Cet ouvrage rassemble plusieurs communications enten-dues lors du colloque intitule « Quelle didactique de l'interculturel dans les nouveaux contextes d'enseigne-ment-apprentissage du FLE/S? ». Tous ces textes envisa-gent la didactique de l'interculturel au depart de différents supports. On y trouvera tout d'abord une reflexion sur la place des textes littéraires pour travailler l'interculturel en classe de FLE, puis on abordera l'approche biographique comme trace des changements de representations; on passera ensuite ä l'utilisation d'Internet pour éveiller les apprenants á la diversité des cultures, avant de se demander comment utiliser les médias dans une perspective interculturelle en didactique du FLE/S. Cet ouvrage a été coordonné par Luc Collěs et Genevieve Geron (Universitě catholique de Louvain, Belgique), Christine Develotte (École normale supérieure Lettres et sciences humaines de Lyon, France) et Francoise Tauzer-sabatelli (Service culture! de l'Ambassade de France en Belgique) 9 ISBN : 2-930342-85-4 Depot legal: 2006/9202/30 Prixdevente : 29.00€ T/uc Collěs, Christine Develotte, Genevieve Geron et J-ran^oise "iau/er-Snbntelli, óds. Didactique du FLE et de l'interculturel Littérature, biographie langagiěre et médias *Pto%imitéé E.M.E. 9782930342856 © E.M.E. & Intercommunications sprl, 2007. Luc Collěs, Christine Develotte, Genevieve Geron et Francoise Tauzer-Sabatelli (éds) Didactíque du FLE et de ľinterculturel: Littérature, biographie langagiěre et médias E.M.E. Äl.. Introduction Luc COLLES, Genevieve Geron Universitě catholique de Louvain, Belgique Christine Develotte Ecole normale supérieure Lettres et sciences humaines de Lyon, France et Francoise Tauzer-SabateLLI Service culturel de l'Ambassade de France en Belgique Cet ouvrage « Didactique du FLE et de ľinterculturel: littérature, biographie langagiěre et médias » rassemble plusieurs communications entendues lors du colloque intitule «Quelle didactique de ľinterculturel dans les nouveaux contextes ďenseignement-apprentíssage du FLE/S? »1. Tous ces textes envisagent done la didactique de ľinterculturel au depart de différents supports. On y trouvera tout d'abord une reflexion sur la place des textes littéraires pour travailler ľinterculturel en classe de FLE, puis on abordera l'approche biographique comme Ce colloque a eu lieu ä Louvain-la-Neuve (Belgique) du 20 au 22 Janvier 2005. Deux symposiums (Littérature et Internet) et deux ateliers (Biographie et Médias) constituent ce volume. Voir ä la fin de cet ouvrage les différentes publications sur ce theme aux E.M.E. b trace des changements de representations; on passera ensuite ä l'apport de l'utilisation ďínternet pour éveiller les apprenants ä la diversité des cultures, avant de se demander enfin comment utiliser les médias dans une perspective interculturelle. 1.1/enseignement/apprentissage de la littérature: quelle place dans la didactique de ľinterculturel ? Aujourd'hui, la littérature retrouve sa place méritée en classe de FLE : le texte littéraire est abordé ä côté ďautres types de documents authentiques. On veut favo-riser chez l'apprenant une ouvertuře d'esprit. Or, le texte littéraire et ses ressources culturelles s'y prétent admira-blement; ils ouvrent ä la connaissance du monde et de soí, ils forcent ä se reconnaítre dans sa communauté et ä se forger une identite. Ainsi, l'apprenant pourra décou-vrír les pratiques sociales, les types de relations, les habitudes, les representations de ľespace et du temps, toutes les valeurs propres ä un groupe ainsi que ľensemble des discours qui s'y rapportent. Une reconnaissance mutuelle Le texte littéraire peut étre considéré comme un regard qui nous éclaire, fragmentairement, sur un modele culíurel. La multiplicité des regards (la juxtaposition de textes en rapport avec les mémes themes) permet ä la classe de cerner petit ä petit les valeurs au-tour desquelles ce modele s'ordonne. Des textes émanant, entre autres, ďétudes de sociologues et d'anthropo-logues, sont également pris en compte et traités, ä titre complémentaire, comme d'autres regards sur les mémes réalités. Aprés avoir souligné la convergence de ces points de vue, en dépit de leurs variations individuelles, professeur et élěves ont l'occasion d'en mesurer la relativite en les confrontant ä d'autres qui relěvent d'un autre univers culture!. 7 Ainsi, Virginia Boža Araya se livre-t-elle avec ses étu-diants ä une etude de UEnfant de sable de Tahar Ben Jelloun dans une double perspective: socioculturelle (découverte du monde arabe, des mceurs et des ceremonies qui rythment la vie des Marocains) et interculturelle (comprehension d'une culture francophone trěs diffé-rente de la culture francaise et des cultures latino-américaines). Un double ancrage culturel Par ailleurs, la littérature et les sciences humaines constituent, chacune ä sa maniere, une resistance ä la globalisation, ä un mouvement de réification qui nie ľépais-seur des cultures. Dans un tel monde, beaucoup d'au-teurs cherchent ä affirmer leur identite. Cest ce que montrent trěs bien, ďune maniere generale, Jean-Paul Rogues et Stephane Corbin, ainsi que Reda Bejjtit et Mohamed Khlifi pour le Maghreb et Georges Sawadogo pour l'Afrique. Jean-Paul Rogues et Stephane Corbin soulignent le fait qu'avec ľétude de textes littéraires en classe, on peut réfléchir aux raisons pour lesquelles des individus de cultures differentes peuvent souhaiter partager une merne humanite, sans tomber dans le fantasme de la fusion, lis expliquent que les stereotypes qui décrivent les peuples peuvent aussi permettre «d'opposer et de comparer ces differentes cultures ramenées ä une essence mythique ». Autrement dit, la littérature permet de cher-cher, selon les termes mémes de Georges Haldas, " le centre ä partir duquel on pourrait un jour vivre avec des differences qui cesseraient d'etre meurtriěres "2. Mais pour cela, il nous faut renoncer ä un monde unifié et la littérature a un role ä jouer dans cette « resistance ». 2 G. Haldas, Les entretiens de ľaube, Geneve, Labor Fides, 1993. Cite par J.-P. ROGUES et S. CORBIN. s Réda Bejjtit montre que le travail sur les contes dans une perspective comparatiste et interculturelle révěle ce double ancrage culturel: ďun côté, les mémes thěmes ou les mémes personnages sont abordés dans différentes cultures (comparaison entre divers contes d'origines différentes), d'un autre côté, méme si on pourrait croire que « touš les peuples racontent finaiement la méme chose de la méme maniere », la comparaison fait ressortir les elements culturels propres ä un peuple (les allusions au Coran, les references aux traditions et coutumes propres aux Marocains, montrent combien les contes développent aussi « cet esprit de conservation du patri-moine culturel»). L'Afrique, nous explique Georges Sawagodo, tend actuellement vers une recentration culturelle. Pour les Africains, la mondialisation est tantôt percue comme « un vaste mouvement d'uniformisation planétaire oü la culture occidentale dominante tendrait ä effacer les cultures "locales", tantôt comme une occasion nouvelle pour ces cultures de prendre conscience de leurs parti-cularités et une opportunité de les faire connaítre » dans une perspective de comprehension muruelle. Dans ce mouvement de balancier entre deux pôles, il y a un stade intermédiaire oú il s'agit de fonder une culture nationale qui transcende les cultures ethniques. En effet, les parti-cularismes ethniques qui enrichissent la société africaine n'excluent pas les valeurs communes oü se forge son unite. Enfin, Mohamed Khlifi cloture ce double ancrage culturel en insistant, tout comme Réda Bejjtit, sur le comparatisme et ľintertextualité. Pour lui, travailler l'interculturel en classe de francais au depart de textes littéraires, c'est «traduire le savoir littéraire en savoir-vivre, savoir-étre et savoir co-devenir». En d'autres termes, il s'agit de faire de la littérature un espace de confluences et de rencontres ou deux territoires, deux langues, deux cultures se touchent fraternellement. Mais, il faut travailler dans une approche communicative pour que I'apprenant puisse acquérir «des competences 9 culturelles susceptibles de changer la société par ľécole et non ľinverse ». Un type de texte ä valeur exemplaire: le proverbe Selon Olga Theophanous, le proverbe est un type de texte qui incarne bien ce double mouvement d'identité et d'universalité. Censé représenter la sagesse populaire, le proverbe faconne les mentalités et constitue une catégorie linguistique universelle puisqu'on le retrouve dans toutes les langues-cultures du monde. Méme quand il fait reference ä un contexte qui lui est propre, le proverbe renvoie ä un universel. Métaphores et metonymies sont Ires fréquentes dans ce genre de formule. Quand ľimage est absente, d'autres elements interviennent pour donner ä ľexpression la " frappe " proverbiale, pour transformer la phrase en formule. II peut étre interessant de montrer que les caractéristiques formelles des proverbes francais se retrouvent également dans les proverbes de la culture de ľapprenant: et de faire ressortir le passé historique commun qui a pu engendrer un méme proverbe dans différentes langues. Le theatre contemporain des trente derniěres années Pármi les textes francophones, ceux du theatre contemporain des trente derniěres années constituent pour Fabienne Bullot un espace privilégié de l'interculturel. Parce que les textes cultivent ľincertitude de ľidentité, des lieux, de la memoire et invitent au ques-tionnement, les apprenants qui les lisent pour les représenter s'obligent ä porter un regard dištancie. Les échanges se nourrissent du texte lui-méme (recherche des indices linguistiques et des references culturelles) et sont possibles grace aux «trous » du texte, grace aux impli-cites du discours. La curiosité de ľérudiant est stimulée par les possibilités ď interpretations et de mises en scene. 10 Líttérature et francophonie Le francais représente une alternative ä la mondialisa-tion et ä ľuniformisation anglo-américaíne dans la mesure oü, partout oú il se parle, il est porteur ďune réelle diversité culturelle. En témoigne ľabondance des auteurs francophones qui s'expriment en francais tout en cultivant leur identite, voire leurs particularités. Dans cet ouvrage, Anne-Rosine Delbart se demande comment et ä quelle condition la littérature de langue francaise peut devenir un outil didactique interculturel. Pour eile, la lecture de ces textes en classe peut se reveler enrichis-sante pour les apprenants, car la majorite de ces auteurs connaissent les mémes crises identitaires et les mémes affres langagiěres. Selon Anne-Rosine Delbart, le francais apparait aussi, pour bon nombre ďécrivains du Maghreb et d'Afrique noire, comme la langue de ľunité, ce qui ne les empéche pas de continuer ä parier leur langue maternelle avec les membres de leur ethnie. Néanmoins, pour beaucoup ďauteurs, le francais est aussi attractif parce qu'étranger. Etranger aux asservisse-ments de touš types qu'ils out pu connaitre dans leur langue maternelle: politiques, sociaux, moraux, senti-mentaux et méme littéraires. « L'explicitation des rapports que ces auteurs entretiennent avec leurs langues favorise, d'une part, la definition de la propre identite linguistique des apprenants, en méme temps qu'eile éclaire les motivations qui conduisent á ľétude et ä la pratique du francais. » 2. Approches biographiques et interculturel La reflexion qui traverse les trois communications de cet atelier s'inscrit dans un champ qui commence ä prendre ses marques en sociolinguistique, ä savoir le bio-graphique comme trace des changements de representations et de réélaborations du repertoire langagier. Or ce repertoire est évolutif et les competences ä disposition se modifient au cours de ľexistence, en fonction des néces- 11 sités. Dans la perspective des auteurs qui s'expriment ici, ľentrée par les biographies langagiěres et le repertoire iangagier engage la reflexion dans une double optique de recherche et de formation. Ainsi Muriel Molinie montre comment, récemment, la notion de « biographíe langagiěre », déclinée dans diffé-rentes versions du Portfolio européen des langues, exprime la volonte des auteurs du Cadre commun européen de reference pour I'enseignement des langues, de faire vaío-riser par I'apprenant de langue Iui-meme son repertoire linguistique dans le contexte plurilingue et pluriculturel oů celui-ci s'est construit. Pour cela, il lui est demandé ďétablir, seul ou dans son groupe de pairs, sa «bio-graphie langagiěre », c'est-ä-dire de mettre en valeur ce qui, dans ľhistoire de sa vie et dans ces contextes, a contribué ä son apprentissage des langues. Pour que le contact des langues et des cultures, inherent ä nos sociétés, devienne véritablement une opportu-nité pour I'apprenant de valoriser une identite plurielle et de s'ouvrir ä ľaltérité, il faut done qu'il puisse construire le sens de ces contacts. Depuis vingt ans, la pédagogie des échanges a montré que la capacité ä tirer parti du séjour ä ľétranger et ä en faire ľ un des elements actifs de son capital linguistique et cuíturel depend, en grande partie, de la capacité des étudiants et des éleves voyageurs ä construire la signification ä la fois cognitive, imaginaire et sociohistorique de leur déplacement ä ľétranger, Ainsi peuvent-ils construire une competence ä partir de ce qui s'impose désormais comme une norme : la mobilite internationale et la mobilite culturelle, deux formes de mobilités dont la réussite repose, en grande partie, sur leur capacité ä situer cette mobilite dans une histoire. Daniel Feldhender s'appuie, lui, sur les pratiques de formation permanente des enseignants et sur ľanalyse ďateliers oů des étudiants de francais sont invités ä réfléchir sur leurs itinéraires respectifs ä travers diffé-rents modes ďexpression et le recours ä la mise en scene de récits de vie. Le travail biographique repose sur le 12 développement ďattitudes et d'aptitudes fundamentales inhérentes aux situations d'interaction : ľécoute sensible, ľécoute de soi et celie de ľ autre, la constitution d'une idetité narrative et la reflexivitě. La perspective actionnelle de la demarche développe la dynarňíque de la reliance comme mediation. Enťin, trois enseignantes de ľUniversité de Valladolid, Espagne, présentent la modélisation de ľanalyse du «discours de soi» comme dispositif didactique qui assure la realisation du processus de décentrage des apprenants, adolescents et grands adolescents dans le systéme éducatif espagnol. Elles envisagent ľinter-culturel « en representation » et articulent la demarche interculturelle sur la mise en commun de ce que 1'on est et de ce que ľon sait: la (re)connaissance de soi, les res-semblances et les differences avec les aütres. Cette modélisation a eu lieu au sein d'une etude sur ľídentification des savoirs socioculturels qui font partie du développement de la competence interculturelle. Avec le biographique, nous ne sommes pas dans le domaine des pratiques, de l'observable, comme nous le serions dans le cas d'analyse d'enregistrements de conversations, mais dans le fonctionnement des codes en interaction, mediatise par les declarations, Ies representations du sujet sur ses propres pratiques. 3. Internet et interculturel: quelles implications pour la recherche et les pratiques en didactique du FLE ? En proposant un symposium sous ce titre, nous avons cherché ä interroger les nouveaux contextes ďenseígne-ment / apprentissage ouverts par l'utilisation d'Internet dans la formation des enseignants et des apprenants. La liaison Internet-FLE a donne lieu, ces dernieres années, ä de nombreux travaux en didactique, mais la dimension interculturelle de cette relation a été, eile, trěs peu étudíée, alors que, tant au niveau des ressources 13 fournies par le réseau en ligne, qu'ä celui de la communication qu'elle autorise entre enseignants et apprenants, Ies situations en termes de rapprochements, contacts, voire superpositions culturelles sont inédites. En effet, en termes d'offre ď informations, Internet permet d'avoir accěs, par exemple, ä des données du jour (voir Ies quotidiens en ligne), accessibles partout dans le monde ä condition d'etre connecté. Au niveau de la communication, les forums, chats et mails permettent le développement de campus numériques aptes ä former des enseignants disperses partout dans le monde et ľémergence de projets pédagogiques (http://crmtes2. univ-fcomte.fr/qpufc-web/) fondés sur la «proximité» produite par la facilité de communication. Nous posons que ces deux niveaux d'utilisation d'Internet (information et communication) sont ä interroger sous ľangle des spécificités interculturelles qui les caractérisent, en particulier lors de leur transposition en didactique du FLE. S'agissant de la formation initiale et continue des enseignants, nous avons cherché ä développer, dans des contextes diversifies, en France et ä ľétranger, deux axes de reflexion : 1) Quelles sont les possibilités d'exploitation interculturelle des sites Internet ? Au niveau de la production, c'est-ä-dire des spécificités culturelles des sites ? Au niveau de la reception, désormais transnationale ? Quelles en sont les incidences sur la didactique du FLE ? 2) Quelles potentialités détiennent les dispositifs en ligne, dans ]e cadre du développement souhaité ďune competence interculturelle chez les apprenants ? Ä quelles conditions une telle competence peut-elle étre travaillée ? Le symposium a apporté des elements de réponse ä ces deux ordres de questionnements. Dans la plupart des cas, ľanalyse des spécificités des sites ou dispositifs en ligne a cherché ä s'articuler sur les incidences didactiques 14 et pédagogiques qu'elles peuvent avoir en termes d'approches ou de methodologies interculturelles. Cest ainsi que Gilberte Furstenberg explicite ľapproche comparative qu'elle a adoptée pour la mise en ceuvre du projet Cultura. Ce projet permet ä des étudiants francais et américains non seulement ďéchanger leurs representations sur différents domaines, mais également de pouvoir en discuter par 1'intermédiaire ďun forum. Christine Develotte montre qu'Internet détient une function amplificatrice des échanges á travers «le jeu des regards en miroir » que permet, par exemple, la presentation sur un méme site de points de vue culturellement situés. Partant du projet «le francais en (premiere) ligne », eile pointe la spécificíté culturelle des ressources en ligne produites par les étudiants francais pour des apprenants australiens. Pour Giovanni Camatarri, ľidée de culture a opéré un déplacement de la notion traditionnelle de culture en tant que packaging, heritage d'une phase historique precedente, vers celle de culture comme « habitat de signifies ». Partant de la, il étudie les potentialités et les limites de ľusage interculturel d'Internet. Parmi ces derniěres, il constate que la specification culturelle des sites a tendance ä disparaitre au profit d'une « standardisation occidentale ». Cest ce méme phénoměne que pointe Josephine Rémon en partant de l'analyse comparative de sites commerciaux. Cherchant ä mettre au jour les marques de globalisation / localisation dans différents sites Web, eile en conclut que « les marqueurs culturels sont, soit invisibles, soit difficilement décelables, soit trop complexes pour pouvoir étre utilises dans un contexte pédagogique ». Lolona Rakotovao a eu recours ä des forums de discussion wanadoo.mg et wanadoo.fr. Les sites ont été choisis ä partir de ľhypothese selon laquelle ľhétérogénéité culturelle est présente que ce soit entre « nationaux » ou avec les « étrangers ». Pour eile, « la prise en compte de ľ interculturel impose une situation d'interaction discursive entre les apprenants et ceux dont ils apprennent la 15 langue» et ses propositions pédagogiques s'offrent comme une réponse possible au défi que pose ľéducation face ä la mondialisation. Ce sont également les forums, mais aussi les journaux en ligne et les sites choisis par l'enseignant qui servent de moděles pour les productions écrites des apprenants de FLE portugais dans ľexpé-rience que décrivent Carolina Goncalves et Pedro Pereira. En publiant, lors de la phase finale, les textes de leurs apprenants également en ligne, ils cherchent ä dormer vie ä la demarche interculturelle qu'ils s'efforcent de promouvoir. 4. Médias et interculturel Comment utiliser les médias dans une perspective interculturelle en didactique des langues secondes ou étrangěres ? Les trois communications de ľatelier ont répondu de maniere trěs différente ä cette question, ďabord parce qu'elles ont pris en compte des publics et des médias différents, ensuite parce que les médias ont été présentés autant comme objets d'apprentissage interculturel (education aux médias) que comme supports d'apprentissage linguistique et cuiturel ou encore comme déclencheurs ďexpression : éléves allophones de ľensei-gnement secondaire face aux produits cinématogra-phiques, étudiants tchěques de ľenseignement universita ire travaillant ä partir de documents textuels et audiovisuels pour construire des documents propres et, enfin, adultes professionnels dans un centre dc formation continue se perfectionnant en présentiel ou en autofor-mation sur un ensemble integre de sequences audiovisuelles et ďactivités en ligne. Les apports originaux de cet atelier au Colloque et ä la didactique de ľ interculturel sont les suivants : apprendre ä parier de sa propre culture en francais aprěs avoir étudie comment le moule de la langue francaise présente l'organisation du monde, comme l'a exposé notre collěgue de la République tchěque et de maniere trěs complémentaire, comment travailler la comprehension 16 de documents audiovisuels francophones élaborés par des allophones pour parier de leur propre culture, comme l'ont montré les collěgues de ľ Alliance francaíse de Bruxelles. Les trois interventions ont done insisté sur les rapports langue(s)-culture(s) dans la prise de conscience, comme le dít notre collěgue québécoise, des deux tendances idéologiques présentes en toile de fond dans tous les documents médiatiques : ľuniversalisme et le pluralisme culturel. Cet ouvrage illustre done diverses facons d'aborder ľinterculturel en classe de FLE au depart de supports varies et avec des publics diversifies. II ouvre des pistes pedagogiques interessantes et souligne ľimportance de la prise en compte des cultures dans ľapprentissage du francais. Littérature et interculturel Venfant de Sable de Tahar Ben Jelloun: développer les competences communicatives tout en découvrant la culture maghrébine Virginia BOZA Araya Universidad Nacionál, Costa Rica Cette communication se propose de faire connaitre les résultats d'une experience réalisée dans le cadre de la formation de professeurs de frangais ä l'Universidad Nacionál du Costa Rica. L'objectif general était ďétudier les possibilités ďexploitation ďun support littéraire en classe de FLE. Elle visait ä développer la comprehension écrite et, plus particuliěrement, les competences communicatives des étudiants et par la méme occasion ä amor-cer une approche des faits culturels des sociétés francophones dans un milieu qui a peu de contacts avec celles-ci. Ces reflexions découlent de la difficulté rencontrée par les professeurs de francais au Costa Rica aux niveaux universitaire et secondaire dans ľaccomplissement de leur travail. Cette difficulté s'explique pour deux raisons : d'abord, parce qu'une tranche significative de la population costaricienne n'a pas de contacts frequents avec des ressortissants francais ou des pays francophones, encore moins avec des citoyens ďorigine maghrébine. Cest un fait que les contextes géopolitiques et socio-culturels jouent un role primordial dans ľacquisition d'une competence culturelle. L'acces sera plus facile ou 20 plus difficile selon la proximité tant géographique que culturelle. La deuxiěme raison tient ä ce que la plupart des professeurs de FLE n'ont pas les moyens ďaccáder á ladife langue/culture malgré l'aide importante de Centre eulturel et de Cooperation pour ľAmérique Centrale de ľ Ambassade de France qui octroie des bourses et des stages en France ä des professeurs de francais. Cadre Le Costa Rica est un petit pays (51.000 km2) situé en Amérique Centrale. íl a une population de 4 millions d'habitants. La langue officielle est ľespagnol, mais on étudie aussí ďautres langues, prioritairement ľanglais ä cause de la proximité des Etats-Unis. Les pays ou les regions francophones les plus proches sont les Antilles franchises, la Guyane, Haiti et le Canada, mais les contacts avec ces pays sont peu nombreux. Le systéme éducatif du Costa Rica est ľun des plus développés en Amérique Centrale. En fait, le taux de scolarisation est de 98.5 %. II est divise en troís niveaux : école maternelle et école prímaire (7 ans), enseignement secondaire (5 ou 6 ans) et ľenseignement supérieur. Le pays compte six établissements publics d'enseignement supérieur: l'Université du Costa Rica (Universidad de Costa Rica), l'Université nationale (Universidad Nacionál), l'Université d'Etat ä distance (Universidad Estatal a Dištancia) et trois IUT (Instituto tecnológico de Costa Rica, Colegio Técnico Universitario de Alajuela et Cole-gio Técnico Universitario de Cartago) ainsi que plusieurs universités privées. II existe, en outre, des lycées qui dis-pensent des cours du soir dont la vocation est de permettre ä des travailleurs adultes ďobtenir le baccalauréat. Bien que ľenseignement du francais au Costa Rica debute en 1869, il ne devient obligatoire dans ľenseignement secondaire qu'en 1908. D'abord, de la deuxiěme ä la quatrieme année ä raison de trois heures par semaine. Puis, entre 1939 et 1951, il n'est enseigné qu'en premiére 21 année. Certaines modifications des programmes lui accordant plus ou moins ďimportance se succédent jusqu'en 1970. Ä partir de cette année, la langue francaise est considérée comme une matiěre obligatoire de la premiere ä la troisiěme année et optionnelle pour la quatrieme et la cinquiéme année. Dans les établissements dispensant des cours le soir, le francais est une option. Par ailleurs, ľapprentissage du francais est aussi obligatoire dans les établissements prives et les établissements techniques pendant trois ans depuis 2003. Touš les élěves doivent se presenter ä une épreuve nationale au bout de trois années de francais. Děs 1994, le Ministěre de ľÉdu-cation publique a instauré un programme pour ľenseignement du francais précoce ä ľécole primaire publique, qui s'est développé notamment avec la creation de filiěres bilingues. Actuellement, il y a plus de 700 enseignants diplômés et non diplômés sans compter les nouveaux enseignants de ľécole primaire publique et privée. Leur formation (entreprise en 1964 par le Departement des langues étran-géres de la UCR) est assurée par trois universités publiques et une privée, plus de 70 travaillent dans 35 écoles primaires publiques. D'autres institutions importantes qui ont favorisé le développement ďune ŕrancophilie sont le lycée francais qui accueille, chaque année, environ 850 élěves depuis 1968 et l'Alliance francaise qui donne des cours de francais pour adultes, adolescents et enfants depuis plus de 50 ans. Le cursus dans ľenseignement du francais de l'Université nationale est organise de la maniere suivante. Le Certificat de langue francaise ďune durée de 3 ans compte un total de 1 764 heures de cours (1 512 heures de cours de langue + 252 heures de cours de culture et de littérature). II y a deux licences ďune durée de 4 ans cha-cune. La licence de francais comprend 2 808 heures (2 160 heures de cours de langue + 648 heures de cours de culture et de littérature), et la licence dans ľenseignement du francais comporte 2 376 (1 872 heures de cours de 22 langue + 504 heures de cours de culture et de litiérature). Elle propose en outre une Maitrise en linguistique appli-quée (2 880 heures de cours), ďune durée moyenne de 5 ans ďétudes plus la preparation du memoire. Prob lámati que Ce parcours atypique de ľenseignement du FLE est exceptionnel en Amérique Latine. En eřfet, seul le Costa Rica a rendu obligatoire l'apprentissage du francais pendant trois ans au méme titre que ľanglais et essaie de le développer au niveau primaire. Cet élargissement de ľenseignement du francais ne se fait pas sans difficulté. En effet, im probléme se pose au niveau de ľexpression orale des étudiants. Malgré les efforts des enseignants, lorsqu'ils s'inscrivent dans la filiere de francais ä ľuniversité, ils ne s'expriment pas en francais. En effet, les etudes dans le secondaire donnent la priorite ä la grammaire et ä ľexpression écrite. Cela s'explique par le fait que les groupes ont en moyenne de 30 ä 35 élěves. En premiere année de la filiere, les étudiants sont des faux debutants, voire des debutants complets, ďoú la néces-sité de dispenser des cours pour que ces jeunes acquiérent les bases. Ceux-ci out une durée de 9 mois a raison de 10 heures de cours de langue et 4 heures de phonétique par semaine. Ä cette difficulté s'ajoute la méconnaissance des cultures francaise et francophone. Effectívement, ľéloi-gnement géographique rend la pratique de la langue et ľaccés ä la culture francophone assez malaises. En fait, peu de Francais ou de francophones habitent ou visitent le pays. La découverte des pays francophones est tout aussi difficile car les médias n'en parlent que dans le cadre des conflits internationaux. Bien que l'Alliance francaise mette ä disposition du public des livres, des revues, des films, des CD, Ies seuls ä en profiter sont les francophiles de par leur passion pour la langue. Ce constat est ä l'origine de cette experience dont le but est de trouver, non seulement des outils plus adaptés 23 pour améliorer les competences communicatives, mais aussi de faire découvrir et de mieux comprendre la richesse culturelle des sociétés francophones actuelles. Demarche Cette experience a été réalisée dans le cours ďexpres-sion et de comprehension orale avec des étudiants du Cerhficat de langue francaise. Ä ce stade de leur formation, ils ont suivi 504 heures de cours de base, 216 heures de grammaire, 216 heures de comprehension et expression écrite et 324 heures ďexpression et comprehension orale. Pour mener ä bien cette experience, le support litté-raire choisi a été le roman L'enfant de Sable de ľécrivain Tahar Ben Jelloun. Plusieurs elements ont oriente ce choix. Tout d'abord, la place accordée ä ľoralité. En effet, fidéle ä la tradition orale du conte arabe, ľauteur met en scene un conteur qui va raconter une histoire poignante que ľauditeur découvre par bribes. Une deuxiěme raison reside dans la technique de la série narrative utilisée par ľauteur. Celle-ci permet ä chaque étudiant d'imaginer sa propre version du récit. Cette production peut-étre illi-mitée, non seulement par le nombre de «conteurs-étudiants », mais aussi parce que chaque récit peut changer ď orientation ä tout moment. Outre cette série narrative, le méta-récit permet ďintroduire une diversité d'histoires qui peuvent étre rattachées au récit central ou bien n'étre qu'une métaphore qui apporterait des éclair-cissements ä ľénigme posée par la narration. Dans le cursus actuel, la priorite est donnée ä ľétude de la culture francaise. Cest pourquoi, il s'est avéré pertinent ďétablir une approche de la culture maghrébine et, par extension, des sociétés arabo-musulmanes. En effet, la description établie par ľécrivain des us et coutumes, des croyances des Marocains et des musulmans peut faciliter la comprehension de certains événements exposes par les médias comme, par exemple, le conflit du 24 voile en France ou les femmes voilées en Afghanistan, entre autres. Ľ experience a été réalisée a vec trois groupes comptant au total 36 élěves. Chaque groupe a travaillé pendant une periodě de 9 semaines, ä raison de 4 heures par semaine. Phase de diagnostic Cette phase avait pour but ďévaluer la connaissance des apprenants sur le sujet. Pour ce faire, il a été demande aux étudiants d'établir une liste de cinq substantifs et cinq adjectifs qui, selon leur opinion, carac-térisent la culture arabe. Pendant cette séance, les étudiants ont échangé leurs points de vue et leurs informations et ont du argumenter pour justifier leur choix. II en découle qu'ils percoivent la société arabe comme : Perception Nombre Pourcentage ďétudlants Religieu.se 28 77,80 % Machiste 25 69,40 % Femmes soumises 15 41,70 % Hommes violents 15 41,70 % Coran/islam/ Mosquée 9 25,00 % Foulard ou voile 9 25,00 % Conservatrice 19 16,40 % Guerre 18 50,00 % Terrorisme 9 25,00 % Desert 28 77,80 % Les apprenants ont du, en outre, apporter des images representant le Maroc et la société marocaine afin de se sensibiliser aux thěmes abordés dans les textes. Une analyse conjointe a permis d'avoir une premiere approche du sujet en question, de rectifier certaines informations, de répondre ä des questions. Par la suite, les étudiants ont formule des hypotheses sur ľhistoíre ä découvrir. 25 Phase ďexploitation Le conteur est ľun des personnages-clé de la tradition arabe et de sa littérature. Pour cette raison, il a été décidé de débuter les activités par ľ etude de son role dans le román. Celui-ci constituera le fil conducteur de toute ľexpérience. A ľ instar des trěs connues Mille et une nuits, ľhistoíre de Tahar Ben Jelloun établit un lien indisso-ciable entre le conteur et les auditeurs et, comme dans tous les contes, on en connait le debut mais pas la fin. Ce pacte est materialise par ľauteur en ces termes: « Que ceux qui partent avec moi lěvent la main droite pour le pacte de la fidélité. Les autres peuvent s'en aller vers ďautres histoires » (Ben Jelloun, 1985: 16). II explique, par la merne occasion, les principes qui vont organiser ľexpérience: « Nos pas inventent le chemin au für et ä mesure que nous avancons... ils nous měneront aussí loin que nos esprits croiront ä cette histoire» (Ben Jelloun, 1985 : 15). II était important que ce pacte füt adopté par les membres du groupe qui auraient ä assu-mer le role de conteur tour ä tour. Le theme de l'errance, eher ä Ben Jelloun et trěs lié ä la conception qu'il a du travail de ľécrivain, a été longuement analyse pour expli-quer le processus de la creation. Les objectifs spécifiques vises étaient les suivants : Linguistiques: analyse du discours du confeur ľétude du vocabulaire ä charge culturelle arabe la réutilisation des adjectifs qualiricatifs, du vocabulaire des sentiments, des formules exprimant des hypotheses, des opinions, des conjonetions exprimant la cause et la consequence. Cul tu reis: la famílie arabe les relations homme/femme et paren ts/enfants les aspects religieux concernant la femme et ľhéritage les ceremonies : la naissance, le baptěme, la circoncision, le mariage. 