LUDISME ET CLICHES DANS ĽAVALÉE DES AVALÉS DE RÉJEAN DUCHAŘME (1989) ■ + + + KENNETH W. MEADWELL Universitě de Winnipeg La parution en 1966 de Ľavalée des avalés — le premier román de Réjean Duchařme — représente une etape decisive dans revolution des lettres québécoises, cet ouvrage ayant provoqué une remise en cause des formes tant romanesques que critiques qui dominaient ä ľépoque. Depuis un certain nombre ďannées, la critique thématique et socio-historique cohabite avec une approche plus immanente du texte en tant que code limitatif et prescriptif1 ďaprěs la terminologie riffaterrienne. Spécificité esthétique, littérarité, unicité du texte sont autant de notions communé-ment invoquées dans cette optique. Déceler la fonction et le fonctionnement de ľactivité scripturale chez Duchařme équivaut ä mettre en evidence les caractéris-tiques qui font de Ľavalée des avalés la partie intégrante ďun ensemble plus vaste, constant dans sa nature, mais variable dans ses apparences. Recourir ä la realite extra-linguistique en vue d'étudier ľélément littéraire chez Duchařme ne peut qu'aboutir ä des analyses dont la pertinence littéraire serait quelque peu limitée. II ne serait pas inutile ä ce sujet de rappeler la formule de G. W. F. Hegel: «[...] quand l'art s'en tient au but formel de la stricte imitation, il ne nous donne, ä la place du réel et du vivant, que la caricature de la vie2». Au dire de Michael Riffaterre, la creation de l'univers immanent de ľceuvre littéraire est regie au plan syntagmatique: II n'est question que de constater comment les phrases, ä mesure qu'on les déchiffre, semblent engendrées de maniere nécessaire; de constater comment ľénoncé, loin de se modeler sur un modele non verbal, se plie aux impératifs ďasso-ciations sémantiques et formelles entre les mots. Associations qui limitent étroite-ment les options offertes, pour chaque point de ľénoncé, au déroulement ultérieur de la phrase3. Dans Ľavalée des avalés, la sémiosis ľemporte sur la mimésis, et ce, justement par le renversement ludique de ľimage stéréotypée de ľenfant. + + + ' 1 Michael Riffaterre, la production du texte, Paris, Editions du Seuil, coll. «Poétique», 1979, p. 11. 2 G. W. F. Hegel, Textes choisis, Paris, Presses universitaires de France, 1981, p. 13. 3 Michael Riffaterre, op. dt, p. 179. Děs ľouverture du récit, Berenice Einberg se présente comme un ětre fort singulier, de sorte que le lecteur, se sentant sur un terrain incertain, s'efforce de concilier ce que dit la narratrice avec ses propres codes du « naturel» ou du « vrai-semblable »: Je suis seule et j'ai peur. Quand j'ai faim, je mange des pissenlits par la racine et ca se passe. Quand j'ai soif, je plonge mon visage dans l'un des seaux et j'aspire. Mes cheveux déboulent dans l'eau. J'aspire et ca se passe: je n'ai plus soif, c'est comme si je n'avais jamais eu soif4. Solitude et peur, deux themes récurrents, s'unissent dans le portrait de Berenice qui, pour sauvegarder son autonomie et son innocence d'enfant, cultive une lucidité quelque peu extravagante et toujours susceptible d'etonner le lecteur : Quand je ne suis pas seule, je me sens malade, en danger. J'ai ma peur ä vaincre. Pour vaincre la peur, il f aut la voir, l'entendre, la sentit Pour voir la peur, il f aut ětre seul avec eile. Quand je perds ma peur de vue, c'est comme si je perdais connais-sance. C'est peut-étre parce que j'ai été sevrée deux jours aprěs ma naissance. Ce sont eux qui m'ont sevrée. Mais j'aime mieux croire que je me suis sevrée moi-méme, que, dans un grand élan ä orgueil, j'ai mordu le sein de ma mere, que j'avais des dents de fer rouillé et que le sein s'est gangrene. J'imagine toutes sortes de choses et je les crois, je les fais agir sur moi comme si elles étaient vraies. II n'y a de vrai, que ce que j'ose croire vrai. {AA, 15-16) L'hésitation premiere du lecteur provient non pas du statut incertain de ľévé-nement évoqué, événement qui n'a évidemment pas eu lieu, mais du simple fait que la narratrice ľinvente. En somme, c'est Berenice elle-meme, de