Les revendications 1763-1773 TANDIS QUE LE TRAITÉ DE PARIS TOLERE LE CULTE CATHOLIQUE « en tant que le permettent les lois de la Grande-Bretagne », les articles 32 et 33 des instructions royales au gouverneur Murray, en date du 7 décembre 1763, apportent certains éclaircissements : Vous ne devez admettre aucune juridiction ecclésiastique émanant du siěge de Rome ni aucune autre juridiction ecclésiastique étrangěre dans la province confiée ä votre gouvernement. Et afin de parvenir ä établir ľÉglise d'Angleterre, tant en principe qu'en pratique, et que lesdits habitants puissent graduellement étre induits ä embrasser la religion protestante et ä élever leurs enfants dans les prin-cipes de cette religion, nous déclarons par les présentes que c'est notre intention, lorsque ladite province aura été exactement arpentée et divisée en cantons, districts, ressorts ou paroisses, tel que prescrit ci-aprěs, que tout ľ encouragement possible soit donne ä la construction ďécoles protestantes dans les districts, cantons et ressorts, en désignant, réservant et affectant ä cette fin des étendues süffisantes de terre de méme que pour une glěbe et l'entretien ďun ministře et de maítres ďécoles protestants. Le peuple canadien semble s'intéresser assez peu au sort de sa religion. Telle est du moins ľopinion du vicaire general Briand. « II est étonnant, écrit-il en 1763, combien il paraít d'indolence dans le peuple canadien pour s'assurer sa religion. Quelle difference de nos villes de France : cela vient peut-étre de ce qu'il n'y a point de corps, ni de maison de ville. Si vous ôtez cinq ou six de nos bourgeois, tout le reste demeure dans une stupide et grassiere indifference. » Quelques Canadiennes ne craignent pas d'épouser un Anglais et ce, devant un ministře protestant. Une « disette » de prétres se fait sentir, car ľÉglise catholique a perdu le tiers de ses effectifs au cours du regime militaire. Quelques religieux ont défroqué pour adherer 366 HlSTOIRE POPULAIRE DU QUÉBEC f au protestantisme. Mais le probléme majeur demeure celui de ľabsence ďun chef. Depuis le décěs de Pontbriand en juin 1760, la Nouvelle-France n'a plus ďévéque et ľordination de nouveaux prétres ne peut se faire sans un séjour ä ľétranger car, sans évéque, le sacerdoce ne peut pas étre conféré. Londres assiégée La nomination Jun Mp Mthölip poor prendre la mccemon dc monscigncur Pontbriand ne peut se faire sans I'assentiment des autorités de Londres. Le doyen du chapitre de Québec, ľabbé Joseph-Marie de Lacorne, qui vit en France, se rend en Angleterre quelques jours aprěs la signature du traité de Paris. II multiplie rencontres et mémoires. Enfin, le 18 mai, il rencontre le comte d'Egremont, secretaire d'État, ä qui il remet un memoire présentant une solution habile au probléme religieux canadien : « Ä Québec, écrit-il, il y a un évéque en titre, un Chapitre et un séminaire. C'était le roi de France, sous Fanden regime, qui nommait ľévéque. La chose n'ayant plus lieu maintenant, il y a deux alternatives : entretenir au Canada un vicaire aposto-lique ou évéque in partibus. Cet évéque, soumis ä une puissance étrangěre et tou-jours dependant d'elle, pourrait étre suspect et causer quelque inquietude. L'on propose ľautre alternative : faire élire ľévéque par le Chapitre, comme c'était autrefois la coutume universelle, comme ce ľest encore dans plusieurs dioceses. » Charles de Beaumont, plus connu sous le nom de chevalier d'Éon, secretaire ďambassade ä Londres, obtient quelques autres rendez-vous importants pour ľabbé Lacorne. Ce personnage trouble, que l'Histoire a retenu ä cause de ľambi-gu'ité au sujet de son sexe, et qui probablement a été un homme continuellement vetu en femme, annonce le succés de la mission du doyen du chapitre dans une lettre au due de Choiseul, le 13 juin : « M. ľabbé de Lacorne, doyen de Québec, que le zěle a conduit ici il y a quelques mois pour solliciter le maintien de la religion catholique au Canada, se conduit avec beaucoup de prudence et de sagesse. Il a obtenu non sans peine et grandes discussions que son chapitre aurait la permission de se choisir publiquement un évéque catholique. Ce point était le plus important pour les Canadiens et pour nous. » Certains accusent Lacorne de faire des gestes intéressés. Le gouverneur Murray y fait echo. Si Sa Ma/'esté, écrit-ií au comte de Sheíburne le 22 juillet 1763, j'uge á propos de donner un chef au clergé catholique romain de ce pays, il y a certaines circons-tances touchant ce monsieur qui, dans mon humble opinion, le rendent tout ä fait inapte ä ce poste. La bigoterie bien connue et la superstition de sa famille, Inversion de ses frěres pour tout ce qui porte un nom anglais, les eruautés incessantes qu'ils ont exercées naguěre contre nous : tout cela laisse peu ďespoir ä une conversion soudaine pour nos intéréts. Je dois en justice ä la vérité de declarer ici que M. Briand, vicaire general de ce diocese, a agi en toutes circonstances avec une candeur, une moderation, une délicatesse qui méritent les plus grands éloges, et que je m'attendais peu de trouver dans une personne de sa robe, étant donne les maximes trěs peu charitables de la religion qu'il professe et dans laquelle il a été élevé. Les revendications ;; - 367 Voila une preference bien marquee pour un éventuel candidat au poste ďévéque! Un mauvais choix Cinq membres du chapitre se réunissent ä Québec, le 12 septembre 1763. Le lende-main, ils rédigent une adresse au gouverneur Murray dans laquelle ils demandent le maintien du chapitre et exposent qu'ils ne tiennent ä rien ďautre qu'ä ne conserver de ľépiscopat « que ce qui est absolument et indispensablement néces-saire ». Briand va presenter immédiatement ľadresse ä Murray et revient siéger. Les chanoines chargent le vicaire general Étienne Montgolfier, qui part pour l'Europe, d'obtenir des autorités compétentes la permission ďélire officiellement un évéque. Le 15 septembre, les cinq membres du chapitre décident de procéder immédiatement au choix ďun évéque. Le supérieur des sulpiciens de Montreal, le vicaire general Montgolfier, qui ne fait pas partie du chapitre, est élu comme aspirant évéque. Ľhistorien Marcel Trudel resume ainsi les principales raisons de ce choix: Montreal peut loger plus convenablement un évéque que Québec, dans les circonstances actuelles ; le Séminaire de Montreal peut subvenir aux besoins financiers du candidat et, enfin, Montgolfier entretient ďamicales relations avec le gouverneur Gage qui allait devenir, croyait-on alors, le premier gouverneur civil. Le jour méme de son election, Montgolfier est prévenu et présente son acceptation devant les chanoines réunis. La nouvelle est gardée secrete et le nouvel élu doit aller lui-méme ä Londres faire approuver sa candidature. On decide alors de faire appel ä la population catholique de la province pour exercer plus de pression auprěs de la cour d'Angleterre. Le 18 septembre, lors d'une reunion des marguilliers de Québec, il est decide de faire signer une requéte par les citoyens suppliant Sa Majesté « d'accorder ä ses nouveaux sujets un évéque ä Québec pour gouverner au spirituel ľÉglise du Canada avec le clergé, le college et les séminaires pour y ins-truire et former de nouveaux sujets. » En outre, la requéte prie le roi « de conserver les communautés d'hommes et de femmes ». Étienne Charest et Amyot doivent presenter la requéte au gouverneur Murray qui devra ľacheminer, par les voies normales, au gouvernement britannique. Quant ä Charest, une somme de 6000 livres est votée pour lui permettre de se rendre ä Londres plaider, au nom des Canadiens, la cause de ľévéque. Diverses reunions se tiennent dans plusieurs paroisses pour faire accepter les frais de la deputation. La veille de ľélection de Montgolfier, soit le 14 septembre, le gouverneur Murray écrit ä son sujet ä Shelburne : Le vicaire general de Montreal doit partir trěs prochainement pour l'Angleterre. Quels sont ses plans ? Je ne les connais pas d'une maniere certaine, car il ne me les a pas communiques. Vise-t-il la mitre ? Cest trěs probable. Mais combien il est peu fait pour étre évéque [...]. II est alle jusqu'ä faire déterrer les corps de quelques soldats, sous pretexte que ces soldats étaient hérétiques et que les hérétiques ne devaient pas étre inhumes en terre sainte. Une telle conduite ne pouvait manquer d'etre trěs insultante aux sujets anglais de Sa Majesté en ce pays. Un prétre si hautain, si impérieux, si en rapport, ďailleurs, avec la France, placé ä la téte de 368 HlSTOIRE POPULAIRE DU QUÉBEC 1'Église du Canada, ne pourrait manquer de faire beaucoup de mal, ä la premiere occasion qu'il aurait de déployer sa rancune et sa malice. De toute evidence, Montgolfier, qui quitte Québec pour Londres au debut ďoctobre, n'est pas le candidat de Murray! Le 23 octobre, Murray apprend par une lettre du comte d'Egremont que le roi lui confie le gouvernement du Canada. Dans la méme missive écrite le 13 aoůt, le secretaire d'État ajoute : Sa Majesté croit qu'il est trěs important de vous communiquer quelle a recu certaines informations qui lui donnent raison de craindre que les Francais aient ľintention de profiter de la liberté accordée aux habitants du Canada de pratiquer la religion catholique, pour entretenir des relations avec ces derniers et la France et conserver par le moyen des prétres une influence süffisante sur les Canadiens pour induire ceux-ci ä se joindre ä eux, si l'occasion se présente de tenter de recouvrer ce pays. II est done de la plus grande importance de surveiller les prétres de trěs pres et de déporter aussitôt que possible tous ceux qui tenteront de sortir de leur sphere et de s'immiscer dans les affaires civiles. Bien que le roi, par ľarticle 4 du traité définitif ait consenti ä accorder la liberté de religion catholique aux habitants du Canada et que Sa Majesté n'ait pas la moindre intention ďempécher ses nouveaux sujets catholiques romains de pratiquer le culte de leur religion suivant les rites de ľÉglise romaine, néanmoins la condition exprimée par le méme article ne doit pas étre perdue de vue, savoir : en autant que le permettent les lois de la Grande-Bretagne, lesquelles lois n'admettent absolument pas de hierarchie papale dans aucune possession appartenant ä la couronne de la Grande-Bretagne et ne peuvent que tolérer ľexercice de la religion. [...] En general, vous empécherez tout prétre regulier de se rendre au Canada, en vous effor-cant de prévenir, autant que possible, qu on remplisse les vides qui pourraient se produire dans les ordres religieux. Le contenu de cette lettre est vite connu ä Québec et ľabbé Henri-Francois Grave de La Rive confie ä un ami, le 25 octobre : « Que nous sommes tristes ! II y a deux jours que nous recumes ľaffligeant reglement de la cour qui nous refuse un évéque, comme une chose contraire aux lois de la Grande-Bretagne... Cela ne nous empéchera pas de presser monsieur le depute du peuple [Charest] de partir... II part en effet demain. » Arrive ä Londres vers la mi-décembre, Charest présente au comte d'Halifax une lettre de Murray dans laquelle ce dernier propose une solution aux problěmes religieux canadiens : encourager le Séminaire de Québec ä former des jeunes en vue du sacerdoce et les envoyer « aux dépens du tresor dans des états amis pour étre faits prétres et ils nous reviendraient pour exercer ici leur ministěre » ; obliger les sulpiciens ä vendre leurs biens, excepté s'ils consentent ä rompre leurs liens avec Paris et unir les deux séminaires; forcer les jésuites ä se démettre, moyennant pension et attendre patiemment leur extinction. Selon le gouverneur, « ceci parait étre le moyen le plus praticable de créer un clergé national sans maintenir un évéque. II donnerait satisfaction generale et, avec le temps, les Canadiens oublie-raient leurs liaisons». Charest n'obtient pas un succěs total dans sa mission mais, le 14 Janvier 1764, il reeoit comme réponse « qu'il est contre le serment que le roi préte ä son avěne- f Lesrevendications 369 ment ä la Couronne, de permettre qu'il y ait en Canada un évéque en titre, mais qu'on permettra qu'il en passe un ou méme deux sous le nom de supérieurs des Séminaires, aprěs avoir prété serment de fidélité au roi». Comme la fonction importe plus que le titre, Charest accepte le verdict. Aprěs un bref séjour ä La Rochelle, il revient ä Québec. Un nouveau choix L'indisposition de Murray envers Montgolfier incite ce dernier ä demissionner. Le 9 septembre 1764, pres de deux mois aprěs son retour dans la colonie, le sulpicien d'origine francaise signe la formule suivante : « Vu aujourďhui ľétat des choses et la disposition des puissances temporelles, je renonce librement, purement et parfaitement, en tant que de besoin, ä ladite election et certifie en méme temps que je ne connais personne dans cette colonie plus en etat de remplir cette place que monsieur Olivier Briand, prétre, chanoine et grand vicaire du diocěse, qui, ä la pureté de la foi, au zěle, ä la science, ä la prudence et ä la piété la plus distinguée que je connaisse dans cette colonie, joint en sa faveur le suffrage du clergé et des peuples et la protection la plus marquee du gouvernement politique. » Le 11 septembre, on procěde au choix d'un nouvel évéque. Ä haute voix, selon ľordre et le rang de chacun, les chanoines se prononcent en faveur de Briand, candidat qui sera certainement accepté par le gouverneur Murray. Au probléme déjä soulevé par Londres est venu s'en ajouter un autre tout aussi grave, émanant cette fois de Rome. Le cardinal Joseph-Marie Castelli, préfet de la Propagande, avait signé, le 28 mars 1764, des « instructions pour le Nonce de Paris ». On y precise, entre autres, que « le Saint-Siege ne peut admettre un évéque élu par ce chapitre ». Cette election constitue « un attentat