendues par rapport `a celles prévues par la loi de 1974. Les régions deviennent des entités autonomes, avec leurs propres assemblées et exécutifs. Les décrets communautaires et régionaux sont équivalents `a la loi. La troisieme étape de la révision constitutionnelle a lieu en 1988. Celle-ci attribue `a la Région de Bruxelles-Capitale un Conseil et un organe exécutif. La Région de Bruxelles-Capitale a les memes compétences que les Régions flamande et wallonne, mais elle les exerce par le biais d’ordonnances. Dans cette nouvelle version, la Belgique est déj`a, de facto, un État fédéral, mais la Constitution ne le dit pas. C’est au terme d’une quatrieme grande révision constitutionnelle qu’elle le deviendra officiellement, comme le proclame le premier article de la nouvelle Constitution votée en 1993 et entrée en vigueur au 1er janvier 1995. A l'automne 2000, Verhofstadt engage la cinquieme réforme de l'État (apres celles de 1970, 1980, 1988 et 1992). Celle-ci s'appellera Saint-Polycarpe – en Belgique, on donne aux accords le nom du saint du jour… But de la réforme : refinancer les Communautés (française, flamande et germanophone). Ce sont les francophones qui demandent ceci – exsangue, la Communauté française n'est pas en état de payer son école. Cette demande (pressante) va donner `a la Flandre l'occasion d'exiger de nouvelles régionalisations. Les francophones n'étaient pas demandeurs – pour eux, la réforme de l'État de 1992 pouvait etre la derniere… Mais ils sont bien obligés de les accepter – sans ça, pas de sous pour l'école. Pour réformer l'État, pour faire glisser des compétences du fédéral vers les régions, il faut modifier la Constitution et une série de lois spéciales. Et pour faire ceci, il faut l'aval d'au moins 2/3 des députés et sénateurs. Ensemble, `a l'époque, libéraux, socialistes et écologistes n'ont pas `a ces 2/3. Il leur faut donc l'appui d'élus de l'opposition. Verhofstadt sollicite le PSC et la Volksunie (VU). La VU est un petit parti séparatiste flamand. En échange de son soutien, elle exigera beaucoup – et l'obtiendra (notamment : elle fera artificiellement gonfler le nombre d'élus flamands au parlement de la Région bruxelloise). En dépit de ceci, la VU hésitera fort (et longtemps) `a aider Verhofstadt. Elle finira par le faire, `a l'été 2001. Mais ce sera au prix d'une crise interne grave. Apres le vote de Polycarpe, la VU éclate en deux. Se créent la N-VA (nationalistes de droite) et Spirit (nationalistes de gauche). Conséquences de l'épisode : autrefois concentré `a la VU, le nationalisme flamand démocratique s'émiette et « contamine » les autres partis (la N-VA s'associera en 2004 avec le CD&V, Spirit ira en cartel avec les socialistes du SP.A tandis que d'autres ex-VU rallieront le VLD ou, meme, les écologistes de Groen…). CD&V, SP.A, VLD et Groen restent attachés au pays mais la dispersion des ex-VU va radicaliser l'ensemble du paysage politique flamand, généralement demandeur, non pas d'une Flandre indépendante, mais d'une Flandre… plus indépendante. Autre effet de l'épisode : les francophones ne sont désormais plus demandeurs de rien sur le plan institutionnel. Dans l'histoire du pays, c'est « le » tournant. Le mouvement wallon Le mouvement wallon n’apparaît que tardivement. Dans les premieres années de la Belgique, quelques intellectuels francophones, par romantisme, craignent la disparition des dialectes flamands sous la pression du français, mais il ne leur vient pas `a l’idée de remettre cette langue en question. En fait, le mouvement wallon s’esquisse, tout d’abord `a Bruxelles, `a partir des lois linguistiques qui tendent `a limiter l’infériorité juridique du néerlandais. Les fonctionnaires d’origine wallonne, fort nombreux, redoutent le bilinguisme. Mais la population wallonne restait indifférente aux débats linguistiques ou il était presque exclusivement question de l’usage des langues en Flandre et `a Bruxelles. Les premiers congres wallons attirent donc peu de participants. A la phase bruxelloise du mouvement succede la phase liégeoise, et en 1887, Albert Mockel, fondateur de la revue littéraire La Wallonie écrit un article dans lequel il préconise une solution fédérale « aux problemes