par sa nature invraisemblable, qui motive l'etonnement engendré par la violence inattendue de ses propos: II est l'heure que je me mette ä tuer des hommes blancs, des femmes blanches et des enfants blancs avec un tisonnier. Demain, il sera trop tard. L'heure de broyer des mains et des pieds avec des étaux lents et de recueillir le sang exprimé dans une choppe sonne. Boire du sang. C'est si chaud du sang. C'est comme du lait au sortir de la vache. {AA, 219) Ce passage n'est pas sans rappeler le fantastique téněbreux5 chez Lautréamont, oü ľon peut lire sur un ton tout aussi macabre, mais d'autant plus repugnant ä cause de revocation des larmes de la victime: 4 Réjean Duchařme, Ľavalée des males, Paris, Editions Gallimard, 1966, p. 7-8. Désormais, toutes les references ä ce roman seront indiquées par le sigle AA, suivi du folio, et placées entre parentheses. 5 Raymond Jean, Lectures du desk, Paris, Editions du Seuil, coll. «Points», 1977, p. 104. On doit laisser pousser ses ongles pendant quinze jours. Oh! comme il est doux d'arracher brutalement de son lit un enfant qui n'a rien encore sur la lěvre supérieure, et, avec les yeux trěs ouverts, de faire semblant de passer suavement la main sur son front, en inclinant en arriěre ses beaux cheveux! Puis, tout ä coup, au moment oü il s'attend le moins, d'enfoncer les ongles longs dans sa poitrine molle, de facon qu'il ne meure pas; car, s'il mourait, on n'aurait pas plus tard l'aspect de ses misěres. Ensuite, on boit le sang en léchant les blessures; et, pendant ce temps, qui devrait durer autant que ľétemité dure, l'enfant pleure. Rien n'est si bon que son sang, extrait comme je viens de le dire, et tout chaud encore, si ce ne sont ses larmes, aměres comme le sel6. L'une des distinctions ä faire entre le passage tiré de Ľavalée des avalés et celui provenant des Chants de Maldoror reside dans la reaction suscitée chez le lecteur, car bien que partageant quelques structures thématiques identiques, les deux textes motivent une lecture différente. II est permis ä Berenice Einberg, par le biais de ľindividuation « enfant», de proposer un discours tout aussi imprégné de violence et de haine; celui du narrateur des Chants de Maldoror ne produit cependant pas le méme effet de repulsion chez le lecteur. Si ce dernier se laisse convaincre, n'est-ce pas du précisément ä ľactualisa-tion implicite ďun lieu commun dans la narration selon lequel ľenfant référentiel devient pretexte ä ľinvention, tant du côté syntaxique que sémantique. Aussi, le lecteur profite de ľimage stéréotypée de ľenfant référentiel pour adoucir sa repugnance, alors qu'a priori, la force est la méme que chez Lautréamont, le narrateur ayant ici atteint ľäge de raison. On voit done, quoique les deux voix narratives se définissent par les mémes procedures de mise en discours, que les messages ultimes n'en sont pas moins decodes de fagons différentes. j§f? Le statut d'enfant accorde ä la narratrice ducharmienne une grande latitude fictionnelle, car on reconnalt dans son discours ľexistence de quelques cliches, qui ont néanmoins subi une certaine dislocation et qui permettent au lecteur d'accepter ľirréalité du discours comme «normale» pour ainsi dire. En revanche, le narrateur revet chez Lautréamont une forme si hideuse et si loin de tout stereotype qu'il est incapable de reproduire ľélément ludique que ľon trouve chez Berenice. Le narrateur se présente ainsi : Je suis le fils de l'homme et de la femme. [...] Moi, si cela avait pu dépendre de ma volonte, j'aurais voulu ětre plutôt le fils de la femelle du requin, dont la faim est amie des tempétes, et du tigre, ä la eruauté reconnue. [...] Vous, qui me regardez, éloignez-vous de moi, car mon haieine exhale un souffle empoisonné. Nul n'a encore vu les rides vertes de mon front; ni les os en saillie de ma figure maigre, pareils aux arětes de quelque grand poisson, ou aux rochers couvrant les rivages de + + + 6 Lautréamont, CEuvres completes, edition préparée par Germain Nouveau, Paris, Editions Gallimard, coll. « Bibliothěque