- Collection "Ecritures vagabondes" - 10 A Monique, toute ľéquipe des services culturels de ľAmbassade de France en Syrie (Damas et Alep) et mes vagabonds compagnons ďécriture ALEP TX02.qxp 12/06/2006 11:56 Page 1 Ecritures vagabondes, créée ľinitiative de Monique Blin et aujourďhui présidée par Mohamed Kacimi, est une association ďauteurs de théâtre née la suite ďune résidence au Liban en avril 2000. Elle initie des chantiers et résidences ďécriture dans les pays du Sud pour favoriser le croisement et la découverte ďune nouvelle génération ďauteurs, ainsi que la circulation de leurs oeuvres. Elle reçoit le soutien du Ministre de la Culture (DMDTS, Drac Ile-de-France, CNL), de la SACD et de Beaumarchais. C'est en partenariat avec Ecritures vagabondes que le Centre culturel français de Damas a invité six auteurs et metteurs en scne venus du continent africain, du Canada et de France (Gustave Akakpo, Wissam Arbache, Philippe Ducros, Mohamed Kacimi, Olivier Py et Christian Siméon) et six auteurs et metteurs en scne vivant en Syrie (Al Yassiri Joumana, Al Dahabi Fares, Amre Sawah, Hakim Marzougui, Kanaan Ahmad et Wissam Arbache). La résidence s'est déroulée Alep en octobre et novembre 2004. Les textes issus de cette résidence ont fait ľobjet de créations ou de mises en voix en Syrie et en France. Plusieurs seront publiés, notamment aux éditions Lansman. Pour en savoir plus : www.ecritures-vagabondes.org Photo de couverture : Philippe Ducros Tous droits de traduction, reproduction, adaptation et représentation réservés pour tous pays. Lansman (Editeur) et ľauteur. D/2006/5438/544 ­ ISBN (10) : 2-87282-543-6 ­ ISBN (13) : 978-2-87282-543-1 ALEP TX02.qxp 12/06/2006 11:56 Page 2 Habbat Alep Gustave Akakpo - Lansman Editeur ALEP TX02.qxp 12/06/2006 11:56 Page 3 Les personnages principaux : - Abou, le pre - La fille - Le cousin Les autres personnages : Le fils ďAbou, la femme ďAbou, les chauffeurs, le policier, le pre du policier, le guide, la prostituée, Hebun, ľami ivoirien Ils peuvent tre joués par un ou plusieurs comédiens ou comédiennes. Bien vous tous, Balzas, Dominique, Philippe, Nazim, Scali ; merci de m'avoir prté votre regard sur le texte et donnée ľoccasion de le retravailler, grâce la mise en espace que vous en avez fait au CDN ďOrléans. Ľauteur ALEP TX02.qxp 12/06/2006 11:56 Page 4 prs cinq heures de vol, la ville, ruisselante de petites perles arrachées la nuit, s'entrouvre sous les roues dépliées de ľavion qui se rue sur ľaéroport. Ľaéroport : une foule de passagers, de panneaux ďindication, de files ďattente, de corps masqués ďuniforme. Ľimpression que cette foule colle, mine de petits riens, au voyageur qui débarque. La fille (au public) : Oui, il a pris un vol de nuit. Contrôle de routine ľaéroport ? Pas vraiment. Au début, aucun des corps masqués ďuniforme ne voulait s'y coller. Sa couleur plus ou moins sombre sans doute. Pourtant, il n'y a pas de racisme ici. De son poste, un douanier lui fait signe de passer dans une autre file en attente de contrôle de passeport, visa et compagnie. Il se prend alors une queue en attente de trifouillage ďidentité. Trente minutes, puis le douanier en poste de contrôle de cette queue-ci le remarque, lui lance un court regard ennuyé et lui demande de changer de queue. Troisime queue, troisime douanier qui ľenvoie se faire échographier ailleurs. Il fait mine de protester, le douanier prend ľair de s'emporter. Une heure plus tard et sept files ďattente en attente, il se retrouve dans la queue de départ avec le mme douanier qui lui mime son envie de le voir ailleurs. Face ce qu'il prend présent comme un mépris bien cuisiné de la part des douaniers, il se dit sans doute qu'il est plus que temps de protester virilement. Le second douanier ne lui en laisse pas le temps et invective le premier sa place. Les douaniers finissent par se bagarrer pour ne pas avoir s'occuper de lui. Finalement, et sans aucune explication, ľun des corps masqués lui demande ďapprocher. - Passeport ! Il est décortiqué dans tous les sens, le passeport ; palpé, humé, disséqué. - Qu'est-ce que c'est ? Habbat Alep - 5 A ALEP TX02.qxp 12/06/2006 11:56 Page 5 - Mon passeport. - De quel pays ? - Togo, c'est écrit... - Togo, Togo, Togo, c'est en Amérique ? - Non, Afrique. - Ah, Afrique du Sud ! - Non. - Ah, Soudan ? ! - Non. - Ah ! C'est une île ? - ĽAfrique ? - Non, le Togo. - Non, c'est sur la côte ouest de ľAfrique, entre le Bénin et le Ghana, avec le Burkina Faso au nord, cinq millions ďhabitants, indépendance en 60, régime politique dictatorial barbouillé en démocratie... - Eh, mon ami ! On n'est pas ľentrée du paradis ici ! Ce n'est pas comme si Dieu le grand te faisait passer un examen de passage ! Pas besoin de tout ça, ce n'est pas un interrogatoire ! Et on ne te demande pas de parler de politique ! ... Ecrivain, qu'est-ce que c'est ? - Mon métier, c'est écrit. - Tu écris ? - Oui. - Donc tu es un journaliste. - Non, écrivain. - Et en tant qu'écrivain qu'est-ce que tu fais ? - J'écris. - Ah, tu es donc journaliste. Métier... journaliste. Tu as déj fait de la prison ? - Pardon ? ALEP TX02.qxp 12/06/2006 11:56 Page 6 - Dans certains pays, journaliste, c'est un bon métier pour qui veut passer du temps en prison. Tu as déj fait de la prison ? - Je ne suis pas journaliste. - Nous n'allons pas revenir dessus. Je ne fais pas du surplace. J'ai du travail. Si tu es l pour me dilapider le temps, tu te prends une autre queue. Alors as-tu déj fait de la prison ? - Non. - Ça va venir, inch Allah ! Ici tu écris sur quoi ? - Je fais des recherches sur une langue morte ou qui se meurt. - En général les journalistes s'occupent des gens qui meurent, pas des langues. - Je ne suis pas... - Et tu vas creuser, faire des fouilles ? - Non, je cherche des gens qui parlent cette langue : le mina. - Aaaah ! Aufouan ?1 - In, n'fon nouin ! Vous parlez mina ?2 - Mon pre parle, pas moi ou juste un peu. Passe la maison, un soir, demain soir, rompre le jene en famille, tu verras le vieux ! Mon ami du... du... Togo. Mais ton nom, Dieu m'arrache la langue si je me trompe, mais on dirait le nom ďune famille ďici ! - Mon pre est originaire ďici. - Ah, tu es un fils du pays. C'est donc sur les pas de ton pre que tu as pris le retour ! Il se pourrait que je le connaisse, o est-il ? - Il est resté au Togo. - Il ne rentre pas ? Habbat Alep - 7 1- Ça va ? 2- Oui, ça va. ALEP TX02.qxp 12/06/2006 11:56 Page 7 - Il ne rentre plus. - La paix sur ton coeur. Il est mort ? - Non, il ne rentre plus. - Qu'est-ce qu'il fait dans la vie ? - Ecrivain. - C'est une entreprise familiale, ton histoire ďécrivains ! Il n'a pas fait de la prison, ton pre ? - Si, ici. - Ah ! Qu'est-ce que je te disais ? Méfie-toi de ľécriture. Mais c'est bien, les langues mortes. Jamais entendu dire que quelqu'un ait fait de la prison parce qu'il s'intéresse aux langues mortes. Tiens-toi aux langues mortes et tu garderas ta vie ! Pas de politique. A demain. - Mon passeport. - Il y a des choses vérifier ; mais pas besoin que tu passes au bureau. Demain soir la maison, tu auras ton passeport. - Demain, pas sr ďtre libre. Je voudrais plutôt passer dans la semaine, le... - Si tu veux voir le vieux, il ne faut pas attendre le soleil ďaprs ; il n'est plus tout jeune ; on ne sait jamais quand ! - Demain. - Bienvenue dans le pays de ton pre. Le cousin (pour lui mme) : Ça commence fort. Jour ďarrivée, passeport bloqué pour cause de fouille approfondir. Pas me plaindre, j'ai déj une piste pour ma recherche ; enfin si la piste tient vie jusqu' demain. Une langue disparaît tous les quinze jours et personne­ Rien foutre ! Faut tre dingue comme moi pour... ! Dingue. La mort des langues, personne, ça n'intéresse ! Il a fallu mentir Johnny Kokoroko pour avoir les sous. Je me demande pourquoi je n'ai pas donné au douanier la raison officielle de ma présence ici : étudier la possibilité ďimplanter un disneyland dans la cité antique des villes mortes. Mon Dieu, un disneyland avec trains, ALEP TX02.qxp 12/06/2006 11:56 Page 8 cinés, hôtels, touristes et consort sur un site archéologique ! Qu'est-ce qu'il ne faut pas se prostituer pour avoir les moyens de réaliser ses rves ! En tout cas, cela fait raison officielle et ľautre n'aurait pas gardé mon passeport si je le lui avais sorti. Ďun autre côté, je n'aurais rien su de son pre si je n'avais­ Ça va. Je me dépche, ma cousine doit m'attendre de ľautre côté des postes de contrôle. La fille (au public) : Quatre heures attendre qu'il franchisse les postes de contrôle. Pre m'avait donné quelques noms de policiers voir, mais il n'y avait pas moyen de savoir. Ľinquiétude m'a un peu pris le ventre ; vous comprenez, son pre, le