26 Li t téraires : le role du conteur la série narrative le méta-récit la proíepse. Communicatifs : le développement de l'expression orale, de la capacité ä répondre aux questions et a maintenir ľéchange. Discursifs: le monologue le dialogue, í'argumentation la narration au passé le portrait la description. Pour réaliser les différentes activités, huit passages du román ont été choisis. Quatre d'entre eux évoquaient divers aspects de mceurs, tels que les ceremonies qui rythment la vie des Arabes. Les autres exposaient diffé-rents types d'actes discursifs. Rappelons que ľobjectif principal de cette experience était de développer les competences communicatives des étudiants, de mettre en pratique leur savoir-faire langagier, d'instaurer done une dynamique de classe qui leur permette de s'exprimer ä tous les niveaux. La lecture ä voix haute de chaque texte a permis de faire la correction phonétique et done de parfaire leur pronunciation. Tous les documents ont fait I'objet d'une analyse de contenu ainsi que de ľ etude, non seulement du vocabulaire méconnu, mais aussi du íexique ä charge culturelle arabe1. Pour ce faire, la distribution du texte a été réalisée ä ľavance pour que les étudiants puissent en prendre connaissance et chercher le vocabulaire dans le dictionnaire. Le role du professeur a été celui de coordŕnateur car méme les corrections étaient effectuées en grande partie par les apprenants. Les aspects culturels ont été abordés selon deux pers-petives. La premiére, socioculturelle, a permis d'appré-hender les principales particularités de la culture étudiée. Comme par exemple : marabout, djellaba. 27 Tout d'abord, les elements exposes ont été analyses, commentés, débattus. Les étudiants ont pu děs lors s'en-traíner ä utiliser des formules leur permettant d'exprimer leurs opinions ainsi que des arguments conyergents et divergents, grace ä une liste qui leur avait été distribuée auparavant. La deuxiéme perspective, interculturelle a été choisie afin de sensibiliser les apprenants au phéno-méne de ťaltérité et de leur permettre de míeux comprendre la communauté arabo-musulmane, inconnue pratiquement au Costa Rica. Aprés chaque etude, les étudiants ont joué des scenes qui transposaient au contexte costaricien les us et coutumes dépeints dans les textes afin de les comparer et de mieux fixer les ressemblances et les dissemblances. Cette activité a été particuliěrement animée lorsque ľextrait exposait les relations homme/ femme ou parents/enfants. Un soin particulier a été accordé aux exercices concer-nant la narration, en particulier ä ľemploi du discours rapporté, parce que certains étudiants ont plus de pro-blémes ä ce niveau. Les difficultés rencontrées ont été principalement la comprehension de certains passages énigmatiques du román et du vocabulaire ä charge culturelle arabe. Adherer ä ľhistoire a paru de prime abord difficile, mais au fur et ä mesure de la découverte du texte et de la culture, les étudiants ont été pris au jeu du conteur et des person-nages qu'ils ont du assumer ä tour de role pour essayer de comprendre leurs sentiments, leurs perceptions de la société, leur situation, leurs difficultés. Cela a permis, par ailleurs, d'analyser certains aspects de la culture des apprenants et d'établir des parallélismes. Plusieurs exercices ont été proposes au niveau de la narration. Le but poursuivi était celui d'essayer de faire comprendre les diverses facettes d'un récit. Ces exercices ont été realises ä partir de la série narrative, parce qu'elle pouvait se multiplier ä loisir tout en gardant son lien logique avec ľhistoire et qu'elle permettait aux étudiants de dormer libre cours ä leur imagination et de mobiliser leurs acquis linguistiques. Chaque version proposée a été 28 analysée afin de verifier si eile était plausible dans le con texte de cette culture. Le méta-récit a donne lieu á d'autres histoires créées par les étudiants et qui ont permis de renforcer leur capacité ä narrer des faits passes, qu'ils soient reels ou imaginaires. Au cours de ľanalyse des extraits, les apprenants ont du émettre des hypotheses pour éclaircir les énigmes posées par ľhis-toire. Ces exercices ont été ďune grande utilitě car ils leur ont donne la possibilíté de systématiser ľemploi ď hypotheses qui leur sont difficiles ä assirniler. Toutes les activités langagiěres étaient liées les unes aux autres créant ainsi une unité cohérente qui a facilité le passage de ľhypothese ä la creation de leur propre version. Résultats Les moyennes obtenues par les 36 élěves avant ľ experience étaient de 68,9/100 points avec une note minimale de 53,8 et une note maximale de 90,3. Aprěs le travail realise, la moyenne est montée ä 85,9/100. Ľaugmen-tation a été de 17,6 points soit ť equivalent de 24,7 % de hausse (voir graphique n° 1). Le but de depart n'était pas celui de réaliser une analyse scientifique exhaustive. Cependant, les résultats montrent qu'il y a eu des progres significatiŕs, non seulement aux niveaux Unguis-tique et culturel, mais aussi au niveau de ľanalyse du texte. Le tableau ci-dessous récapitule les résultats avant et aprés ľ experience, en indiquant le nombre de points attribués aux quarre competences évaluées. Avant Aprěs Pts Expression orale 7,05 8,56 10 Competence linguistiquc 10,21 13,49 16 Competence communicative 8,63 9,86 10 Competence pragmatique: Portrait 5,37 6,72 8 Description 7,94 10,03 12 Exp. sentiments 3,27 4,15 5 Exp. cause et consequence 4,98 6,57 8 Hypotheses 3,19 4,72 6 Récit 10,65 12,81 15 Argumen tation 7,65 8,94 10 NOTE FINALE 68,94 85,85 Ainsi que le montre le graphique n° 1 toutes les competences ont marqué une evolution. 30 La moyenne de la « Competence d'expression orale » évaluant la fluiditě, íe rythme, ľ intonation, la liaison, ľarticulatíon et la prononciation est passée de 7,05 ä 8,6/10 soit une difference de 21 %. GRAPHIQUE N. 2 9,0' 8,0' 7,0' 6,0i 5,0i 4,0t 3,01 2,01 1,01 0,0L . EXPRESSION ORALE ü Avant m Aprěs La « Competence Iinguistique » qui tenait compte de la competence morpho-syntaxique et du bagage lexical a atteint une difference de 32,1 % puisqu'elle est passée de 10,21 ä 13,5/16 points. f T? A ' II1QUĽN. 3 COMPETENCE LINGUISTIQUE 14,00 12,00 10,00 8,00 6,00 4,00 2,00-0,00- II Avant m Aprěs 31 La «Competence communicative» a atteint un développement de 14,3 % passant de 8,6 ä 9,9/10 points. Dans la competence pragmatique ont été évaluées la capacité ä faire un portrait (physique, psychologique et vétements portés) et une description (paysages et scenes animées), la capacité ä exprimer des sentiments, ä expli-quer la cause et la consequence, ä émettre des hypotheses, ä faire un récit coherent au passé et ä argumenter. Le graphique n° 5 montre les résultats obtenus avant et aprěs ľ experience. II s'est avéré que le progres le plus significatif concerne la capacité ä émettre des hypotheses puisque la difference est de 48,1 %. La moyenne est passée de 3,2 ä 4,7/6 points. La capacité ä faire une description a pro-gressé de 26,34%. En effet, avant ľ experience, la moyenne était de 7,94/16 points, aprěs eile était de 10,03/16 points. Le portrait a atteint une difference 25,3 % avec une moyenne de 5,37/9 points au depart et une moyenne de 6,72/9 ä la fin de ľexpérience. Ú expression de la cause et la consequence s'est améliorée de 32 % avec des notes évoluant de 4,98 ä 6,57/8 points. Le récit atteint une difference de 20,29 % avec des evaluations variant de 32 10,65 ä 12,81/ 15 points. Enfin la capacité ä argumenter est passée de 7,65/10 ä 8,94/10 points soit 16,94 %. GRAPHIQUEN. 5 14 12 10 6 4 2\ 0 COMPETENCE PRAGMATIQUE II fC s -ř í3 CD •s to & ö co ff CO c c c? 5 w -0) o £ B AVANT j bAPRES! Uj Í i Ü? c Q} § ,05 ^ ^ Ces résultats ne sont peut-étre pas étonnants dans un contexte européen ou francophone, mais étant donne le contexte hispanophone et les conditions ďenseignement, cette experience est encourageante. D'ailleurs, la curiosité éveillée chez les apprenants en ce qui concerne la décou-verte ďautres cultures et ľintérét manifeste pour les activiíés développées nous motivent ä poursuivre cette demarche en proposant ďautres ceuvres de la littérature africaine notamment les romans Uaventure ambigue de ľécrivain Sheikh Hamidou Kane et Une vie de boy de Ferdinand Oyono. Ľintérét de ces ceuvres reside dans le fait que les cultures africaines sont presentees par des auteurs autochtones ce qui permet de les découvrir avec une perception plus proche de la realite. Aprěs avoir étudié la culture maghrébine, le román Uaventure ambigue s'impose car eile présente un peuple ä la croisée de deux mondes : celui des musulmans et celui des Africa ins. En eťfet, ľauteur met en scene des personnages qui appar-tiennent ä ľethnie Peule et qui sont de religion musul-mane. Ce métissage de culture africaine et religion musulmane est interessant ä découvrir et ä analyser, 33 d'autant plus que mettant en scéne des Francais, cela pourrait amener ä une comparaison des perceptions des deux cultures l'une vis-ä-vis de ľautre. Enfin, La vie de boy présente un panorama de la presence coloniale au Congo et une galerie de portraits des Africains et des coloniaux. Bibliographie Abdallah-Pretceiu.e Mv 1999, Ľ education interculturelle (Que sais-je ?), Paris : PUF. Amon E. & Bomaty Y., 1990, Littérature et méthode. 6e, Paris : Hatier. Amon E, & Bomaty Y., 1991, Littérature et méthode. 5e, Paris: Hatier. Antoniou-Kritikou I., 1995, « Langue et culture ä partir d'un document visuel », Lefrancais dans le monde, 274, pp. 72-75. Ben Jelloun T., 1985, Ľ enfant de sable, Paris: France Loisirs - Seuil. Bertoletti M.-C-, 1997,. «Nous vous ils: stereotypes identi- tiaires et competence interculturelle », Le francais dans le monde, 291, pp. 30-34. Bertrand D. & Ploquin F., 1991, «Littérature esthétíque et pédagogie », Lefrangais dans le monde, 242, juillet. Besse Hv 1984, « Éduquer la perception interculturelle », Les Ungues modernes, 188, pp. 46-50. Besson R., 1975, La pratique de {'expression orale et écrite, Paris : Editions André Castella. Capelle G. & Grellet F., 1982, Cest facile á dire, Paris: Hatier international. Carlo M, 1997, L'interculturel: un défi pour ľ education, Paris: CLE International. Carlo M., 1997, L'interculturel: ľapport d'autres cultures, Paris : CLE International, pp. 45-51. Carlo M., 1997, L'interculturel: les concepts, Paris : CLE International, pp. 100-111. 34 Elbaz R., 1996, Tahar Ben Jelloun ou ľinassouvissement du désir narratif, Paris: ĽHarmattan. Galisson R., 1990, « Culture et lexiculture partagées: les mots comme lieux ďobservation des faits culturels », Langages, 85, pp. 74-90. Holec H., 1990, « l/acquisition de competence culturelle. Quoi ? Pourquoi ? Comment ? », Langages, 85, pp. 101-110. Puren C, 1998, « La culture en classe de langue: "Enseigner quoi ?" et quelques autres questions non subsidiaires », Les Ungues modernes, 4, pp. 40-46. WiLCZYNSKA W., 1990, « Communication et representations de type culturel », Lefrancais dans le monde, 276, pp. 37-40. Zarate Gv 1995, Representations de ľétranger et didactique des Ungues, Paris : Didier. La question de ľinterculturalité dans la littérature et les sciences sociales Jean-Paul ROGUES (THL) et Stephane CORBIN (LASAR) Universitě de Caen, France Les sciences sociales, dans leur pretention ä produire uii discours scientifique sur la notion de culture, ont contribué ä dénier ä la littérature son essence merne de representation du monde. Or, il est manifeste que la littérature est logos, eile est langage, geste du corps culturel; ce qui donne corps ä la pensée, et non expression ďune culture qui lui serait extérieure, et qui devenue exclusivement objet de science, ne peut plus apparaitre comme expressivité symbolique et imaginaire social. La littérature est non seulement culture, mais eile pense en outre la culture et la question de ľaltérité, qui peut étre considérée comme ľun de ses ferments. Ce dont est riche la littérature, c'est tout ďabord cette capacité ä penser de facon problématique la question de ľidentité du sujet et de sa culture, de la difference culturelle et de ľexpérience de ľaltérité. Elle s'efforce, par ailleurs, de réfléchir en quoi des individus de cultures différentes peuvent partager, de facon problématique, une merne humanite, et par lä rejoint le questionnement de l'ethnologie et plus encore de ľanthropologie. 36 Les stereotypes et leurs critiques : discours sur le caractěre des peuples « Un beau jour de printemps, alors qu'un Paris mythique accueillait ses volées ďétrangers, une belle et jeune Franchise, dont le malheur voulut qu'elle ne sache pas nager, tombe dans 3a Seine. La gent s'ameute et tous d'applaudir au spectacle d'un jeune homme qui prend juste le temps ďôter sa veste avant de se jeter ä ľeau pour la sauver. Mais comme il ne sait lui-méme pas nager, ils vont se noyer tous deux. Un Anglais fort circonspect qui assiste ä la scene s'exclame: «décidément ces Francais sont vraiment idealistes ». On pourrait multiplier les exemples de francité (Buisine, 1992) ou au contraire de britannité. Ces anecdotes produisent toujours quelque amusement de salon et séduisent pour leur part de vérité globale. On sait que la gloire est francaise, ľhonneur espagnol, la rigueur alle-mande, et que les plaisanteries des humoristes donnent souvent une idée assez juste de ľimage qu'une nation se fait d'elle-meme et des autres1. Ainsi, lä oü sont commu-nément dénoncées les reductions stereotyp iques et le côté caricatural de ces derniěres, on peut tout au contraire prendre en consideration la recondite des raccourcis culturels, c'est-a-dire leur caractěre allégorique et hyperbolique. Ces caractěres sont constitutifs ďune identite culturelle qui ne dessine ses contours qu'en tracant des lignes de demarcation avec les autres cultures. De la sorte, on peut montrer que la dimension hyperbolique et allégorique du caractěre des peuples, ne reside pas tout « Le Francais typique, c'est une plaisanterie, et pour moi les plaisanteries sont une part importante de la vie. Les comédiens et les humoristes valent la peine qu'on les écoute au moins autant que les experts et les politiciens, car c'est presque toujours le boufŕon qui lache la vérité que personne n'aime admettre [...] ce qui m'a conduit a m'intéresser ä la caricature francaise » (Zeidin, 1983 :11). 37 entier dans ľ expose ďune supposée identite en soi, mais surgit de ľ opposition et de la comparaison de ces cultures, ramenées ä uně essence mythique. Ces caricatures que ľ on peut estimer se réduire ä un ensemble de representations sans fondement se retrouvent néanmoins dans ľ anthropologic de Kant qui entend, pour faire le portrait des Francais et des Anglais : « presenter le caractěre de ces deux peuples tels qu'ils sont aujourd'hui, et dans la mesure du possible d'une maniere systémarique, ce qui per met de juger ce que chacun peut attendre de ľ autre » (Kant, 1991 :154-155). Ľ idée que le Francais se définit par opposition ä ľ Anglais ne se traduit pas simplement dans les caricatures populaires, mais est validée par des propos qui tentent, avec sérieux, de saisir la spécificité de chacune des cultures relativement a l'autre. Rivarol insiste ainsi sur «la difference de peuple ä peuple [qui] n'est pas moins forte d'homme ä homme. Ľ Anglais, sec et taci-turne, joint, ä ľembarras et ä la timidité de ľhomme du nord une impatience, un dégout de toute chose, qui va souvent jusqu'ä celui de la vie; le Francais cherche le côté plaisant de ce monde, ľ Anglais semble toujours assister ä un dráme [...j c'est pour toujours plaire que le Francais change toujours; c'est pour ne pas trop se déplaire ä lui-méme que ľ Anglais est contraint de changer » (Rivarol, 1936 : 32-33). Kant, ä son tour, épinglant ce goüt du chan-gement chez le Frangais évoquera « une ťrivolité qui ne conserve pas longtemps certaines formes, pour la seule raison qu'elles sont vieillies ou simplement engouées outre mesure, merne si elíes ont donne toute satisfaction » (Kant, 1991 : 155-156). On remarque ainsi que de Rivarol ä Kant se confirme un propos qu'on ne saurait ravaler ä la simple caricature populaire. Toutefois, la nuance ďappréciation, ä ľendroit du Francais, léger et sociable pour Rivarol et bien inconstant pour Kant, est susceptible de nous éclairer sur l'opposition des representations croisées de l'Allemand et du Frangais. La question du caractěre des peuples n'est done pas aussi dénuée de fondement que le peu de consideration qu'on lui aecorde pourrait le laisser supposer. Au-delä de 38 sa dimension caricaturale et vulgaire, qu'on ne saurait nier, ľaffirmation du caractěre des peuples autorise néan-moins ä sonder les causes profondes des singularités culturelles, en tant qu'elles precedent de la pesanteur des mceurs, c'est-á-dire de la sedimentation des pratiques, des representations, et des croyances. Configurations complexes oú se mélent facteurs géographiques, histo-riques, sociaux et invariants anthropologiques et qui different nécessairement ďun peuple ä ľautre. Le caractere des peuples représente ainsi, avec ľénigme de la nature humaine, l'une des questions fondamentales qui constituent, du sein merne de la philosophie, une anticipation des sciences sociales. Toutefois, la volonte ďédifier des disciplines sur le modele des sciences exactes exigeait que ľon répudiät ce qui pouvait apparaítre comme purenient spéculatif. Cest ainsi que le scientisme, qui s'est développé avec ľavene-ment des sciences sociales, a contribué ä évacuer toutes les questions qui pouvaient receler une connotation métaphysique. La question: qu'est-ce qui fait qu'un peuple est un peuple? est désormais percue, dans le champ de la sociologie, comme tout ä fait incongrue, puisqu'il n'est plus de mise de s'interroger sur ce qui fait ľessence de ce qui, sous le vocable de société ou de social, est érigé en simple objet de science (Lepennies, 1990). En outre, la specialisation qui découle de la constitution de savoirs experts engendre une fragmentation de la realite sociale qui, ipso facto, liquide la catégorie de peuple. Certes, on ne saurait ignorer ce que cette catégorie représente de dangers; la mystique du peuple, faut-il le rappeler, a constitué l'argument fundamental de tous les totalitärismes. Mais il s'agit la précisément d'un retour du refoulé oů le peuple n'est plus que ľalibi d'un pouvoir qui s'execute en son nom, contre sa souverai-neté; ce qui témoigne bien de son extenuation. Ä ľexact oppose, la question du caractěre des peuples consiste ä connaítre, sans sombrer dans ľabstraction métaphysique, les singularités d'une culture; ce qui interdit justement les entreprises fallacieuses qui entendent se saisir du 39 peuple pour en proposer une conception essentialisée et raciste. L'unif oralis ation des cultures Le réductionnisme des sciences sociales n'est pas seul ä pouvoir expliquer le fait que la question du caractěre des peuples se tarisse. Au-delä des interrogations épisté-mologiques, il y a aussi la réalité de l'uniformisation des cultures. Or, il reste ä se demander si ce nivellement des cultures est l'ceuvre de la multiplication des échanges internationaux, ou bien si eile procěde plus fondamen-talement d'une ideologie de la communication, articulee au fantasme liberal d'une réalité sociale réduite ä la seule surface des relations intersubjectives. Nul ne peut raisonnablement ignorer qu'en dépit d'une multiplication des conflits, s'opere un mouvement d'érosion des cultures qui se signále plus particuliěre-ment par une standardisation des modes de vie. Ces deux tendances, apparemment opposées, peuvent sans doute se comprendre l'une par rapport ä ľautre. Cest aussi ce que ľ analyse géopolitique tend ä élucider, en s'efforcant ďexpliquer les tensions et les alliances ä l'ceuvre. Cependant cette lecture de la réalité, en se cantonnant pour ľessentiel ä l'exhibition de la factualité, fait sienne le cynisme d'une époque qui entend, de toutes les maniěres, abolir les frontiěres. La géopolitique, qui est discours expert du monde tel qu'il va, fonde son autorite sur une inflation des données chiffrées qui tient lieu de pensée politique. Cest ainsi que les seules considerations stratégiques ont definitivem ent supplanté la question infiniment plus complexe de la legitimite. De ce point de vue, la géopolitique devient aussi un mode de pensée qui, excédant ses propres frontiěres disciplinaires, se retrouve par consequent dans d'autres champs de la reflexion. Le fond commun de ces diverses analyses reside dans une apprehension purement facruelle de la 40 réalité sociale qui excluant la question éthique du droit fundamental2 nie par consequent toute Hberté. Or, le sens de l'histoire ne saurait, selon nous, se réduire ä cette vision strictement téléologique, qui prend des accents tantôt fatalistes tantôt progressistes; et oů la domination se justifie par l'imperieuse adaptabilitě ä un ordre social auquel on ne saurait échapper, précisément parce qu'on le construit sur ce genre de premisses. C'est pourquoi, nous nous opposons a la justification de l'uni-formisation des cultures, lorsqu'elle est validée en der-niěre instance par un imaginaire liberal cense aller de soi, et dont ľidéologie de la communication est l'unique instrument. Cette representation des relations inter-culturelles, fondée sur la seule promotion d'une intersub-jectivité sans profondeur, est analogue aux solutions qui entendent renouer du lien social, de maniere immediate. Cette vision liberale du monde est symptóme d'une crise ä laquelle eile ne peut apporter de solution, puisqu'elle ne parvient pas ä en sonder la profondeur. En effet, l'expression crise du lien social, en accédant ä la banalite du sociologisme, concourt ä euphémiser ce qu'elle designe, puisqu'elle est, le plus souvent, utilisée pour suggérer que le probléme, ainsi designe, repose sur un malentendu ou sur des crispations qu'il est possible de parvenir ä lever. Ľ inconsequence de ces analyses reside finalement dans le fait qu'elles ne prennent absolu-ment pas la mesure de ce qui, au fondement de la relation sociale l'autorise et la rend pérenne. Une telle analyse repose, en effet, sur une representation de la societě qui se cantonne ä la seule surface des relations intersub-jectives, et qui dans le domaine de l'interculturel laisse Rousseau, s'opposant á Grotius, stigmatisait deja cette legitimation par la reference ultime aux seuls faits qui, de maniere tautologique, justifie ľordre établi: «sa plus constante maniere de raisonner est ďétablir toujours le droit par le fait. On pourrait employer une méthode plus consé-quente, mais non pas plus favorable aux ryrans » {Rousseau, 1964:353). 41 entendre qu'une connaissance des codes suffirait á établŕr la communication. C'est en cela qu'elle reproduit le modele liberal qui réduiť les rapports sociaux ä des relations contractu elles, librement consenties et qui concernent des individus supposes autonomes. Or, c'est justement cette conception sans profondeur du lien social et de la relation interculturelle, si bien critiquée par Gurvitch (Gurvitch, 1962), qui trahit, d'une maniere par-faitement symptomatique, son effondrement, puisqu'en l'occurrence, il s'agit de réduire la societě ä une somme d'individus concus comme de simples monades. Ce monde meilleur et plus harmonieux, dans lequel les differences culturelles s'estomperaient, constitue done le ferment de cette nouvelle domination qui ne s'ancre plus dans le passé, mais dans la promesse que ľavenir est cense porter. Le déplacement n'a done de valeur et n'est source de liberation qu'ä la condition que le voyageur ait une culture ä confronter ä celie d'autrui. Or, Claude Roy, děs 1953, s'inquiete, avec une étonnante acuité, d'une tendance au rétrécissement de la planete : «11 parait que la terre est maintenant toute petite, rien qu'une boule monotone et striée d'avions, qui aurait rétréci au passage, oú les pays varies ne savent merne plus dépayser, ou partout la presence obligee des mémes telephones, des mémes automobiles et du méme poste de radio ôte au déplacement tout son charme, tout son prix, on me dit que la terre n'est rien que la terre, qu'elle pälit en vieillis-sant, que les mceurs différentes, et les langues, et les cou-leurs de peau, et les facons de voir ne sont plus que ľassai-sonnement superflu, déjä s'évaporant, ďun petit nombre ďéléments constants, tellement ennuyeux d'etre partout pareiJ » (Roy, 1953 : 334). Cette amertume ä ľégard de ľuniformisation des cultures prend, á la merne époque, chez Lévi-Strauss la forme d'une critique de la notion de «civilisation mondiale » : « vouloir évaluer des contributions culturelles lourdes d'une histoire millénaire, et de tout íe poids des pensées, des souffrances, des désirs et du labeur des hommes qui les ont amenées á ľexistence, en les rapportant exelusivement ä 42 ľétalon ďune civilisation mondiale qui est encore une forme creuse, serait les appauvrir singuliěrement, les vider de leur substance et n'en conserver qu'un corps décharné » (Lévi-Strauss, 1952:76). Contre une conception de la communication des cultures qui conduirait au fantasme de la fusion3, et dont ľidée méme d'une civilisation mondiale est l'expression, Claude Lévi-Strauss rappelle que : «la veritable contribution des cultures ne consiste pas dans la liste de leurs inventions particulieres, mais dans ľécart différentiel qu'elles offrent entre elles. Le sentiment de gratitude et d'humilité que chaque membre d'une culture don-née peut et doit éprouver envers tous les autres, ne saurait se fonder que sur une seule conviction : c'est que les autres cultures sont différentes de la sienne, de la facon la plus variée; et cela, méme si la nature derniěre de ces differences lui échappe ou si, malgré tous ses efforts, il n'arrive que trěs imparfaitement ä la pénétrer » (Lévi-Strauss, 1952 : 76). La littérature et le fondement du social Ľécart différentiel offert par les diverses cultures, dont Lévi-Strauss a souligné I'importance, est le ferment de reflexions essentielles dans le champ de la littérature. Ľétonnement, ľ interrogation, la perplexité face ä la culture de ľautre, mais aussi ľ incomprehension; une facon de se donner une identite dans le rejet du different sont au cceur méme de notre culture. C'est ľceuvre de Segalen qui met ä mal ceux qui réifient Lautre en le rame-nant au soi des impressions de voyage, ou en le réduisant au folklore; c'est le sens de son engagement contre Loti et contre Claudel qui, alors qu'il est ambassadeur de France en Chine, ignore á peu pres tout des fondements de la culture chinoise et publie Connaissance de l'Est. C'est Montaigne qui stigmatise ses compatriotes et qui dit sa On pourra consulter l'articie que nous avons consacré ä cette question (Rogues & Corbin, 2004 :39-47). 43 « honte de voir nos homines enivrés de cette sötte humeur de s'effai'oucher des formes contraires aux leurs: il leur semble étre hors de leur element quand ils sont hors de leur village. Ou qu'ils aillent ils se tiennent ä leurs facons et abominent les étrangěres. Retrouvent-ils un compatriote en Hongrie, ils festoient cette a venture : les voilä ä se rallier et ä se recoudre ensemble, ä condamner tant de mceurs barbares qu'ils voient [...] Ils voyagent couverts et resserrés, d'une prudence taciturne et incommunicable, se defendant de la contagion d'un air inconnu »(Montaigne, 1962 : 428). C'est aussi Diderot qui entend tirer les consequences du voyage de Bougainville. Ainsi, la littérature francaise est riche de pensées intempestives qui s'opposent ä ľacadémisme de ľentre soi. Baudelaire, par exemple, dont on connait les ana-thěmes lancés contre les Beiges et qu'on n'attend pas a priori sur le terrain de ľinterculturalité, affirme avec force ľintérét présenté par la rencontre avec un autre. II n'en recuse pas le caractere difficile, Iaborieux, mais il en sou-lígne le benefice intellectuel, insistant sur le fait qu'il n'y a pas de culture qui ne se nourrisse de ľécart qui la sépare d'une autre: «Si, au lieu d'un pedagogue, je prends un homme du monde, un intelligent, et si je le transporte dans une contrée lointaine [...] la Sympathie sera tôt ou tard si vive, si penetrante, qu'elle créera un monde nouveau d'idées, monde qui fera partie intégrante de lui-méme » (Baudelaire, 1961: 954). Naturellement, cette reflexion sur ľaltérité n'est pas le seul fait de la littérature francaise. C'est également Tolstoi au Caucase, metamorphose en Cosaque et confronté aux guerres tchétchěnes, qui, contre toute vision cecuménique et naive de la bonne communication fondée sur un humanisme a priori, prend toute la mesure du caractere violent de ľirréductibilité des cultures. La fin des Cosaques révěle ä cet égard un échec sans equivoque. Dans cette perspective, la littérature est ľantithése méme du dogme selon lequel la communication est possible á condition de faire abstraction de sa culture. Comment pourrait-on en effet éviter d'etre soi ? Et quel íntérět aurait une telle rencontre ? C'est ľabsurdité d'une 44 communication culturelíe sans culture, ďun échange sans monnaie, ä laquelle conduisent, ä la fois, les bons sentiments universalisés et une logique liberale. Ce que repetent inlassablement les grandes ceuvres littéraires, c'est au contraire la pesanteur des cultures, le temps, ľhistoire, les genealogies qui loin d'etre des entraves fondent 1'individu en lui dormant sa tonalité propre. Les questions qui conduisent Tolstoi ä devenir a vingt-trois ans junker au Caucase sont specif! quement russes, si elles sont envisagées par un Francais : leur nature métaphysique et morale, qui se traduit dans un appel ä la revelation et ä la resurrection touche le sens merne de la vie, qui ne peut étre trouvé qu'au contact des autres hommes. Ainsi, le cercle qui conduit de la culpa-bilité au pardon est toujours recherche ďune fraternitě perdue. C'est pour établir cette relation de fraternitě que Tolstoi (Olénine) réve d'etre un Cosaque du Terek; mais il ne pourra se défařre de sa culture d'homme éduqué, de vieux-croyant, qui devant «ľhorreur f...] ne peut se remettre de ce qu'il avait vu » et qui admet que « son idee premiere de ľinaccessibilité de cette femme [la Cosaque qu'il aimaiťj était ľindiscutable vérité» (Tolsto'i, 1976: 269). C'est lá une veritable allégorie de la relation qu'entretiennent Russes et Cosaques. Ainsi, ce qu'oŕfre la littérature est d'une nature double. D'une part, eile est le propre d'une nation, d'une culture indigene et, d'autre part, eile n'est rien d'autre qu'une aspiration a une humanite. La littérature est l'espace d'une liberie ou se joue un échange symbolique, ou la monnaie immaterielle qui circule d'un individu á l'autre (récits, mythes, poěmes...) devient en méme temps dialogue entre les nations, qui échappe ä une logique de ľutilité. En effet, qu'est-ce qu'étre Russe pour un jeune aristocrate comme Tolstoi* ? C'est étre le fruit d'une veritable sedimentation littéraire, ou la culture francaise revet un role presque equivalent ä celui de Lermontov, de Pouchkine ou de Gogol. Tolstoi', lorsqu'il se rend au Caucase, voyage avec Rousseau dont 45 il relit sans cesse La nouvelle Hélo'ise. II est cocasse de remarquer que Tolstoi, en l'occurrence, lit celui qui, en un siěcle qui prônait la tolerance, avait fait scandale en s'habillant en Armenien. En résumant ä ľextréme, on pourrait affirmer que, hors de la culture, ľ étre humain n'est pas chez soi; et que la nature de ce qui s'échange dans la littérature n'est autre que questions qui concernent ľhumanité. Reflexion sur ľaltérité et la violence Le fantasme de la fusion n'est évidemment pas né de 1'avěnement d'une morale de ľinterculturalité, non plus que d'une inflation de la communication. On en retrouve la trace, beaucoup plus anrienne, dans les praxis qui entendent créer ľunité du peuple. C'est d'ailleurs en pre-nant en consideration cette dimension démiurgique, et ses consequences le plus souvent tragiques, que nous pouvons insister sur le caractěre préoccupant d'un imagi-naire qui, refluant dans le domaine de ľinterculturalité, entend abolir toutes les frontiěres, toutes les differences, au nom d'un ideal, voire d'une ideologie, de la communion. Ainsi, derriěre le suppose souci de l'autre, qui s'épuise dans ľinjonction ä étre «touš ensemble », se terre finalement le danger d'une uniformite susceptible d'anéantir toute forme de critique dans une mobilisation generale qui pourrait bien constituer le fondement de la tyrannie dans la réification des sujets collectifs. D'un point de vue anthropologique, on peut affirmer qu'il ne peut y avoir de société sans altérité. Ľaltérité est, en effet, la condition sine qua non de la production du sens, ce qui constitue la raison d'etre de la société: « La nécessité originaire qui contraint la société ä se référer ä son dehors, c'est la nécessité de se rendre intelligible et reconnaissable comme société pour les individus qui la composent» (Gaucher, 1977: 28). Ce qui fait que la société est culture, ce qui fait qu'elle n'est pas une simple agrégation, reside done, ontologiquement, dans ľexis-tence de principes transcendants ou de conventions qui 46 structurent l'ordre social. L'apologie de ľunité du peuple ou de la fusion suppose elle-méme, dans une certaine mesure, la distance entre ce qui est (la realite empirique de la société) et ce qui devrait étre (le domaine de ses principes constituants). La confusion de ces deux registres pourrait étre inter-prétée comme la realisation de ľutopie; la fusion serait alors accomplissement des principes éthiques, materialisation d'une justice enfin incarnée. Mais ce serait la se leurrer, ne pas prendre conscience de la distinction qu'il convient ďopérer entre une altérité en soi, qu'aucune volonte singuliěre ne produit, et ce qui est de l'ordre du discours. Cest cette distinction qui permet de comprendre ce qui, en la matiěre, precede d'une revendi-cation politique démiurgique. La confusion des deux registres, lorsqu'elle est produite par ce fantasme de fusion, doit done étre interprétée comme ľextension sans limite du domaine de la factualité, la condensation de toute la réalité sociale dans cet empire du present qu'au-torise l'effondrement des principes constituants. .C'est ainsi que ľexténuation de ľutopie reside dans sa suppo-sée realisation; et que ľon peut comprendre la tragédie des tyrannies qui s'imposent d'autant plus inexorable-ment qu'elles sont censées réaliser la promesse ďun monde meilleur. Dans une perspective de désenchantement du monde, le fantasme de ľunité ne parvíent ä détruire la transcen-dance des principes qu'en faisant refluer cette altérité ä ľintérieur de la société. Autrement dit, ľaltérité demeure, mais loin de mettre ä distance la société de ses raisons d'etre, eile sépare désormais ceux qui commandent et ceux qui obéissent. La forme paroxystique de ce fantasme de fusion (qui est eradication de la souveraineté du peuple en son nom) est atteinte par les systémes totali-taires dans lesquels ['illusion de ľunité du peuple est 47 entretenue par la designation de ceux qui sont exhibés comme ses ennemis4. Děs 1929, Freud avait compris l'implacable logique ä laquelle obéit cette démiurgie : « On voit comment la tentative d'instauration en Russie d'une civilisation communiste nouvelle trouve son point d'appui psychologique dans la persecution des bourgeois. Seulement, on se demande avec anxiété ce qu'entrepren-dront les Soviets une fois tous leurs bourgeois exterminés » (Freud, 1971: 69). Cette metamorphose de ľaltérité des principes, garante de ľunité, en une forme negative et inversée oü le fantasme de fusion legitime la division et la violence, a été clairement identifiée par Claude Lefort: « Ľopération qui instaure la "totalite" requiert toujours celle qui retranehe les hommes "en trop" ; celle qui affirme l'Un requiert celle qui supprime l'Autre » (Lefort, 1976 : 51-52). Conclusion II peut sembler pour le moins exagéré de confondre, dans une méme accusation, I'apologie de la fusion qui est au fondement des totalitarismes et la promotion d'une interculturalité réduite aux artifices de la communication. Si nous sommes tout ä fait disposes ä discerner le cynisme des tyrannies des bons sentiments ďun humanisme a priori, fut-il inconsequent, nous n'ignorons pas cependant qu'un méme fantasme ďunité, voire d'unifor-misation, peut étre au fondement d'intentions morale-ment opposées. C'est cette semblable tentation démiurgique qui, parce qu'elle représente une menace, nous semble devoir étre contestée; c'est la raison pour laquelle 4 La piece de Henrik Ibsen, Un ennemi du peuple illustre, de la meilleure des maniéres, la capacité de la littérature ä mettre en evidence cette logique sociale qui associe l'usurpation politique ä la massification. 