dangereux contre les droits du Saint-Siěge ». Le cardinal stipule que Ton devra se contenter d'un vicaire apostolique « revétu du caractěre episcopal, avec un titre in partibus, et qui, avec touš les pouvoirs d'un évéque competent, gouvernera toute cette chrétienté ». Le chapitre de Québec elit quand méme Briand au poste ďévéque et prepare ä cet effet deux documents : un ou ľon precise que le grand vicaire est élu évéque de Québec et un second oů on le présente au titre ďévéque. Le 20 septembre 1764, deux navires, Le General Murray et le Londres, quittent le port de Québec en direction de Londres. Le vicaire general Briand est ä bord de Fun d'eux. II arrive au port de Douvres au tout debut de novembre, souffrant depuis douze jours d'un mal de gorge. II decide cependant de poursuivre le voyage sur le méme bateau. Le 16, il est recu par lord Halifax, qui lui demande d'attendre la decision des lords du Commerce. Les semaines passent; rien n'aboutit. L'appui de Murray a moins de poids qu'auparavant. Les denunciations portées contre le gouverneur par des marchands ont produit leur effet. Bien plus : un jesuite passe du côté anglais, Pierre-Joseph-Antoine Roubaud, présente aux autorités anglaises une « remontrance » contre la nomination d'un évéque. Le 12 Janvier, Cramahé écrit ä Murray : « Le pauvre Briand est toujours ici en attente. Roubaud s'est oppose ä son affaire par un memoire qui semble avoir du poids auprěs de certaines personnes. » Le secretaire du gouverneur revient sur le sujet, le 9 février suivant: « Ce pauvre Briand fait pitie ä voir ; et je crains que ľaffaire de Févéché de Québec, qui 370 HlSTOIRE POPULAIRE DU QUÉBEC aurait réussi ľannée derniěre s'il avait été ici, n'échoue maintenant. Je n'ai pas craint de dire mon opinion, que la mesure en question était nécessaire pour satisfaire le peuple canadien au point de vue religieux. On parait le croire également, mais on craint, je pense, de donner des armes ä ľopposition : il y a ces troubles récemment flrrívéE on Mando et il y en a p m so gtot w m áiw fl'ils Aftt itó tatéi par quelques prétres. » En décembre 1765, il n'y a toujours pas de decision officielle de rendue. Officieusement, on fait comprendre ä Briand qu'il n'y a qu'un moyen de regier la Situation: «C-uil aüle done se faire consacrer oy b9n |uj gen^je, en Frajjce, jj'fl ľaime mieux : on ne dira rien, on fermera les yeux sur son depart; il reviendra ä Londres tranquillement et sans bruit, consaeré évéque, mais sans afficher ce titre, sans parier ďépiscopat; il sera reconnu comme Supérieur majeur de l'Église du Canada. Tout le monde se réjouira du fait accompli et il partira pour le Canada, content. » Et e'est ce que decide de faire le vicaire general. II obtient la permission des autorités anglaises de se rendre en Bretagne voir sa vieille mere. De lä, il fait route tff! Paris. A u, b pp m I sp, Is II psi II li is nommant Jean-Olivier Briand évéque de Québec. Le 16 mars suivant, dans la chapelle d'un chateau situé ä Suresne, en banlieue de Paris, ľévéque de Blois, accompagné des évéques de Rodez et de Saintes, lui donne la consecration épiscopale. Selon la Gazette de Québec, aprěs un séjour de cinq semaines ä Londres oů tous semblent heureux du denouement de « ľaffaire », le nouvel évéque s'embarque ä bord du Commerce. Le navire jette l'ancre devant Québec, le 28 juin ä onze heures du soir. Le seul journal de la province de Québec rapporte que le lendemain, ä cinq heures du matin, les cloches de toutes les églises annoncěrent son arrivée ä toute la ville; ce qui causa une si grande satisfaction ä tous les Canadiens qu'on en vit plusieurs pleurer de joie. C'était quelque chose de tou-chant de les voir se féliciter les uns les autres partout oů ils se rencontraient, et se dire sans cesse : C est done vrai, nous avons done un évéque; Dieu a eu pitie de nous. Et de les voir courir en foule ä ľéglise de la paroisse, pour avoir la consolation de voir cet évéque, qu'ils regardaient comme le soutien de leur religion et comme un gage de la bonté paternelle pour eux. [...] Ce qui les fiatte encore beaucoup, e'est de recevoir ä ce sujet les felicitations de tout ce qu'il y a ici de personnes considerables de notre nation [anglaise], qui en effet ont paru prendre beaucoup de part ä leur joie et nous ne doutons point que les Canadiens qui nous paraissent fort susceptibles de reconnaissance, n'en deviennent plus unis avec nous. Le 19 juillet 1766, monseigneur Briand prend possession du siege de Québec. Officiellement, il porte, sur le plan administratif, le titre de Superintendant of the romish church. Děs le lendemain, il confere la prétrise ä Jean-Francois Hubert qui deviendra plus tard le neuviěme évéque de Québec. Ä la fin de ľannée, le cardinal Castelli dictera la conduite ä tenir : « II faudra que les ecclésiastiques et ľévéque du Canada se comportent avec toute la prudence et la discretion possible pour ne point causer de jalousie d'État au gouvernement; qu'ils oublient sincěrement ä cet égard qu'ils sont Francais. » Lesrevendications 371 Une religion en danger ' '. Le sacre de monseigneur Briand ne signifie pas que toutes les difficultés ont disparu et que la religion catholique a obtenu un droit officiel et legal d'exister. Francis Maseres, qui vient d'etre nommé procureur general de la province de Québec, se penche sur la question avant son depart de Londres. Aprěs avoir analyse les lois et les Statuts anglais, « nous pouvons conclure, écrit-il en 1766, que ľexercice de la religion catholique ne peut, en vertu des lois de la Grande-Bretagne, étre toléré dans la province de Québec. Néanmoins il est sůrement trěs raisonnable, et touš ceux qui aiment la paix, la justice et la liberté de conscience doivent le désirer, que ľexercice de cette religion soit toléré. Mais alors, en vertu de quelle autorite sera-t-il toléré ? Cest la seule question qui reste ä résoudre. » Consultés par le roi sur les divers problěmes canadiens, les lords du Commerce et des Plantations présentent leur rapport, le 10 juillet 1769. Leurs recom-mandations, si elles avaient été acceptées, auraient signifié la mise en tuteile de ľÉglise catholique du Québec. Tel surintendant, affirment-ils, ne pourra déployer aucune magnificence ou pompe extérieure attachée ä la dignitě épiscopale dans les pays caťholiques remains ; il ne pourra lui-méme prendre connaissance ni nommer quelqu'un pour prendre connaissance des causes de nature civile, criminelle ou ecclésias-tique, excepté lorsqu'il s'agira de la conduite du clergé inférieur en matiěre reli-gieuse; cependant il ne pourra méme en ce dernier cas, exercer aucune autorite ou juridiction sans le consentement et ľapprobation du gouverneur ; en outre, ledit surintendant ne pourra exercer ďautres pouvoirs que ceux que le gouverneur et le Conseil croiront absolument nécessaires ä ľexercice de la religion catholique romaine par les nouveaux sujets de Sa Majesté. [...] Aucune personne n'obtiendra un benefice ecclésiastique dans ľÉglise romaine de ladite province de Québec sans le consentement et ľautorisation du gouverneur ou du commandant en chef; il ne pourra non plus permettre aucune procession publique, ni aucune ceremonie s'accompagnant de pompe ou de parade ; il devra, en toute occasion, avoir soin que les rites de ľÉglise de Rome soient pratiques avec moderation et simplicitě dans touš les cas, dans le but ďéviter tout sujet de friction et de dispute entre les sujets protestants et catholiques de Sa Majesté. Les mémes lords du Commerce et des Plantations recommandent ľabolition de ľordre des jésuites et de celui des récollets, ľabolition du chapitre, la fusion des Séminaires de Québec et de Montreal et la fin du recrutement des communautés religieuses de femmes. Cette attitude vis-ä-vis des jésuites reflěte le comportement general adopté envers cet ordre religieux. En novembre 1764, Louis XV ordonne ľabolition de la Société de Jesus sur le territoire francais et confisque les biens de la communauté. Vers la méme époque, plusieurs autres souverains adoptent la méme attitude et, le 8 juin 1773, le pape supprime la Compagnie de Jesus. La cour d'Angleterre cherche une solution aux problěmes religieux canadiens. Le soUiciteur general Alexander Wedderburn, le procureur general Edward Thurlow et ľavocat general James Marriott étudient la situation de la colonie et présentent des opinions différentes sur le probléme de la religion. Le premier est favorable ä son maintien et le dernier affirme que « la religion catholique ne peut ni tolérer ni 372 HlSTOIRE POPULAIRE DU QUÉBEC étre tolérée ». II faut attendre ľ Acte de Québec et la rebellion américaine pour que ľAngleterre prenne position sur ce point. Le 22 juin 1773, le lieutenant-gouverneur de la province de Québec, Théo-philus Cramahé, exprime ľattitude conciliante que les autorités voudraient voir adopter: J'avoue que j'ai toujours pensé que le moyen le plus súr et le plus efficace de gagner ľaffection des sujets canadiens de Sa Majesté ä ľégard de sa royale personne et du gouvernement était de leur accorder toute la liberté et toute ľindulgence possible concernant ľexercice de leur religion ä laquelle ils sont extrémement attaches et que toute entrave qui leur serait imposée ä ce sujet ne ferait que retarder au lieu de häter le changement de leurs idées en matiěre reli-gieuse. Les vieux prétres disparaissent graduellement et, dans quelques années, la province sera entiěrement pourvue ďun clergé canadien ; ce résultat ne pourrait étre obtenu sans une personne remplissant ici des fonctions épiscopales, outre que ľapprobation ďun coadjuteur fera disparaltre la nécessité pour ľévéque d'aller se faire consacrer au-delä des mers et d'avoir des rapports personnels avec ceux qui n'entretiennent peut-étre pas des dispositions trěs amicales ä ľendroit des intéréts britanniques. Lois anglaises ou franqaises ? Toute aussi importante que la question religieuse est celle de la survivance des lois francaises. Alors que les Canadiens semblent préférer les lois criminelles anglaises ä celieš de ľancien regime, ils ne veulent pas voir disparaltre les lois civiles régissant leur droit de propriété et de succession. En Angleterre, les juristes ne sont pas tous du méme avis sur le maintien des lois francaises. Le 14 avril 1766, le procureur general Charles Yorke et le solliciteur general William de Grey présentent un rapport au sujet du gouvernement civil de la province de Québec. Selon eux, « ä ľégard de proces ou d'actions au sujet de titres de terre, de transmission, d'aliénation, de douaire et d'hypotheques concernant les biens immeubles, il serait tyrannique de bouleverser, sans müre et sérieuse consideration et sans ľaide des lois qui devront étre promulguées ä ľavenir pour la province, les coutumes et les usages locaux qui existent encore. [...] Les sujets britanniques qui achětent des terres dans cette colonie peuvent et doivent se conformer aux regies locales suivies ä ľégard de la propriété au Canada, comme ils sont tenus de le faire dans certaines parties de ce royaume et dans les autres possessions de la Couronne. » Quant aux causes criminelles découlant d'une offense capitale «il est trěs opportun (autant que possible) d'avoir recours aux lois anglaises pour établir la definition et la nature de ľoffense elle-méme ainsi que pour la maniere de pro-céder en vue d'admettre le prisonnier ä caution ou de le retenir en prison ». Guy Carleton, qui devient lieutenant-gouverneur de la province de Québec en 1766, trouve, aprěs une année d'administration, que ľimbroglio judiciaire actuel provient de ľadoption de ľordonnance de 1764 qui demande de rendre justice autant que possible selon les lois anglaises. « Si je ne me trompe, écrit-il ä Shelburne le 24 décembre 1767, aucun conquérant n'a eu recours dans le passé ä des procédés L E S R E V E N D I C A T I O N S 373 aussi sévéres, méme lorsque des populations se sont rendues ä discretion et soumises ä la volonte du vainqueur sans les garanties ďune capitulation. » II demande done de « maintenir pour le moment des lois canadiennes presque intactes ». La plupart des sujets britanniques venus s'installer dans la colonie depuis la conquéte ne sont pas d'accord sur le retour aux lois francaises. lis ont interprete la Proclamation royale en comprenant que les lois anglaises devenaient les lois appli-quées au Québec. Par suite d'une telle interpretation de cette proclamation, fait remarquer Francis Maseres, ils disent qu'ils ont quitté leur pays natal pour venir s'établir dans cette province avec la confiance qu'ils ne faisaient que changer de climat en cherchant dans une autre contrée ä réaliser des profits dans le commerce, mais qu'ils ne s'attendaient pas ä y étre assujettis aux lois d'un peuple vaincu, lois qui leur sont entiěrement inconnues et contre lesquelles ils entretiennent (peut-étre sans raison) de grands préjugés. Certains Canadiens profitent de ľambiguíté de la situation pour jouer avec les deux systěmes de lois. On cite le cas des jésuites qui donnent ä bail, dans la region de Québec, des terres pour une perióde de 21 ans, alors que la loi francaise stipule que l'affermage ne doit pas dépasser neuf ans. Certains seigneurs, affirmant que le droit féodal francais n'existe plus, augmentent le montant des rentes seigneuriales. Les censitaires refusent de payer en vertu de la méme abolition ! En 1770, cinquante-neuf Canadiens signent une petition au « Trěs Gracieux Souverain », lui demandant de restaurer les lois civiles francaises. « Rendus ä nos coutumes et ä nos usages, administrés suivant la forme que nous connaissons, con-cluent-ils, chaque particulier saura la force de ses titres et le moyen de se défendre, sans étre obliges ä dépenser plus que la valeur de son fonds pour se maintenir dans sa possession. Devenus