frre de mon pre, il prenait bien des risques avec ce qu'il écrivait ; on peut dire qu'il avait la langue dans ďautres poches que les siennes ; des poches qui s'en accommodaient mal ; alors, forcément un jour il a d prendre la route, puis jamais il n'est revenu. Et voil que son fils revient et met longtemps venir dans le hall de ľaéroport qui se vidait de monde. Alors, bien sr, ľinquiétude grosses gouttes, elle n'était pas bien loin. Surtout que son fils, mon cousin, sa langue, je ne savais pas o il la gardait. S'il a comme son pre la manie de ne pas la tenir ! Enfin ! Plus de peur que de mal ­ Dieu n'est pas petit ­ le voil qui sort. "Dieu lui a donné de la beauté avec générosité", je me dis, pendant qu'il me tend son sourire servi sur un bonjour. Et tout le reste a suivi. Il n'arrtait pas de parler ; dans le taxi, parler, parler, mon Dieu comme il parle ! Et encore et encore comme s'il voulait remplir toutes ces années loin ďici. Il voulait tout savoir, du pays, de la famille, de moi. - Non, je ne suis pas mariée. "Les hommes sont-ils donc tous aveugles ici ?" qu'il m'a dit ; et moi j'ai ri comme si le rire était la seule parole que je connaissais. Longtemps que je n'avais pas ri comme ça. Et il insistait. Le chauffeur fit rebondir sur nous son regard dans le rétroviseur. On voit bien qu'il n'est pas ďici, mon cousin ; il ne prta aucune attention au chauffeur dont le regard s'évertuait chercher la nature des relations entre Habbat Alep - 9 ALEP TX02.qxp 12/06/2006 11:56 Page 9 lui et moi. Bien sr le chauffeur ne pouvait pas s'imaginer, vu qu'il avait la peau plutôt sombre, le cousin. En ďautres temps j'aurais essayé ďéclairer son esprit sur la conduite tenir, mais l, tant pis, je prenais plaisir rire, vivre, cela faisait longtemps. Et mon cousin insistait toujours : "Si tu n'étais pas ma cousine..." Mais comme il parle, mon Dieu comme il parle ! Le cousin (au public) : Jolie. Elle rit beaucoup la cousine ; mais pour la conversation ! Mon Dieu, comme si elle n'avait rien dire ! Me voil embarqué meubler la conversation pour deux. Je déteste parler ; ça me sole ce silence ­ comme si elle n'avait ďautre parole que son rire, elle pourrait faire un peu ďefforts, je viens de me prendre des kilomtres ďheures de vol suivis ďépuisantes heures de décortication de passeport et ďidentité, alors ce ne serait pas de refus si... Et ce chauffeur, comme il roule ! Dire que j'ai bravé le ciel pour m'attraper un mal de terre ! - C'est encore loin ? Elle rit de ma question, ou de moi, qu'importe elle rit, comme elle rit, mon Dieu, comme elle rit, faites-la taire, son rire m'agresse. Elle s'étouffe enfin, merci mon Dieu ! Comme elle s'étouffe, mon Dieu ! - Ça va ? Entre deux étouffements, elle trouve encore le moyen de baver un rire maigrichon, elle s'épuise de rire. Qu'est-ce qu'elle a ma cousine ? Est-elle folle ? S'est rendue folle de rire, elle vire au bleu, de plus en plus, pas moyen qu'elle respire, encore plus de bleu. Il ne sera pas dit que sitôt arrivé ici, je ľaurai étouffée de rire, ma cousine... J'ai ľair compltement con ; elle change encore de couleur. Et ce chauffeur qui continue de rouler. - Arrtez ! - Impossible monsieur, trop vite, les voitures trop vite, impossible monsieur ! ALEP TX02.qxp 12/06/2006 11:56 Page 10 Il a raison, les voitures, toutes dans le mme sens, comme des oiseaux migrateurs ľapproche du froid, volant ras le bitume. - C'est iftar, monsieur, la rupture du jene, leurs familles les attendent, la faim, monsieur, c'est normal ! Comment pouvoir s'arrter, il faut bien pourtant, elle a encore changé de couleur, ma cousine. Pourquoi vont-ils tous dans la mme direction ? Y a-t-il une résidence spéciale pour chauffeurs dans cette ville ? Si certains au moins roulaient dans le sens opposé, la circulation, un moment, serait bien forcée de prendre pause pour laisser route ceux ďen face. N'y a-t-il jamais ďaccident dans cette ville ? Mon Dieu ! Un petit accident, pour qu'ils s'arrtent enfin ! Un petit pneu qui éclate, un petit accrochage, un petit réservoir qui explose, un petit carambolage avec des tas de voitures qui se déchirent la gueule, explosent en un immense brasier et qu'enfin elle s'arrte cette saloperie de circulation : ma cousine se meurt de rire ! - Dans cette direction y a-t-il moyen de trouver un hôpital ? - Ľhôpital ? Si monsieur, pas trs loin, un peu tout droit, un peu gauche, puis droite, un peu devant, on y est si Dieu le veut ! - Non, ça va ; pas ľhôpital. Tiens, ma cousine a retrouvé une brindille de souffle. La fille : J'ai murmuré : "Pas ľhôpital". Bien sr, lui, comment pouvait-il savoir ? Aprs des années amres de silence. C'est mon pre qui parle comme cela : "Aprs des années amres de silence, le fils de ľabsent nous écrit son envie de retour au pays de ses pres". ... (Comme si elle répondait une question venant du public) Son pre lui ? Non jamais je ne ľai connu. Trop petite ľépoque o il a pris son chemin loin ďici. Mais j'ai appris son histoire ; vous savez, force de bribes de conversations, ďallusions, de silence... "Ľabsent" qu'il Habbat Alep - 11 ALEP TX02.qxp 12/06/2006 11:56 Page 11 ľappelle, mon pre. Il n'a jamais rien fait comme les autres, "ľabsent". Au lieu de brouter docilement son service militaire avec fierté, comme les autres garçons de la famille, il est parti dans le pays ď côté, B-City. Non, jamais mes pieds n'ont foulé la terre de B-City, n'ont foulé ďautre terre que celle ďici ďailleurs. Mais je sais, comme toute oreille qui écoute, ce qu'on dit de BCity : pour qui sait travailler un peu et calculer beaucoup, la sueur peut prendre le got sucré de la fortune. Le frre mon pre, "ľabsent", y a tiré la somme nécessaire pour acheter sa liberté ; le seul de la famille avoir payé ľEtat le droit de dire non au service militaire. La famille lui en a gardé dent ; surtout qu' son retour de B-City, il s'est mis crier son droit de dire non tout ce qui ne sonnait pas oui dans son coeur. La honte pour la famille qui a toujours donné du oui tout. Et malgré la sécurité que la famille s'était aménagée force de oui, mon oncle a fini par connaître la prison... et pas qu'une seule fois. A sa dernire sortie de prison, son coeur a croisé les pas ďune femme ; une étrangre venue ďun petit pays ďAfrique. Bien sr, "quelle honte !" a dit la famille, "se lier une étrangre, pas question !" Mais lui, il a suivi les pas du coeur, il est parti l-bas, en Afrique, il a creusé des années de silence entre son coeur et sa famille ; depuis, il est devenu "ľabsent", dont on ne parle pas. C'est son fils qui a comblé le silence du jour au lendemain. Il étudiait les langues anciennes ; il revenait au pays de son pre pour y chercher une langue ancienne, vous imaginez ? Une langue. ... (Comme si elle répondait une question venant du public) Une raison autre que celle-l qui aurait guidé ses pas ? Je ne sais pas ; il n'y avait pas ďautres raisons dans sa lettre. Je connais mon pre. En ďautres occasions, son silence aurait suffi comme réponse au fils de "ľabsent". Mais l, c'était la solution ses problmes. ALEP TX02.qxp 12/06/2006 11:56 Page 12 Ses problmes... c'est moi. (Avec une calme exaspération) Tout faire pour que la honte ne ľattrape pas ; pas lui, le fils le plus obéissant de grand-pre. Que la honte passe son chemin. Non, je n'ai pas eu le courage de lui porter la nouvelle, lorsque c'est arrivé. C'est ma mre qui a pris sur elle de prter sa bouche au malheur. J'étais dans la pice ď côté. - Abou, j'ai une nouvelle ťannoncer. - Prie Dieu qu'elle soit bonne. - Elle ne ľest pas. - Alors prie davantage. Parle. - Mes paroles n'auront pas la douceur de la pistache. Garderas-tu ton calme, Abou ? - Je suis calme, femme. - C'est propos de ta fille aînée. - La tienne aussi si je ne m'abuse ! - Abou ! - Je suis calme. - Son ventre est devenu celui ďune mre. - ... - Abou. Abou ? - Qui a osé ? - ... - Qui, femme ? - Un homme qui était de passage, qui a repris route et dont elle est depuis sans nouvelles. (Sans s'apitoyer sur elle-mme) Un homme qui était de passage, qui a repris route et jamais n'a donné de nouvelles. Il m'avait pourtant promis bien plus que des nouvelles, mon premier homme. Habbat Alep - 13 ALEP TX02.qxp 12/06/2006 11:56 Page 13 Pre a dit que pour éviter la honte, je garderais la maison ds que mon ventre ferait mine de pointer et que mre ne devrait plus sortir de sa chambre. Plus personne ne la verrait désormais, jusqu' ce que ľenfant sorte de mon ventre. Alors ils pourraient ľannoncer comme le leur ­ et pas le mien ­ afin que la honte passe son chemin. Mon petit frre, peu de temps aprs, retournait ľuniversité. De sa résidence universitaire, il eut le courage ďécrire pre. Pre, au