de la Pléiade », 1970, p. 49. la mer, ou aux abruptes montagnes alpestres, que je parcourus souvent, quand j'avais sur ma téte des cheveux d'une autre couleur. Et, quand je rode autour des habitations des hommes, pendant les nuits orageuses, les yeux ardents, les cheveux flagellés par le vent des tempětes, isolé comme une pierre au milieu du chemin, je couvre ma face ftetrie, avec un morceau de velours, noir comme la suie qui remplit ľintérieur des cheminées: il ne faut pas que les yeux soient témoins de la laideur que l'Etre supreme, avec un sourire de haine puissante, a mise sur moi7. L'autoportrait de Berenice, si désobligeant soit-il, réunit paradoxalement trois elements que ľon associe normalement au nouveau-né, ä ľenfant et ä ľadolescent: J'ai le visage tissé de boutons. Je suis laide comme un cendrier rempli de restes de cigares et de cigarettes. Plus il fait chaud, plus mes boutons me font mal. J'ai le visage rouge et jaune, comme si j'avais ä la fois la jaunisse et la rougeole. Mon visage durcit, épaissit, brüle. (AA, 16) Aussi constate-t-on que Berenice est «née» de la transformation de trois images stéréotypées: nouveau-né ictérique, enfant souffrant de la rougeole et adolescent boutonneux. Cet ětre romanesque, aussi peu vraisemblable que le narrateur des Chants de Maldoror, est cependant inspire du tableau humain de la creation qui se dessine ä partir d'une comparaison extraordinaire entre os, arétes de poisson, rochers et montagnes. La narratrice semble ironiser sur la peinture qu'elle fait d'elle-měme par le truchement d'une comparaison non conventionnelle chez Duchařme: «Je suis laide comme un cendrier rempli de restes de cigares et de cigarettes.» Force est de noter que le ludisme ainsi manifeste chez Duchařme est entiěrement absent du texte de Lautréamont. Chez Duchařme, le glissement de ľabstrait au concret8 — «laideur» comparée ä « cendrier » —, par la dislocation humoristique du syntagme « étre laid comme...», provoque le lecteur ä cause de l'inattendu de cette modification. Celui-ci ne peut qu'étre sensible au ludisme ducharmien, ce qui joue, par consequent, un role determinant dans la maniere dont il réagit au texte. Une série de citations anaphoriques permet de cerner le processus par lequel le cliche ainsi modifié ne se caractérise plus par la causalité conventionnelle ä laquelle tout lecteur s'attend. Les trois citations suivantes offrent des réponses eventuelles ä la question (non posée explicitement dans le texte) de ľadulte ä ľenfant: « Que voudrais-tu faire quand tu seras grande ? » Cest la narratrice qui parle: Quand je serai grande, je serai arrogante et impie. J'aurai poussé des racines grosses comme les colonnes de la synagogue. J'aurai des feuilles grandes comme des voiles. + + + 7 Ibid., p. 54-55. 8 Ä ce propos, voir Patrick Imbert, Roman québécois contemporain et cliches, Ottawa, Presses de I'Université d'Ottawa, 1983, p. 116-118. Je marcherai tete haute. Je ne verrai personne. Quand le feu qui vient viendra, il brülera ma peau, mais mes os ne flancheront pas, mais mon échine ne fléchira pas. [AA, 18) Quand je serai grande, je n'aurai plus en place de cceur qu'une outre vide et sěche. Christian me laissera froide, tout ä fait indifferente. Aucun lien ne nous unira que je n'aurai tissé de mes propres mains. Aucun élan ne me portera vers lui de mes seuls pieds. J'aimerai sans amour, sans souffrir comme si j'étais quartz. Je vivrai sans que mon cceur batte, sans avoir de cceur. (AA, 30) Quand je serai grande, je ne passerai pas mon temps ä déambuler paresseusement dans ľherbe morte. Je serai done partie pour un lieu d'oü on ne revient pas, un lieu oü ľon arrive en passant par des lieux oü ľon ne s'arréte pas. Je monterai Pégase, comme Ajax d'Qilée, comme Bellérophon. Je mourrai en pleine force, de l'explosion méme de ma violence. Je me mesurerai ä la mort en plein midi, plein éveil, pleine gloire. {_AA, 120) Les trois passages ci-dessus rendent prévisible une structure s'annoncant de prime abord comme celle du cliche prononcé par