capables de servir en toute condition notre roi et notre patrie, nous ne gémirons plus de cet etat d'humiliation qui nous rend, pour ainsi dire, la vie insupportable et semble avoir fait de nous une nation réprouvée. » Le « pauvre peuple »est sans doute celui qui a le plus ä souffrir de la situation judiciaire. En 1770, Joseph Desrosiers, « ci-devant capitaine de milice », fait echo aux doléances populaires. « Ce ne sont que proces mal intentés au prejudice de tout le pauvre peuple qui se trouve aceablé et ruiné totalement par les injustices qui lui sont faites, écrit-il; on ne voit touš les jours que proces sur proces, pour des choses de néant; pour vingt ou trente sous, on forme un proces qui se monte le plus souvent ä quarante, cinquante et soixante livres par la multitude de frais qui sont faits ä ces pauvres gens. » De 1772 au debut de 1774, la position des principaux juristes anglais se precise : sur le plan civil, retour aux lois francaises; au criminel, maintien des lois anglaises. L'avocat general James Marriott va plus loin : « II est peut-étre ä propos, écrit-il en 1774, de permettre que toutes les plaidoiries aient lieu en francais ou en anglais dans toutes les cours, ä ľoption des parties indistinetement, et il devrait étre connu dans une semblable contrée que les parties peuvent plaider pour elles-mémes. » 374 HisToiREPOPULAiRE du Québec Tout comme pour le probléme religieux, la question legale et judiciaire trouvera son denouement avec ľActe de Québec. Un peuple ä assimiler S'il faut croire Murray, la premiere vague ďimmigrants anglais ä s'installer au Québec n'est pas des plus valables. Mais il faut se rappeler que le premier gouver-neur civil doit faire face ä une série de denunciations de ces mémes Anglais qu'il dénonce. La plupart, écrit-il ä Shelburne le 20 aout 1766, sont venus ä la suite de ľarmée, gens de peu ďéducation ou soldats licenciés ä la reduction des troupes. Touš ont leur fortune ä faire, et je crains que plusieurs ne soient guěre scrupuleux quant aux moyens d'y parvenir. Je declare qu'ils constituent en general la plus immorale collection d'individus que j'aie jamais connue et qu'ils sont naturellement bien peu aptes ä faire aimer par les nouveaux sujets nos lois, notre religion et nos coutumes, encore moins ä appliquer ces lois et ä exercer le gouvernement. D'autre part, les Canadiens, accoutumés ä ľarbitraire et ä une sorte de gouvernement militaire, sont une race frugale, industrieuse et morale, qui, grace au traitement juste et modéré des officiers de Sa Majesté, pendant les quatre années de leur gouvernement, était bien revenue de son antipathie naturelle envers les conqué-rants. [...] On a du choisir les magistrats et les jurés pármi les quatre cent cin-quante méprisables trafiquants et cantiniers. [...] Ils détestent la noblesse cana-dienne parce que sa naissance et sa conduite méritent le respect; ils détestent les paysans canadiens parce qu'ils n'ont pu les soumettre ä ľoppression dont cette classe était menacée. L'opposition entre les francophones et les anglophones inquiěte les autorités métropolitaines. Pour Maseres, la solution est simple : ľassimilation des Canadiens. II s'agit de maintenir dans la paix et ľharmonie et de fusionner pour ainsi dire en une seule, deux races qui pratiquent actuellement des religions différentes, parlent des langues qui leur sont réciproquement étrangěres et sont par leurs instincts portées ä préférer des lois différentes. La masse des habitants est composée ou de Francais originaires de la vieille France ou de Canadiens nés dans la colonie, parlant la langue francaise seulement et formant une population évaluée ä quatre-vingt-dix mille ämes, ou comme les Francais ľétablissent par leur memoire, ä dix milk chefs de famille. Le reste des habitants se compose de natifs de la Grande-Bretagne ou ďlrlande ou des possessions britanniques de ľAmérique du Nord qui atteignent actuellement le chiffre de six cents ämes. Néanmoins si la province est administrée de maniere ä donner satisfaction aux habitants, ce nombre s'accroítra chaque jour par ľarrivée de nouveaux colons qui y viendront dans le dessein de se livrer au commerce ou ä ľagriculture, en sorte qu'avec le temps il pourra devenir égal, méme supérieur ä celui de la population francaise. Le lieutenant-gouverneur Carleton n'est pas du tout convaincu que les Anglais vont supplanter numériquement les Canadiens. II écrit ä Shelburne le 25 novembre 1767 : « Tandis que la rigueur du climat et la pauvreté de la contrée découragent tout le monde, ä ľexception des natifs, la salubrité ici est telle que ces derniers se Les revendications 375 multiplient chaque jour ; en sorte que, s'il ne survient aucune catastrophe qu'on ne saurait prévoir sans regret, la race canadienne dont les racines sont déja si vigou-reuses et si fécondes, finira par peupler ce pays ä un tel point que tout element nouveau qu'on transplanterait au Canada s'y trouverait entiěrement débordé et efface, sauf dans les villes de Québec et de Montreal. » Malgré leur superioritě numérique, les Canadiens se rendent compte de la situation qu'on veut leur créer. Les seigneurs de Québec présentent un memoire au roi oů ils dénoncent, ä leur tour, le sort qu'on leur reserve : « Les anciens sujets, du moins le plus grand nombre depuis 1'époque du gouvernement civil, n'ont cherché qua nous opprimer et ä nous rendre leurs esclaves et peut-ctre ä s'emparer de nos biens. » Des postes, s.v.p. Les bourgeois canadiens et la petite noblesse se sentent evinces des postes de com-mande, d'oii, selon Carleton, l'explication partielle de leur attitude. Le 20 Janvier 1768, il suggěre ä Shelburne un moyen de renverser la vapeur: nommer trois ou quatre Canadiens au Conseil et accorder quelques emplois dans la fonction publique. « En outre, ajoute-t-il, les gentilshommes auraient raison ďespérer que leurs enfants, sans avoir recu leur education en France et sans faire partie du service francais, n'en pourraient pas moins supporter leurs families en servant le roi leur maltre et en exercant des charges qui les empécheraient de descendre au niveau du bas peuple par suite des divisions et des subdivisions des terres ä chaque generation. » Les lords du Commerce et des Plantations partagent un peu le méme avis que Carleton. Dans un rapport au roi, en date du 10 juillet 1769, ils suggerent de porter le nombre des membres du Conseil ä quinze, alors qu'il est limite ä douze, et ďaccorder au maximum cinq siěges ä des Canadiens. Les conseillers de George III divergent ďopinion sur la politique ä adopter face au peuplement de la province de Québec. Selon le solliciteur general Wedder-burn, il faut arréter l'immigration. Parlant des anciens et des nouveaux sujets, il éerit en 1772 : « Les opinions de ces deux classes ďhommes ne peuvent étre entiěrement mises de côté et la preference devrait étre accordée aux habitants indigenes plutôt qu'aux emigrants anglais, non pour la seule raison que les premiers sont plus nombreux, mais parce qu'il n'est pas dans ľintérét de la Grande-Bretagne que les sujets de ce pays aillent s'établir dans cette colonie. » Quant ä Marriott, l'assimilation des Canadiens n'est, pour lui, qu'une question de temps. « Les grandes lignes de l'Union du Canada au royaume de la Grande-Bretagne, affirme-t-il en 1774, sont tracées děs maintenant en vertu de la conquéte. L'assimilation de l'administration de cette colonie au gouvernement de la metropole, quant aux tribunaux, est déjä un fait accompli, tandis que l'assimilation des coutumes suivra lentement et s'opérera nécessairement comme une consequence naturelle de la conquéte. » Mais l'assimilation ne se produit pas assez rapidement selon la plupart des Anglais établis au Québec. Le 31 décembre 1773, un comité (forme ďanciens sujets de Sa Majesté résidant dans le district de Québec) proteste, entre autres, contre cette ť 376 HlSTOIRE POPULAIRE DU QUÉBEC situation. Les signataires, Jenkin Williams, John Welles, John Lees, John McCord, Charles Grant, Malcolm Fräser et Zachary Macauly, se plaignent du manque ďécoles et de séminaires protestants nécessaires ä ľéducation et ľinstruction de la jeunesse anglaise. lis doivent faire face ä ľalternative suivante : ou laisser leurs enfants sans instruction ou les envoyer dans des écoles tenues par le clergé catho-lique, avec les risques ďassimilation que cela comporte ! Le 15 janvier de ľannée suivante, un comité anglophone forme ä Montreal formule les mémes revendica-tions et apprehensions. Parmi les signataires, on retrouve les noms de James McGill, James Finlay et Lawrence Ermatinger. Pour la minorite anglophone de la province de Québec, un genre de solution miracle se dessine: une Chambre ďassemblée qui contrôlerait, ďune certaine facon, l'adoption des lois et la taxation. Par ailleurs, l'agitation qui secoue les Treize Colonies de la Nouvelle-Angleterre provoque quelques soubresauts dans la colonie et fait germer de bonnes idées dans la region arrosée par le fleuve Saint-Laurent. « No taxation without representation », clament plusieurs habitants des Treize Colonies. Les Anglais de la province de Québec sont ďaccord avec ce principe, ä la condition d'etre les seuls citoyens éligibles. La Chambre de la minorite Le 2 septembre 1765, le Conseil du Commerce ou Board of Trade se prononce en faveur de ľétablissement ďune Chambre ďassemblée dans la province de Québec. Quant ä la creation ďune Chambre de représentants, écrivent-ils, nous compre-nons que le seul obstacle ä son établissement consiste dans ľétat actuel de la population de la province dont la grande majorite se compose de catholiques romains qui, conformément aux prescriptions de la commission de Votre Majesté, sont exclus de la charge de représentants dans une telle assemblée. Nous nous permettons de représenter qu'une division de toute la province en trois districts ou comtés avec les villes de Montreal, de Québec et de Trois-Riviěres pour capi-tales, permettrait ä notre sens de trouver dans chaque comté un nombre süffisant de personnes aptes ä remplir les fonctions de représentants, dont le choix pourrait étre fait par touš les habitants desdits comtés, car nous ne connaissons pas de loi excluant les catholiques romains comme tel du droit du suffrage. Nous croyons qu'une semblable mesure donnerait beaucoup de contentement aussi bien aux nouveaux sujets qua ceux qui sont nés sujets de Votre Majesté ; en outre, eile répondrait ä toutes les exigences qu'un gouvernement civil est appelé ä satisfaire et ä ľégard desquelles les pouvoirs limités du gouverneur et du Conseil sont insuffisants. Elle permettrait surtout de créer un systéme de revenus permanent et constitutionnel pour faire face aux besoins de l'Etat, au moyen de ľimposition ďune taxe uniforme conformément ä une evaluation que Votre Majesté, de ľavis de ses serviteurs, ordonnera de leur transmettre. Remettre le sort des Canadiens entre les mains ďune infime minorite anglophone constitue une injustice qui n'échappe pas au regard souvent clairvoyant de Maseres. Ce dernier affirme en 1766: Lesrevendications j 377 D'ici ä plusieurs années, il est probable qu'il ne sera pas jugé expedient de prendre des mesures pour établir une Chambre ďassemblée dans cette province. Si une telle assemblée devait étre constituée maintenant et si les directions que renferme la commission du gouverneur devaient étre suivies, directions [...] par lesquelles aucun membre élu pour faire partie de cette Assemblée ne pourra y siéger ou y voter sans avoir au préalable signé la declaration contre la papauté, il en résulterait une exclusion de tous les Canadiern, c'est-ä-dire de la masse des habitants établis dans la province. Une assemblée ainsi constituée pourrait prétendre composer un corps représentatif de la population de cette colonie, mais eile ne représenterait en vérité que les six cents nouveaux colons anglais et deviendrait dans les mains de ceux-ci un instrument de domination sur les 90 000 Francais. Une semblable Assemblée pourrait-elle étre considérée comme juste et utile, et serait-elle de nature ä faire naitre ľharmonie et ľamitié entre les deux races ? Elle produirait certainement un effet contraire. Selon Maseres, les Canadiens sont sujets britanniques depuis trop peu de temps pour détenir le privilege de devenir deputes. D'une part, ils sont encore trop attaches au pape et, ďautre part, ils ne connaissent pas assez les lois et les coutumes de la Grande-Bretagne. Il est ä présumer, ajoute-t-il, que, pendant quelques années, les Canadiens n'appuieront pas les mesures prises en vue ďintroduire graduellement la religion protestante, ľusage de la langue anglaise et ľesprit des lois britanniques. II est plus probable qu'ils s'opposeront ä toutes tentatives de ce genre et se querelleront ä ce sujet avec le gouverneur et le Conseil ou les membres anglais de ľAssemblée pour les avoir prônés. Ajoutons qu'ils ignorent presque tous la langue anglaise et qu'ils sont absolument incapables de s'en servir dans un débat, en sorte que, si une telle assemblée était constituée, la discussion s'y ferait en francais, ce qui tendrait ä maintenir leur langue, ä entretenir leurs préjugés, ä enraciner leur affection ä ľégard de leurs maitres ďautrefois de méme qua retarder pendant longtemps et ä rendre impossible peut-étre cette fusion des deux races ou ľabsorption de la race francaise par la race anglaise au point de vue de la langue, des affections, de la religion et des lois: résultats si desirables qui s'obtiendront avec une ou deux generations peut-étre, si des mesures opportunes sont adoptées ä cet effet. Ajoutant ä tout cela que les Canadiens semblent étre contre ľétablissement d'une Chambre ďassemblée, Maseres conclut qu'il « serait premature d'établir une Assemblée dans la province de Québec ». Les dirigeants britanniques étudient diverses possibilités, tout en rejetant ľ exclusion complete des Canadiens des postes de deputes. On suggěre de leur accor-der la moitié de la representation ou encore le quart. C'est du moins l'opinion de Shelburne en mai 1767. Ä Québec, le négociant John McCord se fait le plus fiděle promoteur d'une Chambre ďassemblée. II organise des reunions et fait signer des petitions. Le lieutenant-gouverneur Carleton prise assez peu la Campagne menée par son compatriote. J'avais raison de croire, écrit-il ä Shelburne le 20 Janvier 1768, qu'on avait renoncé ä toute tentative ä ce sujet, lorsque, derniěrement, un nommé John McCord, qui ne manque pas d'intelligence et ďhonnéteté et qui autrefois tenait un petit debit de biěre dans un pauvre faubourg d'une ville de province du nord de l'Irlande, a * !