nom du Tout-puissant, bien respectueusement, de mon salut, je ťembrasse. Dieu m'est témoin, ma bouche et mon coeur ťont toujours courbé respect et obéissance. Et pourtant aujourďhui, pre, je vais manquer au devoir ďobéissance qu'un fils doit son pre. C'est propos de ma soeur. Vous savez combien je ľaime. Que le malheur m'avale si jamais il arrive que ľingratitude me cloue des trous dans la tte et me fasse oublier tout le bien que nous lui devons. Lorsque la maladie a vomi son haleine fétide sur mre et toi, elle a refusé plus ďun prétendant, pour pouvoir s'occuper de vous et de nous, ma petite soeur et moi. Aujourďhui, c'est encore elle qui reste prs de vous pendant que nous, nous cherchons tracer nos vies hors du toit familial. Cependant pre, il m'est difficile ďaccepter votre décision. Vous savez qu'en ma qualité de fils unique, j'ai été dispensé du service militaire ; mais s'il arrivait que ľenfant de ma soeur, que vous avez décidé ďannoncer comme le vôtre, soit un garçon, je ne serais plus fils unique. Je ľavoue pre, je suis un fils indigne, mais j'ai peur du service militaire. J'ai des amis qui ľont fait ; certains n'en sont pas revenus, ďautres auraient mieux fait ďy rester. Je vous en supplie pre, trouvez une autre solution, sinon je suis capable de tout pour que ma soeur perde son enfant. De tout pre, mme si j'aime profondément ma soeur. Votre fils qui vous aime. ALEP TX02.qxp 12/06/2006 11:56 Page 14 Ľautre solution, c'était lui, mon cousin, le fils de "ľabsent". "Arrange-toi pour qu'il vienne en toi, tu sais ťy prendre, avec des façons de femme, des paroles la douceur de pistache, si je ne m'abuse" a dit mon pre. En attendant, un médecin m'avait recousu clandestinement ľhymen. Alors, bien sr, ľhôpital, il était hors de question bien qu'il et beaucoup insisté, mon cousin. Le cousin : Elle retrouve un peu de souffle, ma cousine, mais pas ses couleurs. Il vaut mieux ne pas prendre de risques. - Chauffeur, y a-t-il moyen de trouver un hôpital ? - Si monsieur, pas trs loin, un peu tout droit, un peu gauche, puis droite, un peu devant, on y est si Dieu le veut ! Il tourne gauche, le chauffeur. "Moins vite", je lui dis, "moins vite", et il écrase ľaccélérateur. "Moins vite" et "il nous faut rester dans la ligne, monsieur" qu'il me dit. - Moins vite, je ne suis pas pressé ďarriver au cimetire. - Au cimetire monsieur ? Mon Dieu, la pauvre, mon Dieu, et c'est arrivé dans mon taxi ; que Dieu nous protge ! C'est le mauvais oeil, monsieur. Ce matin, la mre de la voisine, elle regarde ma voiture ; et toute sa salive, elle a usé : "Oh comme elle est fort belle, presque trop belle pour en faire un taxi ! Que Dieu la bénisse, mon fils". Mon oeil ! Le mauvais oeil, je vous dis ! Derrire la pistache de ses paroles, que des pensées assassines : "Depuis quand as-tu cette merveille mon fils ?" Cinq jours, je lui réponds, cinq jours pour me fabriquer un moyen de lui planter en pleine face la main de Fatma et me protéger du mauvais oeil. Et pourtant voil le résultat. Dites-moi : vous tes arrivé en avion. N'avez-vous pas craché dans ľavion ? - Quoi ? - Cracher pendant un voyage, ça porte malheur ! Mais au cimetire monsieur... ? Vous ne voulez pas prendre le temps de prévenir la famille ? Quoique, votre bon sens est bien grand monsieur ; c'est vrai. Pas bien ďamener Habbat Alep - 15 ALEP TX02.qxp 12/06/2006 11:56 Page 15 un mort la maison, cela entraîne la mort de trois autres personnes. Mais ma voiture, c'est un peu comme ma maison ! Ça, c'est un peu embtant. Mais tes-vous sr que la mort lui a pris le souffle ? Peut-tre, c'est juste une crise ; une crise ďasthme. Je connais un bon remde et garanti : finie la crise, elle retrouve un souffle de moteur mille chevaux. C'est tout simple, il suffit de lui trouver de ľurine de gazelle mâle. O trouver la gazelle, laissez-moi réfléchir et... Et l-dessus, ma cousine démarre un rire rachitique. Mon Dieu comme elle rit ! La fille : Ľhôpital, c'était hors de question, alors je me suis défoncée rire. Mes côtes hurlaient de douleur. Si longtemps qu'aucun rire ne les avait effleurées, elles en ont perdu ľhabitude. Si longtemps. ... Oui, bien sr, j'avais peur qu'un médecin ne découvre la vie dans mon ventre. Pas de médecin, ni pour moi, ni pour ma mre aussi longtemps que la situation n'aurait trouvé solution sa pointure, a dit mon pre. Il y a des choses qu'un enfant ne doit pas dire de ceux qui lui ont prté vie ; mais mon pre, Dieu me pardonne, depuis des années, c'est comme une vieille peau de chameau increvable au travers de ma gorge. Juste bon me pourrir la vie. Le pre (un vieillard, tanné comme une vieille peau de chameau increvable, paraplégique, assis dans un fauteuil roulant, une pipe au coin des lvres) : La vieille peau de chameau increvable, juste bon pourrir la vie, c'est moi. Du moins c'est ce que je crois que ma fille pense de moi. Une brave, ma fille. ... Non, je ne lui ai jamais dit que je la trouvais brave. Il y des choses qui ne se disent pas. Elle creusait les heures ne pas arriver avec son petit cousin, alors j'ai pensé qu'elle lui a tout avoué et que lui, s'il avait un brin ďintelligence, était en attente du prochain vol pour retourner dans son lointain pays ďAfrique. C'est qu'elle est souvent obéissante ma fille, mais pas trs souvent intelligente. Des méchantes pensées ! Les heures creuses, ça vous sécrte des pensées pas bonnes. ALEP TX02.qxp 12/06/2006 11:56 Page 16 Que Dieu me pardonne, elle a réussi revenir avec son cousin. C'est donc lui, notre secours ! Le prix de mon honneur est trs bronzé. Ľhonneur de ľOrient aux mains ďun Soudanais ! Le cousin : Togolais mon oncle, Togolais du Togo. Le pre : Pardon ? Le cousin : Vous m'avez demandé si mon pre avait la santé bonne au Soudan, par la grâce de Dieu. Nous habitons le Togo ; je suis togolais. Le pre : Tu es arabe, mon fils, ton pre est arabe et ton fils sera arabe. Le cousin : Ma mre est... Le pre : Ta mre est une enfant de Dieu, qu'elle soit du Togo ou du Soudan. Dieu ne porte aucune différence entre ses enfants. Soudan ou Togo, ce n'est pas ce qui compte : ľhomme, c'est ľhomme. Tu comprends ? Le cousin : Une femme. Le pre : Pardon ? Le cousin : Ma mre est une femme, pas un homme. Le pre : Homme ou femme, ce n'est pas ce qui compte. Tous sont enfants de Dieu. Et bienvenue toi chez toi, ici. Le cousin (pour lui-mme) : Cela commence bien ! Je me demande si je vais y rester ici, chez moi. Que je me calme, c'est mieux. Ce ne sont pas des manires présenter sa famille. La fatigue, le voyage sans doute. Un bon bain, voil ce qu'il me faut. Le pre : Comment ? Ma fille me dit que tu souhaites prendre un bain ? Va mais redescends vite pour la rupture du jene. Es-tu musulman ? Le cousin : Non. Le pre : Dieu nous pardonne, ton pre n'a jamais rien fait comme nous autres. Chrétien ? Le cousin : Non, enfin... non. Habbat Alep - 17 ALEP TX02.qxp 12/06/2006 11:56 Page 17 Le pre : Ton pre ne ťa pas donné de religion ? Le cousin : Non. Le pre : Il ťa donné la vie sans te donner de religion. Le cousin : Il m'a donné le choix. Le pre : Et tu as choisi ? Le cousin : Rien. Je crois au présent, voil. A vous l, moi ici, voil. Le pre : Et ton fils tu laisseras aussi le choix ? Dismoi as-tu une femme, des enfants ? Le cousin : Non. Le pre : Dieu te bénisse, ça c'est bien. Et ton fils tu laisseras le choix de se donner sa propre religion ? Le cousin : Oui, je crois. Le pre : Ça c'est grave, mais nous en reparlerons lorsque tu auras prochainement ton fils. Le cousin : De toute façon, je ne sais pas si j'aurai une femme ; des enfants, je ne crois pas. Le pre : Ne parle pas trop vite mon enfant, tu ne sais pas ce que Dieu te réserve. Mais va prendre ton bain, cela te mettra de bonnes idées en place. Et descends vite pour manger. ... Qu'est-ce qu'il est maigre, ce garçon. Maigre et sans religion, un malheur n'arrive jamais seul. Qu'il mange, sinon personne ne croira qu'il ait été capable ďavoir mis quoi que ce soit dans le ventre de ma fille. * Le cousin : Manger. Qu'est-ce qu'ils mangent ici, mon Dieu ! Des mezze perte ďappétit, ne plus donner envie de s'attaquer au plat proprement dit ! Falafel, houmous, fuul, comme s'ils avaient faim de je ne sais quoi ďautre qui leur tient le ventre... ou ľâme. Manger. Mme le vieux Abdel Hani, manger qu'il me dit tout le ALEP TX02.qxp 12/06/2006 11:56 Page 18 temps avec son sourire mille watts : "Mange, mon fils, mange". Une heure déj que je suis l, qu'il m'a dit que son fils est retenu ľaéroport, que j'ai récupéré mon passeport, qu'il ne m'a pas dit un mot en mina, que je cherche lier la conversation au principal objet de ma venue ici, ľétude ďune langue qui meurt, parlée encore par