48 nous souscrivons, en {'occurrence, ä l'adresse que formule Georges Haldas : « Tout notre effort devrait tendre á ime meilleure comprehension des structures mentales qui s'affrontent ä travers une politique, des íntéréts, des traditions, et tout ce qu'on appelle ľhistoire. Pour trouver le centre ä partir duquel on pourrait tin jour vivre avec des differences qui cessent d'etre meurtriěres. Cela concerne les collectivités mais aussi chacun de nous » (Haldas, 1993 : 82). A quoi nous faut-il done renoncer ? Ä un monde uni-ŕié si cette unification nie les principes de justice; si eile procěde ďun fantasme de ľunité qui exige fatalement la production des ennemis. C'est en cela que la littérature et les sciences humaines sont susceptibles de constituer, chacune ä leur maniere, une resistance ä un mouvement de réification qui nie ľépaisseur des cultures et remet ainsi en cause une certaine conception de ľhumanité de ľhomme. Bibliographie Baudelaire C, 1961, Exposition universelle de 1855, Paris: Pléiade. BuiSiNE A., 1992, Les mauvaises pensées du Grand Meaulnes, Paris : P.U.F. Freud S., 1971, Malaise dans la civilisation, Paris : P.U.F. Gauchet Mv 1977, « La dette du sens et les racines de í'État», Libre n° 2, Paris : Payot. GuRVITCH G., 1962, « La sociologie en profondeur », in Trnité de sociologie, Paris: P.U.F. Haldas G., 1993, Les entretiens de Laube, Geněve: Éd. Labor et Fides. Ibsen H., Un ennemi du peuple, 1921, Paris : Librairie académíque Perrin. Kant E., 1991, Anthropologie d'un point de vue pragmatique, Paris : Vrin. Lefort C, 1976, Un komme en trop, Paris : Seuil. 49 LEPENNIES W., 1990, Les trois cultures, Paris, Éd. de la Maison des Sciences de l'Homme. Levt-Strauss C., 1952, Race et histoire, Paris : Denoel. Montaigne, 1962, Essais, Paris : Garnier. RIVAROL, 1936, Discours sur ľuniversalité de la langue francaise, Paris: Classiques Larousse. ROGUES J.-P & CORBIN S„ 2004, «Introduction ä la communication des cultures », in Actes du premier colloque international de VAssociation des Directeurs de Centres Universitaires ďttudes Frangaises pour Etrangers (ADCUEFE), Presses universitaires de Grenoble. Rousseau}.-},, 1964, Du contrat social, Paris : Pléiade. Roy C., 1953, Clés pour la Chine, Paris : Gallimard. Tolstoi L., 1976, Les Cosaques, Paris : Folio. Zeldin T., 1983, Les Eranqais, Paris : Arthěme Fayard. Elements pour urte didactique interculturelle du conte Réda BeJJTIT Faculté des lettres et des sciences humaines Universitě Chouaib Doukkali, Maroc Introduction Nous assistons actuellement ä la mise en place de reformes, plus ou moins réussies, de ľenseignement supérieur1, mais il ne s'agit pas de reformer les structures et les institutions alors que ľenseignement continue de se faire comme c'étaít le cas il y a une trentaine ďannées. Ľuniversité est certes réputée conservatrice, et dans un contexte de mondialisation, les reformes ne suffisent pas s'il. n'y a pas un reel travail de recherche, aussi bien au niveau des contenus de ľenseignement qu'au niveau des demarches. Ainsi, dans le cadre du Departement de langue et littérature franchises, une nouvelle filiere (Études ŕran-caises) vient de commencer, donnant aux enseignants la lourde täche de revoir les programmes et de remettre aussi en question leurs pratiques d'enseignement. La reflexion est en train de se poursuivre pour ía mise en Cest ie cas au Maroc oú une reforme a débuté depuis septembre 2003. 52 place ďun cursus ďobédience interculturelle; le present travail s'inscrit dans cette perspective. Ľétudíant qui integre le departement de langue et littérature francaises, oü le francais est langue de špecialite, se trouve déjä confronté dans son apprentissage ä une situation interculturelle complexe : une culture different« (la culture francaise) dans un contexte marocain; la littérature y est enseignée, á quelques differences pres, comme s'íl s'agissait ďétudiants francais; la dimension culturelle qui se trouve escamotée est celie de la culture marocaine : ľétudiant n'aura un apercu sur la littérature marocaine ďexpression ŕrancaise qu'en derniěre année de licence. Par contre, des travaux de mémoires de licence sont périodiquement menés sur le patrimoŕne culturel, notamment le conte2. Outre les difficultés méthodologiques, analytiques et les problěmes de langue qui se posent aux étudiants, ďautres sont inhérentes aux spécificités des genres litté-raires : le theatre et la poésie ne sont pas aussi facilement abordés que le román. Par ailleurs, s'ils se retrouvent facilement avec le récit, parce que bercés par une culture du narratif (histoires, anecdotes, Noukta3, racontars, rumeurs...), ils trouveront plus de difficultés ä integrer les aspects techniques de theories telies que la narratologie. En tant qu'enseignants, nous sommes souvent confrontés ä des problématiques liées au contenu des matiěres, aux demarches didactiques ä adopter: il n'y a jamais eu de cours consacré au conte dans une perspective comparatiste et interculturelle au departement. Notons au passage que le conte pourrait étre considéré comme une bonne entrée en matiere pour acquérir les Des collectes de contes ont été faites autour de la region Abda-Doukkala (100 km au Sud de Casablanca) et celie de Sidi Smaíl. La blague est omníprésente dans la culture marocaine ; eile s'exerce au quotidien. 53 bases des techniques narratives. Notre but consistera ä adopter la demarche comparatiste4 (Colles, 1994) pour sou ligner sa pertinence dans le cadre d'une didactique interculturelle. Ce travail sera ľoccasion de réfléchir sur les possibilités ď exploitation du conte ä la lumiěre d'une didactique interculturelle. Notre choix s'est arrété sur le conte. II y a un reel renouveau du conte (Calame-Griault, 2001): colloques5 et publications (Chra'ibi, 2004) continuent ä proliřérer. Est-on en train de tirer la sonnette d'alarme ? L'écrit, arme ä double tranchant, consigne ľoralité, la fait vivre, revivre ou la tue, un peu comme le fait ľimage par rapport au texte: au lieu ďécouter des contes, on les lira (ce qui arrive ä beaucoup de jeunes lecteurs) ou au lieu de lire des contes, on les regardera sous forme d'images (bandes dessinées, dessins animés, courts ou longs métrages...). Tout cela nous montre ľétendue du champ d'investiga-tion (oralité, écrit, images fixes ou mouvantes) que peut embrasser le conte. Dans une partie de notre travail, nous essaierons, d'abord, de mettre le doigt sur quelques aspects du conte. Tout ne pouvait étre abordé, Étant donné que le champ analytique du conte et son corpus sont trěs vastes, nous nous sommes limite ä trois contes emblématiques de la culture marocaine en vue de montrer la filiation, plus ou moins difficile ä trouver, qu'ils avaient avec des contes occidentaux. Ensuite, nous mettrons l'accent, de maniere synthétique sur les elements incontournables d'une didactique interculturelle du conte. Nous renvoyons aux travaux de Luc Colles qui montrent largement la pertinence de l'approche comparatiste. Deux colloques ont été tenus en 2002 sur Les Mille et Une Nuits au Maroc, l'un ä Rabat (Les Mille et Une Nuits: du texte au mythe, du 30 octobre au 2 novembre 2002) et ľautre á El Jadida (Les Mille et une Nuits ou les secrets d'une conquete universelle, les 4 et 5 février 2003). 54 Une didactique intercuíturelle du narratif pourrait s'appuyer sur ľ anthropologic, ľethnologie ou ďautres disciplines avoisinantes pour nous dormer une vue d'ensemble ä propos de cette pratique ancestrale qu'est le conte. Dans tous les cas, les littératures écrites - toutes formes et genres confondus - ou orales en resteront la pierre angulaire. La littérarité se retrouve dans ľoralité et traverse différents champs interdisciplinaires : un anthro-pologue, s'il ne nous rapporte pas de belles histoires, nous en raconte aussi! Hístoire d'une pratique ancestrale Tous les peuples raconteur, mais racontent-ils de la méme maniere et racontent-ils la méme chose ? Ä la premiere question, beaucoup de théoriciens, notamment les sémioticiens (Courtěs, 1976), toujours ten-tés de ramener les histoires ä des Schemas et des moules tres bien concus (ou préconcus), ont amené des elements de réponse intéressants, mais beaucoup de dimensions ont été occultées : le cadre de reference (la réalité propre ä un pays), la culture (croyances, rites et mceurs) et la langue avec sa dimension stylistique; les histoires sont variables, et ces variations particuliěres sont lä pour nous indiquer qu'il faut relativiser: on ne peut raconter de la méme maniere, ni les mémes histoires, Uinterculturel est lä pour nous rappeler qu'on ne peut mettre les peuples dans le méme « moule ». On peut trouver des ressemblances ou l'inverse, souli-gnant la demarche du comparatiste, utiliser un appa-reillage interculturel, mais la dimension culturelle resur-gira toujours pour nous indiquer qu'avant de comprendre un peuple, il faudrait d'abord connaitre son Histoire, et aussi ses histoires, reelles ou fictives. L'Histoire arabo-musulmane, ä l'instar des autres peuples, est surtout empreinte d'un livre fondateur; ainsi, pour la culture marocaine, le Coran apparait comme le modele, le referent absolu. Aucune ceuvre 55 humaine ne saura l'egaler, aussi bien au niveau du sens qu'au niveau de la forme, ce qui fait dire ä Abdelhaq Anoun: Dans la reference ä l'ordre divin et ä sa creation, le narrateur qui décrypte les actions, privilégiant le culturel comme support romanesque, ne peut qu'accorder une place de choix au Coran, ä cette réalité pré-codifiée, le Livre cano-nique et total, considéré comme le repertoire de toutes les actions humaines (Anoun, 2004 :104). En tant que modele du récit, la reference au Coran peut aussi etre le lieu d'une reflexion sur la conception des genres littéraires; nous n'en donnerons qu'un apercu, en allant a la recherche des racines du récit, et surtout du conte pour étre plus precis. Ä l'origine des contes : Dieu ? « Nous te ropportons Nous mime le meilleur récit en t'inspirant ce Coran (lecture ideále)... »6 Que viendrait faire un texte fondateur dans le champ du conte ou dans celui d'une didactique intercuíturelle ? Pas de didactique sans reference ä des textes majeurs7 et pas ď interculturel sans ancrages culturels. Le texte religieux est incontournable pour comprendre une culture comme la nôtre: il fait partie de cette culture. II s'agit ici de partir des textes fondateurs avant d'arriver aux textes dits profanes. Aussi, le conte - produit par les Cf. Verset 3 de la Sourate XII intitulée Joseph in Salah ed-Dine Kechrid, Initiation ä I'interpretation objective du texte intraduisible du Saint Coran, Beyrouth, La maison de 3'est isla-mique de I'impression et de ľédition, p. 202. Cela s'applique aussi ä La Bible et aux autres textes religieux, ne serait-ce que pour rappeler que les textes, littéraires, en l'occurrence, tissent des Mens avec les textes fondateurs. Cf. Pierre-Marie Beaude (dir.), La Bible en littérature, Paris, Cerf, 1997, 363 p. (Actes du colloque international de Metz). 56 mythes8 eí les legendes - est un prolongement des récits bibliques ou coraniques9. Prenons le cas du conte Sidna Moussa et la fourmi noire : La legende rapporte que, pendant de longues années oü Sidna Moussa se refugia auprěs de son beau-pěre Chouaib, dans le desert de Sinai, il avait le privilege de s'entretenir avec le Seigneur et de marcher avec lui. Un jour, il vit le Maitre du Monde s'arreter, trěs préoccupé par les evolutions d'une minuscule fourmi noire. Agrippée ä une paroi rocheuse abrupte, eile risquait de tomber. Moussa ne put s'empécher de trouver une telle commiseration un peu puerile. Comment comprendre que le Créa-teur du ciel, de la terre et de touš les astres de l'Ünivers qui avait ä charge d'animer et de maintonír en permanence le cosmos entier puisse se permettre de perdre son temps ä suivre les hesitations craintives d'une minuscule - fourmí noire ? Et comme Dieu admettait qu'il put librement exprimer sa pensée devant Lui, Sidna Moussa n'hésita pas ä lui dire : « Seigneur, je n'arrive pas ä saisir votre intérét pour une si chétive creature! » Mais, íl s'étaít immobilise debout, quelques minutes avant ďexprímer sa pensée et n'avait pas remarqué que ses pieds avaient heurté une fourmiliére. C'est par centaines que les bestioles qu'il avait dérangées faísaient maintenant ľassaut de ses propres jambes. Michel Piquemal & Daniel Royo, Petite anthologie du conte, Toulouse, Éd. SEDRAP, 1998, 191 p. Ä la p. 7, les auteurs nous rapportent: «...Et pour mieux comprendre les comportements de ces entités qui présidaient ä leur destin, mieux les invoquer et les satisfaire, !es humains ont inventé les mythes ». Pour eux, au commencement du conte étaient les dieux. J. Schelles-Millie, Paraboles et contes d'Afrique du Nord, Paris, G.-P. Maísonneuve et Larose, 170 p. Sous le titre Paraboles et contes édifiants, ľauteur a classé les contes qui ont rapport avec le théologique. 57 Quand il bougea, ľ une d'elles le mordit crueJlement. Et Moussa, par un reflexe brusque, écrasa ďun revers de main, non seulement ľauteur de sa morsure, mais une cinquan-taine de ses sceurs alentour. Et le Seigneur lui dit: « Aucun des étres que j'ai créés ne m'indiffere et tous ont droit á mon affection, car, du sort d'une petite fourmi le monde entier peut dépendre. Toi, Moussa, pour une simple petite morsure, tu n'as pu te retenir de massacrer une cinquantaine d'innocents. Mais, le jour ou ma colěre éclatera et oú ce ne sera pas ta main mais la mienne qui s'abattra sur le monde, c'est par millions que les fauteurs et les innocents voleront en éclats ! » Et Moussa de répliquer : « Seigneur, pourquoi confondre dans le méme chätiment les uns et les autres ? Le Seigneur ne répondit pas, mais ils continuěrent ä marcher et il fit remarquer ä Sidna Moussa que l'automne s'annoncait et que le temps des semailles approchait. II lui donna done une mesure de blé pour la semence. Moussa prépara ses terres, les retourna, les ensemenca. L'hiver fini, le jeune blé se mit ä poindre. II était - forcément mélé de quelques autres herbes inutiles. Mais, le prophěte attendit que la moisson fut mure pour faucher ses récoltes, séparer les mauvaises plantes, secouer et recueillir les grains, brůler la paiíle et rejeter les déchets. Dieu lui apparut aiors et lui dit: « Tu as pris la liberté de séparer dans ta récolte le bon grain et de jeter au feu les mauvaises herbes pour n'engranger que les bons fruits de vie de ces récoltes. Crois-tu que je ne suis pas aussi capable que toi de íaisser ä mes creatures toute leur chance de liberté et de survie dans l'au-delä, en attendant de trier les bons et les mauvais au Jugement dernier », Nous pouvons constater que ce conte est une variation autour de ľépisode coranique; aux versets 17 ä 19, la sourate XXVII intitulée Les Fourmis10 nous rapporte que : 10 Salah ed-Dine Kechrid, op. cit., pp. 330-331. 58 17- On rassembla pour Salomon ses armées de Genies, d'Humains et d'oiseaux qu'on mettait en rang au fur et ä mesure. 18- Jusqu'ä ce qu'ils arrivěrent ä la vallée des fourmis. Une fourmi dit alors : « O fourmis ! Rentrez dans vos habitations sinon Salomon et ses troupes vous écraseraient sans s'en rendre compte ». 19- II sourit, amusé par ses paroles (...). Le récit coranique sous sa forme contractée (la nouvelle et ľune des parties de la nouvelle ou Naba11) ne donne pas d'issue ä cet episode; qu'est-il advenu des fourmis ? On peut supposer que leur sort ŕut heureux : Salomon remercia Dieu du bienfait, celui de pouvoir interpreter le langage des fourmis. Le conte, aussi intemporel - par certains aspects - que le texte religieux, s'inspire done des récits des textes fon-dateurs. Les exemples allant dans ce sens, reliant le conte aux textes sacrés peuvent étre multiplies pour souíigner cette filiation, mais n'oublions pas que merne ces textes sacrés s'inscrivent dans une succession : ĽAncien Testament, le Nouveau, et par la suite Le Coran, pour ne citer que ceux-lä. Chacun ďeux nous raconte ce qui s'est passé dans la nuit des temps, faisant reculer le récit, et par son biais le conte, jusqu'ä ľorigine, celie de la creation du monde (la Genese) et de ľ étre humain (Adam et Eve). A la recherche des áifférentes theories sur ľorigine des contes de fees, Marie-Louise von Franz (1986) ne manque pas de nous signaler que : Nous possédons done une tradition éerite remontant ä 3 000 ans; or, ce qui est frappant c'est que les themes de base n'ont pas change. Qui plus est, si l'on en croit la théorie du Salah ed-Dine Kechrid traduit ce mot par « une partie de la nouvelle » au troisiěme verset de la Sourate XXVIII, intitulée Le Récit oů est rapporté ľ episode de Moi'se et Pharaon. 59 Pere W. Schmidt12, certains indices tendraient ä prouver que quelques-uns des themes principaux de contes de fees remonteraient jusqu'ä 25 000 ans av. J.-C, pratiquement sans alterations (von Franz, 1986 :13). Le conte, on s'en rend compte, remonte trěs loin, et la question n'a pas fini d'etre débattue ! Ľorigine des contes a souvent été traitée dans diffé-rents écrits; c'est ainsi qu'on a pu faire des rapprochements entre le conte et la fable, entre le conte, les legendes et les mythes (Carlier, 1998: 10). La filiation avec le mythe est la plus attestée. Liant la problématique de ľorigine ä celie de la différenciation entre le conte et le mythe, jean-Pol De Cruyenaere et Olivier Dezutter (1990 : 7) nous rapportent que « les folkloristes ou du moins nombre ď entre eux s'accordent pourtant sur quelques points : le mythe est un récit sacré et fondateur (...). Le conte est un récit profane». L'exemple du conte Sidna Moussa et la fourmi noire, comme récit profane, permet d'illustrer cette idée. Rappeions que dans la tradition arabo-musulmane, la frontiěre entre le mythe, la legende et le récit véridique est trěs floue, notamment dans le cas du texte coranique, oü Facte de croire ce qui est raconté est l'un des fon-dements de la religion; dans l'exergue. « Nous te rap-portons (...) le meilleur récit en ť inspirant ce Coran (...) », Dieu relate le plus réussi des récits se rapportant ä Joseph13; il faudrait ľ entendre dans le sens qualitatif du récit, du point de vue formel, maís le meilleur récit vou-draít aussi dire, en langue arabe, le récit le plus véridique. Difficile, děs lors, ďimiter ľinimitable : le Saint Coran. Le meilleur rériť4 serait ici ďinspiration divine. Ä la note 5 de son ouvrage, Marie-Louise von Franz nous renvoie ä ľécrit du Pere W. Schmidt, Der Ursprung der Gottesidee (Ľorigine de ľidée de Dieu). Dans La Bible, on retrouve aussi ľ episode relatif ä Joseph. Au cours de nos rocherches en rapport avec Le Coran, nous avons été frappé par les occurrences relatives au mot Qassas et au mot naba'. On traduit abusivement le mot ostora qui veut dire mythe par conte. Pour touš ces problěmes de 60 Un conte peut en cacher un autre ou le conte palimpseste : Le repertoire international du conte, en supposant qu'il soit limite dans le temps ou dans l'espace, continue de s'enrichir. Cest ainsi que suite aux collectes de contes faites par des chercheurs, notamment les folkloristes comme Aarne et Thompson (1964), on commence ä voir se développer cet esprit de conservation du patrimoine culturel. Une didactique de ľ inter culturel faisant du conte son objet ď etude pourrait justement s'appuyer sur ce repertoire pour trouver les jalons d'une didactique comparée du conte. Une des premieres theories qu'elle devrait integrer est celie de ľintertextualité; les folkloristes, en dres-sant leurs listes de contes et en les comparant, ont relevé des ressemblances soulignant son universalitě. Mais le comparatisme ne suffit pas, il faudrait un approfondisse-ment considerable des données culturelles, dont quelques disciplines telies que ľethnologie et ľanthropo-logie sont dépositaires. Commencons par le conte de Haina15 (El Amiri: 26-27): Haina était belle, travailleuse et trěs aimée par les habitants de son douar. Un jour, eile alia au fond de la forét et péné-tra, avec les filles, dans un chateau, La, eile trouva une épée magique. Děs qu'elle la sortit de son étui, un monštre appa-rut et ľobligea ä se marier avec lui malgré qu'elle soit déjä fiancee. Quand un tourbillon blanc vint du Nord, le monštre apparut et emporta Haina avec lui. Ses parents, pour cacher leur indignation, firent croire que Haina était morte. Son fiance (son cousin) revint de guerre et apprit la mauvaise nouvelle. Mais une servantě lui dit la vérité. II décida alors ľ appellation du conte, nous renvoyons ä Najima Thay Thay, Ľ Ogre, entre le reel et Vimaginaire dans le conte populaire du Maroc, Paris, L'Harmattan, 2000, pp. 27-33. 15 Le conte se déroule sur environ une vingtaine de pages. Nous proposons ä chaque fois les resumes de i'auteur. 61 de suivre le chemin du ravisseur. La colline, le ruisseau ľaiderent ä arriver au vieux chateau. Un hibou qui gardait Haina lui montra sa chambre et lui dit que seul le poussin pouvait lui parier mais il fallait éviter ľceil de ľogresse-měre. Le poussin noir trouva une astuce pour faire sortir Haina et ľamena ä son cousin.../... Sa surprise rut grande. Leur ťuite était impossible mais Haina indiqua ä son cousin qu'il fallait téter le sein derriěre le dos de ľogresse pour qu'elle le considěre comme son fils. Cest ce qu'il fit. Attendrie, la vieille ogresse fut obligée de les aider ä s'enfuir. Pour que ľogre ne sentit pas ľodeur de ľhomme, on mit du héné sur tous les objets du chateau mais on avait oublié le pilon. Děs que les jeunes furent partis et que ľogre s'endormit, le pilon commenca ä tinter et le réveilla. Ľogre courut aprěs eux mais le ruisseau les aida dans leur ŕuite. Oubliant le conseil de la colline, le cousin tua ľun des oiseaux qui se battaient. Ľoiseau vainqueur avala le jeune et transforma Haina en chienne. Elle demeura ainsi jusqu'au jour oú eile prouva qu'elle était aimée par les hommes. Ä ce moment, eile redevint ce qu'elle était et se maria avec son cousin. Ce conte qui a bercé ľimaginaire de millions de Maro-cains est ľun des plus riches. Nous avons répertorié une dizaine de variantes16 dans la region de Doukkala. Le nom de ľ Heroíne Haina est maintenu comme titre pour tous les contes (Belhaj, 1997), sauf pour un seul s'intitu-lant Tola. Dans Contes Abda du Maroď7, Hamid Moqadem nous fait parvenir hurt contes dont Hina !, autre variante de Haina. Une didactique interculturelle pourrait exploiter les diťťérentes variantes qu'on peut trouver dans une culture ou dans l'autre, et voir ainsi quelles sont les constantes et Dans le cadre du programme de recherche PROTARS II, une cinquantaine de contes ont été collectés. En coédition : Conseil international de la langue francaise et Afrique Orient, 1991,182 p. 62 les variantes relatives ä un měme conte. S'il s'avere difficile de retrouver le conte initial, on peut du moins déga-ger ce qui domine dans ce conte : c'est ce qui se repete le plus dans ce conte precis. Le deuxiěme conte intitule Hdidane (El Amiri: 28-29) se révěle moins hermétique, intertextuellement parlant: Un bůcheron et ses sept enfants vivaient dans la forét. Sa femme était morte, il devait faire tout, tout seul. Un jour, il tua un petit ogre qu'il avait trouvé. Mere ogresse vouiait se venger. Le bůcheron n'avait pas peur ďelle, ií décida ďéloi-gner ses enfants pour pouvoir la combattre sans ies mettre en peril. En chemin, les enfants se fatiguěrent. Le bůcheron, sur leur avis, leur construisit des maisons : en roseaux pour l'aine, en argile pour le cadet, en bois pour le-troisiěme, et en fer pour le benjamin, le plus malin. Avec ies autres enfants laissés en chemin, l'ogresse n'eut pas de peine. Elle dévora l'aine, ie cadet et le troisieme. Le benjamin trěs malin, était derriěre un lapin quand il rencontra l'ogresse. Pour sauver sa peau, il arriva á la persuader qu'il fallait qu'il grossisse et pour demontier cela, il avait besoin de deux aiguilles, !'une mince et l'autre grosse (selon le cas). II profita de l'occasion pour obliger son bourreau ä lui procurer les bonnes choses ä manger. Mais il ne lui montrait qu'une aiguille mince. Impatiente, eile décida de le dévorer. Hdidane fit semblant que lui aussi, vouiait étre mangé mais conseilla ä l'ogresse d'inviter la famille ogre pour assister au festin. En attendant, eile laissa sa fille seule avec Hdidane. Malin comme il fut, celui-ci lui trancha la téte et s'habilla de sa peau et mit son corps dans le feu. Quand les invites commencérent ä manger. Hdidane déclara sa ruse. Les ogres voulaient s'enfuir, mais la maison en fer était en feu. lis moururent tous et la region vécut dans la quietude. II s'agit la aussi d'un des contes les plus connus du repertoire marocain, oil l'on peut relever des ressem-blances avec Le Petit Poncet de Perrault: le cadet malin remplace les couronnes des filles de ľogre par les bonnets de ses frěres pour que ce dernier mange sa propre progéniture. II réussit ainsi ä tromper ľogre et á lui voler les bottes de sept Heues, episode qu'on ne retrouve plus 63 dans Hdidane. Dans le conte marocain, c'est aussi un cadet qui trompe l'ogresse, en lui montrant ä chaque fois ľaiguille fine, signe qu'elle ne peut toujours pas le manger. Des auteurs ont souligné dans ľimaginaire marocain la survivance de la croyance en l'existence reelle de l'Ogre (Thay, 2001). Dans le troisiěme conte, La princesse Aichas (El Amiri, 28-29), on nous raconte que : Aicha était orpheline de mere. Sa belle-měre la maltraitait. Un jour, eile attrapa une truite et la relächa dans 1'eau. Pour la ľécompenser, la truite devint sa mere et lui donna de beaux vétements qui la rendirent vraiment belle, jalouse, la belle-měre voulut savoir qui lui avait donne de si belles choses. Elle donna alors les habits ä sa propre fille mais les vétements devinrent des haillons. Ce fut la méme chose pour la nourriture, Aicha grossissait et sa demi-sceur mangea des crapauds et des lézards et tomba malade. Un jour, le prince était venu chasser tout pres de la riviére. Aicha l'apercut et en tomba amoureuse. La truite la prépara pour entrer dans le palais déguisée en marchande. Aicha apprit aussi ä lire et ä écrire. Le jour oil le prince organisa une grande fěte, eile put glisser une lettre dans sa poche. Quand il la lut, il voulut connaitre l'admiratrice. Pour la faire remarquer, mere truite lui demanda de jeter un cheveu (le sien) dans la riviere. Ce cheveu géna un cheval qui buvait. Le prince le remarqua et le garda. II dit qu'il se marierait avec la fille ä qui appartenait ce long cheveu et qui avait écrit le poéme trouvé dans sa poche. On organisa une recherche chez les nobles et les grandes families mais en vain. Quand on commenca ä chercher chez les paysans et les ouvriers, on arriva ä la porte de la maison ď Aicha. La belle-měre présenta sa propre fille qui n'avait pas de si longs cheveux. Une voisine - mere truite - fit remarquer qu'une autre fille - Aicha - était cachée, Une fois lavée et vetue comme il se doit, on la présenta au prince qui Le conte se déroule sur environ une vingtaine de pages. 64 put s'assurer que le cheveu était ä eile et que son écriture était identique ä celie du poéme. Le dernier mauvais tour de la belle-měre fut déjoué par la mere truite et le prince ordonna ľexécution de la belle-měre et de sa fille. Signaions que Haina präsente quelque similitude avec un conte grec, recueilli par J.C. von Hahn (1864)19. El Mostapha Chadli souligne qu'«un jeune homme laid et idiot délivre un poisson qu'il vient de pécher. Celui-ci exauce ses vceux, ľaide ä devenir beau et intelligent et lui fait obtenir la main de la princesse » (El Chadli, 1997 : 51). Haina serait done une variante du conte grec. Pour conclure cette partie, soulignons qu'il serait tou-jours interessant de proposer les genres narratifs courts en premiére année universitaire; cela ofŕre deux avan-tages certains : le conte est facile ä lire, et ä relire. Le gain considerable de temps, au niveau de la lecture, pourrait étre exploité au niveau des elements ďanalyse, afin de favoriser une meilleure connaissance des genres courts, tels que le conte ou la nouvelle fantastique. Dans leurs classifications, des auteurs20 ont tenú ä séparer le conte oral du conte littéraire. Ainsi, si on prend le cas ďun conteur comme Guy de Maupassant, il nous sera possible de constater que la littérature, si eile a une fonction pertinente, c'est bien celie de maintenir, en ľen-richissant, la tradition du conte; ľoralité continue d'etre « littérarisée ». Dans Le Horia (de Maupassant, 1994 : 41-44) (la deuxiéme version), le diariste rencontre au Mont Saint-Michel un moine qui va lui parier des contes et legendes de Normandie: le conte fantastique va puiser ses sources dans le théologique, mais aussi dans les contes et legendes populaires. Cite par M. El Fassi et E. Dermenghem, Contes fassis, nou-veaux contes fassis, Paris, Rieder, 1926-28, p. 136. Cf. Michel Piquemai et Daniel Royo, op. cit., pp. 19-21. Les auteurs intitulent cette partie : « Du conte oral au conte écrit, du conte populaire au conte littéraire ». 65 Un conteur peut en cacher un autre Dans chaque pays, ü est possible de trouver des éeri-vains qui continuent de perpétuer la tradition du conte; mieux encore, s'ils se réclament de ce genre, ils arrivent ä faire de la filiation une legitimation nécessaire, leur per-mettant de s'inscrire dans ľuniversel. Le conteur univer-sel, transculturel par essence, peut reconnaítre un maítre du genre comme nous allons le voir; il sait faire de sa culture un contenu, de la forme adoptee une mediation, et favorise ainsi ľémergence de l'interculturel: le conte est probablement le genre qui traverse le mieux les fron-tiéres spatiotemporelles et culturelles. Le lecteur universel, s'il existe, serait celui qui, sans a priori, pourrait lire, comprendre et integrer les autres cultures avec la méme aisance; de meine, on pourrait envisager le lecteur interculturel, celui qui permettra le meilleur brassage des cultures. Du côté des conteurs, nous en avons localises au moins deux qui sont, ä notre avis, emblématiques : Tahar Ben Jelloun et Borges; ils ont réussi ä transcender le culturel pour s'insérer dans le champ de ľuniversel. La littérature maghrébine ďexpression francaise continue ä maintenir la tradition du conte, et c'est peut étre ľun des secrets de sa pérennité. Dans le cas de la littérature marocaine, par exemple, il est possible de loca-liser plusieurs allusions au conte et aux conteurs, comme c'est le cas dans Ľ enfant de sable de Tahar Ben Jelloun (1985): Ľhornme qui parlait ainsi était aveugle. (...). II s'excusa, ajusta ses lunettes noires, donna une piece ä son accompa-gnateur pour qu'il aille s'amuser, puis se tourna vers la femme et lui dit: - C'est vrai! Le secret est sacré {...). Et puis vous allez sans doute me demander qui je suis, qui m'a envoyé et pourquoi je débarque ainsi dans votre histoire... (...) Sachez simplement que j'ai passé ma vie k falsifier ou älterer les histoires des autres (...). J'ai fréquenté beaucoup les poětes et les conteurs. (...) 66 Je viens de loin, d'un autre siěcle, verse dans un conte par un autre conte, et votre histoire, parce qu'elle n'est pas une traduction de la realite, m'intéresse (..-). Cest ainsi qu'aujourd'hui je me trouve comme une chose déposée dans votre conte dont je ne sais rien. (...) Je ne sais pas quelles mains m'ont poussé jusqu'ä vous. Je crois que ce sont Celles de votre conteur (...). Pour vous aider, je vous dis d'oü je viens, je vous livre les derniéres phrases de ľhistoire que j'ai vécue, et de la nous pourrons peut-étre dénouer ľénigme qui vous a réunis : «(...) Avec souíagement, avec humiliation, avec terreur, il comprit que lui aussi était une apparence, qu'un autre était en train de le réver » (Ben Jelloun, 1985 :171-173). Dans cet extrait de Venfant de sable, le conteur, Tahar Ben Jelloun, a tenú ä intituler sa dix-septiěme partie « Le troubadour aveugle » pour faire un clin d'ceil au lecteur : le troubadour aveugle, c'est le conteur Borges. II vient s'immiscer dans ľhistoire de ce roman qui a tout du conte21. Cela crée une situation complexe assez parti-culiěre: dans Les Ruines circulaires (1974 : 53-59), Borges raconte ľhistoire d'un étranger, qui, voulant réver d'un homme, realise que, lui-méme, ťaísait partie du réve de ce dernier. Chez Tahar Ben Jelloun, Borges Ie conteur devient ľhomme réve; il passe du statut ďécrivain-conteur ä celui du personnage-conteur : on passe ainsi de la realite (la personne representee de Borges) ä la fiction, alors que dans Les ruines circulaires de Borges, nous avons affaire ä deux personnages fictifs. Tahar Ben Jelloun nous montre ainsi qu'il est possible d'exploiter autrement cette idée de fausse apparence (croire réver de quelqu'un alors qu'on est ľ objet du réve de ľ autre): íl est possible de faire appel ä ľinventeur méme de ľidée, pour en faire le protagonisté ďune histoire qui est en train de s'écrire. Cela nous montre qu'il y a une filiation entre les deux écrivains. Mais, pour Tahar Ben Jelloun, il s'agit avant tout de reconnaítre le conteur modele, et en reprenant la clausule de son conte mot ä mot, de lui rendre hommage. Beaucoup de romans exploitent le conte; c'est le cas de ĽAlchimiste de Paolo Coelho. 