ľenfant: « Quand je serai grande, je vou-drais». Cela s'annule par un énoncé que caractérisent la figuration de ľadynaton ainsi que l'expression d'une volonte de puissance hyperbolique. Chaque citation souligne un trait de la narratrice, respectivement dans les trois passages: air de superioritě, absence de toute emotion et, enfin, aspiration vers la lucidité dans la mort comme on l'a vu dans l'anticipation de la mort chez Lautréamont. Les allusions ä Pégase — symbole de ľinspiration poétique ainsi qu'ä Ajax — héros homérique et roi de Locriens — et ä Bellérophon — dompteur de Pégase — accentuent le côté extraordinaire de ces comparaisons et font entrevoir chez Duchařme la mise en cause du procédé mimétique. Une autre maniere de subvertir le stereotype de ľenfant se révéle lors de la creation du « bérénicien» par la narratrice, langue ä eile qui, malgré ses inventions tant sémantiques que syntaxiques, est loin de revétir la forme du babil enfantin. Patrick Imbert a décelé chez Duchařme cette imprévisibilité qui va ä l'encontre des habitudes langagiěres les plus fortement établies9. De méme, Jacqueline Gerols relěve dans Ľavalée des avalés une remise en question du langage10, et refuse, ä ľinstar d'Imbert, ďy voir un apport direct ä la production du texte. Certes, néolo-gismes et jeux phonétiques éveillent ľintérét du lecteur, mais ils jouent aussi un role important dans ľorientation de la lecture. Ľintérét principal du bérénicien ne reside pas entiěrement dans les manifestations de cet autre langage; dans son fonc-tionnement, il renverse et réinvente le lieu commun qu'est la creation d'une langue par ľenfant. + + + 9 Patrick Imbert, « Revolution culturelle et cliches chez Réjean Duchařme », Journal of Canadian Fiction, nos 25-26, 1979, p. 227. 10 Jacqueline Gerols, «L'invention verbale chez Réjean Duchařme», these de maitrise, Montreal, Universitě de Montreal, 1970, f. 47. Le bérénicien est né non du désir de communiquer, mais du besoin impérieux que ressent Berenice de se retirer du monde de l'adulte. II est done paradoxal que la narratrice se serve du langage pour se distancer d'autrui, lä ou ľenfant référentiel pratique son babil enfantin pour se rapprocher des autres. Consequents dans ses demarches, Berenice Einberg choisit la realite linguistique ou extra-linguistique qu'elle vit: Je donne arbitrairement une autre forme ä toutes choses qui, par son manque de consistance ou par son immensité, est impossible ä saisir... et alors, ä la faveur de cette autre forme, je saisis la chose, je la prends dans mes mains, dans mes bras, mais surtout: dans ma těte... (AA, 153) Ainsi est inventé le bérénicien: Je hais tellement l'adulte, le renie avec tant de colěre, que j'ai du jeter les fonde-ments d'une nouvelle langue... Frappée de génie, devenue ectoplasme, je criai, mordant dans chaque syllabe: « Spétermatoorinx étanglobe!»... Le bérénicien com-porte plusieurs synonymes. «Mounonstre béxéroorisiduel» et «spétermatorinx étanglobe » sont synonymes. En bérénicien, le verbe étre ne se conjugue pas sans le verbe avoir. [AA, 250) II est interessant de constater que ľapport proprement sémantique du bérénicien ä la tráme du récit est ä peu pres nul; cette nouvelle langue n'est évoquée que dans un seul paragraphe. Le sens de ces expressions inventées demeure indéter-miné; cependant, ne possědent-elles pas une signification evidente puisque leur microcontexte regit leur motivation? Ainsi, le lecteur percoit que les syntagmes «spétermatorinx étanglobe» et «mounonstre béxéroorisiduel» se posent en reaction au monde des adultes. Ce dernier est non seulement décrit en termes peu flatteurs, il est de plus un referent dans une langue dont le sens n'est accessible qu'ä ľenfant. On voit done que, s'étant fondée sur le renversement de ľimage stéréotypée de ľenfant essayant de se rapprocher de l'adulte en communiquant avec celui-ci grace ä son babil enfantin, la creation de la narratrice/enfant dans Ľavalée des avalés entraíne une certaine imprévisibilité de ľacteur. Ce manque de vraisem-blance