de races et de langues en Belgique ». Mais cet article passe presque inaperçu. En 1905, le Congres wallon de Liege recueille enfin des adhésions significatives : de nombreux parlementaires et professeurs d’université sont membres du comité organisateur. Il est révélateur qu’une vingtaine de rapports présentés `a ce congres tentaient de définir l’originalité wallonne, son identité ethnique et culturelle : la Wallonie « se cherche ». Par la suite, le mouvement wallon réagit fréquemment en s’opposant aux revendications linguistiques flamandes : on craint, en Wallonie, la fin de la suprématie intellectuelle du français. Dans les années 1910, le socialiste Jules Destrée devient chef charismatique du mouvement. En 1912, il publie une Lettre au roi dans laquelle on trouve ces mots célebres « Sire, il y a en Belgique, des Wallons et des Flamands. [...] Il n’y a pas de Belges ». Face `a la montée du mouvement flamand, il y plaide la séparation administrative de la Belgique, afin de préserver l’identité wallonne, tout en craignant des revendications d’indépendance. Ce texte aura un énorme retentissement. La meme année, une Assemblée wallonne est réunie sous le signe de la défense des intérets wallons, dont l’embleme sera le coq. Destrée en est le Secrétaire général jusqu’en 1919. Rappel : la question royale Des la capitulation se posa le probleme connu sous le nom de « question royale ». Ses origines remontent au comportement du roi en 1940, mal compris, voire pas accepté par le gouvernement et la population belges, qui accusent plus ou moins ouvertement leur souverain d’avoir failli `a ses devoirs. L’opinion belge, la presse, les groupes et sous-groupes politiques sont secoués par la recherche de la « vérité » sur l’action et les intentions du roi, et lorsque Léopold III annonce son intention de rentrer en Belgique, le 15 juin 1945, le gouvernement lui oppose « le refus de prendre la responsabilité des événements qui vont inévitablement se dérouler dans le pays, des le retour du roi ». De 1945 `a 1949, sept gouvernements se succéderent sans pouvoir résoudre la question royale. Par moments, les tensions entre royalistes (principalement flamands et catholiques) et anti-royalistes (principalement wallons et socialistes) tournerent `a l’émeute. En 1949, un nouveau gouvernement, social chrétien-libéral, sorti des urnes apres les premieres élections au suffrage universel masculin et féminin, opte pour la consultation populaire. Cette consultation, organisée le 12 mars 1950, dégage une majorité de 57,7% en faveur du retour du roi. Mais `a l’analyse, il apparaît qu’elle a été acquise en Flandre (72%), alors qu’`a Bruxelles et en Wallonie, c’est le « non » qui dominait (avec 52 et 58%). Les clivages flamands/wallons, ville/campagne, et gauche/droite ont été déterminants, et la société belge apparaît divisée. Pourtant, le gouvernement invite le roi, installé en Suisse, `a rentrer `a Bruxelles. Le parti socialiste refuse de le reconnaître comme roi des Belges, les manifestations se succedent, tournent `a la bataille de rue, la greve générale est déclarée en Wallonie, les provinces de Hainaut et de Liege proclament la rébellion, et la répression fait trois morts. Ne voulant pas etre la cause d’une guerre civile, le roi Léopold III confie ses pouvoirs `a son fils aîné, Baudouin, qui reçoit le titre de Prince royal, dans la nuit du 31 juillet au 1^er aout 1950. Il annonce son intention d’abdiquer si la réconciliation nationale se fait autour de l’héritier du trône. Les trois partis nationaux encouragent cette réconciliation, et le 17 juillet 1951 a lieu la prestation de serment de Baudouin Ier. ------------------------------- [1] Systeme électoral qui accorde le vote aux citoyens bien nantis (aristocratie, bourgeoisie fonciere et industrielle). [2] Systeme électoral par lequel tous les Belges de 25 ans, de sexe masculin, peuvent désormais voter aux élections législatives mais on octroie une ou deux voix supplémentaires `a certains électeurs d’apres leurs conditions de famille, de fortune et d’instruction. Par cette réforme, le nombre d’électeurs passa, sur une population de plus de 6 millions d’habitants, de 136 000 `a 1 360 000. [3] Cfr ci-dessous