67 On peut noter aussi que le conteur Borges est reconnaissable ä beaucoup de details, descriptifs (aveugle, pas de canne, lunettes noires...), narratifs (donna une piece (allusion au Zahir)), mais surtout discursifs : la voix du conteur est reconnaissable pour tout habitué des contes et entretiens de Borges. Mais ce qui interpelle dans cette sequence, c'est que le conteur ne semble pas appartenir ä un pays et il n'a pas d'äge. Tahar Ben Jelloun remet, par le biais de la voix, ľoralité au gout du jour. C'est cela méme qui fait le succěs de ses romans (on devrait dire contes pour certains !). Quelle didactique interculturelle du conte ? Avant d'entamer ce travail, notre objectif était de réfléchir ä une didactique interculturelle du narratif; celle-ci ne peut se faire qu'en prenant en consideration la notion - aussi contestée qu'elle soit - de genre littéraire. Afin de delimiter le champ de la recherche, notre choix s'est arrété ä celui du conte. II recele en lui une richesse inégalée, aussi bien du point de vue du repertoire étendu que de la multiplicité des approches théoriques dont il fait objet. Différentes disciplines peuvent étre exploitées dans le cadre d'une didactique du conte, mais dans le cas ďune didactique interculturelle, 1'approche interdisciplinaire se révěle plus fructueuse parce que plus ouverte : le theo-logique, par le biais ďune intertextualité étendue, peut étre intégré pour souligner la richesse culturelle de certains types de contes et leur fondement religieux; dans un deuxiěme temps, ľinterculturel elargira le point de vue pour voir, par exemple, comment le conte marocain exploite I'aspect religieux de la culture comparativement au conte francais. La demarche peut s'appliquer aux contes d'autres nations. Autrement dit, pour prendre en compte la dimension culturelle comparée du conte, une didactique interculturelle aura la täche ď integrer : 68 - un repertoire de contes: il ne cesse de s'enrichir. Dans le cas du Maroc, on peut citer l'ouvrage de Najima Thay Thay: Aux origines du monde contes et legendes du Maroc (2001), une parution des plus interessantes oü l'on sent, ä partir du titre, la difficulté de séparer ce qui relěve de la legende et ce qui fait partie du conte. Le repertoire du conte marocain prolifěre, et cela est du ä la varieté des dialectes : des collectes se font dans différents dialectes, notamment la langue berbere. -la culture ďorigine : par cela, nous entendons la connaissance de la culture dont sont issus les contes. Dans le cas de la culture marocaine, les references sont nombreuses. Citons un ouvrage rare : Essai de Folklore marocain de Doctoresse Légey22 (1999) oü il apparait clai-rement que l'autre - parfois - saisit mieux notre propre culture. - des theories du conte : plusieurs approches ont vu le jour; l'approche du formalisme23 russe a donne naissance au structuralisme. Propp dégagea trente-et-une functions recensées ä travers environ 600 contes russes. Étienne Souriau, dans son ouvrage Deux cent mílie situations dramatiques24 réduira les actants de Propp ä six. L'histoire retiendra le modele actantiel de Greimas (Destinateur/ Objet/Destinataire et Adjuvant/Objet/Opposant) (Adam, 1984 : 59-65). Les travaux des structuralistes (Bremond, 1966 : 60-76) autour du récit dans sa dimension universelle viendront enríchir l'approche du conte (Chadli, 22 L'ouvrage, accompagné de dix-sept planches, fut édité la premiere fois en 1926. 23 Cf. Vladimir Propp, Morphologie du conte, Paris, Seuil, 1965, pp. 6-170. Du méme auteur, nous trouvons ä la suite de cet ouvrage: «les transformations des contes merveilleux», pp. 171-200. A cela succěde Ľétude structurale et typologique du conte, pp. 201-254. Cet écrit, traduit par Claude Kahn, est de E. Mélétinski. 24 Op. Cit,, aux editions Flammarion, 1950. Étienne Souriau se basera sur les situations dramatiques du theatre francais pour dégager les six fonctions. 69 2000). Ä la suite de Freud et de Jung, des auteurs appli-queront la demarche psychanalytique au conte25. lis nous montrent que le conte trouve ses racines, une autre origine, dans ľinconscient, individuel ou collectif. En plus de sa fonction didactique initiale (un ensei-gnement pour les plus jeunes), le conte peut etre exploite dans différentes situations d'apprentissage et différents niveaux ďétude. Ľexpérience la plus riche reste celie oú ľon met ľapprenant immigré au contact de sa propre culture. Nadine Decourt (1992) ne manque pas de signaler que: Les contes de ľimmigration sont, qu'on le veuiHe ou non, nes de ľintérét porté par des enseignants et des éducateurs aux cultures de ľailleurs (...). Leur emergence est liée ä la naissance de ľinterculturel et ä l'histoire méme de la pédagogie interculturelle26. Elle inscrit cette reflexion en rapport avec la proposition de M. Abdailah-Pretceille concernant ľimaginaire et le conte: (...) II convient de développer toutes les situations éduca-tives, tous les enseignements qui enrichissent ľimaginaire. (...) Le conte représente aussi un excellent support de manifestation de ľimaginaire et, par ses multiples variantes et variations, íl facilite l'approche de la diversité27. 25 Bruno Bettelheim, Psychanalyse des contes de fees, Paris, Robert Laffont, « Pluriel», 1976. Voir aussi Jean Bellemin-Noel, Les contes et kurs fantasmes, Paris, P.U.P., « Ecritures », 1983. L'ouvrage, déjä cite, de Marie-Louise von Franz sur Ľ interpretation des contes de fees est incontournable. 26 Cf. « Les contes immigrés: apports et limites de la pédagogie interculturelle » in Littérature et oralité au Maghreb, Paris, L'Harmattan, 1er et 2e semestres 1992, pp. 151-162. Volume 15/16 d'Itinéraires et contacts des cultures. 27 M. Abdailah-Pretceille le souligne dans le Rapport du 40c seminaire du Conseil de l'Europe pour enseignants sur ľéducation aux Droits de l'homme dans les écoles préélé-mentaires, Conseil de Cooperation culturelle, DECS/EGT, Strasbourg, 1989, p. 48. 70 Nadine Decourt montre done la pertinence du conte pour la didactique interculturelle, mais eile relěve qu'il y a certaines difficultés, notamment celie de connaítre la culture de ľ autre ä travers ses. contes ou celie ď integrer les apports de ľethnologie; la mediation se révěle done une activité delicate parce qu'il y a aussi ía barriěre de la langue et le probléme du passage de ľoralité ä ľécrit. Au niveau de la demarche ä adopter, ľintertextualité et le comparatisme nous paraissent les conditions néces-saires ä ľémergence ď une interculture; le conte est cer-tainement celui qui favorise le mieux la construction de ce patrimoine interculture!. On pourra partir des textes fondateurs, aux contes populaires ou littéraires et terminer avec le román. Ľessentiel sera de montrer comment chaque texte travaille celui qui le precede dans le temps. Cela ne peut se faire qu'ä ľaide ďobjectifs précis: faire connaítre la culture de ľ autre ä travers le conte et vice-versa, faire connaítre des aspects particuliers du conte (formules de cloture et d'ouverture (Darwiche, 2001), et toujours d'un point de vue comparatiste, des logiques narratives, des structures anthropologiques de l'imaginaire (Durand, 1984) ...). Le conte peut étre integre dans une optique de lecture ou ďécriture : les étu-diants pourront étre amenés ä réécrire, ä pasticher, ä parodier. Ľart de confer n'éfant pas enseigné, son etude et son enseignement pourraient étre intégrés dans une approche communicative. On pourrait penser ä une didactique interculturelle bilingue, oú le conte serait un support pour ľapprentis-sage respectif des langues. La traduction pourrait aussi étre visée : ä cause de ľoralité qui le traverse, le conte reste un genre difficile ä traduire. Bibliographie Aarne A. & Thompson S., The Types of Folktale, Helsinki: S.T. Academia Scientiarum Fennica (Second Revision, 1964). 71 Adam j.-M., 1984, Le récit (Collection Que sais-je ?, n° 2149), Paris : P.U.F. Anoun A., 2004, Les origines culturelles d'un román maghrébin, (Collection critiques littéraires), Paris : L'Harmattan. Belhaj A., 1997, Approche fonctionnelle de ľarabe marocain: le parier d'El Jadida. These de Doctorat d'Etat soutenu ä la Faculté des Lettres et des Sciences Humaines d'El Jadida. Borges J.-L., 1974, Fictions, Paris : Gallimard. Bremond C, 1966, «La logique des possibles narratifs», Communications, 8. Calame-Griault G. (dir.), 2001, Le renouveau du conte, Paris : CNRS editions, 449 p. Caruer C, 1998, La clef des contes, Paris : éd. marketing S.A. Chraí'bi A. (dir.), 2004, Les Mille et Une Nuits en partage, Arles: Sindbad/Actes Sud, 524 p. Colles L., 1994, Littérature comparée et reconnaissance interculturelle, Bruxelles : De Boeck-Wesmael, 173 p. COURTES }., 1976, Introduction a ta sémiotique narrative et discursive, Paris: Hachette. Darwiche J., 2001, Le Conte oriental. La tradition orale au Liban, Aix-en-Provence: Edisud. De Cruyenaere J.-P. et Dezutter O., 1990, Le Conte, Vade-mecum du professeur defrangais, Bruxelles : Didier Hatier. DE MaüPaSSaNT G., 1994, Le Horla, Paris : Librairie generale franchise. Durand G., 1984, Les structures anthropologiques de l'imaginaire, Paris : Dunod, 536 p. El Amiri T., Hama (Collection Contes marocains n° 2), Casablanca : Dar Errachad El Hadita. El Amiri T., Hdiäane (Collection Contes marocains n° 7), Casablanca : Dar Errachad El Hadita. El Amiri T., La princesse Aicha (Collection Contes marocains n° 8), Casablanca : Dar Errachad El Hadita. El Chadu Mostapha, 2000, Le conte merveilleux marocain. Sémiotique du texte ethnographique, Rabat: Publications de la 72 Faculté des lettres et des sciences humaines, 357 p. (Série theses et mémoires : n° 48). El Chadli M., 1997, Le conte populaire dans le pourtour de la Médi- terranée, Maroc : éd. Toubkaí. Legey D. 1999, Essai de folklore marocain, la Librairie orientaliste Paul Geuthner, 235 p. Thay N-, 2001, Aux origines du monde. Contes et legendes du Maroc, Paris : Flies France, 189 p. von Franz M.-L., 1986, Vinterpretation des contes de fees, Paris : La fontaine de pierres/Dervy-livres, pp. 9-34. Le double ancrage culturel: une exigence de ľinterculturalité Georges SawAGODO Ecole normale supérieure de Koudougou, Burkina Faso Introduction Notre propos s'inscrit dans le champ de l'interculturel et se fixe deux principaux objectifs : contribuer ä une reflexion sur ses fondements et ses pratiques dans le contexte de la mondialisation et montrer les enjeux de la question identitaire dans la perspective d'une education interculturelle. Nous partons de trois constats essentiels : depuis les années 1980-1990, les methodologies inter-culturelles font partie du paysage didactique du francais langue étrangěre ou seconde et sont au cceur de toute pédagogie. De plus, les approches interculturelles, tant du point de vue de leurs fondements que de leurs pratiques divergent en fonction des contextes. Enfin, les méthodes actuelles preconisent une « decentration » de ľapprenant par rapport ä sa culture d'origine et une comprehension de ľ Autre au detriment de la seule description et de la simple connaissance théorique de sa culture. 74 Problématique Pourquoi réfléchir sur la thématique de ľ identite et de ľaltérité alors méme que celle-ci figurait déjä en bonne place dans les champs thématiques des années 1970 ? II faut en convenir, devant les nouvelles strategies des experts de la Francophonie et des stratěges de la mondia-lisation, cette thématique connait un regain d'intéret, au regard surtout de ľurgence et de la nécessité ďune prise en compte efficiente des methodologies interculturelies dans les pratiques didactiques liées ä ľenseignement-apprentissage du FLE/S, ďoů cette seconde interrogation : comment, dans un monde en proie ä une globalisation ineluctable et multidimensionnelle, aidée dans son mouvement par un développement sans precedent des technologies de ľinformation et de la communication, les Africains et singuliěrement les jeunes Africains francophones, peuvent-ils encore affirmer sereinement leur identite, tout en s'inscrivant dans la double perspective de ľaffirmation identitaire et de ľéducation inter-culturelle ? Partant de la, et c'est le point focal de notre propos, nous montrons que, contrairement au mouvement de décentration culturelle observable en Europe, ľAfrique tend actuellement et pour diverses raisons, vers une re-centration culturelle qu'elle a intérét pour quelque temps encore, ä mieux affiner, tout en obéissant ä une double exigence de type dialogique et dialectique telle que le préconisaient déjä les chantres du mouvement négritudien: enracinement dans sa culture d'origine et ouvertuře sur !e monde. Culture : essai de definition La culture est, pour un groupe social donné, l'en-semble des actívités soumises ä des normes socialement et historiquement différenciées et des moděles de comportement transmissibles par ľéducation. Elle est née de l'aptitude des hommes ä communiquer entre eux. Elle se veut un objet d'échange entre les membres et les generations d'une merne communauté dont eile caractérise le 75 style de vie passé, present et futur. Systéme de valeurs morales, esthétiques et spirituelles, eile insuffle ä Faction humaine de nobles finalités afin d'aider les hommes ä se libérer de ľignorance, de la misére et de ľinjustice. C'est ce substrát culturel qui restitue aux sociétés leur créati-vité, instaure des solidarités nouvelles entre les peuples et entre ľhomrne et la nature. Fer de lance et levier du changement, la culture confere ä ľactivité de ľhomrne son visage humain. Elle s'entend ici au sens global, c'est-ä-dire comme l'ensemble des valeurs acquises par 1'homme, par opposition ä l'ensemble des caractéris-tiques innées, existant naturellement chez lui. Elle est, au sens ethnologique et selon Fadika (1997 :106): «tout complexe qui inclut les connaissances, ies croyances religieuses, l'art, la morale, le droit, les coutumes et toutes les capacités et habitudes que ľhomrne acquiert en tant que membre de 3a société ». Au plan sociologique, eile est un ensemble de maniěres de penser, de sentir et d'agir, plus ou moins formalisées, servant d'une maniere ä la fois subjective et symbolique, ä constituer certaines personnes en collecti- vité particuliére distincte. Tntériorisée en chacun de nous, la culture oriente nos comportements et s'apparente selon la formule de Hall (1984), en un veritable «langage silencieux». Ces comportements appris ä ľorigine, deviennent presque instinctifs, habituels. La culture d'un groupe imprěgne touš les actes de ses membres. Elle en assure la cohesion et lui sert de reference. Ces valeurs et les normes de comportement résultent de pratiques et de pensées pas-sées, mais aussi d'adaptations, d'idéaux projetés sur ľavenir, si bien que la culture n'est pas immuable. Elle subit des changements et des adaptations sous l'influence de facteurs physiques, sociaux, économiques, etc. Elle évolue done avec ľaspect et le temps et sur la base du eritěre de stabilite dans le temps, eile se compose d'élé-ments constitutifs essentiels : d'abord les valeurs « pro-fondes » ou « authentiques», relativement «permanentes » et quasiment «invariantes» (croyances relí- 76 gieuses, coutumes, traditions, morale, etc.). Ensuite les valeurs « structurelles », relativement moins stables que les précédentes, mais qui varient sur des périodes assez longues de temps (arts et lettres, idées, institutions poli-tiques et socio-économiques, sciences pures, etc.). Enfin, les valeurs « conjonctur elles ». Elles évoluent sur des laps de temps plus réduits (sciences appliquées et technologie, habitudes vestimentaires et alimentaires, etc.). Elles peuvent évoluer sans que les valeurs les plus profondes d'une culture en soient fondamentalement affectées. En definitive, la culture d'un peuple, ä un moment donné est la marque particuliěre de ces valeurs acquises, qui ne sont rien d'autres que les valeurs de civilisation. Mieux, la culture est le bilan de ces valeurs ä ľépoque considérée, bilan resultant, d'une part, d'un équilibre approprié entre trois dimensions essentielles du phéno-měne culturel, ďautre part, des interactions dans les deux sens, entre la culture, comme totalite organisée et les autres elements, matériels ceux-lä, et qui interfěrent dans la dynamique de ľévolution de la société. Culture occidentale et culture africaine Dans l'Europe du Xixe siěcle, la culture est d'abord percue par la bourgeoisie comme un moyen ďaméliorer son statut social. Elle est ensuite vécue comme une occupation de loisir (Harendt, 1972). La culture se trouve englobée dans le mouvement ď industrialisation qui in-vestit peu ä peu tous les secteurs de la vie sociale. Elle devient un secteur marchand et grace aux nouveaux moyens de duplication offerts par la technique, ses pro-duits ressemblent de plus en plus ä ceux de n'importe quel autre secteur industriel. Alors que la culture hier était globale, qu'elle n'était pas cantonnée ä un secteur, mais qu'elle les imprégnait tous, et qu'elle échappait au processus ď accumulation, aujourďhui, le terme culture dans son entendement general n'est bien souvent qu'un secteur ďactivité industrielle parmi d'autres. 77 Ce serait certainement une gageure de vouloir déga-ger des traits culturels communs ä l'Afrique. Faute de mieux cependant, le terme de « culture africaine » sera utilise pour designer des traits largement partagés par l'ensemble de ces cultures, et qui les opposent aux autres cultures du monde. Avant la periodě coloniale, la culture africaine était intimement mélée au quotidien de la société. II s'agissait d'une culture globale. La oů les autres cultures opposent ľ idee de nature ä celie de culture, les Africains ressentent une profonde unite du monde. Le domaine du spirituel imprégnait tous les actes de la communauté et gouvernait la vie quotidienne de chacun. La cosmogonie africaine est essentiellement basée sur la croyance en un Étre supreme, supérieur, ä qui sont asso-ciés des intermédiaires : les mänes des ancétres, ľesprit des morts, les génies. La perception de la culture était fonctionnelle: l'ensemble des croyances et des pratiques conduisait ä entretenir un dialogue permanent avec le domaine de ľinvisible. La pensée magique investissait la parole d'un pouvoir direct sur les choses. Dans ces sociétés sans écriture enfin, la culture reposait essentiellement sur ľoralité. De plus, la rencontre entre les sociétés africaine, arabe, asiatique et occidentale a été violente et il sera ä jamais impossible ďévaluer les consequences de la traite négriěre qui a fait subir au continent noir une hémorragie humaine sans equivalent dans ľhistoire de ľhumanité. Par aiJleurs, pour assurer plus fermement sa domination, ľ administration coloniale a voulu installer sa propre culture et, nécessairement, éli-miner d'abord les cultures « locales », en procédant ä leur dévalorisation systématique. Dans le méme temps, la science occidentale s'emparait de ces derniěres en tant qu'objets ď investigation. C'est un fait, jusqu'aux Indépendances politiques afri-caines, les elites noires ont été ŕormées dans une perspective d'assimilation. Seule la culture occidentale était valo-risée, inculquée, diffusée. Cette situation est ä ľorigine du phénoměne de ľ acculturation. ĽAventure ambigue, cheŕ-ďceuvre littéraire de Cheick Amidou Kane, illustre les consequences dramatiques de ce déchirement. Pire, ce 78 phénoměne peut se métamorphoser en déculturation, stade ultime de la perte de sa propre identite. Toutefois, en reaction aux dangers de la mondialisation, un certain type de discours, construit sur le paradigme tradition / modernitě, est apparu depuis le debut des années 1980. Toutes les cultures, y compris les cultures occidentales, appartiennent désormais au patrimoine de ľhumanité. Nul, pármi les peuples, ne peut prétendre en détenir la nue-propriété et chacun peut jouir de leur usufruit. íl y a la un vaste creuset oú se cherchent des complémentarités, se dessínent des convergences et oú se fondent des valeurs qui tendent ä ľuniversel: nous y voyons les fon-dements de ľinterculturalité au sens de Clanet (1993). Les grands enjeux de la culture De touš les objectifs ou enjeux que ľon peut assigner ä la culture, sans doute le plus élevé est-il la liberté nouvelle qu'elle peut procurer ä l'homme: celui de ľaffranchissement de ses conditionnements, ďune plus grande maitrise de son destin. Une action dans le domaine culturel nécessite done ľobjectivation préalable de la culture dont les enjeux économiques, politiques et pédagogiques ne sont plus ä démontrer. Les enjeux économiques Les enjeux économiques de la culture sont intimement lies aux concepts de « développement» et de « mondiali-sation ». En effet, la culture, dans son immense dimension est fondement de tout développement, de tout projet de société oú l'homme s'aecomplit, se liběre, invente, imagine, innove, en un mot, crée un monde nouveau, un nouvel homme, une société nouvelle de progres et de justice. Tout développement doit désormais integrer une dimension culturelle dans la mesure oú e'est 3a culture qui donne un sens au développement. En effet, la culture et les acquis socioculturels forment ľäme des peuples et les accompagnent nécessairement dans leur quéte quoti-dienne de bien-étre et de développement. Loin d'etre 79 résiduelle, la dimension culturelle est ce qu'il y a de véritablement determinant dans la lutte des peuples pour leur développement, concept renforcé par celui de mon-dialisation au cours des années 80. Avec ľeffondrement du systéme soviétique, c'est ľaffrontement des deux blocs qui est enterré, renforcant ainsi ľhégémonie améri-caine et réorientant les intéréts européens en direction de l'Europe de l'Est, tandis que les politiques ďajustement structurel imposées par les instances internationales pésent de tout leur poids sur les economies des pays les moins avancés, avec un net élargíssement des écarts entre groupes de pays. C'est dans ce contexte qu'est inter-venue, en janvier 1994, la devaluation dans les pays de la zone du franc CFA, tandis que la creation de reorganisation mondiale du Commerce (OMC) rend obsolete le GATT, ce qui enframe des repercussions dans les domaines économique et culturel. Sur le plan écono-mique, 3a culture comme la science represents également un secteur oů se porte de plus en plus I'investissement des nations. C'est le cas avec les industries culturelles du cinema et de la musique aux Etats-Unis d'Amérique et en Inde, méme s'il faut se garder de réduire la culture ä sa seule dimension économique, ce qui la mettrait en danger. Les enjeux politiques En Afrique, la construction des Etats a precede celie des nations. Les frontiěres artificielles, entérinées par le Traité de Berlin n'ont pas tenu compte des réalités des groupes humains, ä telle enseigne que méme de nos jours, la notion de frontiěres d'Etat demeure relativement abstraite, laissant les pays africains dans une perpetuelle quéte identitaire. Pour y parvenir, il est nécessaire de construire une identite culturelle commune, fondée sur la diversité des cultures. Ä cet effet, les politiques culturelles du continent devraient passer ďune démoera-tisation culturelle ä une democratic culturelle, expression de toutes les cultures sans exception ni hiérarchisation. 80 Ľ identite culturelle africaine est riche des savoirs et des savoir-faire de toutes les cultures qui la composent et dont les manifestations jalonnent une histoire qu'elles continuent a écrire. Véritables repéres, elles onf assure la cohesion et ľharmonie sociales. Ces particularism.es ethniques qui enrichissent la société africaine n'excíuent pas des vaieurs communes oú se forge et se fonde son unite. Pour transcender les cultures ethniques, il faudrait s'appuyer sur elles, en approfondir la connaissance, les preserver des conditions inegales de concurrence et faire ď elles des matériaux de construction de ľidentité nationale ä travers une culture commune. La culture africaine serait alors, tel le Janus ä deux fronts, celie qui tourne vers ses enfants ses deux visages : celui de sa riche diver-sité et celui de sa profonde unite. II s'agit, pour nos pays, de construire une identite nationale, solidement fondée sur une culture nationale qui incorpore et transcende les cultures ethniques. Dans le merne temps, ľidentité culturelle africaine doit s'enrichir des apports extérieurs, tout en offrant elle-méme sa contribution ä ce patrimoine universel. Enfin, pour sauvegarder ce qui constitue la culture africaine, la vulgariser, en promouvoir le génie propre, il doit s'instaurer une veritable démocratie culturelle qui permettrait ä nos cultures, non seulement ď assurer leur propre promotion sur la scene internationale, mais aussi d'affirmer leur spécificité dans un monde de plus en plus globalise. Les enjeux pédagogiques La plupart des systěmes éducatifs africains ont hérité de la colonisation et leur principal objectif était de ren-forcer ľ administration coloniale. Cest done dire que ľécole comme heritage colonial avait pour objectif de preserver les intéréts des nouveaux venus ainsi que l'indique Sarraut (1923 : 35): « Instruire les indigenes est assurément notre devoir. Mais ce devoir s'accorde de surcroít avec nos intéréts économiques, administratifs, militaires et politiques les plus évidents ». II est de toute evidence que les objectifs, les contenus et les methodologies de tels systěmes éducatifs étaient en parfaite inadé- 81 quation avec les intéréts vitaux des pays colonises. De plus, la langue, la culture et ľhistoire de la metropole ont été imposées aux jeunes écoliers africains avec pour consequence ľétouffement des identités culturelles nationales, terrain propice ä ľ acculturation. La culture est un des facteurs essentiels ďune education équilibrée. Elle contribue au développement harmonieux de ľindividu dont eile facilite ľavenement et constitue ľun des grands moyens de transmission des vaieurs sociales et morales ainsi que du savoir, d'oü son intérét pédagogique. La quasi-absence de l'enseignement culturel dans les écoles ďaujourďhui, porte un grave prejudice ä ľéquilibre mental et psychologique des Africains, qui non seulement perdent les vaieurs culturelles et esthétiques de leur milieu traditionnel, mais aussi ne sont pas formés ä celieš de la civilisation moderne. Ainsi en sont-ils réduits ä devenir des consommateurs passifs ďune culture industrielle standardisée. Par consequent, les systěmes éducatifs africains doivent integrer dans leurs fondements comme dans leurs pratiques, les methodologies inter-culturelles, tout en faisant preuve ďune grande prudence et ďun certain realisme. Ä cet effet, les pedagogues africains devraient élaborer des strategies ďenseigne-ment/apprentissage qui prennent resolument en compte la question identitaire et culturelle, tout en s'inscrivant dans une demarche interculturelle telle que préconisée par Abdallah-Pretceille (1986) et par Gaudet et Lafortune (1997). Celle-ci devrait favoriser le métissage culturel, ä travers la convergence des expressions culturelles (Bougma : 1997). Dans cette perspective, ľécole a un role eminent ä jouer. Au Burkina Faso par exemple, depuis plus ďune décennie déjä, il a été opéré une transformation radicale avec des strategies et des formules alternatives ďŕnnova-tion du systéme éducatif, principalement dans ľéduca-tion de base afin de favoriser ľémergence ďune école plus efficace et ouverte ä tous. C'est dans ce contexte que virent le jour, les Ecoles bilingues, résultat ďune nouvelle politique linguistique. Elles sont caractérisées par une meilleure prise en compte des íangues nationales et des 82 activités culturelles dans ľenseignement-apprentissage. L'objectif vise est ďadapter ľécole au milieu et de la conformer aux besoins réels des communautés, afin ďeviter et de prévenir ce que dénonce Zerbo (1993 : 16): « Le systéme scolaire est devenu une usine de chômeurs, une poudriere sociale et une braderie culturelle ». Ces écoles intěgrent, comme ľa montré Ouédraogo (1980), les valeurs culturelles, les aspirations individuelles et collectives du milieu, tout en s'inscrivant dans une dynamique de progres économique, social et culturel. Elles favorisent Integration socioculturelle des apprenants par la transmission des valeurs sociales et affectives de leur milieu, en méme temps qu'elles élargissent le champ des connaissances ä acquérir en y integrant des savoirs Iocaux. Elles prennent ainsi en compte les preoccupations de la Convention relative aux droits des enfants ä savoir que ľéducation doit viser ä favoriser ľépanouissement de la personnalité de ľenfant, le développement de ses dons et de ses aptitudes mentales et physiques, dans toute la mesure de ses potentialités, preparer ľenfant ä une vie adulte active dans une socíété libre et encourager en lui le respect de ses parents, de son identite, de sa langue et de ses valeurs culturelles, ainsi que de la culture et des valeurs d'autrui. Décentration et re-centration culturelles U identite culturelle des nations occidentales, les mieux armées économiquement, est un fait acquis depuis sufíisamment de temps pour qu'elles envisagent avec sérénité la vaste competition mondiale. De plus, sur les plans culturel et pédagogique, elles peuvent sans grands risques, appliquer les methodologies actuelles en matiěre ď education interculturelle qui préconisent toutes, une décentration de ľapprenant par rapport ä sa culture ďorigine. Aussi, ľélargissement de l'Europe, la mondialisation, les enjeux de la diversité culturelle ou de ľinter-culturalité, etc., expliquent-ils ce vaste mouvement de « décentration culturelle » observable dans la plupart de ces pays. En revanche, les pays africains qui ont encore des identités culturelles nationales ä construire, et aui 83 sont économiquement les moins avancés, ne peuvent pré-tendre ä la fois construire leurs identités et participer dans ce domaine ä des échanges mondiaux nettement déséquilibrés. La raison est bien simple, I'Afrique ne connaít pas encore assez ses cultures pour s'abandonner ä un sevrage premature, au profit ďautres cultures. II y aurait, en effet, un risque important pour les pays africains, de voir compromettre la construction de leurs identités culturelles nationales par une ouvertuře sans garde-fous vers les autres cultures. L'ouverture aux autres cultures, dans le cadre de ľinterculturalité en cette ere de mondialisation et de globalisation ne commande-t-elle pas que ľon se connaisse d'abord soi-méme ? Du fait de la colonisation, les Africains ont été longtemps sevrés de leurs propres cultures, systérnatiquement dévalorisées et niées par ľOccident. II est de toute evidence que ce négationnisme a, non seule-ment été ä ľorigäne du mouvement négritudien, mais qu'il a surtout laíssé chez les Africains des traces indélé-biles, profondément enfouies dans leurs subconscients. Toutes ces raisons sont, entre autres, ä ľorigine du mouvement de « re-centration culturelle » observable dans la plupart des pays africains. Elle pourrait d'abord se justi-fier par le fait que I'Afrique soit longtemps restée en marge des grandes decisions liées ä son devenir, méme dans des questions aussi sensibles que celieš du développement et de ľéducation. Dans ce domaine en ľoccur-rence, ľ elaboration des programmes, la definition des contenus, des objectifs et des methodologies se sont faites dans une ignorance totale des véritables réalités et preoccupations du continent, d'oü l'inadaptation de ses sys-těmes éducatifs qui constitue la principále source du mal-étre de ses jeunes Etats, au regard de ses nombreux corollaires. Ce mouvement pourrait ensuite trouver son origine dans les questions legitimes que se posent les Africains par rapport ä une mondialisation certes ineluctable, mais assurément incertaine, du point de vue de ses fondements, de ses méthodes et de ses objectifs. Face a cette nébuleuse, les Africains, comme dans un ultime sursaut de digníté et de survie, imaginent 84 plusieurs strategies susceptibles de mieux défendre leurs intéréts économiques, politiques et culturels. Cest ainsi que dans le domaine éducatif, par exemple, ľ utilisation des langues nationales et le recours ä des concepts du milieu permettent de mieux décrire les « modes de vie » et ďidentifier les « repěres culturels » connus de ľappre-nant. Ľobjectif étant de développer ses competences culturelles, de le réconcilier avec lui-méme, avec ľécole et le milieu, tout en ŕaisant de lui, dans la perspective d'une education interculturelle, un citoyen conscient de sa spécificité et respectueux de celie d'autrui. La mondialisation a done sa part de responsabilité dans ce regain d'intérét pour la question culturelle, dans la mesure ou ce concept fait peur aux Africains qui craignent d'y laisser leur äme, d'oü une certaine « prudence » mélée ä de la reticence, sinon ä de la « resistance ». Nul doute que ce phénoměne, généralement assi-milé ä une nouvelle forme de colonisation, reveille chez eux certains traumatismes. Mais paradoxalement, les Africains nourrissent beaucoup d'espoir par rapport ä la mondialisation, tantôt percue comme un vaste mouve-ment d'uniformisation planétaire oú la culture occiden-tale dominante tendrait ä effacer les cultures « locales », tantôt comme une occasion nouvelle, pour ces cultures de prendre conscience de leurs particularités et une oppor-íunité de les faire connaítre et de les diffuser dans la perspective d'une comprehension interculturelle, indispensable ä la reconnaissance dans le sens de Collěs (1994), des identités personnelles et nationales. Avec la mondialisation, qualifiée ä la suite de ľécole comme un « mal nécessaire», les peuples peuvent partager leurs connaissances et mieux comprendre le monde dans lequel ils vivent d'autant plus que les technologies de la communication tendent ä effacer les ťrontieres géopoli-tiques qui délimitent les États-Nations. Dans une perspective interculturelle, il importe done de valoriser les differences et la diversité des cultures, de réparer le tort fait aux cultures historiquement marginalisées, d'admettre que la culture est dynamique et evolutive, de valoriser le role de la culture dans touš les domaines 85 ďapprentissage et de développer ľidentité culturelle des individus en tant que personnes spécifiques et sujets d'une nation. Cest ä ce prix que les communautés linguistiques et culturelles, de plus en plus conscientes ďelles-mémes, feront de la diversité culturelle l'un des grands piliers ďun développement humain durable (Zongo: 1999). Culture et poEtiques culturelles au Burkina Faso Le Burkina Faso oecupe une position centrale en Afrique de l'Ouest et cette position, stratégiquement enviée, le place au carrefour des cultures merne si son enclavement géographique demeure une contrainte majeure. D'un point de vue humain, le «pays des hommes integres » presente une extraordinaire diversité ethnique, assez exceptionnelle pour qu'on ait parle de veritable mosa'ique ethnique (Balima : 1996). Selon les sources, on compte entre soixante et plus de soixante-dix ethnies sur le sol burkinabě. L'aire géographique de cer-taines de ces ethnies