«ür,1^"|t- 378 HlSTOIRE POPULAIRE DU QUÉBEC réussi en se montrant zélé pour la croyarice presbytérienne et en accumulant un petit capital, ä acquérir un certain credit auprěs des gens de son entourage. Ce personnage a acheté ici quelques lopins de terre et s'en est fait concéder d'autres ä proximité des casernes sur lesquels il a construit des cabanes et y a installé de pauvres gens qui vendent des liqueurs spiritueuses aux soldats ; mais, un jour, les casernes ayant été entourées ďun mur afin ďempécher les soldats de s'enivrer ä toute heure du jour et de la nuit, et par suite trouvant que son debit n'était pas aussi lucratif, McCord s'est fait patriote et, avec ľaide de ľancien procureur general et de trois ou quatre autres encourages par des lettres recues d'Angleterre, il s'est mis ä ľceuvre pour obtenir ľétablissement ďune Chambre ďassemblée et se propose de faire signer une petition ä cette fin par tous ceux qu'il pourra influencer. Le 10 juillet 1769, les lords du Commerce et des Plantations suggěrent la creation d'une Chambre ďassemblée composée de 27 membres, dont sept representant la ville de Québec, quatre la ville de Montreal et trois celle de Trois-Riviěres. Les deputes élus par les électeurs de ces trois villes devront étre obligatoirement protestants. Quant aux autres, méme s'ils sont de religion catholique, cela na plus d'importance, du moment que la majorite est acquise aux anciens sujets. Les francs-tenanciers, marchands et trafiquants anglais de la province de Québec, commencent ä manifester de ľimpatience devant les atermoiements des autorités britanniques. Trente et un d'entre eux, dont James McGill et John McCord, signent, en décembre 1773, une petition demandant ľétablissement immédiat d'une chambre des deputes. Si Votre Majesté n'ordonne pas la convocation prochaine ďune Assemblée generale pour mettre en vigueur les lois destinées ä encourager ľagriculture, ä réglementer le commerce et ä mettre un frein aux importations des autres colonies qui ont pour effet ďappauvrir cette province, vos pétitionnaires ont de graves raisons de craindre pour eux la ruine et pour la province en general. II se trouve actuellement un nombre süffisant de sujets protestants de Votre Majesté domiciliés dans cette province qui y possědent des biens-fonds et les autres quali-tés requises pour devenir membres d'une Assemblée generale. Pour les signataires, il est evident que seuls les protestants peuvent étre élus ä cette Chambre. II est interessant de constater que les protestants recoivent ľappui de quelques Juifs, dont le marchand Aaron Hart de Trois-Riviěres. Alors qu'ä Londres Wedderburn se prononce contre ľétablissement d'une Chambre ďassemblée, dans la colonie 90 citoyens de langue anglaise signent une nouvelle petition en faveur d'une telle creation. Le mois suivant, 148 pétitionnaires présentent la méme demande ; cette derniére requisition comprend quelques noms de Canadiens, méme si ľensemble des habitants canadiens semble demeurer contre ľidée ďune telle Chambre. En décembre 1773, soixante-cinq ďentre eux apposent leur signature au bas ďune petition dans laquelle ils déclarent: « Nous représentons humblement que cette colonie, par les fléaux et calamités de la guerre et les frequents incendies que nous avons essuyés, n'est pas encore en état de payer ses dépenses et, par consequent, de former une Chambre ďassemblée. Nous pensons Les revendications ;; 379 qu'un conseil plus nombreux qu'il n'a été jusqu'ä present, compose d'anciens et de nouveaux sujets, serait beaucoup plus ä propos. » Devant revolution alarmante de la situation des colonies en Nouvelle-Angleterre, les dirigeants britanniques jugeront ä propos d'attendre quelque peu avant d'accorder ä la province de Québec sa Chambre ďassemblée, méme si la colonie de la Nouvelle-Écosse possěde la sienne depuis 1752. Dans ľimmédiat, les autorités britanniques sont de ľavis du nouveau premier ministře, lord North, qui croit qu'un conseil législatif peut remplir ä peu pres les mémes functions qu'une chambre ďassemblée. Oú sont les ennemis ? En 1765, les Communes de Londres adoptent un projet de loi intitule The Stamp Act imposant une taxe speciale sur les journaux, les almanachs, les papiers légaux, les polices d'assurances, les jeux de cartes, etc. Un timbre indiquant que la taxe a été acquittée doit étre appose sur le papier. Les sommes ainsi recueillies serviront ä defrayer le cout des troupes. Benjamin Franklin proteste contre la mesure car, selon lui, « c'est dans les colonies conquises, c'est au Canada, qu'on dépensera ce revenu et non pas dans les colonies qui le paieront». La Nouvelle-Angleterre n'accepte pas la nouvelle taxe. Une société secrete, les Sons of Liberty, veut empécher le fonctionnement de Facte du Timbre. Le Ier novembre 1765, jour d'entrée en vigueur, tous les agents du timbre ont déjä donne leur demission. Dans la province de Québec, le seul journal, la Gazette de Québec, publié chaque semaine en edition bilingue, cesse de paraitre. Devant la reaction américaine, le gouvernement britannique decide de faire marche arriěre et, le Ier mai 1766, la loi cesse d'etre en vigueur. Le 29 du méme mois, la Gazette de Québec reprend sa parution. Dans un avis aux lecteurs, les imprimeurs ne cachent plus leur pensée sur « un acte plus terrible que les glacons de notre hiver rigoureux, dont les vents funestes répandent la desolation dans les campagnes en méme temps qu'ils bouchent la source du commerce ». Les éditeurs William Brown et Thomas Gilmore profitent de la circonstance pour dissiper une equivoque. « Un bruit ayant été répandu et industrieusement circulé, que notre Gazette était sous ľinspection du secretaire ; afin done de prévenir le tort que ce préjugé pourrait nous causer, nous pensons qu'il est nécessaire de declarer que depuis ľétablissement du gouvernement civil, notre Gazette a toujours été et eile continuera toujours d'etre exempte d'inspection et de restrictions de la part de qui que ce soit, quelle 1'est actuellement d'impôt de Timbres et que ledit bruit était premature et peu généreux au supreme degré. » Dans ses colonnes, la Gazette de Québec aecordera un certain espace aux nouvelles américaines. Mais ä partir de 1768, selon une etude de ľhistorien Pierre Tousignant, eile pratiquera un genre d'autocensure « sur le mouvement prérévo-lutionnaire des colonies voisines ». Elle était inspirée, sans doute, par la crainte de perdre d'importants contrats d'impressions du gouvernement de la province de Quebec ! 380 HlSTOIRE POPULAIRE DU QUÉBEC II f aut se fortifier Ce qui se passe dans les Treize Colonies ne laisse pas le lieutenant-gouverneur Carleton indifferent. Le 15 février 1767, dans une lettre ä Thomas Gage, alors commandant en chef de ľAmérique britannique du Nord, il trace un bilan peu encourageant du systéme défensif de la province de Québec. Les forts de Crown Point, de Ticonderoga et le fort George sont dans un sérieux état de deterioration et j'ai raison de croire que Vbtre Excellence en a été informée. Si vous jugez ä propos de maintenir ces postes, il serait bon de les réparer le plus tôt possible. Comme il vous a plu de me demander mon avis ä ce sujet, je dois vous dire franchement que, plus je considěre ľétat des choses sur ce continent, plus je crois avoir raison de me convaincre qu'il est non seulement opportun mais absolument nécessaire dans ľintérét de la Grande-Bretagne et du service de Sa Majesté de tenir ces forts en bon etat et, en outre, ďériger pres de la ville de New York une place d'armes suffisamment équipée et une citadelle dans la ville de Québec ou ä proximité de celle-ci. [...] La situation naturelle et politique des provinces de Québec et de New York est teile quelle leur donnera toujours un pöids et une influence considerable dans le systéme adopté pour ľAmérique. Quant aux murs de Québec, ajoute-t-il, ils « n'ont pas été réparés depuis le siege; ä cette époque, des brěches ont été faites dans la maconnerie et les murs tomberont bientôt en ruine si des reparations n'y sont faites prochainement». Carleton se méfie des Treize Colonies, mais il craint encore plus une guerre avec la France. « Si une guerre avec la France éclatait, déclare-t-il ä Shelburne le 25 novembre 1767, cette province, dans ľétat ou eile se trouve, serait prise ä ľim-proviste et les officiers canadiens qui seraient envoyés de France avec des troupes pourraient s'adjoindre un nombre de Canadiens tellement considerable, que ľautorité du roi sur cette province défendue par quelques troupes disséminées dans un poste étendu et ouvert en maints endroits se trouverait dans une situation trěs précaire. » Le lieutenant-gouverneur est aussi convaincu qu'il ne peut compter sur les « gentilshommes » canadiens : « Nous nous abuserions en supposant qu'ils se dévoueraient ä la defense d'une nation qui les a dépouillés de leurs honneurs, de leurs privileges, de leurs revenus et de leurs lois et a introduit dans la colonie, un deluge de lois nouvelles, inconnues et non publiées qui sont synonymes de dépense, de chicane et de confusion. » Selon Carleton, la täche la plus urgente est la construction d'une citadelle ä Québec. Carleton, qui est assermenté gouverneur general de la province de Québec le 26 octobre 1768, continue ä douter de la fidélité des Canadiens, car il est convaincu « de leur attachement secret ä la France. [...] Je crois, ajoute-t-il au comte de Hillsborough, secretaire d'État pour les colonies, que ce sentiment persistera aussi longtemps qu'ils seront exclus de toute charge sous le gouvernement britannique et qu'ils resteront convaincus que, sous la domination francaise, ils seraient réintégrés dans leurs anciennes fonctions qui constituaient pour eux et pour leurs families ä peu pres l'unique moyen de subsistance. » Les revendications 381 Dans cette lettre du 20 novembre, le representant du roi dit qu'il ne serait pas surpris si les Canadiens se révoltaient. J'avoue que le fait de ne pas avoir découvert de correspondance échangée en vue de trahison ne m'a jamais paru une preuve süffisante pour me convaincre qu'il ne se machinait pas quelque chose ; mais je suis porté ä croire que, si un tel message a été expédié, bien peu ont été mis au courant de ce secret. [...] Or, si la France, aprěs avoir commence la guerre avec l'espoir que les colonies britanniques en profiteront pour se porter aux extrémités, se decide ä supporter celles-ci dans leur idée ďindépendance, il est probable que le Canada deviendra le principal theatre sur lequel se décidera le sort de l'Amérique. Au point oů en sont les choses, le Canada tombé aux mains de la France, au lieu de rester un ennemi des colonies britanniques, deviendrait pour celles-ci un allié, un ami et un protecteur de leur indépendance. Votre Seigneurie doit entrevoir immédiatement que, si une telle guerre éclatait, la Grande-Bretagne aurait ä lutter contre de nombreux incon-vénients ; en outre, Votre Seigneurie doit également entrevoir quel parti ľon peut tirer du Canada pour la protection des intéréts britanniques sur ce continent, si ľon considěre que ce pays ne se trouve attache par aucun motif commun ďintérét ou d'ambition aux autres provinces opposées au siěge supreme du gouvernement et qu'il suffirait pour y fortifier la domination du roi, d'ériger une citadelle que quelques troupes nationales pourraient défendre, et de nous attirer ľattachement des natifs en les engageant par des motifs d'intérét ä rester sujets du roi. Les circonstances vont faire que le gouvernement anglais sera bientôt oblige de prendre position sur les problěmes canadiens, non pas tant dans un geste de bonté que pour « aider » les Canadiens ä demeurer fideles ä la Grande-Bretagne. ĽAcTE de Québec 1774 PENDANT QU'Ä LonDRES SE CONTINUE LA RONDE DES MÉMOIRES et des petitions SUr les réformes ä apporter aux structures administratives de la province de Québec, la situation continue ä se détériorer en Nouvelle-Angleterre. Dans son edition du 27 Janvier 1774, la Gazette de Québec publie une courte nouvelle dont on ne saisit pas, alors, toute ľimportance : « Par le journal de la Nouvelle York du 23 du mois dernier, il parait que la populace de Boston a mis en pieces, le 16 du mois dernier [décembre 1773] 342 caisses de thé sujet ä un droit, appartenant ä la compagnie des Indes Orientales, et ľa ensuite jeté ä la mer. » Le Boston Tea Party, dénoncé par Benjamin Franklin comme une injuste violence, allait donner naissance ä une série ďactes violents et ä des mesures coerci-tives. Par leur geste, les Bostonnais protestaient contre une loi adoptée le 10 mai 1773, exemptant la Compagnie des Indes Orientales des droits de depart d'Angle-terre sur le thé exporte par cette entreprise. Cette derniěre pouvait, gräce ä des mesures et au fait qu'elle avait decide de vendre directement ses produits ä la population, établir un monopole du thé, ce qui ne plaisait pas ä certains marchands de Boston, distributeurs de thés