quelques personnes en voie de disparition dont il est un représentant si frle qu' chaque instant je crve de cette peur que son souffle ne s'arrte pour de bon, et lui tout ce qu'il trouve me dire : "Sers-toi encore, il y en a assez. Mange, on ne parle pas le ventre vide". Comment lui dire non sans contrarier son sourire ! A ľheure du thé, on parle enfin. - Trs peu parlent le mina actuellement. Que les gens de ma génération. Trs peu de ma génération sont encore de ce monde. Tu as la vie devant toi, portée du regard, et je te la souhaite aussi longue éteindre, qu'un point imaginaire de ľhorizon. Pourquoi ťintéresses-tu aux choses qui meurent ? - Une langue qui meurt c'est une perte considérable pour ľhumanité. C'est... On peut mme parler de génocide linguistique ľallure o disparaissent les langues ! Il s'agit l ďun appauvrissement incroyable pour ľhumanité ! Un drame qui se joue en dehors de toute scne. - L, tu me parles de ľintért de ľhumanité ne pas laisser les langues mourir. Mais quel est ton intért, toi ? - Je... je crois que... enfin, je... - Dis-moi ce que tu cherches. - ... Bah, ce que j'ai dit que je cherche... Voil. Enfin, je... Aucun de vos enfants ne parle correctement cette langue. Pourquoi ? - Tu ľas dit : c'est une langue morte. Et mes enfants doivent vivre. - Avec tout le respect que je vous dois... Habbat Alep - 19 ALEP TX02.qxp 12/06/2006 11:56 Page 19 - Tu m'écoutes avec tout le respect que tu me dois. Je suis ce qu'on appelle ici "un citoyen étranger". - Une minorité ethnique. - Un peuple auquel le temps a donné des visages, des manires, une langue. - Qui se meurt. - Pour laisser vie une autre, plus officielle, indivisible, une et suprme. Mon pre m'a donné ľécoute du corps humain et animal, des plantes, du vent. Alors il m'a pris le rve de "faire" médecin ; pas devenir médecin. Je ľétais déj par mon pre. Faire, juste faire. Mais avec mes papiers de "citoyen étranger", minorité comme tu dis, je n'avais pas ľautorisation légale de faire médecin. C'est la loi qui fait et défait. Aujourďhui, mon fils travaille la police. Je ne lui ai pas donné le nom de notre culture, ni la langue. Cela lui aurait juste brouté sa vie ďhomme. Ils avaient besoin de bras pour cracher la guerre B-City ; et mme les bras minoritaires étaient les bienvenus. J'ai dit mon fils : "Laisse ta marque sur le souffle du temps qui passe. Tue le temps qui ťaccuse de ce que ton pre est. Sois plus fort que tout, et vis". Aujourďhui, il n'est plus un citoyen étranger. Citoyen tout court, tout simple, tout bte. Que dire des mots qui m'assigent par intermittence ? Quel mot psera une portion des larmes qui lui coulent de tout le corps ? De la terrasse du vieux Abdel Hani, je plonge mon regard dans le calme de la ville qui se prépare au sommeil. Un temps sans mot dire, puis "je reviendrai demain". Demain, je lui ai dit. - Demain nous parlerons de cette langue que je suis venu traquer. Ce soir reposez-vous, je n'ai plus de mots pour parler. La fille : Oui, le lendemain de son arrivée, je ľai accompagné chez le vieux Abdel, vous savez, le pre de ce policier qui lui a pris son passeport. ... Non, je ne suis pas restée ; il voulait tre seul chez le vieux et rentrer seul aprs. Il m'a dit : "Tu me couves beaucoup, toute la journée supporter ma gueule de chien, on dirait ma ALEP TX02.qxp 12/06/2006 11:56 Page 20 mre. Je finirai par ťappeler maman, je rentrerai dans ton ventre et tu accoucheras de moi". Ça m'a fait pleurer ; aprs ; bien aprs, dans ma chambre, je me suis laissée aller pleurer, pensant tre seule. Le pre : Il est o ? La fille : Chez le vieux Abdel. Le pre : Et aprs ? La fille : Je ne sais pas aprs. Le pre : Il se fait tard. Il n'est pas encore rentré. ... Comment tu vois la situation ? La fille (faussement ignorante) : Quelle situation, pre ? Le pre : Comment vas-tu ťy prendre pour que ce qui doit se passer se passe ? La fille (prenant son courage deux mains) : Pre, vous pourriez prendre ľenfant comme le vôtre. Mon petit frre m'aime et, malgré ce qu'il a écrit, jamais il ne nous manquera de respect ; ni vous, ni moi. Le pre : C'est toi qui nous as manqué de respect, ma fille. As-tu téléphoné chez Abdel ? La fille : Non. Le pre : Passe-moi le téléphone. Faudra-t-il que je fasse tout dans cette maison ? (Elle lui amne le téléphone, lui met le combiné dans la main droite, porte cette main son oreille, lui prend la main gauche pour composer le numéro.) Allo ? ... Abdel Hani. (A la fille) On me passe son fils, le policier. (Au téléphone) Oui ... Oui. La santé c'est entre les mains de Dieu, Dieu merci. ... Oui ? ...Ah ? Ah ? Non... non. ... Ah ? Oui. ... Ah ? ... Ah ? ... Ou l l ! Dieu est grand, il donne, il reprend. (Il regarde sa fille pour lui signifier qu'il en a fini. De sa main droite qu'elle lui a tenue pendant toute la conversation, elle raccroche ; puis aprs lui avoir posé les bras sur les accoudoirs du fauteuil, elle se met de côté) Plus de trois heures sont passées depuis que ton cousin a pris congé du vieux Abdel Hani. J'ai eu son fils. ... Abdel Hani est mort. Habbat Alep - 21 ALEP TX02.qxp 12/06/2006 11:56 Page 21 La fille (peinée) : Mort ? Le pre : Mort aprs le départ de ton cousin. Il va falloir lui dire. Tu lui diras. Tu ajouteras ceci : le vieux Abdel lui recommande ďaller dans la petite ville au coeur du désert, il y trouvera son cousin... Hebun, qui parle aussi la langue. La fille (dépitée) : Bien sr, le fameux cousin du vieux Abdel n'existait pas. Mais pre a manigancé pour nous éloigner, mon cousin et moi. Me donner le temps, loin de la maison, loin des voisins, de le faire venir en moi. Le cousin : Parti engraisser la mort, le vieux "citoyen étranger". Au moins, elle lui foutra la paix, le sommeil, le droit de se poser, la mort ; ne lui demandera pas de se crever pour exister, la mort. Et moi je continue ma traque ďune langue morte. "Dis celui qui a été mon fils ďun soir, ďaller la petite ville au coeur du désert, voir mon cousin", a dit le vieux Abdel Hani. * J'achte un quotidien, blablablabla. Je prends la route, une vieille Mercedes des années ďautrefois, un véritable bijou archéologique qu'un chauffeur pousse avec la rage ďune formule un. Le chauffeur fait la conversation tout seul. Comment peuton rouler aussi vite et parler autant ? Deux autres passagers et ma cousine. (Agacé) Je ne comprends pas pourquoi mon oncle a insisté pour qu'elle me suive. J'ai bien vu que ľidée ne la faisait pas planer, elle. Elle a d se prendre un congé son boulot. De quoi me mettre une gueule de chien enragé dans le ventre, mais ľoncle ne voulait rien savoir. J'avoue qu'il me reste au travers de la gorge, cette vieille peau de chameau. Je ne sais pas quand mais je sens que je vais lui cramer la gueule. Bizarre, ma cousine. Nous avons d nous arrter par deux fois et je ľai vue cracher discrtement. Un bref instant, je plante mon attention sur son ventre. Un peu ALEP TX02.qxp 12/06/2006 11:56 Page 22 rond. Serait-elle ? Jamais je n'ai été efficace pour ces choses-l. Quel con je fais dans ces cas-l ! Tous les cas o je me suis pris draguer des inconnues sans me rendre ľévidence qu'elles portaient ľenfant de quelqu'un... Pourtant les seules femmes que je me fais violence de ne pas toucher sont bien celles-l. Une fois sur deux, je me laisse avoir. Peut-tre devrais-je lui demander, ma cousine. Calme-toi mon vieux ; c'est ta cousine, bas les pattes ! Pas mes affaires de toute manire si elle porte un bébé. Enfin, je ne sais pas. Deux heures déj, assis dans cette voiture ; le chauffeur avale toujours les kilomtres de route, anime autant la conversation, il doit avoir ľhabitude qu'on ne lui réponde pas. Je n'arrive pas trouver le sommeil. La route interminable travers ce désert perte ďespoir. "Le désert, le désert, les cailloux, les cailloux" comme ľa écrit Jumana une auteure irako-palestino-syrienne que je lis en ce moment. Un savant métissage, un choix pratique pour qui veut comprendre le Moyen-Orient peu ďeffort. Le chauffeur, sans doute, ayant fini par s'apercevoir que je suis le seul ne pas goter le sommeil, me demande ďo je viens. Pour ne pas lui compliquer la vie, je réponds Afrique, au lieu de Togo. - Ah ľAfrique ! J'aime beaucoup ľAfrique ! Mon cousin m'a décrit, c'est trs beau ! Vous tes footballeur ? - Non. Pourquoi ? - Vos cheveux. - Ah oui, mes dreadlocks ! Non je ne suis pas footballeur. - J'aime beaucoup le football ! Les Africains sont bons footballeurs et bons musulmans. J'aime beaucoup ľAfrique. Deux vérités personnelles que je ne lui ai pas contredites et pour qu'il me parle ďautre chose que ďune Afrique que je ne connais pas, je lui dis que sa voiture est une merveille qui vaut de ľor. Il part ďun