déborde largement celle des fron-tiéres de ľ Etat. La diversité ethnique peut ětre un carac-tere enrichissant pour une nation dans le cadre d'une democratic culturelle. Au Burkina Faso, le regain d'intérét pour la culture pourrait s'expliquer par la reconnaissance du role des arts et de la culture dans le développement endogene et integral de ce jeune Etat, ainsi que dans celui de la per-sonnalité individuelle, la sauvegarde de ľidentité nationale et le renforcement de la cohesion sociale. L'impor-tance accordée ä la culture trouve ses origines dans les périodes les plus reculées de ľhistoire du pays. Déjä pendant la perióde coloniale, le colonisateur avait souli-gné la vitalite de la culture dans la colonie de Haute-Volta. Depuis ce temps, le Burkina Faso a toujours célé-bré la culture de maniere progressive. Ľampleur et la pluralite des manifestations culturelles constatées de nos jours le confirment. Avec le temps, le cinéma, la musique traditionnelle et moderne, la chorégraphie, le theatre et 86 bien ďautres secteurs des arts et de la culture ont pris ou prennent leur envoi. Cette effervescence culturelle jamais observée est née de facteurs conjugués dont la volonte politique des différents responsables qui se sont succédé ä la téte du pays et le soutien significatif de certains par-tenaires au développement. Aujourd'hui, le Burkina Faso figure parmi les pays africains les plus en vue sur le plan culturel et Ouagadougou sa capitale tend ä devenir la plaque tournante de la culture africaíne. En dépit de certaines insuffisances et contraintes, le Burkina Faso s'est forge une solide reputation sur ľéchiquier international. Ainsi, sa bonne image et sa relative stabilite politique constituent des atouts majeurs, merne s'il bénéficie á la fois de sa position géographique centrale, et ďune activité diplomatique trěs intense ces derniěres années, comme en attestent ces quelques événeménts majeurs qui s'y sont déroulés : Sommet France-Afrique (1996), Coupe d'Afrique des Nations (1998), 34e Sommet de l'OUA, Sommet sur ľemploi et la lutte contre la pauvreté (2004), Xe Sommet de la Francophonie (2004), etc. Outre l'organi-safion de grandes manifestations culturelles nationales et internationales, le pays abrite les sieges de plusieurs institutions panafricaines comme 1'Institut des peuples noirs (1PN) dont l'objectif est, entre autres, de stimuler la creation artistique et culturelle en vue d'une participation efficiente des cultures afro-negres ä la Civilisation de 1'Universel (Senghor: 1988). Jusqu'ä la Revolution et au regard des diverses contraintes, les autorités burkinabě considéraient le domaine de ľ action culturelle comme un investissement ä fonds perdus. Depuis quelques années cependant, la culture est de plus en plus considérée comme un facteur d'unification. Au Burkina Faso, c'est le Conseil national de la Revolution (1983-1987) qui a saisi, le premier, ť importance de la culture comme facteur de mobilisation nationale, avec l'adoption d'une nouvelle denomination de l'État (Burkina Faso), d'une nouvelle devise («La patrie ou la Mort, nous vaincrons ! »), d'un nouveau dra-peau, d'un nouvel hymne national, le Ditanye et de nouveües armoiries. L'innovation reside dans la volonte 87 politique des autorités révolutionnaires qui ont nette-ment pris conscience des enjeux politiques de la culture. Ces autorités vont fonder leur action culturelle sur un projet de société « democratique et populaire » et pour elles, la culture doit étre « nationale, revolutionnaire et populaire» Sankara (1983: 49-51). Ainsi, la culture devient une arme dans le combat idéologique et politique. L'exemple du faso danfani (habit traditionnel en cotonnade) dont le port a été rendu obligatoire (dans toutes les ceremonies officielles) durant la periodě revolutionnaire, pour respecter le mot d'ordre « produire et consommer burkinabě » illustre bien cet aspect specta-culaire de la Revolution. Cette prise de conscience se traduit entre autres par l'organisation de nombreuses manifestations culturelles dont les plus importantes sont: le Festival panafricain du cinema et de la television de Ouagadougou (FESPACO), le Salon international de l'artisanat de Ouagadougou (SIAO), la Semaine nationale de la culture (SNC), le Salon international du tourisme et de ľhôtellerie de Ouagadougou (SITHO), le Festival international de theatre et de marionnettes de Ouagadougou (FITMO), le Festival international de theatre pour le développement (FITD), les Nuits atypiques de Koudougou (NAK), la Foire internationale du livre de Ouagadougou (FILO), etc. Toutes ces manifestations attestent que les autorités burkinabě ont ímprimé une nouvelle dynamique ä la politique culturelle du pays. Elles semblent avoir compris qu'une strategie de politique culturelle en tant qu'en-semble de pratiques sociales, conscientes et délibérées, ayant pour objet de satisfaire certains besoins culturels par ľemploi optimal de toutes les ressources materielles et humaines dont une société donnée dispose, doit étre une stratégie de la difference (Nugue : 1975). Par consequent, toute politique culturelle qui se veut pertinente, realisté et résolue doit avoir comme finalité le renforce-ment de la culture nationale et celui des échanges avec ľextérieur tout en se fixant un objectif et en élaborant une stratégie qui tienne compte du reel, c'est-ä-dire des contraintes et des atouts. SS Conclusion La question de la culture est une question essentielle. Les vieux sages de la Grěce antique le savaient trěs bien quand ils recommandaient ä juste titre: «Nosce te ipsiutn » (Connaís-toi, toi-meme). Au Burkina, eile est devenue ľun des piliers du développement et c'est tant mieux pour nos consciences et nos cultures déjä éprou-vées par tant ďagressions et de negations. A ľheure de la mondialisaťion, on ne peut préconiser ni concevoir une autarcie culturelle qui serai t synonyme de suicide collectif. Les cultures nationales en construction doivent done integrer les elements positifs et vivifiants des autres cultures comme elles sont, elles-memes, des integrations intelligentes des diversités culturelles de nos pays. II importe de reconnaítre aux valeurs culturelles leur place et leur importance dans nos sociétés et ďceuvrer, sans precipitation et sans demagogie, mais activement ä leur prise en compte effective, dans le respect de la dignitě de nos populations, au risque de voir d'ici quelques décen-nies, des trésors inestimables se consumer avec notre complicité. II nous appartient désormais de faire en sorte que nul ne puisse un jour parier de nos cultures au « passé decompose », en empruntant cette formule ďoů-verture de nos contes populaires : « II était une fois... les cultures africaines... ». En definitive, aussi paradoxal que cela puisse paraitre, la prise en compte effective de nos valeurs culturelles, dans un esprit ä la fois d'enracine-ment et d'ouverture apparait de plus en plus comme ľune des exigences fondamentales de ľinterculturalité. Bibliographie Abdallah-Pretceille M., 1986, Vers une pedagogic interculturelle, Paris : Publications de la Sorbonne. Abdallah-Pretceille M. & Porcher L., 1996, Education et communication interculturelle, Paris : PUF. 89 Balima S.A., 1996, Legendes et histoire des peuples du Burkina Faso, SLND n° 404. BouGMA P., 1997, L'initiation culturelle ä I'ecole primaire sous forme de theatre, ballet et recital: problemes et ébaučhe de solutions, Ouagadougou : ECAP. Clanet CI., 1993, Uinterculturel, Toulouse : Presses universitäres du Mirail. COLLĚS L., 1994, Littérature comparée et reconnaissance interculturelle, Bruxelles: De Boeck-Duculot. Fadika L., 1997, « Culture et développement », Racines n° 2. Gaudet E. & Lafortune L., 1997, Pour une pedagogic interculturelle. Des strategies d'enseignement, Québec: Ed. du Renouveau Pédagogique. Hall E.T., 1984, Le langage silenäeux [The Silent Language], Paris : Seuil. Harendt H., 1972, La cúse de la culture [Between Past and Future], Paris: Gallimard. Kane C.A., 1961, UAventure ambigue, Paris : Juiliard. Kí Z.J., 1993, Education et développement, Paris : Unesco. NUGUĽ C, 1975, Haute-Volta, Politique culturelle, Paris : Unesco. OuédraOGO H., 1980, La tradition orale: sa valeur culturelle, educative et comment ľutiliser ä l'école primaire, Ouagadougou : ECAP. Sankara T., 1983, Discours ď orientation politique, Ouagadougou : Imprimerie nationale. Sarraut A., 1923, La mise en valeur des colonies francaises, Paris : Payot. Senghor L.S., 1988, Ce que je crois: Négritude, francité et civilisation de ľuniversel, Paris : Grasset. Serbo, K.J., 1993, Education et développement, Paris : Unesco. Zongo S-, 1999, La valorisation de la culture nationale des l'ensei-gnement primaire á travers les activités artistiques : le cas de la tenue et de la danse, Ouagadougou : ECAP. Confluences littéraires Mohamed Klifi Universitě de Tunis 1, Tunisie Introduction 11 est fundamental, « avant de se demander comment il est possible d'introduire une perspective interculturelle dans les programmes et dans ľorganísation scolaire », de s'entendre, comme le recommande Fernand Ouellet, sur le sens des mots, mais, depuis des années, les tentatives visant á défínir et ä círconscrire les enjeux de cette pratique se sont tellement multipliées que la notion ďéduca-tion interculturelle en a gagné en clarté, en visibilité et méme en legitimite. Ainsi, comme on a pu le constater, malgré «les critiques qui ont été formulées ä [son] égard»1, et en dépit de la « porosíte » et de ľ « entropie » Critiques fondées sur le fait que cette education ne constitue pas «le seul moyen concevable de développer la curiosité, ľimagination et la faculté critique des éléves et de diminuer leur insensibilité aux autres et Ieur propension ä dénigrer ceux qui sont dífférents » (p. 19). Dans cette perspective, le fait de «développer des capacités humaines fondamen-tales » n'est pas l'apanage de ľéducation interculturelle. En outre, une critique radicaie, essentiellement progressiste, retient quatre griefs ä l'encontre de cette education: 1. eile ne « s'attaque pas aux racines du racisme » et se contente d'un « rafistolage cosmétique des programmes » ; 2. eile est « non settlement incapable de lutter contre le racisme mais 92 conceptuelles qui la caractérisent, cette education semble « sortir de la marginalité » dans laquelle on a voulu la rejeter. Du coup, il est permis ďéviter ce détour et de faire ľ impasse sur cette precaution qui n'est pas, nous en convenons, uniquement ďordre méthodologique. Aussi, notre propos, qui ne sera pourtant pas dénué de reflexion théorique, se focalisera-t-il davantage sur la pratique, ä la faveur ďune série de suggestions qui contribueront, nous ľespérons, ä neutraliser les effets pervers de « ľ education monoculturelle » et ä « promouvoir », chemin fai-sant, cette logique cooperative qui serait, ä en croire Jean Simard, la « matrice de la modernitě »2. En dépit des « désaccords sur les moyens de faire face aux défis du pluralisme ethnoculturel »3, il demeure possible de s'entendre sur un certain nombre de principes et de paramětres qui, en analysant ďun point de vue critique les « obstacles qui se dressent continuellement sur la voie des rapports harmonieux entre les groupes eile le renforce; 3. eile « désamorce la resistance noire en la détournant vers des canaux inoffensifs »; 4. « en considé-rant le racisme comme une simple question ďattitudes, eile le dépolitise en en ignorant les racines sociales et écono-miques ». Bien súr, comme ľécrit Ouellet, ces arguments ne peuvent pas nous convaincre qu'il faudrait abandonner ľ education interculturelle » merne si, sur cette question fort controversée, il est « difficile de parvenir ä des consensus ». Fernand Ouellet, Ľéducation interculturelle, Paris : L'Har-mattan, 1991, pp. 21-22. Fernand Ouellet, op. cit., pp. 11-32. Des initiatives pédagogiques ont été prises. Ouellet les passe en revue dans son ouvrage. En voici la liste: 1. addition ethnique, 2. développement de ľimage de soi, 3. compensation pour les privations culturelles, 4. enseignement des langues d'origine, 5. lutte contre le racisme, 6. critique radi-cale, 7. remědes aux inégalités génétiques, S. promotion du pluralisme culturel, 9. prise en compte des differences culturelles, 10. Assimilation » F. Ouellet, op. cit, pp. 25-26. Nous y reviendrons. 93 dans une société donnée »4, pourraient permettre de «promouvoir une plus grande capacité d'interaction sociale »5 et de fluidifier ainsi les relations entre les diffé-rents apprenants. Un travail de «désinfection» des consciences s'impose done afin ďassainir les relations interculturelles car, comme chacun sait, en matiěxe de frontiěres, les bornes de ľesprit sont souvent plus tenaces que n'importe quel obstacle naturel. Einstein ne reconnaissait-il pas qu'« il est plus facile de désintégrer un atome que de vaincre un préjugé » ? Or, s'agissant de travailler contre « ľhétérophobie »6 dans un contexte scolaire et plus précisément au niveau des relations pédagogiques, la francophonie constitue ä nos yeux, grace ä la « spécificité universalisante » qu'elle incarne, la meilleure réponse ä la question posée par ces rapports souvent problématiques que ľidentité entretient a vec ľaltérité, merne la moins radicale. Plus particuliěre-ment, ľenseignement de la litterature en francais et en classe de francais offre un vecteur puissant d'intercultu-ralité dans la mesure oú le capital d'estime dont jouit cette litterature, pourvoyeuse en themes synergiques transfrontaliers, est précieux et particuliěrement fécond en habiletés et en capacités pour la communication interculturelle. Bien entendu, pour que ľenseignement-appren-tissage, notamment de la litterature en classe de francais, atteigne cet objectif, il serait profitable de mettre en place une stratégie appropriée qui puisse integrer certaines variables afin de mieux les neutraliser. Eu égard au carac-těre de plus en plus pathologique du partage, element le moins consensuel par les temps qui courent, il importe de s'assurer en amont de la motivation des apprenants ainsi que de la maitrise de ľoutil linguistique, deux conditions interlocutoires fondamentales pour dissiper les malen- 4 F. Ouellet, op. cit., p. 31. 5 Ibid., p. 31. b Ibid., p. 31. 94 tendus de touíes sortes qui risquent d'affecter la communication. Cest alors qu'il devient possible de construire, en aval, un itinéraire pédagogique, sorte de parcours - füt-ce en pointille - qui assure la navette entre le solipsisme ďune identite frileuse se cachant derriěre une apparte-nance percue souvent comme une pregnanes «ma-ternelle » et le cceur ďune altérité tantôt toute proche, tantôt incroyablement lointaine. Une telle construction - scénarisation de l'inter-culturel en classe de francais devrait passer par le regard critique que I'enseignant comme I'apprenant doivent porter sur les deux modalités de la communication interculturelle : les contenus et les pratiques. La question des contenus A vrai dire, ies savoirs proposes, notamment en cours de littérature, sont encore encyclopédiques, pléthoriques, voire parfois légěrement présomptueux7. On n'en veut pour preuve que le recours ä une periodicite souvent arbitraire ainsi qu'ä une distinction des genres devenue obsolete ou encore le passage de ces textes ä la mou-linette des exercices scolaires sans discernement et sans objectifs precis. De tels programmes gagneraient ä étre définis, non plus en termes de contenus, mais en termes de problématiques et de competences, celieš qui sont censées en ľoceurrence promouvoir le vivre-ensemble. C'est ainsi que, ä défaut ďun séjour dans le pays de ľautre, Íl importe de bannir systématiquement les textes qui cautionnent le fanatisme, qui incitent ä la haine ou au reŕus de l'Autre. Merne un nationalisme (et ä en croire D'autant plus que « le modele de la transmission est diseré-dité au nom des savoirs devenus inutiles ou supposes tels » écrit Frederic Francois, « Communication, interaction, dialogue », Lefrangais aujourďhui, 113,1996, p. 21. 95 Butor, touš les manuels du monde sont nationalistes ä ľ exces!) trěs chauvin ou trop cocardier risque de compromettre les chances de dialogue et de comprehension mutuelle. Ce travail pourrait s'aecompagner d'une chasse aux stereotypes qui logent dans les livres scolaires et qui meublant ľinconscient individuel et/ou collectif. Un tel travail pourrait se réaliser en confrontant ces cliches ä la realite et ä des documents authentiques. íl importe aussi de mettre, ä la place de ces supports, des textes plus sensibles ä la difference et plus ouverts ä ľaltérité. Les textes « géographiques », comme les récits de voyage, sont de nature ä favoriser la comprehension et la tolerance. Uenseignement de cette diversité qui semble décroítre sous ľeffet d'un «conditionnement standardise » est done, ä notre avis, fondamental. Ainsi concu, l'enseignement de la geographic pourrait réellement devenir passionnant et susciter chez 1'enfant, naturelle-ment « amoureux de cartes et d'estampes », ce trouble et cet émoi que seul le contact avec ľaltérité est en mesure de provoquer. Pour peu évidemment qu'il autorise le franchissement des limites et permette de reviser ses pales certitudes de merne que la syntaxe de ses representations étriquées. Ainsi, il pourrait inviter ä nuancer certains clivages générateurs de bien des malentendus et dont le caractěre fallacieux ou caduc a d'ailleurs été dementi par les metamorphoses du monde, comme Le Nord et le Sud, l'Orient et l'Occident, l'Est et l'Ouest, le centre et la périphérie, ou tout simplement ľ cekouměne et ie monde habite. Concue de cette fac,on, la géographie pourrait devenir pour les élěves une discipline interculturelle puisque, au lieu d'aiguiser leur appétit de conquěte, au lieu de provoquer chez eux un « abus d'imagination territoriale », au Heu de les inciter ä « s'effaroucher » des cultures diffé-rentes des leurs, eile leur apprendra qu'une carte ne sert pas ä faire la guerre, mais qu'elle pourrait etre un instrument au service de la paix. En derniěre analyse, la littérature de voyage, sous ses difíerentes formes, devrait perinettre d'accéder ä cette essence du paysage géogra-phique et humain dont les écrivains nous livrent des 96 échantillons : la description de Verriěres dans Le Rouge de Stendhal, d'AngouIéme dans Illusions perdues de Balzac, de Paris dans Madame Bovary de Flaubert, de Cordoue, du Caire ou d'Istanbul dans le trěs symbolique Génie du lieu de Butor. Car au fond, il importe ďaccéder ä ce génie du lieu pour mieux comprendre la difference. Une telle préséance du géographique devrait en toute logique passer par une rehabilitation du descriptif dont la lecture attentive pourrait procurer un double plaisir: encyeloped ique, lié ä la connaissance culturelle et merne « touristique » du monde, et lexical car ce type textuel regorge de mots nouveaux qui enrichissent le stock sémantique du lecteur et lui permettent surtout de mieux rendre compte d'une emotion, d'un jugement ä propos de l'Autre. Une altérité physique et humaine qu'il faut décrire, nommer de la maniere la plus precise, afin de mieux la connaitre et de mieux ľapprivoiser. Au fond, la notion ďidentité et son coroUaire ľaltérité sont connais-sables ä travers le langage. Comme une langue étrangěre cesse d'etre étrangěre děs lors qu'elle est apprise, l'iden-tité et ľaltérité sont ce qu'elles se racontent. Elles ne sont pas « immédiatement posées », mais elles se construisent ä travers les mots qui les « découvrent »8. Ce qui est vrai pour la géographie ľest tout autant sinon plus pour ľenseignement de l'Histoire en classe de francais. En effet, grace au recentrage sur les fondamen-taux de la tolerance, cette discipline devrait assainir les relations en proposant une lecture dépassionnée, sereine et objective de certains événements loin des visions parti-sanes, chauvines, belliqueuses et revanchardes. Car seule une analyse pondérée et nuancée permettra ďéviter de tomber, soit dans ľapologie béate, soit dans le dénigre-ment systématique. Cest ainsi qu'on peut, ä propos de la découverte de ľAmérique, tout en glorifiant le décou- Paul Ricceur disait «je suis ce que je me raconte», cite par Roger-Paul Droit dans Le Monde du dimanche 22 et du lundi 23 mai 2005, p. 13. 97 vreur, réprouver le conquérant; autrement dit, tout en rendant hommage ä la euriosité, qui est le ferment de la connaissance, il ne serait pas injuste de diseréditer ľappé-tit de savoir, en apparence désintéressé de la Renaissance car, ä en croire certains commentateurs, il semble s'étre mué en volonte de puissance et en désir ďasservir autrui. II importe aussi de contourner ľécueil du monopole linguistique. Aujourd'hui, un certain limes moderne, fonde sur la prétendue « centralité » ďune langue, risque de rejeter les autres langues dans une sorte ď« errance barbare». Une telle uniformisation est deplorable: « toute universalisation, écrit Todorov, suscite ľidée ďun regime ä part unique. Le reve utopiste d'Auguste Comte est pour Claude Lévi-Strauss un cauchemar »9. II convient également de favoriser le multilinguisme qui, merne s'il est parfois vécu comme un « défi ä la prégnance parentale », constitue la meilleure voie d'acces ä un monde véritablement pluriel. Aussi, ľapprentissage des langues étrangěres - et on peut ici prendre ľexemple de Gargantua dont Rabelais voulait faire un « parfait polyglotte » - répond-il ä ceux qui rechignent ä cet effort et préfěrent ne pas se risquer hors de leur propre langue, par ignorance, par prudence, par Süffisance ou par dédain, incarnant ä travers leur attitude autarcique le danger du monolinguisme. Bien sůr, les plus idéalistes pourront continuer ä caresser le réve d'une langue universelle qui permette «d'enjamber les barriěres lin-guistiques » et de forcer les serrures des nations ». Faute ď esperanto, ils pourront se rabattre sur les arts comme la musique, la peinture... D'oú la nécessité de mettre au programme des textes qui intěgrent cet apport, notam-ment la poesie et le roman, modernes ou contemporains. Les plus réalistes se contenteront de la traduction; c'est pourquoi, il importe de renforcer le travail de ces « passeurs des fleuves en des langues » qui constituent de véritables Operateurs de correspondances et d'excel- Tzvetan Todorov, Nous et les autres, Paris : Seuii, 19S9. 98 ients vecteurs ou connecteurs culturels ďanalogie. Ce sont eux qui permettront de jeter des ponts entre les cultures. Des traductions en francais de la Repudiation de Rachid Boujedra, du Migrateur de Taieb Salah ou en arabe du Lac de Lamartine m'ont personnellement per-mis de faire aimer ces textes ä des étudiants appartenant aux départements de francais et ďarabe ä ľuniversité tunisienne. Les étudiants ont été sensibles ä ces « corres-pondances » et á ces « interactions », dans lesquelles ils ont vu une forme de convergence heureuse comme Celles qua unissent Baudelaire au poete arabe Nizar Quabani, notamment autour du spleen. A vrai dire, ces passerelles ont toujours existé ne serait-ce qu'ä travers ces interferences et transhumances linguistiques effectuées par les emprunts et par ces fameux mots-voyageurs qui, tels des oiseaux migrateurs, ont toujours su narguer les frontiěres au grand dam des fanatiques de la cloture. Un enseignant de littérature pourrait choisir, comme mode d'acces possible ä un texte de Proust qui raconte le depart d'Albertine, le mot « algarade », sur lequel ont buté des etudiants tunisiens; mot pourtant issu de l'arabe et dont la connaissance a pu rendre la lettre de cette « prison-niěre » bíentôt « fugitive »... plus accessible ! Ainsi, c'est en humant les souffles délicieux des langages nouveaux que les apprenants les plus frileux et les plus moroses vont pouvoir guérir de leurs fantasmes de claustrophilie. Enfin, il est nécessaire de lutter contre la perversion du langage. Ainsi du jargon qui, lorsqu'il s'opacifie et s'obscurcit - et c'est souvent le cas - risque d'intimider, de terroriser et d'exclure. C'est également le cas de la norme quand eile devient inhibitrice et traumatisante comme c'est le cas pour le jeune Sambo Diallo ä qui la langue a fourché en récitant des versets du Coran, ce qui fait sursauter son maitre, « comme si ľ enfant, écrit le narrateur, eüt marché sur les dalles incandescentes de la géhenne promise aux mécréants » ! C'est la norme qui rend encore plus difficile, pour ľimmigré, l'insertion dans le pays d'accueil. N'oublions pas que, en parlant une langue qui n'est pas la sienne, « ľétranger » commet souvent des fautes dont il devine qu'elles irritent les 99 « autochtones ». L'apprenant « intrus » sait aussi que les autres ne relevent pas ses fautes, soit pour éviter de l'offenser, soit tout simplement, parce qu'ils l'ignorent et estiment qu'ils n'ont rien ä apprendre de lui dans la mesure oil sa parole est pour eux dénuée ďintérét, souvent inopérante, sans doute parce qu'elle n'est soutenue par aucun pouvoir30. De méme, il faut se méfier de la puissance connotative des mots, qui risque d'induire des malentendus préjudi-ciables ä la communication. II m'est arrive de le constater ä propos du vocable « restauration », terme qui dans Le Rouge de Stendhal a fait penser, malgré la majuscule qui le regente, ä la cuisine beaucoup plus qu'au retour des Bourbons ! Comment montrer aux etudiants que ce terme designe moins l'art d'accommoder les restes que la faculté d'accommoder l'histoire de l'Ancien Regime au gout de la France bourgeoise, sinon par un enseigne-ment-apprentissage de la civilisation et de la langue franchises ? La question des pratiques pédagogiques Pour lutter contre toute forme de démesure (la plé-thore, le bourrage de cräne, ľencyclopédisme, l'impos-ture des idées recues, bref l'ensemble des illusions qui empéchent ľacces ä ľunivers envoütant de ľaltérité), il est indispensable de favoriser en classe de francais le recours: - ä des pratiques argumentatives propices ä ľéclosion de l'esprit critique et favorables ä la prise de position pondérée et objective. D'oú, entre autres, la nécessité de maintenir la dissertation dans les cursus universitaires, des la premiere année du premier cycle, dans la mesure 10 Voir á ce propos les theses de Julia Kristeva in Étrangers ä nous-mémes, Paris : Fayard, 1988. 100 oů, quoi qu'on dise1J, eile demeure le plus bel exemple ďéchange et ďinteraction humaine que 1'EcoIe aít jamais institué et codifié. - ä des pratiques interactives afin de cultiver le rela-tionnel au detriment ďune pédagogie frontale, monolo-gique, voire autistique. Car ľignorance, la suffisance, le bourrage encyclopéďique ou tout simplement les effectifs pléthoríques ä ľécole occasionnent, dans touš les cas de figures, un hiatus entre ťenseignement et ľapprentissage. - ä des méthodes « comparatistes » favorisant la mise en relation intra et surtout intertextuelle des ceuvres, des auteurs, des époques et des lieux car rien n'existe en dehors d'une mise en perspective historique, géogra-phique, littéraire et merne idéologique. - ä des éclairages multiples dans la mesure oíi la question du « point de vue » est fondamentale, notám-ment en littérature. Ainsi la focalisation cesse d'etre une simple technique pour exprímer une vision du monde. Cest pour cette raison que la meilleure fa^on de comprendre ľ Autre consiste á multiplier les éclairages, ä relativiser les points de vue ä propos de themes consen-suels ou délibérément polémiques. Parfois, un simple jeu de rôles permet de balayer bien des préjugés. Cest ainsi que le fait de donner aux écoliers, dans les cours de recreation, la possibilité de pratiquer le jeu de ľ Autre, qui se trouve dans un pays different et lointaín, constitue un exempie d'interculturalité que d'aucuns sont parfois tentss de prcférer ä toutes les etudes académiques sur la question ! Plus sérieusement, on peut prendre le cas des saisons pour mettre en exergue les consonances théma-tiques que le traitement de ľautomne, par exemple, Et Claude-Lévi Strauss n'avait pas tort de stígmatiser le recours ä cette dialectique qui selon lui se réduit le plus souvent ä un jeu formel, á une rhétorique creuse et artífi-cielle avec notamment ces « coups de theatre speculators ä ľingéniosité desquels on reconnait» la dissertation! in Tristes Tropicjites, 1955. 101 induit au-delá des appartenances étriquées ä une époque, ä un lieu, á une langue ou ä une culture donnée. Cest ainsi qu'il est possible de dégager une vision romantique d'un automne « malade et adoré » qui regrouperait des écrivains appartenant ä des horizons divers (Chateaubriand, Verlaine, Apollinaire, El Manfalouti, Keats...). Méme si un tel theme, en apparence consensuel et inof-fensif, peut s'averer éminemment idéologique. Barbéris ľavait déjä démontré, ä propos de René de Chateaubriand, en soulignant que cette representation ou vision romantique n'est pas la seule dans la mesure oů il existe un automne dionysiaque et euphorique ä ľ instar de celui des vendanges ou de la rentrée. II en conclut que, en accréditant ľimage d'un automne empreint de mélan-colie, l'École enseigne, notamment aux enfants du peuple, le renoncement et le desenchantement qui sont en contradiction avec ľidéologie du progres qu'elle est censée diffuser. Certes, il est parfois difficile d'échapper au point de vue dans la mesure oú ľethnocentrisme, puisque c'est souvent de cela qu'il s'agit, serait, du rnoins ä en croire Thierry Hentsch, « la condition méme de notre regard sur ľautre ». Certes, cet ethnocentrísme n'est, dans cette perspective, «ni une tare dont on puisse simplement se délester, ni un péché dont il faille se laver en battant sa coulpe». N'empéche qu'il ne constitue nullement un obstacle rédhibitoire encore moins une fatalitě ä laquelle il faille se soumettre. Ainsi, travailler sur Salammbô de Flaubert peut paraitre ardu aux yeux des étudiants en raison notamment de ces longues descriptions et de ce style qui s'enlise et qui a pu paraitre, déjä pour Sartre, quelque peu « artificiel »12. Mais grace á ľécíairage nou-veau et ä ľintérét qu'il manifeste pour une altérité radi-cale et lointaine - géographiquement et historiquement ~ ce texte parvient ä « décentrer, comme le dit Butor, notre « c'est du toe », écrivait-il, avant de nuancer son jugement en exceptant «Ja fameuse scene du supplice de Mathô oů, préciso-ťil, le style atteint le sublime ». 102 vision du m onde >>.13 Décentrement: voilä un synonyme, sans doute plus connote, de cet éclairage nouveau qui constitue une des conditions pour une meilleure approche de ľaltérité. De surcroít, revisiter, sur le mode argumentativ certains lieux communs n'est plus un luxe. Non qu'il faille a tout prix alimenter des controverses sémantiques steriles, maäs parce qu'íl importe de dissiper certains malenten-dus ä propos de notions qui sont, la plupart du temps, objet ď inflations et de surenchěres de toutes sortes. Cest notamment le cas de la tolerance, dont les apories en font le véhicule de certains relents de condescendance voire de mépris (dans la mesure oil «ľ autorite qui tolěre pourrait ne pas tolérer » et dans la mesure aussi oil, comme le dit Goethe, « celui qui tolěre... insulte!). D'ailleurs, Derrida avait deja souligné ľ aspect paradoxal de ľhospitalité elle-méme, «concept intenable, experience contradictoire », puisqu'elle est, du moins ä ľ en croire, aussi et en méme temps « hostilité » ! Autre exemple de ce paradoxe consubstantiel ä des notions ä Failure « bon enfant» : la littérature de voyage oil l'exotisme offre une affiche séduisante trěs vite crevée par la vérité du voyage in situ et en profondeur qui, en retour, fait de cette notion une forme de désaffection ä ľégard de ľautre, en raison de ľéloge dans la méconnais-sance qui la caractérise14! Bien sur, ä la faveur de ce travail de sape et de déman-tělement des idées recues et des préjugés, on pourrait mieux neutraliser les effets pervers de ľ interpretation dont le démon induit des malentendus fächeux, source ďescalade et ďemballement du systéme. Aussi faut-il regier le probléme épineux de la reference objet de Ä vrai dire, Sainte-Beuve ľ avait reproché ä l'autcur de Mme Bovary qu'il « attendait en Normandie, en Lorraine ou en Picardie », alors qu'il « était parti trěs loin ä Carthage » ! Cest notamment la these de Todorov in Nous et les Aiitres, 1989, Paris : Seuil. 103 malentendus, support des connotations les plus diverses et des interpretations les plus tendancieuses ou les plus erronées. De méme qu'il faut étre particulíérement vigilant vis-ä-vis des piéges de la traduction-trahison, qui conduisent parfois ä des contresens, ä des erreurs ďappréciation ou tout simplement ä des décalages entre le langage digital (gestuel) et le langage analogique (ou symbolique). Parfois, ce regard critique et exigeant peut devenir ironique. Ce procédé partialliěrement effícace (méme si 1'ironie s'enseigne trěs mal!) permet, en effet, de démon-ter et de tourner en dérision les ressorts du discours de la haine. Et cette distance critique peut bien súr s'exercer ä ľendroit de soi-méme qu'on peut considérer selon Ricceur «comme un autre». Car ľaltérité n'est pas toujours celle que l'on croit. Elle n'est pas forcément lointaine et externe, puisqu'elle est parfois en nous qui sommes comme le rappelle Kristeva, « étrangers ä nous-mémes ». En classe, on peut le démontrer ä partir, par exemple, d'un poéme d'Apoliinaire dans lequel le poete s'adresse ä cet autre lui-méme : « Je me disais Guillaume II est temps que tu vienrtes Pour que je sache enfin Celui-la que je suis ». Et cette reconquéte-recomposition de ľidentité, ä travers ces morceaux épars et décousus de soi-méme, passe nécessairement par la connaissance d'autrui car, comme le rappelle trěs justernent Frederic Francois, « c'est bien le dialogue avec ľaltérité qui nous constitue comme sujet... Et le dialogue culturel qu'est la lecture pourrait icí servir de modele pour analyser la perpétuelle modification de moi par ľautre qu'est tout dialogue »15. C'est ďaílleurs pour cette raison qu'il ne faut pas exclure ľentrée poétique et méme lyrique comme mode Frederic Francois, « Communication, interaction, dialogue », Lefrangais aujourd'hui, 113,1996, p. 19. 