oriente le lecteur: sa reaction, apres ľétape de ľhésitation, est ďaccepter sans repugnance le discours de la narratrice. Et ce, justement parce que son discours est loin ďévoquer le malaise que l'on éprouve en lisant les Chants de Maldoror. En privilégiám le ludisme et l'ironie humoristique de Berenice, le lecteur est justifié, voire amuse, par un tel discours. II est important de remarquer par ailleurs que měme dans son ludisme, Berenice Einberg subvertit la Stereotypie de ľenfant. Un exemple suffira ä illustrer mon propos: arrétés ä un moment donne par la police, lors d'une «evasion» de la demeure familiale, Christian et sa sceur se trouvent encore une fois sous la domination de l'adulte. Quand on leur demande leur adresse, Berenice répond: « Notre adresse, messieurs, c'est: Monsieur et Madame Homme, Planete Terre, Systeme solaire, Infini. Ôtez done vos chapeaux, goujats "!» (AA, 118) Berenice modifie non seulement le jeu des jeunes écoliers qui écrivent dans leur cahier leur adresse en donnant nom de rue, ville, province, pays, continent, hemisphere, planete et ainsi de suite, mais encore eile affiche une attitude irrespectueuse envers les policiers. L'imprécision dans l'adresse qu'elle propose en omettant les données essentielles ainsi que 1'épithěte destinée aux policiers révělent nettement qu'elle échappe ä la « norme » de ľenfant référentiel et devient ľhyperbole intertextuelle de Stephen Dedalus, «enfant de papier». Elle ne se plie ni aux regies des jeux enfantins ni ä la convention sociale selon laquelle ľenfant s'émerveille devant ľuniforme du policier ou du pompier. II devient done evident que cette subversion de la Stereotypie de ľenfant, telle qu'on la voit dans le portrait de la narratrice, a pour effet d'orienter la reception du texte vers une acceptation tantôt amusée, car l'ironie est reconnue, tantôt étonnée par des propos sans con-traintes. II est maintenant d'une importance capitale de reconnaítre que les elements permettant au lecteur d'adopter une attitude diamétralement opposée au malaise éprouvé en lisant Lautréamont sont tous inspires de la Stereotypie de ľenfant. Et pourtant, onavu que le texte ne s'approprie nullement cette Stereotypie teile quelle; il ľadapte ä ses propres fins, ce qui permet ďaccéder ä une vision critique du cliche au travers de l'ironie, et plus précisément de l'image dite normale de ľenfant référentiel. En somme, si devant le personnage de Berenice, le lecteur ne réagit pas de la měme faoon que devant le personnage des Chants de Maldoror, ceci est du aux moyens par lesquels la narratrice est representee: au plan descriptif, portrait compose d'images de nouveau-né, d'enfant et ďadolescent métonymiques; au pian discursif, modification inattendue et amüsante de cliches. II est done evident que Berenice Einberg est une enfant «littéraire», une structure hyperbolique dont la figuration dans Ľavalée des avalés met en cause le bien-fondé du cliche, et en particulier tout ce que l'on associe de maniere conventionnelle ä ľenfant référentiel. Ce qu'il y a de remarquable dans Ľavalée des avalés, c'est justement ce glisse-ment progressif vers un discours irréel fonde sur une mise en cause du cliche, ouvertuře qui opere dans le récit tant au plan de la creation du personnage qu'au plan de ľénonciation. II est interessant de remarquer que la fonetion signifiante de ľirréel existe ä cause de la transformation d'un stereotype par des instances discur-sives. Cette image stéréotypée est actualisée et c'est bien ce qui remet en cause le principe mimétique de l'illusion referentielle. Cette illusion extreme est peut-étre l'une des meiileures definitions de la littérature ou — plus précisément — de la littérarité. + + + 11 Cette citation rappelle ce qu'écrit Stephen Dedalus, protagonisté principal de A Portrait of the Artist as a Young Man de James Joyce (New York, Viking Press, 1982, p. 15) dans un manuel de géographie: «Stephen Dedalus/Qass of Elements/CIongowes Wood College/Sallins/County/Kildare/Ireland/Europe/The World/The Universe.»