hollandais. Cette situation dans les Treize Colonies ne laisse pas les Canadiens indiffé-rents. Un lecteur de la Gazette de Québec écrit, le 3 février 1774 : « Ľesprit bostonnais, si tenace pour les droits et privileges, s'est maintenant étendu au 45e et n'arré-tera peut-étre point la; je laisse ä ceux qui ont eu une meilleure occasion de connaítre la constitution de notre dáme trěs estimée la Grande Charte et les petites chartes, ä determiner si cet esprit est bon ou non ! » Adoptant la rigidité plutôt que la conciliation, la Chambre des communes de Londres adopte, le 25 mars, la premiére ďune série de cinq lois qu'en Amérique on qualifiera ďintolérables. La mesure ordonne la fermeture du port de Boston jusqu'ä ce que la Compagnie des Indes Orientales soit complětement indemnisée pour ses 384 HlSTOIRE POPULAIRE DU QUÉBEC pertes. Le 20 mai suivant, ľadoption de The Administration of Justice Act autorise le transfert en Angleterre des personnes qui transgresseront les nouvelles lois, car ľon soupconne les juges américains ďéprouver une trop grande Sympathie pour les contestataires. Le Massachusetts Government Act, adopté le méme jour, contrôle les assemblées publiques et diminue ľautorité de la Chambre des représentants de cette colonic La quatriěme mesure, votée le 2 juin, oblige les habitants des villes du Massachusetts ä loger les troupes de Sa Majesté. Le cinquiěme projet de loi, dont ľétude debute ä la Chambre des lords le 2 mai, ne concerne pas directement les colonies américaines en ebullition, mais il les touche de biais... Une des clauses du Quebec Bill prévoit ľextension des frontiěres territoriales vers ľouest jusqu'ä l'Ohio et au Mississipi. Ľintention des dirigeants britanniques est de soustraire cette region aux habitants des Treize Colonies. William, comte de Dartmouth, qui devient secretaire d'État pour les colonies au mois d'aoút 1772, écrit ä son prédécesseur, le comte de Hillsborough, le Ier mai 1774 : « S'il n'est pas desirable que des sujets anglais s'établissent dans cette region, rien ne peut mieux les dissuader ďune telle tentative que cette partie essentielle du bill, sans laquelle Votre Seigneurie sait trěs bien qu'il est impossible de les en empé-cher dans ľétat oů se trouve actuellement cette region. » Le 17 mai, les lords approuvent la quatriěme version du projet de loi. Ä la Chambre des communes, le debat est des plus animés. La question des lois civiles francaises et d'une certaine reconnaissance de la religion catholique soulěve 1'oppo-sition de plusieurs représentants britanniques. « Je croirais essentiel de ne pas rendre aux Canadiens leurs lois ; elles maintiendront leur perpétuel recours ä ces lois et coutumes qui continuera ä faire d'eux un peuple distinct », declare le depute de l'opposition John Cavendish. Son confrere Edmund Burke va plus loin: « Les deux tiers de tous les intéréts commerciaux du Canada vont étre livrés ä la loi francaise et ä la judicature francaise, déclare-t-il. Est-ce pour les Anglais ? Assuré-ment les marchands anglais ont droit ä la protection de nos lois plus que la noblesse canadienne. Aucun marchand anglais ne se croit armé pour défendre son bien, s'il n'est armé du droit anglais. Je demande protection pour 360 families anglaises que je connais, contre les préjugés de la noblesse canadienne que je ne connais pas. » Plusieurs personnes reliées directement ä la politique canadienne témoignent devant la Chambre des communes. Parmi elles, on remarque le gouverneur Carleton, ľancien procureur general de la province de Quebec devenu baron de ľÉchiquier, Francis Maseres, ľex-juge en chef William Hey et le seigneur canadien Michel Chartier de Lotbiniěre. Ce dernier resume ainsi une partie de son intervention : Le bill semble vouloir exprimer que c'est en grande partie pour complaire au désir ;.:. des Canadiens qu'on supprime dans leur pays toutes lois et maniěres de procéder pour le criminel ä la francaise et qu'on y substitue toutes les lois criminelles anglaises et maniěres de procéder en consequence, ce que je puis annoncer pour certain est que, dans la demande qu'ils font de leurs lois, il n'est nullement ques- i tion ďen exceptei* celles qui řégardent h čriminel; et ils n'átiraienr manqué de l'exprimer, s'ils eussent préféré la loi anglaise pour cette partie. [...] Enfin, un point qui mérite attention et qui doit étre fixe, est que la langue francaise étant Ľ Acte de Québec 385 generale et presque ľunique en Canada, que tout étranger qui y vient n'ait que ses intéréts en vue, il est démontré qu'il ne peut les bien servir qu'autant qu'il s'est fortifié dans cette langue et qu'il est force d'en faire un usage continuel dans toutes les affaires particuliěres qu'il y traite ; qu'il est de plus impossible, vu la distribution des établissements et habitations du pays, de prétendre y introduire jamais la langue anglaise comme generale. Pour toutes ces raisons et autres non détaillées, il est indispensable ďordonner que la langue francaise soit la seule employee dans tout ce qui se traitera et sera arrété pour toute affaire publique, tant dans les cours de justice que dans rassemblée du corps législatif, etc., car il paraitrait cruel que, sans nécessité, ľon voulut réduire presque la totalite des intéressés ä n'étre jamais au fait de ce qui serait agité ou serait arrété dans le pays. La Chambre des communes ne donnera pas suite ä la demande de Lotbiniěre qui parlait «tant en son nom qu'au nom des Canadiens », c'est-ä-dire quelle ne légiférera pas sur la langue. Vote sans intérét Bien peu de deputes anglais sont presents en Chambre le 13 juin, lorsqu'a lieu le vote en troisiěme lecture du Quebec Bill: 56 votent en faveur de son adoption et 20 contre, alors que, le 25 mai precedent, 105 s'étaient prononcés affirmativement et 29 pour la negative. Le 13 juin, rapporte la Gazette de Québec, le bill pour le gouvernement de Québec a occasionné de grandes contestations dans la Chambre des communes, qui avait recu une requéte contre ledit bill de la part des marchands commercant avec cette province, et une autre de la part du Lord Maire, échevin du conseil de la ville de Londres; mais, malgré toutes les oppositions, il fut ordonné de ľenregistrer. Ä la suite des modifications apportées au projet de loi par les membres de la Chambre des communes, l'Acte de Québec retourne pour etude ä la Chambre des lords. L'article le plus attaqué est peut-étre celui qui accorde une certaine reconnaissance ä la religion catholique. Bien qu'il soit malade, William Pitt, ancien premier ministře devenu lord Chatham, se rend ä la Chambre dénoncer cette loi « atroce, sotte, inepte » qu'on doit rejeter. Son adoption « enlěverait ä Sa Majesté l'affection et la confiance de ses sujets d'Angleterre et d'Irlande et fmalement lui aliénerait les coeurs de tous les Américains ». Malgré ľopposition, le projet de loi est adopté par 26 voix contre 7. Le mercredi 22 juin 1774, George III se rend ä Westminster oů sont réunies les deux Chambres du Parlement pour donner son accord royal aux projets de lois adoptés au cours de la session. Plusieurs Londoniens, au passage du carrosse de Sa Majesté, lancent le fameux cri No popery, voulant ainsi protester contre l'Acte de Québec. Ce geste hostile n'empéche pas le roi de sanctionner le projet de loi en declarant: « Les circonstances particuliěres et embarrassantes dans lesquelles la province de Québec était enveloppée, avaient rendu ľaccommodement et le rěglement du gouvernement de celle-ci une matiěre de grande difficulté. Le Bill que vous avez prepare pour ce sujet, et auquel je viens de donner mon consentement, est fonde sur les plus clairs principes de la justice et de ľhumanité ; et je ne doute pas qu'il ne 386 HlSTOIRE POPULAIRE DU QUÉBEC produise le meilleur effet pour tranquilliser les esprits et avancer le bonheur de mes sujets canadiens. » La Grande Charte ĽActe de Québec, que certains appellent la Grande Charte des droits des Canadiens francais, touche quatre points principaux: les frontiěres de la colonic la religion caťholique, les lois et le mode de gouvernement. Le territoire de la province est considérablement agrandi par les dispositions de ľacte : Que tous les territoires, lies et regions dans ľAmérique du Nord, appartenant ä la Couronne de la Grande-Bretagne, bornés au sud par une ligne partant de la baie des Chaleurs pour longer les terres hautes qui séparent les rivieres qui se déversent dans le ŕleuve Saint-Laurent de celieš qui se déversent dans la mer, jusqu'ä un point du 45e degré de latitude nord, sur la rive est de la riviere Connecticut; s'étendre de lä en suivant la méme latitude, directement ä ľouest ä travers le lac Champlain jusqu'ä ce que dans cette direction eile atteigne le fleuve Saint-Laurent ; de lä, longer la rive est dudit fleuve jusqu'au lac Ontario ; traverser le lac Ontario et la riviere appelée communément Niagara ; longer la rive est et sud-est du lac Érié et suivre ladite rive jusqu'ä son point d'intersection avec la borne septentrionale concédée par la charte de la province de Pennsylvanie, si toutefois il existe un tel point d'intersection ; longer de lä lesdites bornes ä ľest et ä ľouest de ladite province jusqu'ä ľintersection de ladite borne de ľouest avec l'Ohio, mais s'il n'est pas trouvé un tel point d'intersection sur ladite rive dudit lac, ladite ligne devra suivre ladite rive jusqu'ä son point le plus rapproché de ľangle nord-ouest de ladite province de Pennsylvanie ; s'étendre directement de cet endroit jusqu'ä ľangle nord-ouest de ladite province ; longer la borne occidentale de ladite province jusqu'ä ce quelle atteigne la riviere Ohio, puis la rive de ladite riviere dans la direction de ľouest jusqu'aux rives du Mississipi et s'étendre dans la direction du nord, jusqu'ä la borne méridionale du territoire concede aux marchands aventuriers d'Angleterre qui font la traite ä la baie d'Hudson [Hudson's Bay Company]. Les nouvelles frontiěres englobent done des territoires concedes ä Terre-Neuve lors de la Proclamation royale de 1763 et d'autres reserves ä la Couronne par le méme décret. Ces derniers territoires étaient, depuis un certain temps, reclames par les colonies voisines. Un serment acceptable Plusieurs articles de la nouvelle loi touche la question religieuse. Alors que le traité de Paris autorisait le culte catholique « en autant que le permettent les lois de la Grande-Bretagne » (qui ne le toléraient pas de toute facon), l'Acte de Québec sou-met la religion ä la Suprematie royale. Pour la sécurité la plus complete et la tranquillité des esprits des habitants de ladite province, précise-t-on, il est par les présentes declare que les sujets de Sa Majesté professant la religion de l'Église de Rome, et ce dans ladite province de ĽAcTE de Québec 3»7 Québec, peuvent jouir du libre exercice de la religion de ľÉglise de Rome sous la Suprematie du roi qui s'étend, tel que declare et établi par un acte vote dans la premiere année du rěgne de la reine Elizabeth, sur tous les territoires et possessions qui appartenaient alors ou devaient appartenir par la suite ä la couronne imperiale de ce royaume ; et que le clergé de ladite Église peut conserver et percevoir les dus et redevances ordinaires [dimes] et en jouir, mais que ceux-ci ne seront exigibles que des personnes professant ladite religion. Le serment du Test, qui empéchait les catholiques ďaccéder ä la fonction publique et ä ľadministration de la province, ne sera plus exigible et il est remplacé par le suivant: « Je, A.B., promets et jure sincěrement que je serai fiděle et porterai vraie allégeance ä Sa Majesté le roi George, que je le défendrai de tout mon pouvoir contre toutes conspirations perfides et tous attentats quelconques, dirigés contre sa personne, sa couronne ou sa dignité ; et que je ferai tous mes efforts pour découvrir et faire connaítre ä Sa Majesté, ses héritiers et successeurs, toutes trahisons et conspirations perfides et tous attentats que je saurai dirigés contre lui ou chacun d'eux ; et tout ceci, je le jure sans aucune equivoque, subterfuge mental ou restriction secrete, renoncant pour m'en relever ä tous pardons et dispenses de personnes ou pouvoir quelconque. Ainsi que Dieu me soit en aide. » Les lois francaises Les Canadiens, par l'Acte de Québec, obtiennent aussi gain de cause au sujet des lois civiles : Qu'il soit de plus décrété [...] que tous les sujets canadiens de Sa Majesté dans la province de Québec, ä ľexception seulement des ordres religieux et des commu-nautés, pourront conserver la possession et jouir de leurs propriétés et de leurs biens avec les coutumes et usages qui s'y rattachent et de tous les autres droits civils, au merne degré et de la méme maniere que si ladite proclamation et les commissions, ordonnances et autres actes et instruments n'avaient pas été faits et que leur permettront leur allégeance et leur soumission ä la couronne et au parle-ment de la Grande-Bretagne ; qu'ä ľégard de toute contestation relative ä la pro-priété et aux droits civils, ľon aura recours aux lois du Canada, comme regle pour decider ä leur sujet; et que toutes les causes concernant la propriété et les droits susdits, qui seront portées par la suite devant quelqu'une des cours de justice, qui doivent étre établies dans et pour ladite province, par Sa Majesté, ses héritiers et successeurs, y seront jugées conformément auxdites lois et coutumes du Canada, jusqu'ä ce que celles-ci soient changées ou modifiées par quelques ordonnances qui seront rendues de temps ä autre dans ladite province par le gouverneur, le lieutenant-gouverneur ou le commandant en chef en exercice, de ľavis et du consentement du Conseil législatif qui sera établi. [...] Ä la condition aussi qu'il soit et puisse étre loísíble ä et pour toute personne qui possěde des terres, des