104 d'approche, bien sür provisoire, de ľaltérité. Pour sensi-biliser les étudiants ä une difference, on peut choisir comme angle d'attaque ľ emotion, ä condition de s'engager dans un deuxiěme temps ä dormer les fondements logiques de cette emotion esthétique. Cest ainsi qu'ä propos de l'univers sensible d'un écrivain francais, on peut privilegier la fibre sensible en parlant, par exemple, du mode de perception, par un écrivain, du temps atmos-phérique. Bien sür, Proust nous fournit un cas privilégiá de reverie, ayant comme support les elements du monde sensible. Le cas du dormeur qui « avant d'avoir tiré les rideaux et bien avant d'avoir ouvert les yeux, savai[t] déjä le temps qu'il faisait», dehors, selon que le bruit du train lui parvenait « amorti par ľhumidité » et la pluie ou strident et en «partance vers l'azur». En confrontant cette experience ä celie d'autres écrivains qui, comme Proust, adorent ces « manteaux de cheminée de fourrure sous lesquels on souhaiterait que dehors puisse éclater la pluie, la neige ou quelque catastrophe diluvienne, pour ajouter au confort de la réclusion la poésie de ľhivernage », on peut faire de ľinterculturel sur fond de paysage poétique. On peut déjä établir ce parallele avec Baudelaire qui « Quand viendra ľhiver aux neiges monotones ...Fermeraift ] partout portieres et volets Pour bätir dans la nuit [sjes ŕéeriques palais » On peut aussi, sans risque d'erreur, le faire avec un poéme de Jabrane sur le défi aux intempéries. Une telle superposition pourrait permettre de dégager une postu-lation « nocturne », qui constitue un schéme commun ä tous ces écrivains en dépit des divergences culturelles qui les opposent. Ce qui prouve qu'il est tout ä fait possible, grace ä la lecture ou ä la traduction, d'« entretenir sa formation d'honnéte homme», en revisitant ce «fonds commun d'humanité » dont parle Durkheim16. Méme si Cite par Christian Puren, dans Quelle didactique de ľinterculturel dans les nouveaux contextes du FLE/S ?, Luc Collěs, 105 certains se méfient un peu de ces resonances classiques, humanistes ou traditionalistes qui risquent d'accomp-gner le recours ä cette méthodologie. En rapport avec cette fibre sensitive, le vécu quotidien ou le souvenir biographique peut aider ä mieux comprendre l'Autre. Un jour, j'ai pu constater, grace ä la description que donne Daudet de la rentrée du troupeau, dans les Lettres de mon moulin, que j'étais plus proche de cet auteur que de mon fils, né en ville et pour qui cette description « ne disait rien », alors que, eile éveillait en moi des souvenirs agréables, qui remontent ä mon enfance et ä mon village natal, lequel sentait lui aussi le thym et le romarin et dans lequel j'avais souvent assisté ä la rentrée d'un troupeau avancant dans une « gloire de poussiere ». Cette langue et cette littérature qu'on habite, comme on habite un pays, permettent ä coup sur de transcender les clivages et les frontiěres de toutes sortes. Elles permettent en tout cas de redéfinir ľidentité culturelle et les mécanismes de sa construction ä travers les « lieux d'inculcation »17, qui peuvent étre en ľoccur-rence strictement livresques et légěrement ou franche-ment déconnectés (ď est selon), par rapport ä une « essence nationale ». Toutes ces attitudes, qui ne sont certes que des «rituels d'abordage» et qui ne constituent qu'un « niveau seuil», peuvent paraítre nettement en decä de ce qui est attendu d'une veritable communication inter-culturelle, multiculturelle et, ä plus forte raison, co-culrurelle. Elles n'en constituent pas moins une etape nécessaire dans l'approche de cette altérité géographique, humaine proche ou lointaine. Jean-Louis Dufays et Francine Thyrion (éds), 2006, Actes du coiloque de Louvain-La-Neuve, 20-22 janvier 2005. 17 Patrick Chareaudeau, dans Quelle didactique de ľinterculturel dans les nouveaux contextes du FLE/S ?, Luc Colles, Jean-Louis Dufays et Francine Thyrion (éds), 2006, Actes du coiloque de Louvain-La-Neuve, 20-22 janvier 2005. 106 Conclusion Lire le texte littéraire, ľexpliquer ou le traduire dans une perspective transculturelle, risque de relever d'une ideologie humanisté et d'une méthodologie tradition-nelle. Mais en dialoguant avec les textes et les auteurs dans une approche communicative et multiculturelle - de partage - on peut installer chez l'apprenant des competences culturelles susceptibles de changer la société par ľÉcole et non ľinverse. Car seule une reforme de ľenten-dement, dont cette institution est le principal vecteur, est de nature ä enrayer ces pathologies de la communication et ä ŕluidifier les rapports entre les groupes sociaux les plus différents. Un tel travail de veille, de curiosité, d'écoute, d'ana-lyse, de rectification et merne de motivation est de nature ä sauvegarder les spécificités et ä restituer ľ Autre dans sa difference constitutive. Cest ä cette condition qu'il devient possible de cultiver une diversité menacée d'os-tracisme, de mépris, de déperdition ou tout simplement ď indifference. Au fond, les pratiques interculturelles ne relěvent pas, on l'aura compris, de « structures schizo-morphes » se caractérisant par une idealisation de soi, par un repli « autistique » et par une « antithěse polé-mique » (du pur et du souillé, du haut et du bas...) oů les principes d'exclusion, de contradiction et ďidentité dominent. Elles s'mscrivent au sein d'une polarite ou d'un regime convivial dont les «structures synthé-tiques »1S ceuvrent en vue de relier ce qui est distendu et de rapprocher les differences tout en les respectant. II importe done d'enterrer «le glaive et le sceptre» en levant la coupe qui réunit et le rameau qui pacifie. Au fond le pari de ľinterculturel en classe de francais est celui qui consiste, face ä la derive, loin de toute Voir la classification isotopique des images proposée par Gilbert Durand dans ses Structures anthropologiques de ľima-ginaire, Paris : Bordas, 1983. 107 « ideologie aliénante » et loin de toute utopie, quelque belle qu'elle soit, ä traduire, grace ä la solution qui est essentiellement pédagogique, le savoir littéraire en savoir-vivre, savoir-étre et savoir co-devenir. Certes une telle distinction est devenue aujourd'hui, du moins aux yeux de certains, quelque peu obsolete. Mais il importe de convertir la connaissance en attitudes et en compor-tements, afin de réduire ľécart entre ľunivers sublime et envoütant de la littérature et la realite la plus immediate et parfois la moins poétique. C'est ainsi qu'on peut faire de cet espace littéraire commun, non pas un espace tampon ou encore un no man's land, de part et ď autre duquel deux cultures se neutralisent ou s'obser vent sur le mode de la suspicion, mais un espace de confluence et de rencontre ou deux territoires, deux langues, deux cultures se touchent fraternellement. Le proverbe comme entre-deux : Aspects linguistiques et interculturels Olga Théophanous Universitě Paul Valéry-Montpellier III, France DIIPRALANG Introduction Des données démographiques nouvelles liées ä la mobilite et l'immigration des populations ont entraíné, un peu partout dans le monde occidental, de profonds changements ä ľecole et dans la composition des salles de classe. Dans un proche avenir, les enseignants d'une école urbaine auront de fortes chances de se trouver devant une classe heterogene linguistiquement et cultu-rellement et ľecole de demain a tout intérét ä se preparer plus que jamais pour étre, non seulement le lieu oú ľon va pour apprendre, mais aussi le lieu oú ľon apprend ä vivre avec ľautre. De nombreux chercheurs qui tra-vaillent dans des contextes éducatifs multiculturels font ľhypothese que la réussite de ľecole de demain reposera sur les principes de ľinterculturalité et la négociation des identités aussi bien entre les élěves eux-mémes qu'entre les élěves et ľenseignant (Cummins, 2001). Dans cette optique, la réussite scolaire des élěves et plus tard leur insertion sociale depend, ä un degré non négligeable, de la prise en consideration de leur identite par ľinstitution et plus largement par la société ďaccueil. La langue est un des elements les plus importants de 110 ľ identite culturelle de ľindividu. La reconnaissance et íe respect de la difference íinguistique et culturelle sont un pré-requis de la víe en paix dans un espace multiculturel tel que ľécole occidentale ďaujourďhui. Cela ne signiŕie, en aucun cas, qu'il faille négliger'ía langue de ľécole et de la société ďaccueil, mais il s'agit de considérer cette derniěre conjointement avec la langue-culture de ľéleve allophone migrant. La recherche montre clairement que, lorsque ľ on fait abstraction de la LI de ľéleve, on peut étre sür ďengendrer une crise identitaire provoquée par le conflit entre la langue-culture ďorigine et la langue-culture de ľécole et de la société ďaccueil. En témoigne ľhistoire racontée par Vassilia Kourti-Kazoulli (2003) d'une petite fälle ďorigine grecque qui ofŕre un jour ä sa maitresse ďécole comme signe de remerciement des gäteaux grecs faits par sa měře immigrée aux États-Unis et qui, par hasard, les retrouve le lendemain intacts dans la corbeille ä papier de la classe. Quelle deception pour cette petite creature de se rendre compte que dans cette école et, par extension, dans la société américaine, son geste devenait insignifiant et que sa difference (langue, culture, habitudes, gäteaux) l'excluait automatiquement de la société ďaccueil. Corrigeant les failles ďun multiculturalisme, situé dans une optique ď assemblage de langues-cultures sans jamais aller vers la rencontre de I'autre, la pédagogie inter culturelle suppose précisément le rapprochement des cultures et ía prise en compte de ľaltérité, tout en perniettant ä chacun de garder son identite. Cest sur cette dialectique du méme et de I'autre que ľaccent doit étre mis constamment, afin d'encourager une integration harmonieuse qui respecte ä la fois les subjectivités et la diversité. Le proverbe, ä cause de son substrát universel et de ses realisations particuliěres ä chaque culture, peut étre un moyen pédagogique privilégié pour favoriser ä la fois la prise de conscience de la particularité culturelle de I'autre et le lien entre les différentes cultures. Le proverbe zoulou On ne parle pas au crocodile tant que Von n'a pas traverse la riviére est particulier ä une culture dans laquelle le ill crocodile est un element signifiant de premier plan, mais il est tout ä fait interprétable pour, disons, un Européen qui le lira comme un avertissement sur la nature humaine, de méme que On ne peut pas faire une bourse de soie avec une orejlle de truie peut étre compris par un Iranien comme Ane pare de satin est toujours one. Le proverbe permet aussi bien ľaltérité, dans le sens de ľaccep-tation et de ľappréciation de I'autre, que la décentration, c'est-ä-dire la capacité de se mettre ä 3a place de I'autre, pour voir le monde comme il le voit, sans pour autant renoncer ä la facon dont on le voit soi-méme, ce qui est le but ultime d'une pédagogie interculturelle. Quel cadre théorique pour le proverbe ? L'utilisation des proverbes dans une perspective interculturelle se situe dans un cadre didactique et éducatif de prise de conscience et de reflexion sur le langage et la culture en general. Historiquement, ce cadre est associé aux travaux de Eric Hawkins qui, ä partir des années 70, cherche ä remédier au double échec de ľapprentissage de ľécrit et des langues étrangéres dans les écoles britan-niques. Située dans un contexte éducatif plurilingue oú les langues ďorigine rentrent bientôt également en jeu, sa demarche, connue en francais comme « ľéveil au langage » vise ä construire ou ä consolider des strategies de passage interlinguistique, afin de mieux preparer ľapprentissage des langues. Ayant comme pivot la reflexion sur le langage, on cherche ä reconstruire pour les apprenants les coherences qui manquent ä leurs apprentissages, en établissant les liens entre ľenseignement de la langue scolaire, des langues parlées en famílie et les langues étrangéres apprises ä ľécole. Les activités didactíques cherchent, ä travers des täches précises, ä faciliter chez les apprenants la comprehension et ľappréciation de la diversité des langues et des cultures tout en favorisant les apprentissages linguistiques par ľexplicitation du langage en general, de sa nature et de ses fonctions. La comparaison 112 des langu.es sur divers aspects comme les mécanismes du discours, les systěmes ďécriture, les emprunts lexícaux et le développement historique du langage rentrent dans cette optique. Uéveil au langage a ainsi contribué a Ia mise en place de representations et d'attitudes positives vis-ä-vis des langues, des cultures et de leur apprentis-sage, tout en permettant chez les apprenants la valorisation et la construction des competences plurilingues. Dans la nouvelle ěre scolaire, Jim Cummins (2001), se situant dans le contexte multiculturel de ľécole cana-dienne et plus largement nord-américaine, préconise que la prise de conscience linguistique peut également servir comme moyen de renforcement de ľidentité de ľéleve aílophone migrant. II soutient ainsi que le travail de reflexion sur le langage développe, non seulement les competences linguistiques des élěves, mais renforce également le sentiment d'appartenance ä telle ou telle langue-culture ce qui rend possible la négociation des identités, chose indispensable dans une société qui valorise ľaltérité et ľinterculturalité. Dans son cadre de reference, il soutient que la réussite scolaire des enfants depend aussi bien de ľengagement cognitif {on favorise ainsi les täches didactiques qui pré-sentent un reel défi cognitif) que du rapport établi entre les élěves et ľenseignant. Le rapport entre les élěves et ľenseignant devrait permettre ľacceptation de ľidentité linguistique, culturelle et personnelle de ľéleve, en ce sens qu'une ambiance propice s'instaure en classe et que ľuivestissement maximal de ľidentité de ľéleve devienne possible. II y a, en effet, une relation de cause ä effet entre ľengagement cognitif de ľéleve et ľinvestisse-ment de son identite. Plus un enfant apprend, plus son identite se voit confirmée et plus son identite se confirme, plus son désir ďapprendre est stimule. Par contre, les enfants seront sans motivation dans le processus ďapprentissage s'ils sentent que Ieurs enseignants ne les acceptent pas, ne les respectent pas et n'apprécient pas leurs experiences et leurs talents. Par le passé, les élěves issus de milieux sociaux défavorisés ou marginaux ren-contraient rarement un sentiment ďacceptation et de 113 respect de la part des enseignants en ce qui concernait leur langue et leur identite. Par consequent, l'empathie et leurs capacités personnelles n'avaient pas de place en salle de classe. Cela dit, dans une pédagogie interculturelle, ľacceptation de la langue-culture de ľéleve n'entraine pas le désintéressement de la langue scolaire et de la société d'accueil. Bien au contraire, ľacceptation de ľautre peut déboucher de facon naturelle sur la langue scolaire. Citons ici ľexpérience d'une enseignante qui a fait écou-ter des chansons rap dans sa classe et a demandé ä ses élěves ägés de 13-14 ans de rédiger une regle importante concernant la composition de ces chansons. Les élěves lui ont ainsi enseigné quelque chose sur leur musique et eile, ä son tour, a utilise cette connaissance pour leur ensei-gner ies regies que les poětes utilisaient pour composer leurs sonnets (Delpit, 1995). Dans une optique interculturelle, il importe ainsi de trouver des pistes qui aillent aussi bien dans le sens de ľaffirmation de ľidentité que du travail sur la langue. Le proverbe : ä la f ois autre et méme Issu de ľexpérience de la vie quotidienne, ľénoncé parémique commente les défauts des étres humains. suggěre des moděles de comportement, exprime des points de vue sur la société et le monde. Cense représen-ter la sagesse populaire, le proverbe faconne les men-talités, forme les visions du monde, devient le miroir d'une culture liée au vécu historique et environnemental d'une communauté. II forme une catégorie linguistique universelle, puisqu'on le retrouve dans toutes les langues-cultures du monde. Emanant du peuple, parlant du peuple et au peuple, le proverbe recěle une vérité generale importante. Cette vérité qui a son origine dans une culture bien particuliěre peut pourtant étre comprehensible par un membre ďune autre culture, méme si cette derniěre est située ä ľautre bout de la pláněte, comme en témoignent de nombreux 114 proverbes semblables aussi bien en Chine qu'en Afrique ou chez les Indiens d'Amérique. Si les similarités ei ľ interpretation des proverbes me rapprochent de ľautre, elles me renvoient aussi par effetde miroir ä ma propre culture. Empruntant á Northrop Frye le concept de trans-valuation comme « retour vers soi ďun regard informé par le contact avec ľautre », Tzvetan Todorov (1986 : 17) avance que le progres culturel consiste précisément dans la pratique de cette trans valuation. Ä travers les proverbes du monde, on peut prendre conscience du fait que la condition humaine affronte partout une realite pleine de difficultés, de piěges, de ruses et de dangers, avec ses peines et ses joies. En méme temps, grace ä la perspi-cacité du proverbe, ä sa capacité de résumer en quelques mots ou en une image saisissante ces caracteres humains, on realise aussi que l'attitude humaine face ä cette realite est fundamentalement semblable d'une culture ä ľautre. Leur thématique est ďailleurs récurrente d'une langue ä ľautre. On retrouve des reflexions sur la santé, les saísons, le temps, le travail, le risque, l'argent, le souci de ľapparence, ľavidité, etc. On retrouve aussi des reflexions morales sur le savoir étre et le savoir vivre. On conseille (Jl nefaut pas jeter de ľhuile sur lefeu, En avríl ne te découvre pas d'un fil, La nuit porte conseil), on incite ä ľ optimism e (Aprěs la pinie le beau temps), la patience (Bien attend qui parattend), la prudence (Mieux vaut tenir que courir, Un tiens vaut mieux que deux tu ľauras), ľefficacité (Faire d'une pierre deux coups), 1'imprudence (Mettre tous ses ceufs dans le tneme panier), la responsabilité (Qui cAsse les verres les paie, Quand le vin est tire, ilfaut le boire), etc. Le proverbe étranger, méme quand il s'exprime d'une f aeon qui iui est particuliěre ou quand il fait reference ä un contexte qui lui est propre, renvoie en fin de compte ä un universel qu'un travail de traduction ou de trans-codage, doit reveler avec profit, spécialement si ľ on considěre, encore avec Todorov (1986 : 16), que ľidentité naít de la prise de conscience de la difference - et done ne peut qu'étre dynamisée par le contact actif avec une autre culture : « ľinterculturel est constitutif du culturel ». 115 Ceci rappelle l'approche interculturelle, telle que la définit Jean-Marc Defays (2003 : 78), comme dialectique entre I'universel et le particulier, qui permet de coor-donner et de dépasser les differences culturelles : «L'approche interculturelle relativise autant la culture-source qu'elle initie á la culture-cible; si eile compare leur ronctionnement, débusque leurs préjugés, c'est pour débou-cher finalement sur une prise de conscience de ce qu'est la culture en general. Elle vise done moins ä enseigner aux apprenants une culture autre, a les aider ä la comprendre, ä les encourager ä la tolerance, qu'ä développer chez eux ľ aptitude ä vivre dans des milieux et des situations pluri-culturels, et ä participer activement ä ľélaboration de nouvelles formes culturelles issues de ces contacts. Elle actionne, en effet, une dialectique entre I'universel et le particulier qui permet de coordonner et de dépasser les differences culturelles. Cette approche est done fonciěre-ment critique, auto-réflexive, interactive et constructive. Son orientation idéologique consiste ä prendre résolument le parti de ]a díversíté culturelle et ä miser sur ľinter-compréhension - qui peut aussi s'apprendre en classe -pour rendre le monde meilleur ». Le fait que le proverbe renferme telle ou telle spéci-ficité culturelle se voit, en particulier, dans l'usage qu'il fait de la métaphore et des images en general. Le proverbe bambara : Aussi longtemps que le morceau de bois reste dans lean, il ne se change pas en crocodile, suppose en principe un environnement oil des crocodiles vivent dans les rivieres, ainsi qu'une relation particuliěre avec cet animal, mais un Russe ľinterprétera sans doute comme Les corbeaux oni passe la mer, Vesprit ne leur est pas venu. II en va de méme, pour ainsi dire, d'exemples marques par un terme specifique ä un pays comme Quand les roubles tombent du ciel, les malchanceux n'ont pas de sac ou Le pot de chambre du Tsar est plus fier que la marmite du paysan (russe), Un sot achéte des nattes avant d'avoir construit la mosquée (arabe), Suis la piste, méme si eile tourne; suis le chef, méme s'il est vieux (berbere), Vhyěne ne dort pas avec les moutons (rundi), Si tu as cinq femmes, tu as cinq langues (ashanti), etc. dont un ou plusieurs termes, voire un type 116 de relation (polygamie) renvoient ä une culture spéci-fique, sont aisément déchiffrabíes dans une autre culture. Bien que touš les proverbes ne soient pas méta-phoriques, une grande partie d'entre eux le sont (cf. plus bas § caractéristiques du proverbe). Souvent d'ailleurs, c'est le proverbe entier qui exige une lecture métaphorique et non un simple mot qui en constitue le noyau nominal. Dans cette optique, le proverbe devient doublement interessant ďun point de vue pédagogique. D'une part, si on le considěre comme une forme d'entre-deux entre le meine et ľautre, et si la métaphore est, comme l'avancent certains théoriciens actuels, ä la fois une tension créatrice au cceur du langage et une activité cognitive essentielle (Ricceur, 1990; Jenny, 1990), alors l'acte de cognition mis en jeu dans le déchiffrement du proverbe renvoie ä l'apprentissage de cet entre-deux comme dialectique interculturelle. Le passage d'un moment de désémantisa-tion ä un moment de resémantisation, qui caractérise la métaphore selon Laurent Jenny, serait cet entre-deux. D'autre part, on peut imaginer qu'une bonne partie des proverbes d'une langue sont pour ses locuteurs des métaphores usees, puisqu'elles sont passées dans l'usage courant. Face ä certains proverbes étrangers dont le degré de xénité (pour reprendre ici un terme de Harald Weinrich) est fort, la métaphore peut reprendre cette force innovatrice, cette capacité de dé-familiarisation et de surprise qui est la seule ŕéconde, dans la mesure ou eile favorise l'acte cognitif de comprehension de ľautre et, comme on ľa vu plus haut, par retour sur soi, de ľautre en soi ou de soi comme autre (Ricceur, 1990). Caractéristiques du proverbe et pistes d'exploitation La sagesse populaire, faisant fi de ľarbitraire du signe linguistique et, partant du principe que la langue elle-méme contient un fond de vérité, cherche, en utilisant les caractěres morphologiques de la langue, ä unir dans le proverbe une vérité de ľ experience révélée dans la vérité 117 de la langue. La langue vient ainsi appuyer et cautionner la vérité du message proverbial et le proverbe serait done deux fois credible, aussi bien par sa signification que par sa forme. Nous rappellerons rapidement ici quatre caractéristiques des proverbes, ä savoir le rythme, la richesse rhétoríque, le figement et la métaphoricité avant de proposer quelques pistes d'exploitation pédagogique. Le proverbe obéit ä un rythme et a généralement une structure binaire, les deux parties étant syllabiquement égalitaires (Tel pere/tel fils) ou non (Qui vivraiverra). La structure rythmique est pour certains linguistes sa caractéristique fundamentale et eile n'est pas sans rappeler certains genres poétiques bien connus (cf. dis-tique, tercet ä rime orpheline, quatrain ä rime alternée, etc.) (Anscombre, 2003). En dehors de la rime, ďautres procédés rhétoriques sont également presents dans le proverbe ce qui rend son signifiant dense et révěle (avec la métaphoricité, voir plus bas) son caractěre poétique : Qui se ressemble s'assemble (paronomase), Un pour tons et tons pour un (chiasme), Qui peut le plus peut le moins (repetition), Qui se marie ä la hate se repent ä loisir (antithese), etc. (Arnaud, 1991). D'une facon generale, le proverbe est une formule figée qui doit étre énoncée telle quelle et toute tentative de deviation serait considérée comme un effet de style. Cela ne veut pas dire que des variations en synchronie ne soient pas possibles, mais force est de constater qu'elles respectent toujours le rythme du proverbe. Cela dit, le figement lexical et grammatical existe. Ainsi, au niveau lexical, le proverbe n'accepte pas la substitution séman-tique synonymique ou quasi synonymique (*Qui aime Men frappelpunis bien, *Chat ébouillanté craint I'eau froide). Au niveau grammatical, le proverbe n'accepte pas de changement de temps verbal (*Pierre qui a roulé n'a pas amassé mousse, *Pierre qui roulera n'amassera pas mousse). La passivation affectant le rythme (*Le larron est fait par I'occasion) est également impossible (Anscombre, 2003). Nous avons parle dans les paragraphes precedents du caractěre métaphorique du proverbe, étant donné que 118 son sens ne découle pas de la simple combinaison du sens de ses constituants. II existe cependant des proverbes susceptibles de recevoir une interpretation aussi bien íittérale que métaphorique. La métaphoricité n'étant pas un critére nécessaire des proverbes, leur sémantisme présente les cas de figure suivants: a) le sens peut étre déduit de la combinaison des parties Constituantes, ex. Taute vérité n'est pas bonne ä dire (sens littéral); b) le sens morns transparent exige la mise en place d'un processus métaphorique et analogique pour que Interpretation soit possible, ex. Uappétit vient en mangeant (sens partiel-lement littéral); c) le sens est opaque; dans ce cas, le proverbe se rapproche de ľexpression idiomatique oú le signifié est complětement indépendant du signifiant et ne pouvant étre déduit par les parties Constituantes doit étre connu comme tel, ex. Pierre qui toule n'amasse pas masse (sens idiomatique). Indiquons maintenant quelques pistes pédagogiques. Le proverbe permet, tout ďabord, un travail sur divers aspects de la langue: phonémique, grammatical, lexico-sémantique. La structure rythmique et rimique, l'asso-nance et ľallitération présentes dans ľénoncé parémique offrent des possibilités de travail sur ľ articulation, la prononciation, l'intonation et la prosodie. On peut initier les enfants ä la lecture et aux correspondances grapho-phonémiques. Pour les allophones, on insistera sur la perception des phonemes et la production des sons difficiles ou inexístants dans leur LI. Plusieurs possibilités de travail s'offrent sur le plan syntaxique basées sur le repérage, le classement, la reformulation ou 3a paraphrase. On peut tirer profit de la structure binaire du proverbe dont les parties entretiennent un rapport logique que 1'on peut rendre explicite par le repérage des indices linguistiques presents dans ľénoncé parémique. On prepare ainsi les jeunes lecteurs ä ľidée ďanticipation que ľ on doit appliquer lorsqu'on lit en general. Dans cet esprit, on peut donner une version tronquée de ľénoncé et inviter les élěves ä fournir la suite. Le proverbe, énoncé syntaxiquement et discursivement autonome, en cadre et cautionne un raisonnement développé préalablement 119 dans un autre tour de parole. On peut ainsi faire appré-cier sa valeur argumentative qui vient toujours ä ľappui d'un argument exprimé dans une situation donnée et jamais dans un esprit de contradiction (Schapira, 1999). Les proverbes font partie du lexique d'une langue. Les apprendre accroit done notre vocabulaire. L'enrichisse-rnent du vocabulaire ne se limite cependant pas seule-ment ä la memorisation du proverbe en tant qu'unité lexicale, mais s'étend aussi ä toutes les unites lexicales dont le proverbe est forme et auxquelles il nous renvoie du méme coup. Selon les psycholinguistes, ľorganisation du lexique mental forme un complexe réseau ou chaque unite lexicale est reliée ä d'autres selon des liens formels et sémantiques. Ainsi développer le vocabulaire signifie aussi bien multiplier le stock lexical qu'affiner les relations entre les mots. Dans ce sens, les proverbes se prétent ä un travail de repérage d'items antonymiques (Qui peut le plus peut le moins), parasynonymiques (Qui trop embrasse mal étreinť), paronymiques (Qui se ressemble s'assemble), etc. Le développement du vocabulaire peut se faire aussi ä travers un passage formel et éventuellement étymoiogique qui permet de mieux fixer les mots (Noel au balcon, Päques au tison : de tíson on peut enseigner attiser et pourquoi pas tisane), Grace aux proverbes on peut apprendre beaucoup cle mots, d'autant plus que le rythme et la poesie du signifiant favorisent la memorisation et le sťockage dans le lexique mental. Le message du proverbe étant véhiculé par des images, un travail íinguistique, mais aussi interlinguis-tique et interculturel est ä faire. On peut travailler sur le passage du sens propre au sens figure en repérant les figures comme la métaphore, la métonymie ou la synec-doque largement mises au service des proverbes (cf. Loin des yeux, loin du cceur, Ventre affamé n'a pas ďoreilles, Quand le chat n'est pas la les souvis dansent, Le cceur a ses raisons, Qui vent noyer son chien Vaccuse de la rage, etc.). En ce qui concerne les activités interculturelles plus particulierement, il importe de faire découvrir, ä partir d'un travail de comparaison des proverbes dans diverses 120 langues, le lien qui existe entre une langue et la culture correspondante. On peut également faire observer les similarités et les differences entre ľ expression ďune méme idée dans différentes langues et de faire comprendre que les langues ne se traduisent pas mot ä mot. Comparons par l'exemple Un tiens vaut mieux que deux tu ľauras dans ďautres langues-cultures : Anglais : A bird in hand is worth two in bush (« mieux vaut un oiseau en main que deux dans le buisson »); Espagnol: Mas vale un pájaro en mano que cien to volendo (« mieux vaut un oiseau dans la main que cent qui volent»); Italien: Meglio un novo oggi che una gallina domani (« mieux vaut un ceuf aujourd'hui qu'une poule demain »); Grec : Kallio pente kai sto xerí para deka kai karterei (« mieux vaut cinq dans la main que dix et attend »). II importe de faire comprendre aussi qu'une partie de la difference est due ä la culture en mettant I'accent sur l'importance du contexte culturel. On peut, par exemple, demander aux élěves de repérer les indices culturels dans divers proverbes et de se familiariser ainsi avec des cultures autres : Anglais : He hasn't set the Thames on fire («II n'a pas mis le feu ä la Tamise »); Espagnol: Quien fue a Sevilla perdio su silla (« Celui qui est parti ä Seville a perdu sa place »)*. Si ä ľintérieur d'un type de culture donnée, les proverbes sont sém a nti quem en t transparents (cf. Une hironáelle ne fait pas le printemps, One swallow does not make a summer, Una rondine non f a primavera, etc.), tel n'est pas foľcément le cas avec des cultures plus lointaines et il faudra ainsi tester le degré de comprehension des proverbes avec des enfants issus des cultures variées et « exotiques » en leur demandant d'inferer le sens et ce, aussi bien en langue qu'en discours selon le degré de transparence du proverbe. Dans cet esprit, on peut éven- II faut mentionner ici ľ excellent document de travail intitule « Faut-il donner sa langue au chat ? » realise par Kervran M. et al., IUFM de Bourges et Paris V René Descartes. 121 tuellement faire ressortir le passé historique commun qui a pu engendrer un méme proverbe dans différentes langues {cf. Tutte le stradě portano a Roma, Touš les chemins menent a Rome). En definitive l'enseignant saura trouver son propre chemin vers l'exploitation du proverbe dans le but de sensibilisation interculturelle et de respect réciproque entre les différentes langues-cultures. Bibliographie Anscombre J.-C, 2003, « Les proverbes sont-ils des expressions figées ? », Cahiers de lexicologie, 82/1, pp. 159-173. Arnaud P., 1991, « Reflexions sur le proverbe », Cahiers de lexicologie, 59/2, pp. 6-27. Cummins J., 2001, Negotiating Identities : Education for Empowerment in a Diverse Society, Los Angeles : California Association for Bilingual Education. Defays J.-M., 2003, Le frangais langue étrangére et seconde. Sprimont (Belgique) : Mardaga Delpit L.D., 1995, Other People's Children : Cultural Conflict in the Classroom, New York : The New Press. Hawkins E., 1987, Awareness of Language: An Introduction, Cambridge University Press. Jenny L., 1990, La parole singüliere, Paris : Belin. Montreynaud F. et al., 1990, Dictionnaire de proverbes et dictons, Paris: Le Robert. Ricceur P., 1990, Soi-méme comme un autre, Paris : Seuil. SCHAPIRA C, 1999, Les stereotypes'' en frangais : proverbes et autres formales, Paris : Ophrys. TodoROV T., 1986, « Le croisement des cultures », Communications, 43, pp. 5-24. Wľinrich H., 1986, « Petite xénologie des langues étrangores », Communications, 43, pp. 187-203. Lire et représenter des scenes du theatre contemporain des trente demiěres années dans ľenseignement universitaire américain Fabienne BULLOT Smith College, Massachusetts, États-Unis En abolissant les regies de la tradition classique, les dramaturges du xxe siěcle ont inventé d'autres maniěres de représenter le reel et ont assure le renouvellement total du genre íittéraire théätrál. Les textes dramatiques ďaujourďhui savent rendre compte du monde et des hommes ďaprěs la Seconde Guerre mondiale ä travers des formes dont la diversité foisonnante étonne. Ainsi, le theatre francophone des trente dernieres années est un formidable reservoir ďécritures et d'univers que la critique n'a pas encore fini d'inventorier. La lecture et la representation de ces ceuvres offrent une source riche et inexploitée - particuliěrement stimulante pour les élěves et les enseignants - de connaissance sensible et en pro-fondeur de la langue et de la société. Cet article ne pretend pas traiter des avantages déjä longuement recensés, développés et discutés du jeu théätrál dans ľapprentissage pragmatique d'une langue étrangěre3. II se limitera ä presenter certains aspects des Voir, par exemple, Byram M. et Fleming M. (eds), 1.998. 