rire kilométrique. Pourvu que ma cousine ne se réveille pas, elle a le rire sensible. Le chauffeur finit par m'expliquer que c'est Habbat Alep - 23 ALEP TX02.qxp 12/06/2006 11:56 Page 23 faute de mieux qu'il garde sa carcasse, que les voitures neuves cotent une vie ďhomme, que seule une certaine classe peut se faire le luxe ďun tel achat, qu'en disant cela il ne faudrait pas que j'imagine qu'il fait de la politique, qu'il m'échangerait bien sa ferraille rafistolée contre une voiture pétante neuve. Puis il continue la conversation tout seul. Enfin la ville pointe son museau ; ma cousine se réveille ; le chauffeur, enfin, prend une pause. Une nuée de vendeurs ďarticles certifiés originaux semblables les uns aux autres nous assaillent. Il faut se frayer un chemin. O trouver le cousin ďAbdel Hani ? Nous n'avons que son nom demander aux passants. Hebun. Trente minutes que nous brandissons ce nom. Trente que nous tournons ďune direction ľautre. Ils se font tous sympathiques nous indiquer la route, chacun convaincu de connaître le bon Hebun. Enfin nous arrivons dans un quartier ľatmosphre kleenex, véritables palaces, jardins bien tenus codes digitaux. Rien voir avec le vieux quartier que nous venons de laisser, avec ses routes empoussiérées, ses petites rues, ses vieilles maisons, ses chats en liberté, le souk et ses bandes ďenfants qui brandissent de joyeux "hello" en direction de ľétranger vite repérable que je suis, sa foule de vies qui grouillent dans tous les sens. Ici c'est le quartier de ceux qui peuvent se payer des voitures neuves. Si le monsieur Hebun habite dans les parages, c'est certain, il vit sur une autre fréquence que celle de son cousin Abdel Hani. Devant une maison au grillage clinquant doré, un bracelet clinquant de voitures sans doute payées vies ďhommes, peine sorties ďemballage. Un groupe de jeunes garçons et filles clinquants, vtus comme des stars de télé, vont et viennent, bruissant qui veut ľentendre leur vie de gosses de riches. "Si les indications sont bonnes", me dit ma cousine, "c'est la maison voisine celle-ci". La voisine de maison est en construction. Elle semble tout de mme habitée, du moins la cour, avec les trois poules, cinq poussins, un coq et un petit garçon qui nous regardent. A notre approche, le petit garçon court se réfugier dans une sorte de dépendance la maison en ALEP TX02.qxp 12/06/2006 11:56 Page 24 construction. Une petite pice rectangulaire en béton, deux petites fentres, une porte ouverte sur quatre petites ttes, deux filles, deux garçons. Une femme apparaît, toute de voile rouge couverte, et nous claque la porte au nez. Ma cousine m'envoie faire un tour pendant qu'elle s'en va parlementer avec la femme. Je suis trop mâle pour me poser dans les parages en ľabsence de son mari. Ok, je m'en vais flâner dans ce quartier code digital. La fille : J'étais trs fatiguée. Dans mon état, vous comprenez ? Ds que la porte s'ouvrit, je cherchai un coussin o poser ma fatigue. En un regard, la femme s'aperçut de mon ventre, me donna du repos et chercha savoir si j'étais bien accompagnée de mon mari. Je ne sus quoi lui répondre. J'ai souri et je lui ai demandé. Sans insister, elle me répondit. Oui, nous étions bien chez Hebun, gardien de la maison en construction. Il est parti faire les courses. Elle est désolée, il n'y pas grand-chose la maison m'offrir, le temps que le mari revienne des courses. Non il ne tardera pas rentrer. Oui, ils habitent tous, sept au total, dans cette petite pice qui sera détruite, une fois la maison terminée, et aprs "Dieu est grand, il pourvoira". Ce visage de mon pays, je le connaissais du regard, parfois dans la rue. Jamais je ne me suis mise en peine de m'y poser. Trop difficile faire sans doute. ... (Comme si elle répondait une question venant du public) Comment ? A qui la faute de tant de misre, vous me demandez ? Comment savoir moi ? Je ne fais pas de politique. * Le pre (le combiné du téléphone coincé tant bien que mal, entre son épaule droite et le cou, il parle trs fort) : Allo ?... Oui, vous avez bien vérifié, ils n'ont pas pris de chambre chez vous... J'ai fait le tour de tous les hôtels... Habbat Alep - 25 ALEP TX02.qxp 12/06/2006 11:56 Page 25 Oui, prenez ce message, mon fils. Si par la volonté de Dieu, ils descendent votre hôtel, dites-leur de m'appeler. Dites ma fille que sa mre est malade... Dieu vous bénisse... (Le combiné lui tombe du cou. Rageur, il peste) * Le cousin : Quel con de nom de Dieu je fais, me voil perdu dans ce harem de palaces ! Par o suis-je arrivé ici ? Ľimpression que toutes les rues, toutes les maisons étalent la mme gueule haut perchée. Ah, l... je reconnais ! Le cortge de voitures dernier modle, avec les jeunes en dernier cri de stars de télé. Mais par o passer ensuite ? Je pourrais demander ce jeune homme qui apparemment n'a rien ďautre s'imaginer qu' tripoter son cellulaire dernire génération. - Excusez-moi, un renseignement s'il vous plaît. - Oui ? - La maison de monsieur Hebun, s'il vous plaît. - Franchement, ce n'est pas le genre de nom se prendre une maison par ici. Vous vous tes égaré je crois. - Une maison en construction. - Plusieurs maisons ici sont en construction. - Une maison immense deux ou trois étages. - Ici presque toutes les maisons sont immenses deux ou trois étages ; regardez la maison de mes parents. - La grille ďentrée est dorée... - Comme celle de notre maison. Ťes métis toi, non ? - Si. - Comme moi. Je suis métis culturel, entre la France et ici. Ťes Paris toi ? Ťas la nationalité française ? - Non. ALEP TX02.qxp 12/06/2006 11:56 Page 26 - A Paris je suis, moi. Avec les parents, on rentre au bled pour les vacances. Comment tu trouves ici, toi ? C'est beau hein ? Plus calme qu' Paris, non ? Et les gens, ils sont sympas, non ? Mais comme il fait canicule, quoi ! Tu fais quoi, sinon ? - Hein ? - Ici, dans la vie, tu fais quoi ? - Ecrivain. - Pas mal ça ! Tu écris des choses et tout ! Et ici tu écris sur quoi ? La civilisation ? Il y en a pour une bonne dose ďencre l-dessus ! Ou sur les gens ? Il y a des cas ici, je te jure, de quoi te shooter un best-seller sans trop de sueur. Tiens-moi, j'ai un bon sujet pour toi : tous les jeunes qui veulent s'arracher ďici ! Je ne les compte pas tous ceux qui se creusent que je leur trouve un plan pour se couper ďici, vite fait ! Avec mon passeport français, comme ça court de tonnerre avec les filles ! Tu présentes le pass, ľaffaire est dans le lit, tranquille. Tu n'as pas ta nationalité française ? C'est pas bien ça. La prochaine fois, prends-en une avant ďarriver. Ťécris sur quoi, sinon ? - Le mina. - C'est quoi comme truc ? - Une langue morte, ou en voie de... - Et ça intéresse quelqu'un ça ? Il y a quand mme des choses faire ici. Pour les jeunes surtout. Moi j'aimerais trop créer une association, genre échange, pour que les jeunes ďici, ils ne se prennent pas trop la tte dans leur rve ďailleurs. Mais il faut que les choses bougent. Je te donne mon numéro, on s'appelle Paris, voir ce qu'il y a faire ; un écrivain, ça doit avoir de bonnes idées, non ? Il fait tout ďun coup un bruit de moteur pétaradant violemment ľatmosphre. Une moto benne, c'est bien ça. Benne comme une voiture, quels génies les mécaniciens ďici ! Au contrôle de la moto, un homme ; ľarrire, dans la partie benne, une gamine posée côté ďimmenses sacs poubelles. Dun coup de frein, la moto s'arrte prs ďune boîte ďordures, ľhomme et la gamine Habbat Alep - 27 ALEP TX02.qxp 12/06/2006 11:56 Page 27 s'éjectent côté de la poubelle, y plantent leurs mains, fouille rapide, boîtes de conserves, paquets de biscuits, on dirait, et diverses choses atterrissent dans ľun des sacs ľarrire de la moto. Un employé au ramassage ďordures ? Et la petite, sa fille ? Une petite employée ? Drôle de manire ďopérer le tri ďordures ! Soudain, un autre moteur, vrombissant sa rage bien plus haut que la moto : un camion benne de ramassage ďordures. Ľhomme et la fille s'arrachent, laissant la place un plus gros carnassier. La moto s'élance en trombe, s'arrte une boîte ordures plus loin, pendant que le camion avale le reste de poubelle, et reprend route. La moto tourne ľangle ďune rue. Je me lance sa poursuite. La voil en attente devant une autre boîte ordures que ľhomme et la fille visitent le plus rapidement possible, avant que le monstre benne ne pointe du radiateur. Dieu, deux façons de concevoir le rapport de ľhomme la poubelle ! Machinalement, je continue suivre la moto de poubelles en poubelles. Bien trop véloce pour mes jambes, je la perds et la retrouve quelques rues plus loin, prenant son repos prs ďune petite baraque en béton, rectangulaire, une porte, deux petites fentres, quelques