biens meubles ou des intéréts dans ladite province et qui a le droit ďaliéner lesdits intéréts, biens meubles et terres durant sa vie, par vente, donation ou autrement, de les transmettre ou léguer ä sa mort, par testament ou acte de derniěre volonte, nonobstant les lois, usages ou coutumes contraires de quelque facon que ce soit ä cette disposition, qui ont prévalu jusqu'ä present ou qui prevalent actuellement 388 HiSToiREPOPULAiRE du Québec dans ladite province; tel testament étant fait conformément aux lois du Canada ou conformément aux formes requises par les lois anglaises. Les lois civiles francaises obtiennent done une remise en vigueur, mais elles pourront étre modifiées ou abrogées par d'autres lois. Quant au mode de concession des terres, il pourra se faire en franc et commun soccage, e'est-a-dire « sans redevance annuelle et en toute propriété ». ĽActe de Québec décrěte qua ľavenir, seules les lois criminelles anglaises auront force legale : Considérant que, depuis neuf ans, les lois criminelles de ľAngleterre ont été uni-formément appliquées et que les habitants se sont rendus compte de la fermeté et de la douceur ainsi que des bienfaits et des avantages desdites lois : — Ä ces causes, qu'il soit décrété en vertu de ľautorité susdite que lesdites lois continue-ront d'etre en vigueur et qu'elles seront appliquées comme lois dans ladite province de Québec, ä ľégard des definitions et de la gravité de ľoffense, du mode de poursuite et de proces, ainsi que des punitions et amendes infiigées par lesdites lois, ä ľexclusion de toute autre regle de droit criminel ou mode de procedure ä ce sujet, qui a prévalu ou pu prévaloir dans ladite province, avant ľannée de Notre-Seigneur mil sept cent soixante-quatre, nonobstant toute chose contraire ä cette fin, contenue dans cet acte de quelque maniere que cě soit. On prévoit aussi que les lois criminelles alors en vigueur pourront étre modifiées par les autorités compétentes. Point de deputes Les législateurs anglais ne donnent pas suite ä la demande des anciens sujets d'éta-blir une Chambre ďassemblée dans la province de Québec. Par contre, I'Acte de Québec prévoit ľélargissement des cadres du conseil législatif. Les membres du conseil, dont le nombre « n'excédera pas vingt-trois et ne sera pas moins de dix-sept», seront nommés par le roi et devront habiter la province. Les pouvoirs du Conseil législatif sont limités : il ne peut imposer d'autres taxes « que celieš qui doivent étre affectées ä des chemins ou edifices publics. » De plus, toutes les ordonnances adoptees par ledit conseil sont sujettes ä l'approbation royale. Enfin, toute ordonnance concernant la religion ou visant ä imposer une peine « plus severe qu'une amende ou un emprisonnement de trois mois », doit d'abord obtenir l'assentiment du roi avant d'entrer en vigueur. La date d'entrée en vigueur de I'Acte de Québec est fixée au 1" mai 1775 ; il sera complete par une autre loi adoptée ä la méme époque et visant ä « établir un fonds pour pourvoir aux dépenses de ľadministration de la justice et au soutien du gouvemement civil dans la province de Québec ». ĽActe du revenu de Québec fixe les droits ä payer sur ľeau-de-vie, la mélasse et le sirop, ainsi que pour ľopération d'une auberge. Les clauses de ľActe de Québec recoivent leur premiere interpretation dans les instructions de Sa Majesté au gouverneur Carleton, datées du 3 Janvier 1775. On n'y envisage pas un rétablissement complet des lois civiles francaises. L'article 12 des instructions est clair ä ce sujet: ĽAcTE de Québec 389 Si, ďune part, c'est notre bienveillante attention, conformément ä ľesprit et ä la portée dudit acte du Parlement, ďaccorder ä nos sujets canadiens ľavantage ďavoir recours ä leurs propres lois, usages et coutumes dans toutes les contestations concernant les titres de terre, les tenures, la transmission, ľaliénation, ľhypotheque et ľarrangement relatifs ä la propriété immobiliěre et le partage de la propriété mobiliěre de personnes mortes sans avoir fait de testament, d'autre part, il sera du devoir du Conseil législatif de bien considérer lorsqu'il s'agira ďélaborer des ordonnances qui pourront étre nécessaires pour ľétablissement des cours de justice et la bonne administration de la justice, si les lois anglaises, sinon entiěrement, du moins en partie, ne devraient pas servir de regle dans tous les cas d'actions personnelles au sujet des dettes, de promesses, de contrats et de convention en matiěre commerciale ou autrement et au sujet des torts qui doivent étre compensés par des dommages intéréts, surtout si, dans les proces, de quelque genre qu'ils soient, nos sujets nés britanniques de la Grande-Bretagne, d'Irlande ou des autres colonies qui resident ä Québec ou qui iront s'y fixer ou qui y auront place des capitaux ou jy posséderont des propriétés, sont demandeurs ou défen-seurs dans tout proces civil de cette nature. Les instructions au gouverneur Carleton prévoient la division du territoire en deux districts pour ľadministration de la justice : le district de Montreal et celui de Québec. Chaque division comprendra une cour des plaids communs. « Trois juges seront nommés pour chaque cour des plaids communs, précise-t-on ; ľun ďeux sera canadien et les deux autres devront étre des sujets nés britanniques de la Grande-Bretagne, d'Irlande ou de nos autres colonies. » Les districts moins peuplés et plus éloignés de Detroit, de ľlllinois, de Saint-Vincenne, de Michillimakinac et de Gaspé auront chacun une cour du Banc du Roi. Le juge devra obligatoirement étre né en Grande-Bretagne ou dans une colonie anglaise. On lui adjoindra comme assistant un Canadien « qui sera consulté par ledit juge en toute occasion et aussi souvent que celui-ci le jugera nécessaire ; mais ledit assistant ou assesseur n'aura ni le pouvoir ni ľautorité d'entendre ou de decider dans une instance ou de participer ä aucun jugement, décret ou ordonnance ». La liberie religieuse accordée aux Canadiens par l'Acte de Québec est, eile aussi, limitée dans son exercice par les articles 20 et 21 des instructions au gouverneur Carleton. «II sera de votre devoir absolu, précise-t-on au representant du roi, de prendre des mesures qui donneront entiěre satisfaction aux nouveaux sujets dans tous les cas ou ils auront droit ä quelque indulgence, sans perdre de vue toutefois qu'ils ne doivent jouir que de la tolerance de la pratique de la religion de l'Église de Rome et non des pouvoirs et des privileges de celle-ci comme Église établie, pouvoirs et privileges exclusivement reserves ä l'Église protestante d'Angle-terre seulement. » Ľautorité et le champ ďaction de ľévéque et des membres du clergé et des communautés religieuses sont restreints au seul secteur de la pratique religieuse, du moins en principe. Carleton et ses successeurs ne se prévaudront pas toujours des droits que leur accordaient les instructions : Que tout appel ä une juridiction ecclésiastique étrangěre et toute correspondance avec celle-ci soient absolument défendus sous des peines trěs sévěres ; qu'aucune 390 HlSTOIRE POPULAIRE DU QUÉBEC personne professant la religion de ľÉglise de Rome ne puisse exercer de fonctions épiscopales ou vicariales autres que celles absolument requises pour le libre exercice de la religion catholique romaine; [...] personne ne pourra recevoir les ordres sacrés et n'aura charge ďämes sans avoir au préalable obtenu de vous une permission ä cette fin ; [...] qu'aucune personne professant la religion de ľÉglise de Rome ne puisse devenir ministře titulaire d'une paroisse dont la majorite des habitants solliciteront la nomination d'un ministře protestant. En ce cas, le titulaire sera protestant et aura droit ä toutes les dimes payables dans cette paroisse. Toutefois les catholiques romains pourront se servir de ľéglise pour le libre exercice de leur religion ä tels moments qui ne dérangeront pas le service religieux des protestants ; et réciproquement, dans toute paroisse dont la majorite des parois-siens seront catholiques romains, les protestants pourront se servir de ľéglise pour y pratiquer leur culte, lorsque leur presence ne dérangera pas le service religieux des catholiques romains ; [...] que les ecclésiastiques désireux ďembrasser le saint etat du mariage soient relevés de toutes les peines qui pourraient leur étre infligées en ce cas, en vertu de toute autorite émanée du siege de Rome; que la liberté ďinhumer les morts dans les églises et dans les cimetiěres soit accordée aux Chretiens de toute croyance sans distinction; [...] c'est aussi notre bon plaisir que toutes les autres institutions religieuses et les séminaires (sauf seulement ľordre des Jésuites) restent pour le moment en possession de leurs établissements actuels, jusqu'ä ce que nous soyions mieux renseignés sur leur veritable etat et que nous sachions jusqu'ä quel point elles sont essentielles au libre exercice de la religion de ľÉglise de Rome tel que permis dans notre dite province. Mais, ä ľexception des communautés de femmes, vous ne permettrez ľadmission de nouveaux membres dans aucune desdites sociétés ou communautés sans nos instructions formelles ä cette fin. Quant ä la Société de Jesus, eile doit étre supprimée et dissoute et eile ne peut exister plus longtemps comme corps constitué et politique ; ses droits, ses biens et ses propriétés nous seront dévolus pour étre utilises de la maniere qu'il nous plaira de faire connaitre et de prescrire ultérieurement. Néanmoins, nous croyons devoir declarer notre royale intention ďallouer aux membres actuels de ladite société, établis ä Québec, des traitements et des legs suffisants durant leur vie naturelle. Tous les missionnaires établis pármi les Sauvages qui relévent de la juridiction des Jésuites ou qui ont été envoyés par ceux-ci, de méme que ceux qui relévent de toute autre autorite ecclésiastique de ľÉglise romaine, devront étre retires graduellement et remplacés par des missionnaires protestants, lorsque le temps et les circonstances permettront de le faire sans déplaire aux Sauvages, afin de ne pas compromettre la sécurité publique. II sera défendu ä tout ecclésiastique de ľÉglise de Rome, sous peine de destitution, ďinfluencer les testateurs, d'in-duire les protestants ä devenir papistes ou de chercher ä les corrompre en matiěre religieuse; et il sera aussi défendu aux prétres romains de parier dans leurs sermons contre la religion de ľÉglise d'Angleterre, de marier, de baptiser, d'inhumer nos sujets protestants ou de visiter ceux d'entre eux qui seront malades si un ministře protestant se trouve sur les lieux. La preoccupation reelle du roi George III de limiter ľétendue d'application des lois civiles francaises et de restreindre le plus possible les droits religieux montre que ce que ľon a appelé la Grande Charte des droits des Canadiens francais n'est en fait qu'une concession que ľon souhaite limitée dans le temps et ľespace. De ĽAcTE de Québec 3£l, plus, il est fort probable que, sans la marche des colonies americaines vers ľindé-pendance, le Parlement britannique aurait encore attendu longtemps avant de concéder des droits aux nouveaux sujets de la province de Québec. « L'Acte de Québec, fait remarquer avec justesse ľhistorien Duncan McArthur, fut rédigé ľceil fixé, non sur Québec mais sur Boston. » Ľhistorien Stanley B. Ryerson tire une conclusion exacte lorsqu'il affirme que «la clé de Facte de Québec se trouve dans la revolution américaine ». Reactions anglaises En Angleterre, Fadoption de FActe de Québec soulěve une série de protestations. On dénonce le papisme de la nouvelle loi et on menace le roi ďun soulěvement populaire. En Nouvelle-Angleterre, la reaction est encore plus violente. L'avocat bostonnais Josiah Quincy Jr voit dans I'adoption de la mesure un moyen ďécraser les aspirations americaines. « Eh quoi! s'écrie-t-il, nous les Américains, avons-nous dépensé autant de sang et de richesse au service de la Grande-Bretagne dans la conquéte du Canada, pour que les Britanniques et les Canadiens puissent mainte-nant nous subjuguer ? » Alexander Hamilton, le futur premier secretaire du Trésor des États-Unis, craint les lois en faveur de la religion catholique : « L'affaire du Canada est encore plus grave, si cela est possible, que celle de Boston. [...] Est-ce que votre sang ne se glace pas dans vos veines, lorsque vous songez qu'un Parlement anglais a pu adopter un acte pour établir le pouvoir arbitraire et le papisme dans un pays aussi étendu ? [...] II peut tout aussi bien établir le papisme dans le New York et dans les autres colonies. » Quelques-unes des Treize Colonies demandent le rappel pur et simple de ľ Acte de Québec. Les 6 et 9 septembre 1774, le comté de Suffolk, dans le Massachusetts, adopte la resolution suivante : « Il est résolu que le dernier acte du Parlement pour ľétablissement de la religion catholique romaine et des lois francaises dans ce vaste pays qui s'appelle le Canada, est un peril extrémement grave pour la religion protestante et pour les libertés et les droits civils dans toute FAmérique; et, par consequent, en tant que citoyens et protestants chrétiens, nous sommes en toute nécessité contraints de prendre toutes les mesures qu'il faut pour assurer notre sécurité. » Des représentants des colonies de la Nouvelle-Angleterre se réunissent ä Philadelphie ä partir du 4 septembre 1774. Ce premier congrěs general adopte, le 21 octobre suivant, une Adresse au peuple de la Grande-Bretagne: « Nous ne pou-vons nous empécher, y lit-on, d'etre étonnés qu'un Parlement britannique ait con-senti ä établir une religion qui a inondé de sang votre íle et qui a répandu ľimpiété, la bigoterie, la persecution, le meurtre et la rebellion dans toutes les parties du monde. » Comme Londres a decide de maintenir la ligne dure avec ses colonies, les protestations des représentants de la Nouvelle-Angleterre presentees au roi par Benjamin Franklin n'ont pas de suite. 