124 écritures dramatiques contemporaines qui font de la lecture et de la representation de ces textes littéraires un espace privilégiá de ľapproche interculturelle. Cest la dimension formative de ces textes qui nous préoccupe: certaines de leurs caractéristiques, que nous avons regroupées sous les termes simples de personnage, theme et forme développent « un sentiment de relativite de ses propres certitudes, qui aide ľéleve ä supporter l'ambi-guíté de situations et de concepts appartenant ä une culture différente » (De Carlo, 1998 : 44). Notes sur l'atelier de theatre « Qa parle drôlement! » est le nom de ľatelier de theatre en francais que j'ai créé au printemps 2002, au sein du departement de French Studies de Smith College, dans le Massachusetts, aux États-Unis. Cette universitě est un liberal arts college oú l'on étudíe pendant quatre ans, aprěs le lycée, en choisissant une ou deux matiěres principales, mais avec une incitation forte ä la pluridisci-plinarité. Les étudiants qui fréquentent cet atelier pr-viennent d'horizons culturels assez différents, qu'ils soient Américains ou étrangers, originaires des cinq continents et de trěs nombreux pays. Pour ces derniers, le francais est une troisiěme langue, voire une quatriěme langue, puisque ľangiais est la langue de leurs etudes supérieures, mais pas forcément leur langue maternelle. Étonnament, la plupart des ctudiants qui fréquentent cet atelier ne préparent de diplome ni en francais ni en theatre; íls choisissent done ce cours pour vivre une experience particuliěre, éloignée de leurs matiěres principales, qui se trouvent étre par exemple - pour citer les plus fréquemment representees - ľéconomie, les sciences politiques ou la biologie. Quelques-uns ont déja fait du theatre, la plupart jamais. lis n'y sont parfois jamais alles. II arrive merne qu'ils n'aient aucune idée sur les traditions théátrales en Europe et en Amérique. « Cľa parle drôlement! » est en quelque sorte une éprouvette interculturelle exemplaire: ďorigine étrangěre ou non, mais tous étrangers linguistiquement, les participants vont 125 devoir aussi communiquer ä travers le langage drama-tíque dont ils ne savent souvent rien. Notes sur le projet Le projet s'appuie sur deux resolutions : ne jouer que des auteurs vivants ou récemment disparus (le sida a empörte autour de leur quarantiéme année Bernard-Marie Koltěs, né en 1948, et Jean-Luc Lagarce, né en 1957, deux des plus importants auteurs des trente derniěres années); ne pas représenter les ceuvres dans leur entier, mais seulement des extraits. Pourquoi des extraits ? Pour lutter contre le caractěre monolithique de ľceuvre litté-raire quand eile est unique au programme; pour mieux goüter la diversité des langages et des univers, pour faire dialoguer les textes entre eux; pour que, parmi les per-sonnages et les situations, chaque élěve trouve sa place, comme acteur et comme spectateur du cheminement des autres. Un tel projet se démarque des experiences passées dans les départements de francais en Amérique du Nord, ou ľon jouait réguliěrement les pieces de MoHěre, Rostand, Jarry, Giraudoux, Sartre, Ionesco et Anouilh, dans leur intégralité. II s'en démarque également parce qu'aujourďhui les ateliers de theatre en francais travaillent souvent autour d'un theme en proposant un collage de textes: textes dramatiques, documents histo-riques, poěmes, chansons, entretiens, dialogues écrits par les élěves. Ainsi, un hommage ä Moliěre ou Beckett, un spectacle autour de ľaffaire Dreyfus ou autour du theme de ľenfance, par exemple. «C^a parle drôlement! » ne cherche pas ä traiter un thěme ä travers le theatre ou ä presenter un auteur. II s'agit plutôt de s'approprier les discours, les parcours, les espaces des personnages imagines par les dramaturges de notre temps. Pourquoi seulement les auteurs dramatiques francophones vivants ? D'abord, parce qu'ils sont trěs nombreux et que leurs pieces sont largement publiées (Actes Sud Papiers, ĽArche, ĽAvant-Scene Theatre, Lansman, Minuít, P.O.L, Les Solitaires Intempestifs et Théátrales, 126 pour ne citer que les principaux éditeurs). Ensuite, parce qu'ils nous parlent du monde ďaujourďhui. L'auteur Bernard-Marie Koltěs ľaffirme comme une evidence : «Je troitve que les metteurs en scene montent beaucoup trop de theatre de "repertoire". [...J Ce n'est pas vrai que des auteurs qui ont cent ou deux cents ou trois cents ans racontent des histoires d'aujourd'hui; on peut toujours trouver des equivalences; mais non, on ne me fera pas croire que les histoires d'amour de Lisette et d'Arlequin sont contemporaines. Aujourd'hui, l'amour se dit autre-ment, done ce n'est pas le meme » {Koltěs, 1990 :124). Le metteur en scene Claude Régy, qui n'a jamais monté de classiques, ajoute : «[...] On a beau pouvoir retrouver tout dans les Grecs, Shakespeare et Tchekhov, il est vrai qu'il est des phéno-měnes spécifiques á notre temps que Marivaux ou Moliere, malgré une lecture renouvelée, ne peuvent exprimer» {Regy, 1993 :21). Mais il ne s'agit pas, pour autant, pour ces dramaturges de faire table rase du passé. Bien au contraire, on trouve dans leurs textes des reminiscences formelles de ceux qu'ils admirent, tels Marivaux et Shakespeare dans Qitai Ouest, oů les personnages errants de Koltěs se croisent dans le hangar désaffecté du port ďune grande ville occidentale... Notons bien l'ordre des propositions chez Koltěs : « Aujourd'hui, l'amour se dit autrement, done ce n'est pas le meine ». Et pas ľinverse. li faut écouter le travail de la langue pour se donner une chance de saisir les décalages sensibles avec !e passé et pour mieux comprendre le present. « Pour moi ce qu'il y a ď enorme [chez Koltěs], e'est ce melange de Rimbaud et de Faulkner. Les personnages sont construits et déve-loppés entiěrement ä partir du langage » (Müller, 1990: 13) éerit le dramaturge allemand Heiner Müller, traduc-teur de Quai Ouest. Ainsi, pour jouer les textes d'aujourd'hui, on doit souvent relire (ä voix haute, Í1 va 127 sans dire!) les textes du passe. On mesure alors les heritages et les fractures qui nous constituent2. Interculturalité et éeritures dramatiques contemporaines Cest parce que les poětes parlent résolument mieux de nous-mémes et des autres que cet atelier fait appel ä eux. Les auteurs dramatiques dévoilent ce que nous cachons, mettent au jour nos contradictions, nos forces et nos fragilités. En travaillant la langue, ils travaillent ä nous construire, nous définir, nous faire exister. S'appro-prier les mots des autres, constitue une experience irremplacable de connivence ou de conflit, et done de reflexion sur soi-méme pour les élěves. Notre travail se situe du côté de ceux qui pensent que la representation theatrale et ľecriture dramatique offrent bien plus que des dispositifs pédagogiques ou des méthodes pour ľapprentissage des langues. Nous pensons que la nature du theatre comme art développe une forme de connais-sance de soi et du monde et que les auteurs inventent des maniěres de dire qui peuvent changer nos maniěres de penser, mettre en cause nos certitudes, développer nos capacités ďadaptation et de comprehension. II serait naif de croire cependant que touš les auteurs dramatiques d'aujourd'hui échappent aux stereotypes et ä la banalite. U exíste des formes qui copient le reel, le duplique ä ľínfini, impose un sens unique. II y a des pieces de theatre dont vous sortez avec cette satisfaction d'avoir vu confirmer toutes les idées recues auxquelles 1 On ne s'étonnera pas, par consequent, que les deux jeunes comédiens de la Comédie-Francaise, Audrey Bonnet et Alexandre Pavloff, qui ont récemment interprete La Contactée et Le Parisien a laflěche, le couple transatlantique de Pascal Rambert dans Le Debut de VA., créé en Janvier 2005 au Studio-Théätre, soient également distribués, ä ľautomne proehain, dans les rôles de Chiměne et Rodrigue dans une nouvelle mise en scéne du Cid par Brigitte Jaques-Wajeman. 128 vous adhérez sans méme vous en apercevoir. Des pieces oú touš les personnages s'expriment de la méme facon, qu'ils soient jeunes ou vieux, riches ou pauvres, d'ici ou d'ailleurs, quel que soit leur statut social ou la situation dans laquelle ils se trouvent. Mais le curieux qui feuillette les textes dramatiques des trente derniěres années en trouvera de nombreux qui démontrent le contraire. II existe, par ailleurs, de trěs nombreux lieux, associations, publications et manifestations autour des auteurs dramatiques contemporains qui lui permettront de faire ses choix. Ainsj, entre autres, l'association ANETH {Aux Nouvelles Écritures Théätrales), íe Centre national des écritures du spectacle a La Chartreuse de Villeneuve-lez-Avignon, le site < theatre-contemporain.net >, les theatres du Rond-Foint et Theatre Ouvert, et la revue du Centre d'Études théätrales de Louvain-la-Neuve, Études théätrales. Personnages et Iangages Le premier aspect du theatre contemporain propre ä favoriser une approche interculturelle étonnera par son evidence. Les personnages y sont innombrables et inat-tendus. Compares au theatre classique, évidemment, leurs univers sociaux et leurs aventures sont infiniment plus varies. Le theatre contemporain n'hésite pas ä mettre en scene touš les ages de la vie, les comportements les plus communs comme les plus deviants, toutes les passions et touš les metiers possibles. II n'y pas de sujet noble dans le theatre contemporain ct souvent il n'y a pas de grand role non plus. Ce premier aspect ne manque pas ďétonner les étudiants qui se font souvent une idee élitiste du theatre, comme d'un espace oü ľ on montre un certain monde, qui parle une certaine langue, dans des lieux bien determines. Cette découverte s'accompagne toujours d'un moment de doute suivi ďune grande curiosité envers ľidentité et la situation de ces nouveaux héros, mais aussi envers les modes ďénonciation et de circulation de leur parole. Les existences complexes de ces personnages engagent ľétudiant vers une vision 129 nuancée de la nature humaine et de ses modes ďexpression. Car il n'y a pas non plus de belle langue chez les auteurs contemporains, ni de langue explicite, et ils n'en prívilégient aucune autre, pour autant qu'ils la trouvent adequate a leur representation du reel. Parfois, leurs inventions langagiěres transforment le texte en une partition musicale. Les régionalismes aussi y trouvent leur place, non pas sous la forme de «pagnolade» pitto-resque, démodée ou raciste, mais au contraire pour mieux dire les malheurs ou les joies de ceux qui les utilisent. Pour ľétudiant étranger, c'est ľoccasion de se detacher des preoccupations grammaticales pour mieux jouer avec les sons et le rythme. La difficulté de la prononciation n'est plus qu'un element parmi d'autres. Le texte n'est pas considéré comme de l'information, mais plutôt comme un support poétique. Cette approche de la langue a plus ä voir avec la créativité que la repetition. Peu de chance de trouver dans la bouche de ces personnages la langue neutře et sans saveur des manuels, car ce qu'ils cherchent ä communiquer s'accommoderait mal d'une grammaire normative et d'un vocabulaire conventionnel. Les étudiants éprouvent un grand plaisir ä manipuler ces Iangages surprenants qui leur paraissent peu académiques, en méme temps qu'ils prennent conscience qu'il existe autant de facons de dire que de penser. On peut avancer également que le theatre contemporain francais en s'occupant beaucoup de personnages décalés n'est pas tant source d'une experience interculturelle qui mettrait en avant des particularismes qu'au contraire la reconnaissance d'une experience commune aux individus des sociétés modernes industrialisées et urbaines. Certaines situations récurrentes - ľattente, ľerrance, ľincommunicabilité, la solitude, la violence sociale, le conflit familial, la folie - offrent aux étudiants ľoccasion de comparer leurs emotions et leurs reactions. II est frappant de constater avec quelle determination, aprěs une premiere lecture des textes « ä la table », ils viennent ä la repetition suivante animés d'une decision 130 trěs ferine quant au choix du personnage qu'ils sou-haitent interpreter. Aussi étranges leur semble-t-il au premier abord, si éloignés de leur réalité ou de ce qu'ils s'imaginent étre représentable au „theatre, ces person-nages existent pourtant ďune maniere qui les touche et leur donne envie de s'exprimer ä travers eux. Plutôt que le décentrage par rapport ä leur propre culture, ils par-tagent alors une petite part de communauté avec ces individus qui parlent francais. Dans le jeu, ils oublient les crispations identitaires, trěs fortes aux Etats-Unis, pour chercher par oů ils pourraient réussir ä mieux s'accorder avec leur personnage. Theme On reproche parfois aux auteurs contemporains de s'éloigner des interrogations d'aujourd'hui, des malaises sociaux et politiques pour se tourner vers un theatre bavard et nombriliste. Bien des pieces, au contraire, donnent ľoccasion de traiter quelques aspects de la société francaise de la deuxiěme moitié du xxe siede comme ľOccupation, la disparition du monde rural, le crime, la violence, le monde du travail et de la famille, les relations amoureuses. Mais le traitement de ces themes dans les écritures contemporaines va ä ľencontre de ľévénementiel et de ľépopée pour se tourner vers ľexpé-rience intime et subjective, et la trace laissée dans les mémoires. Dans la mise en scene de destins individuels, les auteurs prétendent s'intéresser explicitement aux mouvements politiques et sociaux qui les ont condi-tionnés. La vie que vivent les gens aujourd'hui, les auteurs d'aujourd'hui savent parfaitement nous en faire sentir ľorigine et les caractéristiques en merne temps que les failles, les ridicules et les mystěres. Ä travers la vie exemplaire de ces personnages, les étudiants multiplient les points de vue sur un événement historique ou une réalité sociale. On pourrait citer bien des themes chers aux départe-ments de francais américains que le theatre contemporain leur permettrait d'aborder sous un jour plus actuel et 131 plus controversé que tout autre texte. Ä commencer par la condition de la femme, les guerres coloniales ou la vie professionnelle. On peut dire avec un peu d'ironie qu'il n'est plus nécessaire de transformer Dom Juan en politi-cien peu scrupuleux, Sganarelle en jeune des banlieues turbulent ou Antigone en ado révoltée. Tous ces personnages sont monnaie courante dans le theatre contemporain. Parlons de la mise en scene de situations déstabi-lisantes, qui préoccupent particuliěrement les professeurs de langue, telies que «débarquer dans un pays in-connu», «étre confronté ä un choix difficile», «se retrouver au cceur d'un conflit familial », « ne pas réussir ä se faire comprendre de son interlocuteur », « faire partie d'un groupe dans lequel on ne se reconnait pas », « étre victime d'une injustice » : autant de scenes qui fleurissent chez les auteurs dramatiques de la fin du xxe siěcle. Choisissons des situations plus spécifiques de la vie quotidienne autour desquelles les ateliers de theatre en langue francaise aiment improviser: « faire des courses dans un supermarché », « participer á un jeu televise», « aller en boite de nuit», «sortir avec un garcon ou une fille pour la premiére fois », « diner avec des voisins ä la maison », « papoter avec ses coUégues de bureau », « rencontrer un inconnu dans un pare public », « se promener dans un musée », « chercher du travail ». Toutes ces situations sont largement representees dans les écritures des trente derniěres années. On a scrupule ä faire de telies enumerations, qui ressemblení ä des sommaíres de méthodes d'apprentis-sage du francais et qui laisseraient les auteurs dramatiques sans doute stupéfaits et effarés. Car leurs univers ne se réduisent pas ä des listes aussi caricaturales de situations aneedotiques et de problémes de société. La richesse des formes offre aux étudiants une approche tout ä fait nouvelle. Ils doivent se battre avec ces textes qui leur semblent étranges et les désarconnent au premier abord, meine quand ils traitent de sujets ou de situations qui ne leur sont pas inconnus. Dans le choix de lire et représenter des textes dramatiques contemporains, e'est l'aspect le plus enrichissant. Par exemple, le traite- 132 ment du racísme offre toujours une base de travail interessante, surtout dans le contexte américařn du «politiquement correct». Les auteurs contemporains francais mettent volontiers dans la bouche de leurs per-sonnages des propos racistes dans des situations qui n'ont rien ä voir a priori avec ce probléme. lis peuvent aussi mettre résolument en scene des racistes. II faut trou-ver la forme poétique de ces textes, parce que le theatre n'est ni la demonstration ou l'illustration d'une these, ni ľ exposé ďun probléme ou son étude sociologique. Ce travail fait appel á des notions propres ä la demarche interculturelle: multiplicité des lectures, relativite des certitudes et surtout regard dištancie. Forme et mise en espace Bien des informations manquent quand on commence la lecture d'une piece contemporaine. Les indications scéniques sont soit inexistantes, soit déroutantes; elles questionnent plus qu'elles ne renseignent. Personnages sans age, sans caractéristiques physiques et sociales, ou méme sans nom et sans sexe, lieux et temps indéterminés sont frequents dans le theatre contemporain. Děs les premieres répliques, on se demande souvent: qui parle ? qui parle ä qui ? qui dit quoi ? de quoi parle-t-on ? Les didascalies n'ont pas pour but, comme dans le theatre classique, de donner des informations precises qui per-mettent de situer la scéne dans le temps ou dans l'espace, ou si elles le font c'est pour mieux inventer des espaces et des temps incertains, ou non entiérement determines. 11 ne faut pas croire pour autant qu'il faille toujours tout inventer. II existe des auteurs qui fournissent volontiers des CV complets de leurs personnages et des descriptions méticuleuses du décor. La contrainte sera alors d'une autre nature. Ces questions ne trouvent pas de réponses faciles. Les textes choisis pour animer «Ca parle drôlement!» resistent ďeux-mémes ä des interpretations stéréotypées et les étudiants s'apercoivent que les solutions plaquées ne sont guére satisfaisantes. Par exemple, si la langue et 133 ľunivers d'un auteur relévent ä la premiere lecture du quotidíen, c'est souvent un trompe-ľceil. Le choix d'un jeu ou d'un décor naturaliste ferait contresens. Inverse-ment, une langue inventive et poétique n'exclut pas un certain realisme. II faut mener ľenquéte, recueillir les informations au compte-gouttes, accepter les fausses pistes. Une fois les rôles distribués, la repetition se trans-forme en un forum oil chacun, du point de vue de son personnage, propose des renseignements sur les autres personnages et sur la situation. Les étudiants prennent conscience, petit ä petit, des possibilités de mise en forme des échanges et se montrent trěs sensibles ä ľincohérence d'une proposition. Les solutions se nourrissent de ľori-gine culturelle, des experiences personnelles et de i'imaginaire de chaque étudiant. Mais elles résultent surtout d'une approche sensible, patiente et ouverte au texte lui-méme et ä ce qu'il contient ďirréductible. Le theatre implique traditionnellement de regarder, au-delä des actions, les valeurs qui les soutíennent; de chercher la vérité au-delä des apparences. En cela, íl offre un terrain propice ä la découverte des valeurs culturelles. Les textes contemporains, avec leur part ďimplicite, offrent des univers exemplaires pour une telle demarche. Derriěre les mots les plus simples et les phrases laco-niques se cachent de multiples interpretations. Si dans le theatre classique, il peut arriver qu'on fasse des contresens, c'est souvent une question de vocabulaire. Un dictionnaire historique suffit ä dissiper le malentendu. Avec les textes contemporains, les definitions du dictionnaire ne sont ďaucun secours. Le plus souvent ďailleurs, il n'est pas besoin de faire appel ä lui, car le mot en question ou le groupe de mots ne posent pas de probléme de comprehension littérale. Et pourtant, on a beau relire le passage, rien ne s'éclaire. Ce qui semblait faire sens dans un premier temps se révěle incomprehensible ä la lumiére d'une nouvelle réplique. Ce qui est dit n'est pas interprétable au moment de ľélocution. Les conversations entre les personnages s'entrelacent et on perd le fil. H y a des trous dans le discours. Les motivations des personnages ne sont pas explicites. Ils ont ľair en colére, 134 tristes, heureux, inquiets, mais on ne sait pas pourquoi. Leur parole contient des informations dont on ne sait que faire... Ä travers la mise en scéne de ces textes, ľétudiant experimente constamment Ja distillation de ľ information, ľincertitude et le questionnement. Le doute sur ce que désire ľautre, sur ce qu'il pense. II est amené ä remettre en question son point de vue préalable, son interpretation premiere du sens ďun discours ou ďune situation. Une experience similaire á celie d'un voyageur en terre étrangěre. Ces questions ne trouveraient pas de réponses si elles étaient posées ä des étudiants assis. C'est la mise en situation qui apporte naturellement des réponses. II faut étre debout, se déplacer, déplacer des objets, répondre ä son partenaire, écouter les silences. Des les premieres repetitions, ľon s'engage dans un travail de creation en langue franchise, en mettant de côté la striete imitation du vocabulaire et de la grammaire. On se concentre sur les déplacements du corps, sur les gestes, les expressions et ľon cherche la justesse de la situation plutôt que celie de la langue. Retrouver une réplique sur le papier appa-raít alors comme un mouvement annexe, rapide et naturel car ľétudiant a bien d'autres problémes ä résoudre... Une correction de pronunciation passe pour un detail parmi d'autres dans la mise en place d'une scéne. Celui qui peine á s'approprier le francais cornme un outil d'expressíon découvre ľoccasion d'exprimer une part de sa personnalité et de communiquer par d'autres moyens. Les erreurs de texte ou de mouvement se transforment en jeu de mots, en comique de situation, en une nouvelle idée ď interpretation ä ľintérieur de formes théatraíes qui se sont libérées des contraintes classiques. Apres l'atelier... Compte tenu de ces difficultés, il est tout ä fait frappant de constater avec quelle facilité les étudiants s'approprient la langue d'un auteur. Le vocabulaire, cer-taines expressions particuliéres du texte, mais aussi le 135 point de vue des personnages et leurs particularités servent de base ä des échanges en dehors du travail de l'atelier. II est frequent, par exemple, que les étudiants s'appellent par le nom de leur personnage en dehors des repetitions et imitent son comportement, ou qu'ils uti-lisent des répliques de leur texte dans les situations ou les conversations de la vie quotidienne. Ces échanges sur-prennent par leur dimension humoristique. lis entrainent les étudiants vers des interpretations du reel distanciées. Leur reference au texte ou ä une situation n'est pas de l'ordre de la simple comparaison du theatre avec la vie. lis se servent de leur experience théätrale pour l'inter-préter ou la transformer. Par exemple, ils commentent un événement quotidien selon le point de vue de leur personnage : « Comme aurait dit Un Tel... ». Ils lancent une réplique qu'ils affectionnent particuliérement au milieu d'un échange et font ainsi bifurquer la conversation dans un sens inattendu. Le groupe développe un esprit de camaraderie autour de cette langue commune. Robert Cantarella, metteur en scene qui travaille essentiellement avec des auteurs contemporains, direc-teur du Centre dramatique national de Dijon-Bourgogne, en se référant ä ľidée du theatre comme laboratoire des comportements, commente ainsi une de ses interventions en milieu scolaíre : «J'ai voulu comprendre en quoi I'ecrirure contemporaine pourrait étre un lieu de formation et d'apprentissage de nos relations ä venir. En quoi ľécriture d'aujourd'hui serait non pas le reflet de ce que ľon vit mais une sorte de prevision de nos comportements et de nos relations » (Cantarella, 2002 : 8). C'est ä cette part d'invention que l'on doit les premieres intuitions d'une rencontre avec l'autre, avec ce qui est different. On a souvent l'impression dans le theatre contemporain d'etre en pays inconnu. Découvrir des textes qui ne sont pas recouverts par les épaisseurs des commentaires et des préjugés, c'est accepter ce qui ne pourra certainement pas étre certifié et catalogue. L'in-vention poétique et ľétrangeté qui caractérisent ľunivers des auteurs dramatiques de la fin du xxe siěcle per- 136 mettent aux étudiants ďexpérimenter la part ďaltérité et ďimprévu que reserve toute nouvelle rencontre. Ainsi, s'il peut sembler ä certains que les caracté-ristiques des écritures dramatiques contemporaines entrainent les élěves vers des objets littéraires inacces-sibles, on peut aussi bien affirmer que cette confrontation va ä l'encontre du modele des « monuments inébran-lables » (De Carlo, 1998, 25) contre lequel ľhistoire de ľinterculturel a voulu lutter. Tout d'abord parce que ľétudiant doit engager un dialogue avec ces textes, qui ne parlent pas d'eux-memes comme nous ľavons montré. Ensuite parce que la pratique de ces textes lui suggěre ľexistence d'une diversite de langues et de sens. On gagne dans ľinterprétation multiple de la realite, dans l'absence de certitudes et de réponses definitives sur l'autre, dans l'invention des possibles. Dans le champ de la littérature contemporaine, les ceuvres dramatiques cultivent ä loisir la varieté des themes, des situations, des réalités sociales, des emotions, des registres et des genres. Elles placent ľétudiant dans un imaginaire qui teňte d'échapper aux stereotypes et qui se méfie des evidences. La parole théätrale est encore et toujours celie de la resistance. Resistance ä des formes d'information, d'échanges et de communication ä la vitesse réductrice et ä la globalisation uniformisatrice. Resistance ä des discours qui servent ä masquer ou ä dominer peuples et individus. Pour toutes ces raisons, eile constitue un espace privilégiá de ľinterculturel. Bibliographie AzAMA M., 2004, De Godot ä Zucco. Anthologie des auteurs dramatiques de langue franqaise 1950-2000. 3 vols : Continuité et Renouveílements; Récits de vie: le Moi et l'Intime; Le Bruit du monde, Montreuil-sous-Bois : Editions Théätrales-Paris: CNDP. Byram M. & Fleming M. (éds), 1998, Language Learning in Inter-cultural Perspective: Approaches through Drama and Ethno- 137 graph}/, Cambridge-New York: Cambridge University Press. Cantarella R., mars 2002, entretien « Theatre ä ľécole, des écritures Vivantes », La Scene, supplement au n9 24, pp. 8-9. De Carlo M., 1998, Ľinterculturel {Didactique des langues étran- gěres), Paris : CLE International. Koltěs B.-M., 1985, Quai Ouest, Paris : Minuit. KOLTĚS B.-M., 1990, Roberto Zucco, Paris : Minuit. Müller H., février 1990, «Aucun texte n'est ä ľabri du theatre », entretien avec Olivier Ortolani, Alternatives Théä- trales, 35-36, pp. 13-14. Rambert P., 2001, Le Debut de VA., Besancon: Les Solitaires Intempestifs. RÉGY C, mars-avril 1993, entretien « La creation dramatique contemporaine en íle-de-France», Théätre/Public, 110, pp. 9-34. Ryngaert J.-P., 1993, Lire le theatre contemporain, Paris : Dunod. Theatre aujourd'hui, 5, 1996, « Koltěs. Combats avec la scene », Paris : CNDP. La litterature frangaise : un préeieux outil interculturel pour l'enseignement-apprentissage du frangais Anne-Rosine Delbart Universite Libre de Bruxelles Ä la question posée par les organisateurs du coíloque ; « Quelle didactique de ľ interculturel dans les nouveaux contextes ďenseignement-apprentissage du FLE/S ? », je tenterai une réponse en deux temps. II me parait néces-saire, d'abord, de chercher ä clarifier la cliversité des nouveaux contextes de la classe de francais, pour une meilleure systématísation de la reflexion didactique, lin~ guistique ou culturelle. Ensuite, nous nous demanderons comment et ä quelle condition la litterature rrancaise peut devenir un outil didactique interculturel. Les Statuts du francais en classe de langue Ľéclairage des nouveaux contextes ďenseignement-apprentissage du FLE/S se fera ä la lumiěre des rapports que les apprenants entretiennent avec le francais. Les etiquettes FLM, FLE, et plus récemment FLS, ne per-mettent pas en ľ état de rendre compte de la realite plu-rielle de la classe de langue francaise, une ligne de demarcation claire entre elles étant impossible ä établir. Les difficultés de classement entre FLM (ou FL1/FLP « francais langue premiére »), FLE et FLS naissent en fait de ľhétérogénéité des critěres : (langue) maternelle LM et 140 (langue) étrangěre LE ont trait ä la situation biogra-phique de ľapprenant; (langue) premiere et (langue) seconde se rapportent ä la situation scolaíre de la langue enseignée. Aíors, pourquoi ne pas réunir les critěres pour définir au mieux le statut du francais chez les appre-nants ? Quatre combinaisons sont possibles1: (1) Langue maternelle scolarisée premiere (les francophones natifs éduqués en francais) ou FLMS1. (2) Langue étrangěre scolarisée premiere (les enfants allophones éduqués en francais) ou FLESl, (3) Langue maternelle scolarisée seconde (les enfants francophones éduqués prioritairement en une quel-conque langue étrangěre) ou FLMS2. (4) Langue étrangěre scolarisée seconde (les enfants allophones éduqués en une langue prioritaire non franca i se) ou FLES2. Quels sont les avantages du mariage des critěres bio-graphiques et scolaires ? 1° Le sigle M respecte les halos sentimentaux qui touchent au foyer, ä la famille et ä la petite enfance, dont on se prive difficilement. Calvet (1987: 102) rappelle les resonances sentimentales indéfectiblement attachées ä la langue maternelle : renoncer ä ľappellation de langue maternelle, c'est comme si ľon gommait en merne temps chez ľindividu le souvenir du sein maternel et de l'amour maternel. Les didacticiens, qui ont souligné le caractěre inapproprié de ľépithete «maternel» (la langue de ľintimité n'est pas toujours la langue parlée par la mere) et qui ont compris le frein symbolique de ľadjectif dans ľ elaboration ďune politique en faveur du plurilinguisme, ont propose ľemploi de FLP et/ou FL1 1 J'ai présenté, pour la premiere fois, cette quadripartition a Liege en 2001, au colloque «Francais langue maternelle/ étrangěre/premiěre/seconde... vers un nouveau partage ? », voir Delbart 2003. 141 («francais langue premiere»), mais, il faut bien en convenir, ces Substituts ne séduisent pas les usagers, car la langue reste pour la plupart des individus un critěre identitaire fort. 2° L'ordinai « premiere » permet dans FLES1 ďéchap-per aux connotations dévalorisantes de seconde. Le francais occupe bien une position priviíégiée (SI) pour appréhender tous les domaines de la vie affective et intel-lectuelle grace au lien profond que ľapprenant a noué avec luí depuis les toutes premieres années de sa sco-larité. Voyez en quels termes ľécrivain marocain Tahar Ben Jelloun évoque son rapport au francais (Bloch-Morange & Alper, 1980 :53-54): (...) le Maroc ayant été, comme vous le savez, colonise de 1912 ä 1956, mes premiers pas scolaires ont été bilingues, en francais et en arabe, puis, au lycée, ľarabe a été relégué au second plan. J'ai done eu une formation, francophone et j'ai fait toutes mes études supérieures en francais. Bien sür, je parle parfaitement ľarabe et je ľécris aussi, mais je suis plus ä ľaise quand j'écris en francais. 3° On nous fera peut-étre valoir que le E abrégeant « étrangěre » de FLESl aurait des relents xénophobes (on salt que les Québécois, par exemple, n'acceptent jamais que le francais au Quebec soit considéré comme une langue étrangěre et refusent cette épithěte). Mais je plai-derais qu'au cöntraire, la visíbilité de l'adjectif travaille ä la réussite de la demarche interculturelle qui vise ä la mise en relation explicite de groupes différents. En affirmant son identite linguistique étrangěre, ľindividu n'a pas le sentiment que ľon saccage son univers natal au nom de « l'Universel», pour reprendre les termes de ľécrivain martiniquais Patrick Chamoiseau (1994), qui dénonce le role de ľécole contre ľépanouissement de la créolité. La reconnaissance d'une minorite (qui peut d'ailleurs étre parfois une majorite) ďélěves FLESl au contact ďélěves FLMSl doit encourager les acteurs de la classe ä transcender leurs differences, ä interagir selon une logique de la complexity et faire de la variation une donnée qui permet ďappréhender la langue, la littérature et la culture franchises. 142 4° Au credit de la nouvelle quadripartition, on peut ajouter aussi qu'elle distingue trois categories d'appre-nants (FLES1, FLMS2, FLES2.) confondues dans le FLS et qu'elle souligne par lä merne ľimpossibilité d'un FLS homogene et d'outils didactiques qui lui soient spécifiques. Les nouveaux contextes FLE/FLS débordent done lar-gement des preoccupations des didacticiens de FLE considérés comme relevant ďun univers scientifique singulier, distinct des aires de reflexion de la didactique du FLM Une demarche pédagogique interculturelle, c'est-ä-dire une demarche qui prend en compte les interactions entre le moi et ľ autre, entre l'acquis et ce qui est ä acquérir, est ä promouvoir pour chaeun des domaines incombant ä l'enseignement-apprentissage de la langue : le domaine linguistique (le systéme de la langue stricto sensu), le domaine culturel et le domaine didactique. Cette prise de position signifie qu'il faudrait poser un regard contrastif sur toutes les matiěres. Dans le domaine linguistique, il parait indispensable de confron-ter la representation d'un probléme precis dans la langue source et en francais. Quand le professeur enseigne les articles en francais, par exemple, il doit s'informer, en situation de FLE (SI ou S2), si les apprenants disposent dans leur langue source du systéme articulaire. Notons que la demarche contrastive peut se faire aussi au sein d'une msme langue en confrontant ses diŕŕérents registres, étant donne la variation socioculturelle ä ľécole aujourd'hui. Dans le domaine culturel, des etudes ont déjä souligné ľorientatíon que peut prendre une approche interculturelle. Ainsi, ciblant son attention sur ľappréhension de ľespace et du temps, Luc Collés (1994) a montré comment la confrontation des littératures fran-caises (de Belgique et de France) et les littératures maghrébines, auxquelles il adjoint la litterature produite par des écrivains issus de ľimmigration (la litterature «beur»), ouvre les classes mixtes (composées done d'apprenants FLMSl et FLESl) ä une dimension interculturelle. La place ä accorder ä la langue maternelle dans l'enseignement-apprentissage d'une langue étran- 143 gére (en FLES2) est aussi une preoccupation qui reléve de ľ inter culturel sur le plan didactique cette fois. La litterature franchise dans les contextes FLE Comment la litterature francaise peut-elle étre exploi-tée dans les contextes FLE, e'est-a-dire, pour nous, deux cas de figures : FLESl et FLES2 ? En quoi est-elle un outil interculturel ? Dans la classe de francais, la litterature a toujours joué un role essentiel d'un point de vue linguistique - le bon usage n'a-t-il pas été fixe děs l'origine sur la pratique des meilleurs auteurs ? -, et culturel - la litterature reste une dimension decisive de la « culture cultivée », « symbole de ľaccompíissement linguistique » et « marque d'appar-tenance ä la francité » (Porcher, 1995 : 66). On ne le sait que trop en FLM, oů les derniéres années de ľenseigne-ment secondaire se concentrent sur un enseignement exclusivement littéraire. On ne le sait peut-étre pas encore assez en FLE. J'en veux, par exemple, pour preuve la place qu'y occupe la litterature en francais simplifíé, pourtant inopérante dans l'acquisition des competences langagiéres et des savoirs culturels (voir Delbart, 1994). Je voudrais montrer ici combien la litterature francaise présente, en FLE, des atouts pour ľapprentissage de la langue, tant en amont (c'est-ä-dire du côté des motivations et de ľ Identification linguistique des apprenants) qu'en aval (du côté des exploitations de la langue cible). Une litterature frangaise plurielle Une introduction productive de la litterature francaise dans les contextes FLE suppose que ľon aeeepte avant tout de la concevoir, non plus comme un bloc homogene, mais comme la somme de différentes sensibilités culturelles et linguistiques qui s'expriment en francais, un francais bigarré, fertilise par toutes les alluvions venues des diverses regions de la francité et du monde extra-francophone. Cela signifie done qu'il f aut accepter 144 de décloisonner les líttératures francophones, ensemble composite de líttératures produites hors de France auxquelles s'adjoignent les productions en France d'auteurs venus ďailleurs, et la littérature ŕrancaíse ou plutôt franco-francaise qui ne définirait stricto sensu que les productions des auteurs francais de souche sur le territoire de l'Hexagone (indépendamment méme des DOM-TOM). Si ľ on revisite, en eŕfet, le champ des lettres franchises ä la lumiěre de la typologie des apprenants de francais que nous avons décrite plus haut, on voit que les écrivains francais, ä ľinstar des apprenants de francais qu'ils ont été, constituent quatre groupes différents en fonction de la relation qu'ils entretiennent avec leur(s) langue(s) ďécriture: FLMS1, FLMS2, FLES1 et FLES2. Cest préci-sément cette variation qui fait toute la richesse de la littérature ŕrancaise, en méme temps qu'elle devient, par sa diversité, un outil littéraire interculturel incomparable pour la classe de francais. Des auteurs «francais langue étrangére » Contraírement ä ceux qui, «installés dans la masse tranquille de leur langue » (je reprends ici des propos d'Édouard Glissant), ne comprennent méme pas qu'il puisse exister quelque part un tourment de langage pour qui que ce soít, un nombre irnpressíonnant de représen-tants de la littérature francaise contemporaine a problé-matisé la question de la langue et son corollaire, ľidentité. Beaucoup ďentre eux, des auteurs FLES2, sont «venus ďailleurs»: l'Argentin Hector Bianciotti, la Bulgare Julia Kristeva, la Canadienne anglaise Nancy Huston, le Cubain Eduardo Manet, les Chinoís Francois Cheng, Gao. Xingjian, Shan Sa, la Hongroise Agota Krištof, ľlrakien Nairn Kattan, ľlrlandais Beckett, les Roumains Tzara et Cioran, le Russe Makine, etc. (la liste est loin d'etre exhaustive). 