poules, un coq, cinq enfants, dont la fille, ľhomme, la femme voilée de rouge et ma cousine. Ainsi ľhomme que j'ai vu faire ses courses est monsieur Hebun. La fille (au public) : Mon cousin est arrivé peu de temps aprs le retour du maître des lieux. Il ne s'attendait pas ce que Hebun lui dise : "Votre femme m'a parlé de vous". Le cousin : Ma femme ? La fille (au cousin) : Oui, moi. Le cousin : Ah... oui, ma femme ! (Au public) Je ne sais pas pourquoi elle leur a dit "ma femme" au lieu de "ma cousine". Elle a srement une raison. Elle leur a parlé de mon projet. Il lui a déj dit qu'il n'est pas le cousin ďAbdel Hani. Mais il nous invite partager le repas du soir avec sa famille. J'hésite. J'ai une idée de l o il fait ses provisions. Ce serait plutôt moi de partager avec lui ce que j'ai, pas lui de creuser sa famine pour nous faire ľhonneur ďun soir. Il insiste. ALEP TX02.qxp 12/06/2006 11:56 Page 28 Nous prendrons bien du thé, oui. Nous prenons du thé. Long le temps de prendre le thé, long se parler des mots en toute économie. Il ne parle pas beaucoup. Il finit par me poser la question que je redoute depuis peu. - Que cherchez-vous ? - ... - Je n'ai pas le plaisir ďtre le Hebun que vous cherchez, mais si je peux vous donner mon service. Comment lui parler de ma qute ďune langue, lui qui trompe la faim des siens la crme de poubelles ? Comment lui dire que j'ai des mots de Sony Labou Tansi dans la tte qui me touillent en vice versa : "Il suffit que les affamés soient numériquement incontrôlables pour qu'ils aient le droit de manger ceux qui mangent". Il faudrait que j'appelle Johnny Kokoroko, je suis bientôt cours ďargent... * Le pre : Que voulez-vous que je vous dise ? Oui j'avais les jours amers. Cinq jours qu'ils étaient partis, et pas la moindre nouvelle. Alors que peu de temps aprs leur départ, des maux dans tout le corps avaient attrapé ma femme et chaque jour lui arrachaient des douleurs plus grandes. Non, appeler un médecin, c'était hors de question tant que nous n'aurions pas trouvé une solution, tant que ma fille n'aurait pas... Alors pourquoi n'appelaitelle pas pour me dire ? Mes nerfs me pourrissaient ľhumeur. - Aaaaaaaaaaaaaaah ! ah ! ah ! ah ! ah ! ah ! Trois jours que ma femme hurlait régulirement. Son pied. Gonflé. Au bout de ces trois jours, impossible de le lui toucher sans qu'elle ne hurlât sa douleur. Il ne fallait pas. Les voisins, vous comprenez ? A force de cris, ils finiraient par dresser ľoreille, ouvrir ľoeil et délier la bouche. Je ne voulais pas de langues baladeuses dans mes affaires de famille, vous comprenez ? Alors je ne lui touchais plus le pied. Mais elle s'était mise hurler sans Habbat Alep - 29 ALEP TX02.qxp 12/06/2006 11:56 Page 29 rien que je lui touche, et les voisins, vous comprenez ? Alors je lui ai mis des choses dans la bouche pour que ses cris n'aillent pas nous attraper la honte. Et puis ľodeur. La puanteur qui se collait elle, puis s'en détachait pour se clouer chaque objet de la chambre, de la maison, tout, moi. J'en ai acheté du parfum chez le marchand, pas celui du quartier, vous pensez bien. Les voisins, vous comprenez... ? Et mme que le marchand il a fini par me demander si je voulais ouvrir commerce. Mais ľodeur grossissait, mangeait les parfums. Yves Saint Laurent, Christian Dior, Kenzo, Hugo, Chanel n'y ont vu que du feu. Je gardais la puanteur close entre les fentres. Je ne comprenais pas pourquoi elle me privait de son appel, ma fille. Ma femme, je ne pouvais pas ľenvoyer ľhôpital tant que je ne savais pas, vous comprenez... Ma fille, a-t-elle déj pris son cousin en elle ? * Le cousin : Oui allô ? Johnny ? Johnny Kokoroko ? ... Oui ? ... Ah Johnny ! Bien sr, je travaille ! ... Oui, je ťenverrai des photos, de belles oui. ... Si ! Il y a moyen de construire ici un grand parc ďattractions. ... Oui, tout autour ďun site archéologique, le plus vieux possible, le plus grand possible. ... Oui... du tourisme culturel, c'est cela. ... Non je n'ai pas encore pensé un nom. ... Ah, tu y as réfléchi ! ... Kokorokoland ! Ah ? Oui, je trouve ça superoriginal. Oui, c'est ça, superoriginal. Pour les autorisations, pas de problme ; mais il faudra un peu de bakchich. ... Le plus tôt possible, oui. ... Par virement, parfait. J'achte le quotidien, blablablabla. Il faudrait que je donne un coup de fil mon oncle. Ma cousine, de plus en plus mal, mais ne veut pas entendre parler de médecin. Ce soir j'appellerai. Je n'ai pas encore déniché le cousin ďAbdel Hani. Ce n'est pas facile tout seul, sans la cousine restée ľhôtel. Je demande. Je continue demander. ALEP TX02.qxp 12/06/2006 11:56 Page 30 - Monsieur ! Je sursaute ; un homme qui me prend par le bras et m'entraîne ľécart de la foule. Je me laisse prendre, il n'a pas une tte me vouloir du mal. Il me demande... - Je peux vous aider. Tout ce que vous voulez, je peux vous aider. J'ai de trs belles antiquités avec garanties et autorisation de quitter le pays. Vous pouvez me croire sur parole, je ne mens jamais au client ! - Je cherche quelqu'un. - Ah ! Un ancien roi, un prince, j'ai une belle statue ďune princesse ; vous savez celle qui est tombée en amour ďun berger... - Quelqu'un de vivant. - Mme les vivants, je connais. Tout ce que vous demandez, Tarik vous le trouve, vivant ou mort. Tarik, c'est mon nom. - Pourquoi pas. Hebun. Il est mina ; cousin de Abdel Hani... - Mais je connais ! Suivez-moi ! - Euh, en tes-vous certain ? - Suivez-moi. Je le suis. Il prend par de petits chemins. Je ne reconnais rien du tout. S'il veut me perdre, c'est fait. - Vous tes touriste ? - Pas vraiment. Ecrivain. - Américain ? - Non. - Les Américains, c'est bien quand ils sont touristes ; pas soldat, président ou espion. Ne vous inquiétez pas, ici on aime bien les Américains quand ils sont touristes. Alors vous n'tes pas Américain touriste ? - Non, je suis Togolais écrivain. Habbat Alep - 31 ALEP TX02.qxp 12/06/2006 11:56 Page 31 - Ecrivain, ah ! J'ai un ami qui est un grand écrivain de quotidien. Laissez voir, que son nom me revienne... Ah les noms ! Vous savez, ils vont, ils viennent mais ça va me revenir. Ecrivain, c'est bien. C'est cultivé non, un écrivain ? - Comment ? - Intelligent instruit et tout ça. Pour écrire il faut en avoir dans la tte, non ? - Oui, je crois. - C'est que je dis mon fils. Fais écrivain, mon fils, tu seras cultivé. Je lui explique mon fils : un écrivain c'est quelqu'un qui utilise son argent pour avoir ľesprit bien fait et le ventre vide. C'est pas beau, ça ? ... Je lui dis : un écrivain, c'est un connaisseur, il a ľoeil et il achte ; il fait de bonnes affaires pour ľesprit. Pas bte hein ! Par exemple, cette statuette, en un coup ďoeil, ľécrivain sait qu'elle date de quatre sicles avant JésusChrist et mme si elle cote quatre cents dollars, il achte tranquille ! Quatre sicles ! Je suis sr que vous avez deviné ! Alors vous ľachetez ? Je vous fais un bon prix ! ... Non ? ... Mme si vous n'avez pas beaucoup je vous la donne presque cadeau prix ďami. Une occasion unique. Il m'en cotera le sommeil de m'en séparer ! Mais Dieu est grand, votre coeur a parlé au mien. - Non, merci. C'est encore loin ? - Vous écrivez sur quoi ? Les civilisations ? - Non. - Non ? - Je m'intéresse aux langues mortes. - Langues mortes ? Ça intéresse quelqu'un, votre affairel ? Vous allez faire faillite, mon ami. Langues mortes ; vous tes écrivain ou croque-mort ? Les langues veulent mourir ? Laissez-les mourir. Mme Jésus, il a dit : "Laissez les morts enterrer leurs morts". Les civilisations ! Voil une affaire prospre. J'en connais moi, des histoires de civilisation ! Si vous voulez, je vous raconte prix ďami, presque cadeau. ALEP TX02.qxp 12/06/2006 11:56 Page 32 - Non, merci. C'est encore loin ? - Nous y sommes presque. Il m'a bien cuisiné de gauche droite. Enfin nous arrivons dans les ruines ďune vieille ville. Ľamphithéâtre, presque intact, immense ! Le temple, mélange de civilisations portant mémoire ďune époque ľautre de son histoire. Un peu ľécart, des tombes magnifiques qui ont tenu tte au temps. Et ce n'est que la partie émergée. Sous mes pieds, immense la ville, couverte par des sicles de poussire et de sable. Je prends des photos. Il faudra bien que je les envoie Johnny Kokoroko pour lui prendre quelques sous. Il est fou. Planter un disneyland, avec hôtels, trains, attractions dans cette mémoire, extraordinaire, c'est de la folie qui lui baise la cervelle ! Mon guide improvisé, je ľavais oublié, lui. - C'est beau, non ? Magnifique, je vous ľavais dit ! En Irak, c'est pareil ! Mais les bombes tombent et il n'y aura plus rien. Que le désert. C'est ça qu'il faut écrire. Les langues, elles meurent, qu'est-ce que vous voulez ? La vie, la mort, c'est kifkif. Mais les traces magnifiques des civilisations ! - Je ne suis pas touriste. - Ce n'est pas grave, nul n'est parfait. Moi je vous le dis : les touristes, ils ne viennent pas pour les langues, hein ! C'est ça qu'il faut écrire vos lecteurs. S'ils ont ľévidence que les ruines vont se retrouver en cadavres, ils gueuleront une bonne pression sur leurs gouvernements. Et croyez-moi, ce n'est pas la peine de gaspiller votre écriture sur des langues qui meurent, ou mme des gens qui se cassent la vie sous les bombes. Les touristes sont habitués voir des gens ďici mourir ; cela ne sert qu' meubler leurs journaux. A leur vie, rien ça ne change. Mais les monuments, mon Dieu, dites-leur que les bombes tuent les monuments. Et cela vous fera un best-seller ! - Je ne sais pas. Habbat Alep - 33 ALEP TX02.qxp 12/06/2006 11:56 Page 33 - Vous n'tes pas un homme ďaffaires vous, ça se voit. Sinon vous m'auriez acheté cette belle statuette. Une affaire, vous savez ? Alors ? Vous tes sr de ne pas regretter ? - Oh non ! - Bon ; voil. Je vais reprendre route. - Merci pour tout. J'essayerai de retrouver mon chemin. - Ah ! Si vous rentrez tout seul ce sera demi-tarif. - Demi-tarif ? - Pour la visite. - Quelle visite ? Je ne vous ai rien demandé. - Mais vous avez pris des photos et je vous ai donné de la conversation. Moi je suis dans les affaires ; vous peuttre pas, mais moi si. Je finis par lui lâcher un peu de ma poche qui ne pse pas bien lourd. Ce soir, j'enverrai les photos Johnny Kokoroko. * Je suis bien avancé. Me voil sans grand sou dans ces ruines et pas la moindre trace de Hebun. Enfoiré de guide. Enfoiré de moi, qu'est-ce que je cherche ici ? La fille : Ce soir-l, il est rentré trs tard. Oui, en son absence, j'ai appelé mon pre. - Non pre, il ne m'a pas encore troué la nudité. - Par Dieu, est-il impuissant ? - Je ne sais pas ; je ne crois pas. Je n'ai pas... je... - Quoi ? Tu n'as pas habité sa couche ? - Non pre. - Tu attends la venue du prophte, ma fille ? - Pre je... ALEP TX02.qxp 12/06/2006 11:56 Page 34 - Ma fille tu ouvres ton jardin quand il ne faut pas, et quand il urge tu le fermes. Ouvre ton jardin ma fille, pour ľhonneur de la famille. - Je ne sais comment m'y prendre pre. - Tu as, au moins une fois déj, su ťy prendre et apprendre toute seule, sans ľaide de ton pre, si je ne m'abuse. Ta mre est malade, ma fille. Le mal lui a pompé le pied, rongé le visage, avalé ľappétit, pressé tout le corps de son jus, surdosé les douleurs des pieds au crâne... Le mal, ma fille, sur ta mre, elle est méconnaissable. Elle a ingurgité plusieurs années mal digérées ďun seul trait. Elle a le mal qui pue et ľodeur se bande tout suffoquer dans la maison, cherche la moindre gousse ďair pour évader la honte chez les voisins, malgré les litres de parfum que je lui sacrifie. Du grand parfum, ma fille ; le G8 de la parfumerie, mais un diable de puanteur ! Ma fille, ta mre hurle longueur de journée et elle pue. Et toi pendant ce temps, pas la plus petite idée sur le moyen de ťy prendre ! Ici, le temps me fabrique une marche ďescargot, et ma fille joue la sainte nitouche ! Dis-moi dans quel hôtel vous tes, ma fille. Ton frre a quitté la maison et a vite attrapé son chemin pour vous rejoindre. Il m'appelle ce soir, dis-moi o vous vous tes posés ; il viendra te prter un peu ďintelligence. Il faut en finir. La peur m'en a creusé le ventre. Vous savez, mon frre, il n'est pas violent. Mais il a ľâme dure et sche. Il me respecte, ça oui. Il le dit souvent, ďailleurs. Je le crois. Mais vous comprenez : la situation et la voix de mon pre... Trop vite. Cet enfant dans mon ventre, trop vite ; mon cousin, trop vite ; la voix de mon pre, ce qu'elle m'ordonnait, trop vite ; mon frre qui arrivait, trop vite ; les jours couraient trop vite. Il y a des histoires de frres qui crvent vie et sang de leurs soeurs pour boucher ľhonneur déviergé ; des histoires ďamants crevés pour mettre de ľair dans ľhonneur putréfié par la soif ďamour ďune soeur. Alors j'avais peur, pour moi, pour mon cousin. Mon frre n'est pas violent, il le dit, je le crois. Habbat Alep - 35 ALEP TX02.qxp 12/06/2006 11:56 Page 35 Malgré tout, la peur m'en donnait bien de la sueur ľidée de sa venue. Comment parler de tout ceci mon cousin, lui perler des mots pour dire de partir ďici avant que mon frre n'arrive avec ses peurs ? A son retour, cette nuit-l, il n'a pas dormi dans sa chambre. Non, il a posé sa fatigue, sa journée et ľodeur ďarak dans mon lit. Oui, il s'est passé quelque chose, mais pas ce qui vous prend vitesse de penser. On a parlé, longtemps. C'est lui qui a commencé : - Dis-moi ce que je cherche. - Je ne sais pas ; c'est toi qui te pointes dans mon lit, alors c'est toi qui sais ce que tu cherches. - Non, je parlais de chercher dans un sens plus profond... - Plus profond ? - Enfin, plus large. Enfin, arrte de rire, tu connais le fond de ma pensée. - Et que cherches-tu ? - "On raconte qu'un homme s'est tenu debout sur son orteil. Le gros. On raconte que ľhomme se tient encore debout sur son orteil sans compter ni jours, ni heures, sans compter saisons. Sans compter qu'il s'est battu pour les saisons. Sans compter qu'il vieillit." - C'est beau et solitaire. C'est de toi ? - Non. De Kossi Efoui, un écrivain du Togo. Il me prend ľimpression ďtre cet homme-l. Il me prend depuis que je suis ici. On raconte qu'une langue meurt tous les quinze jours. - On raconte qu'un homme a pris son gros orteil et ľa posé sur le dos. Ça lui a fait une bosse. Ľhomme a pris la bosse, il a pris route, il a pris saisons, il a pris temps, il a pris du pays ; et dans le pays de son pre, il cherche. Mais que cherche-t-il ? Une langue sauver, trouver, tracer, consigner ? Dans son coeur, quel est le poids ďune langue parmi tant ďautres du pays de son pre ? Que cherche-t-il ? ALEP TX02.qxp 12/06/2006 11:56 Page 36 - Je cherche... Ce soir, j'ai fait la connaissance ďun Ivoirien. On s'est pris ďamitié de peau. C'est bte de se prendre amitié par identification de couleur de peau. "Tu n'es pas ďici, ça se voit", m'a-t-il dit en se posant la mme table que moi ; en face de moi et ma bouteille ďarak. (A ľIvoirien) Mon pre est ďici. ĽIvoirien : Métis ? Le cousin : Métis. ĽIvoirien : Nous sommes tous métis de quelque chose. Moi, je suis Ivoirien. Soudanais pour les gens ďici. De ľAfrique, c'est ce qu'ils connaissent le mieux : les réfugiés soudanais. Ils vous ont fait le coup ľaéroport : "Côte ďIvoire... Côte ďIvoire ? Soudan !" Le cousin : "Togo... Togo ? Soudan ! Afrique du Sud ?" (Rires) ĽIvoirien : Il paraît que le monde est devenu un village planétaire. Un nombril planétaire, oui ! ĽAfrique et ľOrient. Si proches et si loin. Je suis étudiant. En commerce, en affaires ou quelque chose du genre, en principe. Mais je passe ďabord des études de religion. Aprs je ferai affaires. C'est ľuniversité qui décide. Et toi ? Le cousin : Ecrivain. ĽIvoirien : Et tu arrives écrire ici ? Le cousin : Non, je cherche. ĽIvoirien : Viens, je te montre. Le cousin : Comment ? ĽIvoirien : J'ai un peu de temps gaspiller, suis-moi. Nous allons dans le quartier qui me prte vie. Le cousin : Tu vas donc me montrer ton quotidien ? ĽIvoirien : Le quotidien de ľhomme invisible. Ľhomme invisible, c'est moi. Attention, minorité invisible en parade ! (Rires) Habbat Alep - 37 ALEP TX02.qxp 12/06/2006 11:56 Page 37 Le cousin : Nous sommes arrivés ? ĽIvoirien : Mon quartier, donc. Enfin, rien n'est moi ici. Si on te demande ďo tu viens, tu réponds Paris. Tu comprends, moi je viens déj ďAfrique. Et ľAfrique, ce n'est pas vraiment ce qui est la mode. Si tu étais footballeur la rigueur, ça pourrait coller que tu viennes ďAfrique. Mais écrivain, c'est mieux Paris. Tu vois ? Le cousin : Je ne sais peut-tre pas ce que je cherche, mais je sais ďo je viens. ĽIvoirien : Fais le pour moi, donne-moi un peu de visibilité, mon écrivain de Paris. Regarde ce restaurant. Le cousin : Ah oui, magnifique ľarchitecture ! ĽIvoirien : J'y ai travaillé comme homme-toilettes. Aux toilettes, servir du papier-cul au client en espérant une pice. Puis je suis passé serveur. J'ai servi ; je peux te dire que j'ai servi, servi tout. Excuse-moi, je n'ai pas prté regard ľarchitecture. Le cousin ( sa cousine) : Moi et ma grande gueule ; encore perdu une occasion de la fermer. ĽIvoirien : Chez moi, en Côte-ďIvoire, il y a des rois pyromanes ; et ici, je ne peux prendre femme, famille, avenir. Ľétranger, je suis coincé dans le temps. Alors laisse-moi te promener et m'engrosser de fierté ďavoir un ami écrivain de Paris. Je te donne mon histoire. Accouche-la. Tu veux de mon histoire ? Peut-tre en astu trouvé une autre ? Que cherches-tu ? Silence. La fille : Que cherches-tu ? Le cousin ( sa cousine) : "Laisse tomber", je lui réponds, mais il insiste. Alors je lui parle de ma qute ďune langue en pointillés de vie. Il connaît peut-tre une fille qui parle cette langue. Demain il m'amne la voir. Dernire chance, demain. La fille : Le lendemain, mon frre est arrivé. Peu avant le retour de mon cousin. Non il n'a pas été violent, mon frre. Il n'est pas violent, puisqu'il le dit et que moi je le crois. Oui, j'ai fini par tout dire mon petit frre : mon ALEP TX02.qxp 12/06/2006 11:56 Page 38 cousin dans mon lit la veille, mais rien de ce qui se passe entre un homme et une femme dans un lit. Je lui ai aussi parlé de ľarak, de son haleine, et que c'était nouveau, jamais ne s'est solé auparavent, le cousin, et qu'il valait mieux arrter tout ceci : le pauvre, il n'y est pour rien. Mon frre, ses yeux ont hurlé de joie. "Ľarak voil la solution" ; et il m'a expliqué que sol, forcément, le cousin, de tout ce qu'il avait fait de la soirée, il ne se rappelait pas de tout ; forcément, sol ; alors on pouvait trs bien lui dire qu'il m'était venu dedans, mme s'il ne s'en rappelait pas. Je lui ai dit mon petit frre : depuis ľopération, personne ne m'a ouvert ľhymen remis vierge par le médecin. Alors forcément sol ou pas, impensable de lui faire gober cette histoire. Mais pour mon frre, ce n'était pas un problme : "Tout ce qu'on ferme on peut ľouvrir de nouveau" et puisque je n'y arrivais pas seule, il m'a aidée faire du sang sur le drap. Il ľa enfoncé sous le nez du cousin ds son retour. Il lui a planté ľhistoire dans le dos. J'ai regardé mon ventre ; lui ou elle ľintérieur n'y est pour rien, tout comme le cousin. Il m'a regardée, le cousin ; il m'a vu le ventre. Je crois qu'il a tout compris. Mais il n'a pas protesté : "Oui je la prendrai pour femme". Un oui tout simple. * Le cousin : Le lendemain, j'achte le quotidien, blablablabla et je retrouve mon ami ivoirien. Nous nous pointons un carrefour. Il cherche un taxi. Ça sent le milieu parallle. Il me dit... ĽIvoirien : Je te montre un autre monde invisible. Ouvre les yeux. Taxi ? Oui, je vous amne un client. Yalla ! Le cousin : Plus de trente minutes que ce taxi dévore la route. (A ľIvoirien) O allons-nous ? (Au public) Nous sommes bien en dehors de la ville. Le taxi se pose enfin prs ďune villa peine dérobée ľobscurité. Mon ami glisse une liasse de billets au chauffeur et lui dit : "Ďaccord, cinq minutes pour moi, mais lui trente". Qu'est-ce que c'est que ce plan ? Habbat Alep - 39 ALEP TX02.qxp 12/06/2006 11:56 Page 39 ĽIvoirien : Tu iras avec la fille qui parle cette langue ; enfin, je crois. Le mina, n'est-ce pas ? Tu as trente minutes. Désolé, c'est la seule adresse que je lui connaisse. Mais attention, ici n'existe pas. Ah oui... j'ai déj payé, tu ne leur donnes rien. Ni aux hommes, ni la fille. Le cousin : Trois coups discrets la porte de la villa, un homme ouvre ; un salon, trois hommes, cinq filles la jeunesse encore juteuse, peinturées au regard maquillé. Mon ami parle une fille ; elle me fait signe, entre dans une chambre, je la suis. Porte fermée, sourire ouvert, elle me presse : - Habibi. (Habibi, ça veut dire mon amour...) - Habibi, donne-moi deux mille. - Deux mille. Mon ami a payé et de toute façon, je ne suis pas l pour ça. - Deux mille habibi, donne. - On ne se comprend pas, je crois. - Donne deux mille et on va se comprendre. Ton ami a payé mais les hommes nous donnent peu. - Deux mille, voil. - Merci habibi. Maintenant, je suis ta chose. Vas-y ! - Tu parles mina ? - Tu travailles pour qui ? Pourquoi tu m'interroges ? Tu es journaliste ? J'appelle les hommes. - Je suis écrivain ; non n'ouvre pas la porte ; je ne suis pas l pour te coller du souci ; je fais des recherches sur le mina. Parles-tu cette langue ? - Tu gagnes de ľargent en faisant des recherches sur une langue ? - Non, enfin oui mais... - Ecoute si tu es timide, que c'est ta premire fois, que la honte te mange le coeur, ne me raconte pas n'importe ALEP TX02.qxp 12/06/2006 11:56 Page 40 quoi. Depuis deux ans, j'en ai vu de tout. - Ça fait deux ans que tu... que tu travailles ici ? - Ici, ce n'est pas du travail. C'est juste "comment faire autrement ?" Je n'ai pas de mari. Je ne peux plus en avoir. J'en avais un. Il m'a répudiée. Il a gardé ma fille. Les hommes ne veulent pas ďune femme qui a servi ailleurs. Peut-tre pas tous. Mais pour moi, c'est réglé. Et de toute façon, cela les arrange, les hommes, qu'il y ait des femmes comme nous pour avaler leur désir, pendant qu'ils gardent au frigo leurs futures épouses. Non, je ne parle pas mina. Peu de personnes parlent encore cette langue. Mais je parle binki. Si vous avez besoin de quelqu'un pour le binki... si je peux travailler ailleurs qu'ici... Vous avez bon coeur, emmenez-moi. Dites-moi o vous tes, je viendrai discrtement... - Désolé, je... je ne suis pas seul. Amer dans le taxi pour revenir en ville. Amer le temps. Amre ľangoisse de ma cousine. Je pense cette fille dans la villa : "Les hommes ne veulent pas ďune femme qui a servi ailleurs". Alors je dis oui mon cousin, son histoire. Je suis venu traquer une langue, j'ai trouvé une femme et un enfant. La fille : C'est vrai, nous aurions d partir, ensemble. Retrouver mon pre. Mais j'ai parlé mon frre. Qu'il s'en aille et nous laisse le temps ďarriver. Mon frre a pris route ; puis, j'ai attendu que mon cousin aille en ville tout seul, pour partir mon tour. Je lui ai laissé une lettre. Cher cousin. On raconte qu'une femme a porté sa bosse. On raconte qu'elle a du barbelé dans la gorge. Qu'elle est semblable aux jeunes ďici. Qu'elle porte dans sa bosse son avenir. Qu'elle a du mal ľaccoucher. Qu'elle a le passé en barbelé dans la gorge et ľavenir qui se pourrit dans la bosse. Tu n'y es pour rien tout ceci. Ce n'est pas ta bosse. Ecris ton histoire sur les langues avant qu'elles ne meurent. Mais s'il te reste un peu de place, écris notre histoire mme aprs notre mort. Habbat Alep - 41 ALEP TX02.qxp 12/06/2006 11:56 Page 41 Je suis retournée la maison ; ľodeur de ma mre, partout infecte. Mais ils étaient sans doute ľhôpital, elle et mon pre, présent que mon frre lui a dit que le cousin a accepté. J'ai allumé le gaz. Je me suis dit que c'est moins douloureux le gaz, pour partir. * Le cousin : J'achte le quotidien, blablablabla et un fait divers : le feu dans un quartier de la capitale. Accident au gaz sans doute. Un pre, sa femme et sa fille enceinte. Tous morts. A ľhôtel, je reçois un appel de mon cousin. Je lui parle du journal. Il sait. Il me dit qu' présent je suis libéré de ma promesse. Noir ALEP TX02.qxp 12/06/2006 11:56 Page 42 Habbat Alep - 43 ALEP TX02.qxp 12/06/2006 11:56 Page 43 ALEP TX02.qxp 12/06/2006 11:56 Page 44 ALEP TX02.qxp 12/06/2006 11:56 Page 45 ALEP TX02.qxp 12/06/2006 11:56 Page 46 Ľauteur, Gustave Akakpo Né en 1974 Aného (Togo), Gustave Akakpo est auteur, illustrateur, conteur et comédien. Egalement animateur culturel, il est ľactuel président de ľassociation "Escale des écritures" créée la suite de chantiers ďécritures organisés au Togo par ľassociation "Ecritures vagabondes". Il a notamment publié chez ĽHarmattan deux albums bilingues (français-éwé) pour les jeunes : - Titi la fontaine (illustré par Norbert Kokoroko) - Querelle au pays de ľalphabet (illustré par Kany Adrien Folly Notsron) Il a également écrit plusieurs pices de théâtre : - Ma Férolia - Demain je sais pas - Les baskets ďAli - Catharsis ( paraître chez Lansman en 2006) - La mre trop tôt. Lansman, 2004 - Habbat Alep. Lansman, 2006 - A petite pierre( paraître chez Lansman en 2006) Il a été boursier Beaumarchais et a participé plusieurs résidences et chantiers ďécriture au Togo, en France (notamment au Festival International des Théâtres Francophones et Tulle) et en Syrie. Il a également été invité séjourner en Belgique par ľassociation Promotion Théâtre et en France par la Comédie de Saint-Etienne. Il a reçu le Prix SACD de la Dramaturgie francophone et le Prix théâtral de la Ville de Guérande. ALEP TX02.qxp 12/06/2006 11:56 Page 47 Lansman Editeur 65, rue Royale B-7141 Carnires-Morlanwelz (Belgique) Téléphone (32-64) 23 78 40 - Fax/Télécopie (32-64) 23 78 49 Courriel : info@lansman.org www.lansman.org Habbat Alep est le cinq cent quarante-quatrime ouvrage publié aux éditions Lansman et le dixime de la collection "Ecritures vagabondes" Les éditions Lansman bénéficient du soutien de la Communauté Française de Belgique (Direction du Livre et des Lettres) et de ľAsbl Promotion Théâtre Composé par Lansman Editeur Achevé ľimprimerie Daune (Morlanwelz) Imprimé en Belgique Dépôt légal : juin 2006 ALEP TX02.qxp 12/06/2006 11:56 Page 48