392 . HisToiREPOPULAiRE du Québec Vive le roi! Dans la province de Québec, les reactions ä ľadoption de ľActe de Québec sont beaucoup plus variées. Les Canadiens, dont quelques-uns ont pris connaissance du contenu de ľacte paru dans la Gazette de Québec du 6 septembre, se rendent accueillir en foule le gouverneur Carleton qui revient dans la capitale le 18 sep-. tembre 1774. \ Le clergé s'empresse de lui presenter une adresse sígnée par monseigneur Briand, ainsi que par les supérieurs du Séminaire de Québec, des jésuites et des récollets : « Permettez qu'en félicitant Votre Excellence sur son heureux retour, nous nous félicitions nous-mémes et la Province, de vous avoir pour conservateur de nos lois et privileges religieux. L'histoire placera votre nom parmi les braves guerriers et les sages politiques, mais pour notre reconnaissance eile ľa déjä grave dans touš les cceurs canadiens. Nous connaissons la confiance avec laquelle vous avez soutenu nos intéréts et le témoignage que vous avez rendu ä notre gracieux souverain et au Parlement de notre fidélité. » Les sujets canadiens de la ville de Québec présentent eux aussi une adresse ä Carleton ou ľ Acte de Québec est qualifié de « trěs favorable ». « Permettez-nous aussi, y lit-t-on, de vous supplier de faire passer aux pieds du tróne de notre auguste et bien-aimé Souverain les assurances de notre profond respect, de notre attache-ment et de notre inviolable fidélité. Recevez-en nos serments et assurez-le pour nous, qu'il n'aura point de sujets plus fiděles et plus soumis que les Canadiens et que nous serons, en tout temps et en toutes occasions, toujours préts ä sacrifier nos vies et nos biens pour soutenir et défendre, envers et contre tous, Son auguste Personne, sa couronne, son Parlement et ses armes. » Le 26 septembre, c'est au tour des Canadiens de Montreal de faire preuve de fidélité envers le roi et son representant. « II y eut un bal magnifique dans la maison de la Compagnie des Indes et un souper splendide oil messieurs du militaire assistěrent, rapporte la Gazette de Québec du 6 octobre 1774. La plupart des maisons furent illuminées ainsi que celle ou se tenait ľassemblée. II parut dans cette féte une unanimité parfaite ä exprimer l'amour que les Canadiens ont pour leur souverain et ľattachement qu'ils ont pour leur gouverneur. » L'évéque de Québec ne cache ni sa joie ni sa satisfaction. La religion y est parfaitement libre, écrit-il le 10 mars 1775 ; j'y exerce mon minis-těre sans contrainte, le gouverneur m'aime et m'estime ; les Anglais m'honorent. J'ai rejeté un serment que ľon avait propose et le Parlement de la Grande-Bretagne ľa change et établi tel que tout catholique put le prendre ; dans le bill qui autorise la religion, on a pourtant mis le mot de Suprematie, mais nous ne jurons pas par le bill. J'en ai parlé ä son Excellence notre gouverneur, qui m'a répondu : « Qu avez-vous ä faire du bill ? Le roi n'usera point de ce pouvoir, et il consent bien et il prétend méme que le pape soit votre supérieur dans la foi, mais le bill n'aurait pas passé sans ce mot. On n'a point dessein de gérer votre religion et le roi ne s'en mélera pas autant que fait celui de France ; on ne demande pas, comme vous le voyez par le serment, que vous reconnaissiez cette Suprematie. Laissez-le dire et croyez ce que vous voudrez. » ĽActe de Québec 3» Les fiděles Alors que ľhabitant ne realise pas complětement ľimportance de ľacte adopté par le Parlement anglais, les seigneurs saisissent rapidement les avantages qu'ils peuvent en tirer. « Ceux-ci, écrira le juge en chef William Hey le 28 aoůt 1775, se sont trop enorgueillis et s'enorgueillissent encore trop des avantages dont ils espěrent béné-ficier de la restauration de leurs anciens privileges et coutumes et ils se sont permis, ä ce sujet, des reflexions et des paroles propres ä blesser non seulement les Canadiern mais aussi les marchands anglais. » Si Carleton peut étre heureux de ľattitude des sujets canadiens, il a moins raison de ľétre de celle des Anglais de la province de Québec. Des assemblées se tiennent ä Québec et ä Montreal. Ä ce dernier endroit, un comité se forme pour « surveiller les intéréts communs et preparer les voies pour obtenir une reforme ». Thomas Walker, James Price, John Black et Isaac Todd se chargent de recueillir des fonds pour financer la presentation d'une petition au roi, ä la Chambre des lords et ä la Chambre des communes. On compte aussi offrir ä Francis Maseres « un magni-fique cadeau en espěces » pour qu'il achemine bien les petitions. Le comité des quatre hommes se rend ä Québec pour que la méme operation soit mise sur pied. « Immédiatement aprěs son arrivée, raconte le gouverneur Carleton dans une lettre au secretaire d'État Dartmouth du 11 novembre 1774, ses émissaires ayant prepare la voie, un avis anonyme rut affiché dans un hotel invitant touš les sujets nés britanniques ä s'assembler dans une certaine taverně et un messa-ger rut chargé de transmettre une invitation verbale ä ceux qui n'avaient pas pris connaissance de ľavis écrit. Ä la premiere reunion, un comité de sept membres [...] fut nommé pour preparer les voies et s'entendre avec ceux de Montreal. Plusieurs personnes ďici [Québec] et de Montreal ont cru devoir refuser de prendre part ä ces assemblées děs qu'elles en ont connu l'objet. » Le 12 novembre 1774, pres de 190 personnes, en trěs grande majorite anglophones, signent une petition au roi déplorant qu'avec ľActe de Québec ils sont « prives des privileges accordés par les prédécesseurs royaux de Votre Majesté » et dont ils avaient hérité de leurs ai'eux. Nous avons perdu la protection des lois anglaises, si universellement admirées pour leur sagesse et leur douceur et pour lesquelles nous avons toujours entretenu la plus sincere veneration et, ä leur place, doivent étre introduites les lois du Canada qui nous sont complětement étrangěres, nous inspirent de la repulsion comme Anglais et signifient la ruine de nos propriétés en nous enlevant le privilege du proces par jury. En matiěre criminelle, ľActe d'habeas corpus est abrogé et nous sommes astreints aux amendes et aux emprisonnements arbitraires qu'il plaira au gouverneur et au Conseil d'infliger ; et ceux-ci pourront ä volonte rendre les lois criminelles instables en vertu du grand pouvoir qui leur est conféré, de leur faire subir des modifications. En consequence, nous supplions trěs humblement Votre Majesté de prendre notre malheureuse situation en votre royale consideration et de nous accorder le secours que Votre Majesté croira ä propos dans sa royale sagesse. 394 HlSTOIRE POPULAIRE DU QUEBEC Dans leur petition faite ä la Chambre des communes, les signataires demandent tout simplement « que ledit acte soit abrogé ou amende, que les avan-tages et la protection des lois anglaises leur soient accordés quant ä ce qui concerne la propriété immobiliěre et que leur liberté leur soit assurée conformément ä leurs anciens droits et privileges constitutionnels accordés jusqu'ä present ä tous les ŕideles sujets de Sa Majesté ďun bout ä ľautre de ľempire britannique ». La reaction des anciens sujets rend le gouverneur Carleton mal ä ľaise, sur-tout que plusieurs Canadiens lui font des remarques sur la conduite des anglo-phones de la colonie. Les; Canadiens, confie-t-il ä Dartmouth, « sont surpris qu'on tolěre ces assemblées et la cabale nocturne qui se poursuit dans le but de jeter le trouble dans ľesprit de la population par des rapports faux et séditieux ». Le gouverneur sent le besoin de donner ľassurance aux Canadiens « que de semblables demarches n'affecteraient en rien la derniěre mesure adoptée ä leur égard ». Limitation américaine Carleton voit juste lorsqu'il soupconne les habitants des colonies voisines d'etre responsables de ľétat d'esprit des anciens sujets demeurant ä Montreal. « J'ignore, écrit-il ä Dartmouth, le 11 novembre 1774, si ces derniers sont naturellement plus portés ä ľagitation, si des colonistes installés au milieu d'eux les ont soulevés ou si réellement ils ont recu, comme on ľa dit, des lettres du congrěs general. [...] Je suis informé que toutes personnes de Boston qui viennent au Canada sont fouillées, de crainte qu'elles ne transportent des lettres, et qu'elles sont strictement questionnées au sujet de tout message verbal que le general Gage pourrait leur confier pour moi. » Lorsque les anciens sujets signent une petition dénoncant l'Acte de Québec, ils ont déjä pris connaissance de la « lettre adressée aux habitants de la province de Québec, ci-devant le Canada, de la part du Congrěs general de ľAmérique septentrionale, tenú ä Philadelphie ». En effet, le 26 octobre, les représentants des Treize Colonies avaient adopté la resolution suivante : « Que ľadresse du Congrěs ä la population du Canada soit signée par le president et que les représentants de la province de Pennsylvanie en surveillent la traduction, l'impression, la publication et la diffusion ; et il est recommandé aux représentants du New Hampshire, du Massachusetts et du New York de concourir ä häter la diffusion de ladite adresse. » Henry Middleton, un délégué de la Caroline du Sud, signe la lettre qui sera imprimée en 2000 exemplaires chez l'imprimeur d'origine francaise Fleury Mesplet. Selon le « témoin oculaire » Simon Sanguinet, « en moins de quinze jours, cette lettre du Congrěs adressée aux habitants du Canada fut distribuée de ľextrémité de la province ä ľautre. Plusieurs marchands anglais parcouraient toutes les campagnes sous pretexte d'acheter du blé des habitants afin de leur lire cette lettre et de les exciter ä la rebellion ». Mais, en realite, quoiqu'en dise le « témoin oculaire », il semble bien que la lettre du Congrěs ne rut connue des Canadiens que beaucoup plus tard, puisqu'on peut lire, dans un écrit du 18 Janvier 1775 : « La traduction francaise de ľadresse aux habitants de ce pays, laquelle devait nous étre envoyée par ordre du Congrěs, ne nous est pas encore parvenue. Mais une traduction en a été faite ä Québec et des ĽAcTE de Québec 395 copies manuscrites (notre imprimeur n'ose rien publier de cette nature) ont circulé pármi les bourgeois francais. lis sont si peu accoutumés ä penser et ä parier sur ces matiěres, ils craignent tant d'offenser en quoi que ce soit le Gouvernement qu'ils éviteront de prendre aucune part au mouvement. » Dans leur lettre aux habitants de la province de Québec, les représentants des colonies les invitent ä faire cause commune avec eux contre 1'Angleterre en dénon-cant surtout Y Acte de Québec. Aprěs avoir énuméré les droits appartenant natu-rellement ä ľhomme, ils ajoutent: Mais que vous offre-t-on ä leur place par le dernier Acte du Parlement ? La liberté de conscience pour votre religion : non, Dieu vous ľavait donnée, et les Puissances temporelles avec lesquelles vous étiez et étes ä present en liaison, ont fortement stipule que vous en eussiez la pleine jouissance. [...] A-t-on rétabli les lois fran-caises dans les affaires civiles ? Cela paraít ainsi, mais faites attention ä la faveur circonspecte des ministres qui prétendent devenir vos bienfaiteurs ; les paroles du statut sont que ľon se réglera sur ces lois jusqu'ä ce qu'elles aient été modifiées ou changées par quelques ordonnances du gouverneur et du Conseil.» II en va de méme pour les lois criminelles anglaises qui pourront, elles aussi, étre modifiées n'importe quand. « C'est de ces conditions si précaires que votre vie et votre religion dependent seulement de la volonte ďun seul. Aprěs avoir déploré le fait que les Canadiens ne possědent pas de Chambre ďassemblée et que le seul pouvoir du Conseil législatif est ďétablir des taxes pour la construction des routes et des edifices publics, les participants au Congrěs de Philadelphie ajoutent: « Peuple infortuné qui est non seulement lésé, mais encore outrage. Ce qu'il y a de plus fort, c'est que, suivant les avis que nous avons recus, un ministěre arrogant a concu une idée si méprisante de votre jugement et de vos sentiments, qu'il a ose penser et s'est méme persuade que, par un retour de gratitude pour les injures et outrages qu'il vous a récemment offerts, il vous engagerait, vous nos dignes concitoyens, ä prendre les armes pour devenir des instruments en ses mains pour ľaider ä nous ravir cette liberté dont sa perfidie vous a privée, ce qui vous rendrait ridicules et détestables ä tout l'Univers. » Les congressistes font appel au philosophe francais Montesquieu et ä son Esprit des lois pour inciter les Canadiens ä faire cause commune avec eux. Ils prétent au philosophe les exhortations suivantes : Saisissez ľoccasion que la Providence elle-méme vous offre, votre conquéte vous a acquis la liberté si vous vous comportez comme vous devez, cet événement est son ouvrage; vous n'étes qu'un trěs petit nombre en comparaison de ceux qui vous invitent ä bras ouverts de vous joindre ä eux; un instant de reflexion doit vous convaincre qu'il convient mieux ä vos intéréts et ä votre bonheur, de vous procurer ľamitié constante des peuples de l'Amérique septentrionale, que de les rendre vos implacables ennemis. Les outrages que souffre la ville de Boston ont alarme et uni ensemble toutes les colonies, depuis la Nouvelle-Écosse jusqu'ä la Georgie, votre province est le seul anneau qui manque pour completer la chaíne forte et éclatante de leur union. Votre pays est naturellement joint au leur; joi-gnez-vous aussi dans vos intéréts politiques; leur propre bien-étre ne permettra jamais qu'ils vous abandonnent ou qu'ils vous trahissent. Soyez persuades que le tó- 396 HlSTOIRE POPULAIRE DU QUÉBEC bonheur ďun peuple depend absolument de sa liberté et de son courage pour la maintenir. La valeur et ľétendue des avantages que l'on vous offre sont immenses ; daigne le Ciel ne pas permettre que vous ne reconnaissiez ces avantages pour le plus grand des biens que vous pourriez posséder, qu'aprěs qu'ils vous auront abandonnés ä jamais. Prévoyant que la question de religion peut devenir un obstacle, les rédacteurs de ľadresse font valoir ľexemple des Cantons suisses oú les habitants catholiques et protestants vivent « ensemble en paix et en bonne intelligence ». De plus, ils ne demandent pas aux Canadiens de prendre les armes contre I'Angleterre, mais simplement « ä vous unir ä nous par un pacte social, fonde sur le principe liberal ďune liberté égale et entretenu par la suite de bons offices réciproques qui puissent le rendre perpétuel ». En consequence, les Canadiens sont invites ä élire des deputes qui les repré-senteront lors du prochain congrěs general « de ce continent qui doit ouvrir ses séances ä Philadelphie le 10 mai 1775 ». Un regiment canadien Le general Gage, qui est cantonné ä Boston, sent le besoin de renforcer la garnison anglaise de cette region. Le 4 septembre 1774, il demande done au gouverneur Carleton de faire embarquer le plus rapidement possible les 10e et 25c Regiment, si cela n'affaiblit pas trop la colonie québécoise. Dans sa réponse du 20 septembre, le gouverneur Carleton montre peut-étre un peu trop ďoptimisme. Aprěs avoir souligné la joie des Canadiens ä la suite de ľadoption de l'Acte de Québec, il ajoute : « La formation d'un regiment canadien mettrait le comble ä leur bonheur ; et, avec le temps, ce nombre pourrait étre porté, en cas de nécessité, ä deux ou trois bataillons et méme plus. Cependant jusqu'ä ce que le service du Roi exige davantage, il suffit pour le moment de former un regiment canadien pour satisfaire la population et je suis convaincu que nous pourrons compter sur sa fidélité et sur son dévouement. [...] J'apprends que les Sauvages de cette province sont trěs bien disposes. La formation d'un bataillon canadien les maintiendrait dans de bonnes dispositions et exercerait une grande influence sur eux; mais d'autre part, vous connaissez quelle sorte de gens ils sont! » Les mois ä venir obligeront le gouverneur ä changer d'idée. Au cours de ľhiver 1774-1775, des marchands anglais parcourent les campa-gnes pour faire valoir des arguments en faveur de la cause américaine. Ils dénoncent les salaires des juges de la cour des plaidoyers communs, du gouverneur et de tous les autres officiers civils. Quelques marchands anglais dans les villes chez qui les habitants allaient pour acheter de la marchandise, affirme Sanguinet dans son journal, leur répétaient le méme langage que la seule ressource pour eux était de laisser venir Ies Bostonnais dans la province de Québec, — qui n'y venaient que pour les rendre heureux et les remettre en liberté, — que c'était le seul moyen de les tirer de ľoppression et de la tyrannie oü ils étaient exposes et qu'ils ne devaient pas ignorer que c'étaient les provinces unies qui leur avaient fait ôter le papier timbre qui avait empörte aux Ľ Acte de Québec 397 Canadiens au moins quatre mille louis. Ce discours fit beaucoup d'impression sur ľesprit des habitants des campagnes. Ils perdirent la confiance qu'ils avaient toujours eue jusqu'alors dans les personnes des villes de les détromper, et la mírent dans de mauvais Sujets qui agissaíent de concert avec le Congrěs. Cela vint ä un point oů les honnétes gens fiděles ä leur roi řurent obliges de se taire et le crime se montrait la téte levée sans étre puni. Un espion bien informé Un comité du Congrěs du Massachusetts se charge de la cause des Canadiens, « considérant qu'il paraít étre le but manifeste du ministěre actuel de s'assurer les Canadiens et les tribus indiennes éloignées afin de harasser et désoler ces colonies et de les réduire ä un état ďesclavage absolu ». II lui apparait primordial de bien connaítre la situation reelle de la province de Québec et les dispositions d'esprit de ses habitants. Le colonel John Brown, ä la demande du comité special, vient en visitě au Québec et en profite, entre autres, pour presenter une nouvelle adresse du comité de Boston invitant les Canadiens ä envoyer des représentants ä la reunion de mai. Brown atteint Montreal par le lac Champlain. II se serait declare « marchand de chevaux » pour mieux accomplir sa mission. Des marchands anglophones de la ville ľaccueillent. II y eut une assemblée ä Montreal, note Sanguinet, les choses s'y passěrent secre-tement. Les deputes auraient désiré que les Canadiens eussent été de rassemblée, mais il n'en fut pas un seul, et les marchands anglais de Montreal leur dirent qu'ils savaient que les Canadiens ne voulaient point entrer dans ľunion proposée. Effec-tivement, le plus grand nombre prit le parti de la neutralite, sous pretexte qu'ils avaient fait serment de ne point prendre les armes contre les Anglais. II était de la politique de les entretenir dans cette opinion, c'est ä quoi les mauvais sujets ne manquaient pas. Par ľimpunité de toutes ces demarches nocturnes, la ville de Montreal fut bien vite remplie d'espions qui avaient correspondance avec plu-sieurs marchands anglais de Montreal et de Québec. Enfin, ils combiněrent ä faire leur entreprise sur la province de Québec: il leur était ďautant moins difficile qu'ils étaient assures de la disposition de la plus grande partie des habitants. Ils savaient en outre tout ce qui se passait dans la province, le peu de troupes qui y était. Un grand nombre de marchands anglais se montrěrent publiquement dévoués en faveur des Bostonnais par leurs discours et cherchaient ä soulever le peuple et ä mettre la confusion. Le 29 mars 1775, ä Montreal, Brown rédige son rapport de mission au Congrěs provincial du Massachusetts. II ne se fait plus d'illusion sur la participation des Canadiens au projet ďindépendance des colonies voisines : la masse du peuple va probablement demeurer neutře, alors que la petite noblesse va continuer ä épouser la cause anglaise. « Les Francais du Canada, affirme-t-il, constituent une sorte de gens qui ne connaissent aucune autre facon de se procurer la richesse et ľhonneur qu'en se faisant sycophantes de cour; et, comme l'introduction des lois francaises va donner des places ä la petite noblesse francaise ils se pressent autour du gouver-neur. » 398 HiSTOiREPOPULAiRE du Québec Selon ľenvoyé du Congrěs, le petit peuple et le bas clergé, méme s'ils choisis-sent de demeurer neutřes, néprouvent pas moins une certaine Sympathie pour la cause américaine. II illustre ce jugement par ľanecdote suivante : « Ä Laprairie, petit village ä environ neuf milles de Montreal, je remis ä mon bourgeois, Irlandais catholique, un exemplaire de ľadresse, et comme il y avait dans le village quatre eures ä prier au corps d'un vieux frěre, le pamphlet leur parvint bientôt. lis envoyě-rent un messager pour en acheter plusieurs. Je leur en fis cadeau d'un ä chaeun et ils me priěrent de leur faire une visitě au couvent chez les bonnes Soeurs. lis paraissent n'avoir aueune indisposition ä ľégard des colonies, mais ils préferent plutôt demeurer neutřes. » Quatre anciens sujets du Comité de Montreal, Thomas Walker, James Price, John Welles et William Heywood, signent, le 8 avril 1775, une lettre au comité de Boston pour ľavertir qu'il ne doit pas compter sur ľappui des Canadiens. Orange ä ľhorizon Pendant ce temps, dans les colonies de la Nouvelle-Angleterre, la situation se dété-riore. Des affrontements entre les troupes réguliěres et les Américains ont déjä eu lieu, entre autres ä Lexington, le 19 avril. Dans la province de Québec, on est inquiet. Francois Baby, de Québec, fait part de ses apprehensions ä Pierre Guy de Montreal, dans une lettre datée du 27 avril 1775 : « Avec la présente, j'ai remis ä monsieur Moquin un paquet cacheté contenant le traité des anciennes lois sur la propriété en Canada et le traité des fiefs. [...] Je n'ai pas été plus dupe que toi de cette fatale époque pour notre triste colonie : il y a trois mois que je prévois ľorage et quelques-uns de vos messieurs de Montreal n'y ont pas peu contribué; ce sont des monstres qui auraient du étre étouffés dans le berceau ! Je crains bien que le temps ne soit pas éloigné oú les Canadiens ne pourront se consoler ďavoir demandé la nouvelle forme de gouvernement. » Le lundi 24 avril 1775, Carleton fait lire en public les lettres patentes le nommant capitaine general et gouverneur en chef de la province de Québec, avec ses nouvelles frontiěres. Avec le méme document, il avait du recevoir les instructions royales concernant la liste des personnes devant former le nouveau conseil législatif: le lieutenant-gouverneur Cramahé, le juge en chef Hey, Hugh Finlay, Thomas Dunn, James Cuthbert, Colin Drummond, Francois Lévesque, Edward Harrison, John Collins, Adam Mabane, Claude-Pierre Pécaudy de Contrecoeur, Pierre-Roch de Saint-Ours, Charles-Francois Tarieu de La Naudiěre, George Pownall, George Allsopp, Saint-Luc de La Corne, Joseph-Gaspard Chaussegros de Léry, Alexander Johnston, Conrad Gugy, Francois-Marie Picoté de Belestre, Charles-Régis Des Bergěres de Rigauville et John Fräser, soit huit Canadiens sur vingt-deux conseillers. Quelques jours avant ľentrée en vigueur de l'Acte de Québec, le gouverneur Carleton établit des structures judiciaires temporaires. Son ordonnance du 26 avril 1775 constitue Adam Mabane, Thomas Dunn, John Fräser et John Marteilhe « gar-diens de la paix » pour les districts de Québec et de Montreal, « durant mon bon plaisir ou jusqu'ä ce que des cours convenables de judicature puissent étre établies dans lesdits districts ». Deux Canadiens les assístent: René-Ovide Hertel de Rouville, ä Montreal, et Jean-Claude Panet, ä Québec. Ľ Acte de Québec ' V v 399 ■' ' / ' Le 1er mai 1775, une nouvelle constitution est adoptee, accordant un statut particulier ä la province de Québec. Un seul incident souligne sa mise en place : le méme jour, ä Boston, un nommé Jonathan Brewer présente au Congrěs provincial du Massachusetts une resolution qui, méme si eile nest pas approuvée, illustre bien ľesprit des insurgents: « Le soussigné, désirant de toutes ses forces contribuer au bien de son pays, demande la permission de proposer ä cet honorable Congrěs de marcher sur Québec avec un corps de cinq cents volontaires, par la voie des rivieres Kennebec et Chaudiěre. » La veille, Benedict Arnold avait propose de s'emparer de Ticonderoga, ľancien fort Carillon. Une menace d'invasion plane done sur la province de Québec ! 366 HlSTOIRE POPULAIRE DU QUÉBEC au protestantisme. Mais le probléme majeur demeure celui de ľabsence ďun chef. Depuis le décěs de Pontbriand en juin 1760, la Nouvelle-France n'a plus ďévéque et ľordination de nouveaux prétres ne peut se faire sans un séjour ä ľétranger car, sans évéque, le sacerdoce ne peut pas étre conféré. Londres assiégée La nomination ďun évéque catholique pour prendre la succession de monseigneur Pontbriand ne peut se faire sans l'assentiment des autorités de Londres. Le doyen du chapitre de Québec, ľabbé Joseph-Marie de Lacorne, qui vit en France, se rend en Angleterre quelques jours aprés la signature du traité de Paris. II multiplie rencontres et mémoires. Enfin, le 18 mai, il rencontre le comte d'Egremont, secretaire d'État, ä qui il remet un memoire présentant une solution habile au probléme religieux canadien : « Ä Québec, écrit-il, il y a un évéque en titre, un Chapitre et un séminaire. C'était le roi de France, sous ľancien regime, qui nommait ľévéque. La chose n'ayant plus lieu maintenant, il y a deux alternatives : entretenir au Canada un vicaire aposto-lique ou évéque in partibus. Cet évéque, soumis ä une puissance étrangěre et tou-jours dependant d'elle, pourrait étre suspect et causer quelque inquietude. L'on propose l'autre alternative : faire élire ľévéque par le Chapitre, comme c'était autrefois la coutume universelle, comme ce l'est encore dans plusieurs dioceses.» Charles de Beaumont, plus connu sous le nom de chevalier d'Éon, secretaire d'ambassade ä Londres, obtient quelques autres rendez-vous importants pour ľabbé Lacorne. Ce personnage trouble, que ľHistoire a retenu ä cause de ľambi-guité au sujet de son sexe, et qui probablement a été un homme continuellement vetu en femme, annonce le succěs de la mission du doyen du chapitre dans une lettre au due de Choiseul, le 13 juin : « M. ľabbé de Lacorne, doyen de Québec, que le zéle a conduit ici il y a quelques mois pour solliciter le maintien de la religion catholique au Canada, se conduit avec beaucoup de prudence et de sagesse. II a obtenu non sans peine et grandes discussions que son chapitre aurait la permission de se choisir publiquement un évéque catholique. Ce point était le plus important pour les Canadiens et pour nous. » Certains accusent Lacorne de faire des gestes intéressés. Le gouverneur Murray y fait echo. Si Sa Majesté, écrit-il au comte de Shelburne le 22 juillet 1763, juge ä propos de donner un chef au clergé catholique romain de ce pays, il y a certaines circons-tances touchant ce monsieur qui, dans mon humble opinion, le rendent tout ä fait inapte ä ce poste. La bigoterie bien connue et la superstition de sa famille, Inversion de ses frěres pour tout ce qui porte un nom anglais, les cruautés incessantes quils ont exercées naguěre contre nous : tout cela laisse peu d'espoir ä une conversion soudaine pour nos intéréts. Je dois en justice ä la vérité de declarer ici que M. Briand, vicaire general de ce diocěse, a agi en toutes circonstances avec une candeur, une moderation, une délicatesse qui méritent les plus grands éloges, et que je m'attendais peu de trouver dans une personne de sa robe, étant donne les maximes trěs peu charitables de la religion qu'il professe et dans laquelle il a été élevé.