145 Ľ introspection línguistique ne concerne toutefois pas seulement les créateurs extérieurs ä la francité, eile touche en effet touš les groupes oú s'observe un décalage entre la langue parlée ä la maison et la langue de ľécole, soit les écrivains qui relěvent des categories FLESl et FLMS2. Se rangeraient sous ľétiquette FLESl les auteurs francais des territoires créolophones dont Patrick Chamoiseau et Raphael Confiant se sont fait les porte-paroles; les écrivains bilingues issus de l'immigration, avec notamment toute la veine de ce qu'Alec G. Hargreaves (1990) a appelé la « littérature beur »; les écrivains du Maghreb et d'Afrique noire, oů le francais a été importe par la colonisation et maintenu par la scola-risation; mais aussi les écrivains inscrits dans des situations de bilinguisme individuel au sein des espaces francophones. Le poete francais Claude Esteban, de mere francaise et de pere espagnol, a ainsi excellemment décrit son malaise de bilingue (FLESl) dans Le partage des mots (1990:20): Je m'étais reconnu Francais par la terre, par les lieux et les choses qui m'étaient proches et que j'aimais. Je deineurais, pour moí-méme/ un étranger par cette dualite des idiomes dont je percevaís les antagonísines et qui me refusait, en toute contrée durable, espagnole ou frangaise, un authen-tique enracinement, Seule ľexpérience assidüment vécue d'une étrangeté, dirai-je d'une altéríto ä sa propre langue, peut rendre compte, au plus profond de l'esprit, de la notion d'exil. Confrontés ä la pluralite des langues et des cultures, ces écrivains nouent avec leur double et parfois méme triple patrimoine linguistique et culturel des relations complexes qu'ils ont souvent explicitées dans des entre-tiens, des essais ou méme des fictions. La lecture de ce qu'on pourrait appeler leurs autoscopies linguistiques peut se reveler trěs enrichissantes pour les apprenants FLE qui connaissent les memes crises identitaires et les memes affres langagiěres. Ľécrivain américain Julien Green, par exemple, né en France et scolarisé en francais, est un representant du groupe FLESl : la langue qu'il parlait á la maison, celie 146 de ľ intimite, pour reprendre ses termes, c'est ľ anglais. La production littéraire de Green est cependant majoritai-rement en francais. Pour des raisons pratiques d'abord, puisqu'il vivait en France et que son public immédiat était de langue francaise; pour des raisons qui relěvent aussi d'une Interiorisation mythique de la conscience du francais ressenti comme la plus claire de toutes les langues. II revient souvent lorsqu'on ľinterroge sur son choix en faveur du francais ä ľimportance de la clarté de l'idiome. Mais au-delä des stereotypes, un vrai sentiment ljnguistique se révěle chez Green dans la confrontation de l'anglais et du francais, comme en témoignent les reflexions de ľécrivain dans Le langage et son double (1985) et plusieurs passages de son Journal, dont celui-ci (1993 : 357): 28 février 1992: (...) Je ľaime cette langue anglaise qui est ma langue maternelle, mais pour la precision dans les idées, je m'adresse au francais qu'un vocabulaire plus restreint oblige ä une rigueur plus attentive. D'un point de vue plus social, le francais pour bon nombre ďécrivains du Maghreb et d'Afrique noire (FLES1) apparait comme la langue de ľunité quand aucune des autres íangues n'a réussi ä s'imposer. C'est ce que rappelle Farjallah Hai'k (Les nouvelles littéraires, 913, 1940 :4): Malgré les antagonismes profonds qui existent entre notre langue (la langue arabe) et la iangue franchise, nous assimi-lons třes vite cette derniěre, ä un tel point que nous pensons directement en francais. La iangue arabe est riche, belle, suave, mais cette complication que constitue l'existence d'une langue parlée totalement différente de la langue écrite rend ľauditoire trěs restreint. La langue franchise permet aussi aux cultures originelles des écrivains d'investir le monde occidental. C'est le role qu'assignait encore au francais l'homrne de lettres et le politique tunisien M. Mzali (1984 : 86). Selon Senghor, les Africains ont besoin du « meilleur de la fran-cité », c'est-ä-dire de son cartésianisme qui éclairerait les richesses africaines. Toute son ceuvre littéraire plaide pour la symbiose des cultures : 147 Si nous voulons survivre, la nécessité d'une adaptation ne peut nous échapper : d'une assimilation. Notre milieu n'est pas ouest-africain, il est aussi francais, il est international; pour tout dire il est afro-francais. Un certain nombre d'auteurs FLES2, chassés de chez eux par toutes sortes de circonstances historico-poli-tíques, ont adopté le francais pour des raisons utilitaires : il leur faut parier la langue du pays d'accueil. La langue du quotidien pourra devenir ensuite outil de creation. Langue étrangěre, le francais est, en effet, attractif, parce qu'étranger justement. Étranger aux asservissements de tous types que les ecrivains ont pu connaitre dans leur langue maternelle : politiques, sociaux, moraux, senti-mentaux et merne littéraires. Marek Halter, Juif polonais rescapé du Ghetto de Varsovie, declare que, bien qu'il parle plusieurs autres langues, il ne peut « écrire, pleurer, rire ou réver qu'en francais », la « seule langue dans laquelle [il n'a] connu aucune oppression». Hector Bianciotti ou Michel Del Castillo se déchargent en francais du poids des blessures de l'enfance. La langue étrangěre est enfin un stimulant ä la creation littéraire, parce qu'elle est vierge de tout un patrimoine linguis-tique parťois stérilisant. Le francais aurait agi comme un déclic chez Beckett. Pour Nancy Huston, la condition méme de ľétranger en situation de contact des langues développe chez ľindividu une conscience exacerbée du langage et le besoin perpétuel de s'adapter qui peuvent étre extrémement propices ä ľécriture (1999 :43). Autant de motivations ä la venue au francais qu'il n'est pas ininteressant de faire connaitre aux apprenants de FLE dans la perspective de leur propre introspection linguistique. L'enseignant pourra pointer aussi les diffi-cultés rencontrées par les écrivains, apprenants devenus experts et moděles valorises. Les propos du dramaturge espagnol Fernando Arrabal, interrogé sur les raisons de son passage au francais, permettent ainsi de juger de la difficile insertion d'un representant ďune langue pour-tant loin d'etre mineure dans un contexte francais (Bloch-Morange & Alper, 1980 :19-20) : 148 Ceci dít, en arrivant ici, on se trouve face ä un probléme sérieux pour ľorgueil de l'Espagnol, celui de la langue. Immé diätement on se rend compte que ľespagnol, c'est une sorte de patois. Un íangage de gens saouls. Pas un langage sérieux. Alors la, on recoit un coup trěs grand. On a le sentiment de manquer de chance, vraiment on se dit que c'est une langue qui ne sert ä rien, ou si peu... une langue tout juste bonne pour les cafés espagnols, une langue ä boire en mangeant des tapas. Mais impossible de faire un cours en espagnol ä la Sorbonne ! Alors, on adopte parallělement une autre langue, le francais, qui est ä la fols différente et proche. C'est terrible parce que ce sont des íangues voisines, done la difference est encore plus visible. Le francais, c'est une langue bien solide, bien precise, une camisole de force. Alors c'est trěs subtil pour un Espagnol. Et c'est pour ca que si vous prenez ľhistoire de 1'Espagne, vous constatez qu'il n'y a pas d'artiste espagnol qui ne soit passé par certe camisole de force que sont le francais et ľ anglais. Merne marginalisation de la langue natale dénoncée par Jorge Semprun dans le récit Adieu, vive clarté... (1998), qui évoque la perióde 1939-1943, celie oů il a appris le francais. Ľécrivain rappelle une scene fondamentale dans son acquisition du francais : une boulangěre ä la «xénophobie douce» qui n'avait pas compris sa commande ä cause de son accent execrable le traite ď« Espagnol de ľarmée en déroute» (1998: 61), Cet incident de la boulangerie, minime, de ľaveu de ľauteur, et qui aurait pu s'amuser du cliche poétique dans le langage ď une boutiquiěre ignorant vraisembiablement sa provenance, eut pour consequence que le jeune Semprun se promit de gommer toute trace ďaccent dans son francais parle et s'imposa de « maitriser la langue francaise comme un autochtone ». « Et merne », ajoute-t-il, « mon orgueil naturel y mettant son grain de sel, mieux que les autochtones » (1998 :120). La découverte des soufŕrances du romancier roumain Pana'i't Istrati, lorsqu'il écrit en francais, ne manquera pas ďinterpeller non plus les apprenants, en leur donnant malgré tout ľassurance de se voir recompenses pour les efforts investis (1933 :21): U9 Si merne lorsqu'il jongle avec sa langue maternelle, écrire est un drame pour celui qui fait de sa vocation un culte, qu'est-ce que cela doit étre pour moi qui, dans mon francais de fortune, en suis encore aujourd'hui ä ouvrir cent fois par jour le Larousse, pour lui demander, par exemple, quand on écrit amener et quand emmener ? Mais c'est ľenfer! J'avance comme une taupe obligee de montér un escalier brülant. Et je souffre dans tous mes pores, ne sachant presque jamais quand j'améliore et quand j'abime mon texte. (...) Mais, děs le debut, ľignorance de la langue me fit payer chěrement la joie ďécrire, et ďécrire en francais. Ma poitrine était un haut fourneau plein de métaux en fusion qui cherchaient ä s'evader et ne trouvaient pas de moules préts ä les recevoir. Toutes les minutes j'arrétais la matiere incandescente, pour voir s'il s'agissait de deux 1 ou ďun e grave, de deux p ou ďun seul, ďun feminin ou ďun mas-culin. Je ne sais pas comment je ne suis pas devenu fou ä certe époque-lä. Et que de bel or répandu par terre ! Mais les discours des écrivains explicitent aussi fort heureusement le benefice du regard autre porte sur le francais. Ecrire dans une autre langue iiběre une faculté créatrice originale et permet une intériorisation plus fine des potentiels communicatifs et stylistiques de la langue adoptee, ainsi qu'en témoigne l'Allemande Anne Weber : (...) Écrire dans une langue étrangěre a beaueoup ďinconvénients. Mais il y a aussi des avantages. Et en tout cas, au moins un avantage: cela donne une distance beaueoup plus grande par rapport ä la langue. On n'a pas ďautomatisme. En tout cas, moins que dans sa langue maternelle. On n'a pas encore intériorisé toutes les conventions de langage, les expressions fixes. Rien ne va de soi. Et pendant qu'on écrit, on ne s'écoute pas seulement soi, mais on a plus tendance ä écouter la langue elle-meme et ä sou-lever les différentes couches de sens, pour voir ce qu'il y a en dessous, et éventuellement pour jouer avec (Anne Weber citée dans Martin & Drevet, 2001: 287) Nancy Huston ne disait pas autre chose lorsqu'elle affirmait que «le bilinguisme est une stimulation intel-lectuelle de tous les instants » (1999 :46). 150 La iittérature franchise a done un role important ä jouer dans les contextes FLE pour autant que les pro-fesseurs y intěgrent les écrivains que nous avons dermis comme des auteurs FLES1 et FLES2. L'explicitation des rapports que ces auteurs entretiennent avec leurs langues favorise, d'une part, la definition de la propre identite linguistique des apprenants, en meine temps qu'elle éclaire les motivations qui conduisent ä ľétude et ä la pratique du francais. Grands prédécesseurs sur le chemin de la maítrise ďune langue étrangěre, ils révělent, en effet, par leur varieté méme, la diversité des situations et des conditions d'apprentissage du francais, ils ne cachent rien des inconvénients, mais aussi des avantages du regard extérieur qu'ils portent sur la langue-cible. lis montrent aussi combien la force de la motivation permet de combattre les difficultés d'une initiation tardive ä une langue autre et les obstacles idéologiques de ľimposition précoce ďun idiome ressenti comme une negation de ľidentité premiére. Par ailleurs, ľobservation des consequences que le choix du francais a eues sur la ľécriture des auteurs FLE affine ľélaboration de la propre conscience linguistique des apprenants en leur fournis-sant des modeles ďusage de la langue-cible des plus classiques et normatifs aux plus audacieux et icono-clastes. Les écrivains FLE fournissent la preuve qu'une langue apprise peut étre vivante, attractive, ludique, libre de s'épanouir dans le carcan de la norme vécue comme une protection et capable de briser le moule rigide des idées recues. En retour, ils offrent ä la langue francaise la reconnaissance de la variation dont eile a besoin pour vivre et attirer de nouveaux locuteurs. Bibliographie Bloch-Morange L. & Alper D., 1980, Artiste et métěque ä Paris, Paris : Buchet-Chastel. Calvet L.-J., 1987, La guerre des langues et les politiques linguis- tiques, Paris : Payot. Chamoiseau P., 1994, Chemin ďécole, Paris : Gallimard. 151 COLLĚS L., 1994, Littérature comparée et reconnaissance inter- culturelle, Bruxelles : De Boeck-Duculot. Delbart A.-R., 1994, « Textes en francais simplifié : simplicitě ou simplisme ? », Enjeux, 31, pp. 133-147. Delbart A.-R., 2003, « Les Francais parlent aux Francais », in J.-M. Defays, B. Delcominette, J.-L. Dumortier, V. Louís (éds.), Langue et communication en classe de francais, Cortil- Wodon: Proximités, Editions modulaires européennes, pp. 25-39. Delbart A.-R., 2005, Les exiles du langage {Francophonies), Limoges: PULIM. ESTBBAN Cl„ 1990, Le portage des mots, Paris : Gallimard, L'un et l'autre. Glissant É., 1990, Poétique de la relation, Paris : Gallimard. Green J., 1993, L'avenir n'est ä personne, Journal, t. XV, Paris: Fayard. Haík F., 1940, Les nouvelles littéraires 913, Paris: Imprimerie Maurice Faureau. Halter M., Revue Contact, Paris, décembre 1996-janvier 1997 (extrait cite par J. Boly, « Quand la France parle ä touš les hommes », Francophonie vivante 2, juin, 1997, pp. 88-89). Hargiíeaves A.G., 1990, «Language and Identity in Bern-Culture », French Cultural Studies, 1, pp. 47-58. Huston N., 1999, Nord perdu, Aries : Actes Sud. Martin P., Drevet Chr., 2001, La langue frangaise vue d'ailleurs, Casablanca: Editions Tank. MZALi M., 1984, La parole de Faction, Paris : Publisud. Panait I., 1933, « Preface ä Adrien Zograffi ou les aveux d'un écrivain de notre temps », Vie ď Adrien Zograffi, Lausanne : Société cooperative Editions rencontre, pp. 19-35. PORCHER L., 1995, Le francais langue étrangěre. Emergence et enset-gnement d'une discipline, Paris : Hachette. Semprun J., 1998, Adieu, vive clarté..., Paris : Gallimard. Approches biographiques et interculíurel Construire des savoirs culturels : une demarche reflexive entre les frontiěres et tout au long du parcours éducatif1 Muriel MOLINIE Universitě de Cergy-Pontoise, France Alors que la reforme du LMD est progressivement mise en place en Europe et que la mobilite educative devient une norme culturelle, la capacité ä transformer le contact avec d'autres cultures en une competence culturelle depend de la capacité des apprenants ä construire, le plus tôt possible, la signification globale de leur äéplacement ä ľétranger et ä en faire ľun des «. moteurs » de leur « parcours éducatif ». C'est ici que reside l'enjeu contemporain de la construction ďun savoir culturel: tout au long des parcours acquisitionnels et entre les frontiěres. Pour réussir dans cette voie, la didactique des langues élabore de nouvelles representations de ce que peut étre une construction de savoirs culturels, tout au long de la Ce texte a aussi fait l'objet d'une communication au colloque ALDIDAC et été publié une premiere fois dans J. Aden (dir.), De Babel ä la mondialisation ; apport des sciences sociales ä la didactique des langues, CNDP-CRDP de Bourgogne, coll. Documents, actes et rapports pour ľéducation, 2005. 156 vie scolaire et universitäre. Signe tangible de cette evolution, les notions de « parcours » et de «trajectoire », issues de la sociologie, sont désormais mobilisées dans toute recherche retracant des processus d'acquisition, en diachronie. Les récits de ces parcours aident ä comprendre quels types ďinteractions s'établissent entre le systéme subjec-tif de ľapprenant en déplacement ä ľétranger (ses attentes legitimes : ä quoi puis-je prétendre étant donne ce que j'ai déjä fait, avant et ailleurs ?) et le systéme des opportunités objectives (que puis-je espérer, ä mon retour, étant donne ľévolution probable de mes études ?). En outre, l'analyse de ces récits permet de comprendre comment le sujet articule deux types de socialisation : la socialisation informelle, interactive (qui se met en place au cours du séjour ä ľétranger), et la socialisation institutionnelle, ŕormalisée dans des programmes, des conventions binationales et des cursus offi-ciels. On parvient ainsi ä cerner la place objective et subjective qu'occupe, dans la vie des sujets, le séjour culturel comme entre-deux potentiellement acquisitionnel. Les questions, qui ont guide la recherche presentee ici, sont les suivantes : comment les étudiants des échanges, séjournant dans nos universités, parviennent-ils concrě-tement ä articuler apprentissage de langue et processus ď acculturation ? De quel type d'acculturation s'agit-il ? Comment utilisent-ils ce nouveau contexte social infor-mel et académique ? Pour tenter de répondre ä ces questions, dans une perspective constructiviste, j'analyserai la maniere dont un étudiant chinois vit son « séjour ä ľétranger » comme un espace d'acculturation ä une communauté internationale. Dans ce cadre, son repertoire plurilingue (dans lequel figure, parmi d'autres, la langue du pays hôte) est mis au service de deux processus : un processus de socialisation dans - et un processus d'acculturation ä - un milieu international. Nous verrons comment ces processus d'interaction sociale s'articulent avec des moments de reflexivita individuelle et collective. 157 Apprendre dans un espace international Notre hypothěse est qu'apprendre une langue en contexte semi- et non guide repose sur une disposition déjä acquise, qui consiste ä apprendre dans le cadre de processus de socialisation. Pour activer cette disposition, il nous parait pertinent de proposer une série ďactivités reflexives qui activent la conscience qu'a ľétudiant ďavoir déjä construit des savoirs dans le cadre de ses processus de socialisation primaire et secondaire. Afin de travailler cette hypothěse, nous proposons, depuis 2003, dans le cadre du CILFAC (Cours international de langue francaise et action culturelle, Université de Cergy-Pontoise), un cours intitule Texte et mise en discours de parcours internationaux, pour des étudiants etrangers de niveau B1-B22. Nous tenterons ici de comprendre comment Jing Dong, étudiant chinois effectuant un Deug en sciences de la matiěre en deux langues (francais -anglais)3, s'est effectivement approprié cette demarche: comment il s'est remémoré ses experiences passées ď apprentissage et de socialisation et a transfere cette experience sur ce qu'il était en train de vivre : un apprentissage linguistique et culturel dans un contexte international. Déclencher une activité de remémoration Voicí tout ďabord le texte ayant servi de déclencheur ä cette activité de remémoration : Historienne, militante et mtellectuelle Madeleine Rebérioux, soixante ans ďengagement Selon les criteres du Cadre eurovéen commun de reference pour ľenseignement des langues. Propose par i'UFR des Sciences et Techniques de l'Univer-sité de Cergy-Pontoise. 158 Professeur d'histoire, historienne du mouvement ouvrier et de la UP Répnblique, presidente d'honneur de la Ligue des droits de l'homme, ä quatre-vingt-un ans Madeleine Rebéríoux publie Parcours engages dans la France" contemporaine (chez Belin). Récit ď line formation. « Je suis issue ďune famille républicaine, patriote, de la petite bourgeoisie savoyarde. Je suis née ä Chambéry, puis-je suis restée ä Albertville jusqu'á ľäge de six ans. Papa aurait voulu étre architecte, mais aprěs trois ans de service militaire et quatre ans de guerre, il a pris le premier true qu'il a trouvé, c'est-ä-dire inspecteur des impôts. Nous déména-gions de Roubaix ä Lille puis ä Lyon au gré des mutations de mon pere. je ľadorais, comme toutes les filles, je crois. II avait un humour fou et dessinait merveilleusement. Je ne suis jamais allée ä ľécole primaire. C'est ma mere qui m'a appris á lire et ä écrire. Elle m'a appris trois des quatre operations, pas la division. Maman n'aimait pas ce qui divise. Je me suis retrouvée au college ä Lyon sans měme savoir qu'il existait des regies de grammaire ou d'ortho-graphe ! J'avais lu tout Racine, tout Moliěre et Victor Hugo, mais je ne savais rien. Aussi, au college, j'étais bouche bée, j'avalais tout. Me voilä lycéenne ä Clermont-Ferrand, pas trěs disci-plinée, ce qui n'a pas change, je crois... j'ai été presentee au concours general* dans toutes les matiěres, sauf en maths, et voilá que je décroche le premier prix en histoire. Moi qui venais ďun minable petit lycée de province... ce n'était pas imaginable. En plus, j'étais la premiere fille dans ľhistoire ä ľobtenir. je poursuis done mes études en khägne* puis ä Normale Sup*... Lá, j'hésite un temps entre ľagrégation* de philosophie et celie d'histoire. Ce sera ľhistoire parce que j'avais un professeur vraiment extraordinaire. Lorsque la guerre éclate, pour moi, le tournant est décisif, c'est le debut de mon engagement politique ». Source : Viva n° 47, oct. 2001 _____________Publie dans Campus 3, Cle international, 2003. Trois mouvements strueturent ce récit de formation. Dans ]e premier mouvement, la narratrice évoque les 159 cadres sociaux (familiaux et scolaires) qui ont disablement marque sa personnalité au cours de sa socialisation primaire et au debut de sa socialisation secondaire. Elle indique de quoi eile hérite en termes de « capitaux » : sociaux, symboliques, culturels, idéologiques. Le second mouvement tourne autour de : « qu'étais-je en droit d'attendre et d'espérer ? », au vu ďune série de conditions objectives et historiques d'existence, quels étaient les possibles qui s'ouvraient ä eile ? Ce sera done ľagrégation d'histoire... Quant au troisiěme mouvement, il est simplement ébauché: « qu'ai-je ensuite commence ä faire de ce que ľon avait fait de moi ? ». Ici, ce sera le tournant décisif de ľ engagement politique et militant. Ce texte agit comme déclencheur ä la fois sémantique et formel. Les étudiants sont, tout d'abord, invites ä représenter sur un dessin leur propre parcours de formation. Ce dessin peut ensuite étre reporte sur un transparent et, s'ils le souhaitent, le transparent rétro projeté deviendra le support ďun exposé oral qu'ils feront devant le groupe (environ 25 étudiants étrangers). Vien-dra ensuite ľécriture ďun récit dans lequel ľétudiant devra raconter ce qui a été représenté dans son dessin. La troisiěme version de ce texte (écrit et réécrit au cours de plusieurs allers-retours entre ľétudiant et ľenseignante) sera finalement notée. Representation graphique ďun parcours éducatif international C'est la demarche reflexive qu'a accepté de suivre Jing Dong. II présente done oralement un dessin divise en deux parties séparées par une ligne horizontale graduée de 1 ä 21, « an par an », indiquant les äges de sa vie. La partie située juste au-dessus de cette ligne graduée est délimitée (ä gauche) par une flěche bicoiore, rose et noire. Le rose est reserve ä la partie supérieure de cette flěche, orientée vers le haut de la page. Ä ľinverse, la 160 flěche descendant au-dessous de la ligne graduée vers la partie inférieure de la page, est noire. Par ailleurs, une courbe traverse ľ ensemble du des-sin : eile est rose dans la partie supérieure et noire dans la partie inférieure. Dans la partie supérieure du dessin, la courbe sinue ä travers des elements positifs : le visage de Jing Dong, un piano, un drapeau americain, un prix ďexcellence et un point ď interrogation. Le point le plus haut atteint par la courbe rose est le prix ďexcellence. Dans la partie inférieure du dessin figurent une bouée dont sortent deux bras tenant un panneau « SOS », une grande oreille barrée, ľ operation : 810 - 807 = 3 et la Tour Eiffel. La courbe noire démarre au niveau du « SOS » et plonge vers ľoreille barrée, remonte (en redevenant rose) vers le drapeau américain et le prix ďexcellence pour replonger et redevenir noire en atteignant, juste aprěs la soustraction (810 - 807 = 3), en bas ä droite, la Tour Eiffel. Tel qu'il est represents, le « parcours de formation » de Jing Dong est structure par trois elements : la flěche verticale, rose lorsqu'elle monte, noire lorsqu'elle chute vers le bas ; l'axe du temps indiquant les 21 années de la vie de Jing Dong; et la courbe qui sinue ä travers les elements du dessin. La flěche incarne revaluation positive ou negative de chaque événement. La courbe bicolore s'organise en reference (ascensionnelle en rose ou descen-dante en noir) ä la flěche. Voici le texte que Jing Dong a écrit pour poursuivre le processus ďexplicitation de son dessin amorcé lors de la phase ďexposé oral:_________ Mon Parcours Je suis né ä Canton le 18 aoůt 1984. A ce moment-lä, ma mere faisait ses études ä ľuniversité parce que les pro-blěmes sociaux pendant les années 70 lui avaient interdit de faire ses études ä 3'äge normal. Elle allait ä ľuniversité avec moi sur le dos! C'était beaucoup de peine, mais j'étais bien nourri comme ca. Quand j'avais seulement 11 mois, j'étais jeté ä ľeau avec une bouée de sauvetage. Pourquoi ? Pour m'apprendre ä nager plus vite ! Cest fou, non ? Maís comme ca, je n'ai jamais eu peur de ľeau. 161 Je grandissais an par an, je devenais intéressé á tellement de choses, le piano inclus. Un jour, je pleurnichais dans le magasin pour un piano. Finalement, mes parents ont utilise tout leur argent dans le compte pour m'acheter ce piano (á ce moment-Iá, on pouvait acheter quatre motos avec ľargent ďun piano). Aprěs, tout allait bien, je faisais mes études ä ľécole primaire, je jouais du piano chaque jour jusqu'ä 1994. Un jour, on jouait au jeu « le gendarme et le voleur » et un camarade qui avait eu une maladie musculaire m'a giflé fort et sans raison. J'ai perdu mon ou'ie de ľoreille droite ä ce moment-lä! J'ai arrété ďaller ä ľécole pour un an. Et ensuite, quand je suis revenu á ľécole, tout le monde savait que j'étais quelqu'un qui ne pouvait pas avancer. J'étais triste mais je ne voulais pas que cela dure comme £a longtemps. J'allais changer! Comment ? « Sois travailleur et sois le meilleur ». J'ai gagné beaucoup de prix en mathématiques et en informatique. Ca a change les idées de mes cama-rades, les prix m'ont aidé ä réussir ä entrer dans une des meilleures écoles secondaires. Je suis devenu plus travailleur ä cause de ce succés et j'ai gagné des prix en chimie et en biologie. Trois ans aprěs, j'entrais dans la meilleure école secondaire de la province. Ä l'äge de 17 ans, je représentais mon íycée dans un programme ďéchange aux États-Unis avec 11 autres cama-rades du lycée. On habitait dans les families des Améri-cains, on suivait les cours en biologie qui sont enseignés par les professeurs de Middlebury College. Les cours m'intéressaient beaucoup parce qu'on les avait dans les bois, pres des ruisseaux ou dans les fermes. On capturaít les salamandres, les papilíons, les grenouilles, etc. Et puis, on les identifiait, on les esquissait, on les reláchait. J'ai appris beaucoup de choses. De plus, j'ai appris un peu de la culture américaine, un peu des idées américaines. Aprěs, on visitait les villes principales. On est monté dans les « Twin Towers du World Trade Center » le 14 aoůt 2001, un mois avant qu'elles ne s'écroulent! Ľannée 2003 est importante pour moi. Parce qu'il rallait passer le GAOKAO (examen pour entrer dans les univer-sités en Chine) en juin. J'ai obtenu 807 points sur 900, ce n'est pas mal, j'étais ä la 300e place sur 330.000 personnes. Mais pour entrer dans la meilleure universitě de Chine, il faut 810 points. II y avait seulement trois points de plus 162 mais ca ne suffisait pas (...) je pouvais seulement entrer dans dos universités qui demandaient moins de 700 points de GAOKAO. ]e ne voulais pas aller faire mes etudes lä et c'est pourquoi je suis ici ä ľUniversité de Cergy-Pontoise, aprěs avoir appris le francais pendant deux mois seulement. J'étudie les Sciences dans le Deug bilingue. J'ai choisi cette universitě et ce programme parce que je peux apprendre le francais et étudier les sciences en méme temps. Cest une bonne experience parce que je suis dans un pays exotique et je peux faire connaissance avec des gens qui viennent du monde entier! Situé dans un continuum intertextuel avec le récit de M. Rebérioux, le texte de Jing Dong s'organise lui aussi en trois mouvements : Etant donne ce que j'ai été, que suis-je en droit d'attendre et ďespérer ? Que vais-je faire ä partir de maintenant ? Mais la situation dans laquelle ces questions sont posées est différente pour Madeleine Rebérioux (qui arrive ä la derniěre etape de son ceuvre et de sa vie) et pour Jing Dong dont le present est en tension : entre hier (le parcours déjä effectué) et demain (le parcours ä venir), entre ici (la France) et ailleurs (d'une part, la Chine et d'autre part, son prochain pays ď emigration : la Grande-Bretagne). La tension entre ces diffé-rents poles temporeis et spatiaux constitue le moteur de ce texte qui est entiěrement sous-tendu par une hypo-thěse: puisque j'ai su tirer parti de ľensemble de mes experiences, je vais sans doute pouvoir tirer parti de mon experience actuelle. En effet, dans les deux supports, graphique et textuel, qu'il realise, Jing Dong represente de maniere alternée les structures et contextes sociaux «objectifs» et les res-sources subjectives qu'il a constituées de par ses interactions avec ces difŕérents contextes durant sa jeune vie. 163 Pour ce qui est tout d'abord de la petite enfance: le contexte politique des années soixante-dix éloigne sa mere de ses études universitaires ä ľäge «normal». Lorsque celle-ci peut enfin suivre le cursus souhaité, eile porte son nourrisson sur son dos: cette evocation est positive pour Jing Dong qui, dit-il, fut ainsi « bien nour-ri» ! Vient ensuite ľ episode au cours duquel ses parents le jettent ä ľeau alors qu'il est bébé : le jeune adulte se dit-il qu'il s'est d'autant mieux développé qu'il a été mis en situation de devoir s'adapter pour survivre ? C'est, en tout cas, ce qu'affirme une autre étudiante chinoise au sujet de son propre séjour en France : « Je crois que celui qui peut vaincre soi-méme peut reussir dans la vie » (Cao Yi Hong, 2005). Quoi qu'il en soit, le piano demandé, quelques années plus tard, par Jing Dong ä ses parents a peut-étre une fonction de reparation : il prend place dans l'univers du jeune garcon, lui procurant des satisfactions chaque jour, lorsqu'il rentre de ľécole. Arrive alors une nouvelle épreuve : le coup donne par un enfant rend Jing Dong momentanément sourd, ce qui le prive d'une scolarisation normale pendant un an. De retour ä ľécole, Jing Dong a la reputation de quelqu'un qui a du retard. Mais il va combattre cette rumeur en se forgeant une ligne de conduite : « Sois travailleur et sois le meilleur ». Sa volonte lui permet d'atteindre cet objec-tif, comme le prouve ľ excellence qui caractérise la suite de son parcours scolaŕre effectué dans le meilleur lycée de la Province : les prix en chimie et en biologie, ainsi que le premier voyage ďétude ä ľétranger (aux États-Unis), couronnent la réussite de ses études secondaires. On comprend ainsi sa deception face au score obtenu au GAOKAO (des gouttes rouges perlent sous la soustrac-tion 810 - 807 = 3) et son reŕus d'entrer dans une universitě qui ne soit pas classée pármi les meilíeures de Chine (comme ľétait son lycée). La reflexion élaborée par Jing Dong dans son dessin, poursuivie ä ľoral puis dans son texte semble étre la sui-vante : si, jusqu'ä present, j'ai su tirer parti de mes experiences, méme les plus negatives et surmonter les epreuves, aujourd'hui je peux done transformer mon 164 emigration en une reussite comparable ä celie qui aurait été la mienne si j'avais intégré ľ une des meilleures uni-versités chinoises. Cette deduction commence ä poindre dans les derniěres lignes du texte : « Je ne voulais pas aller faire mes études lä et c'est pourquoi, je suis ici ä ľuniversité de Cergy-Pontoise (...}■ J'ai choisi cette universitě et ce programme, parce que je peux apprendre ie francais et étudier les sciences en méme temps. C'est une bonne experience, parce que je suis dans un pays exotique et je peux faire connaissance avec des gens qui viennent du monde entier ! » L'ambition de Jing Dong se révéle ä travers les notions de volonte et de choix : le choix d'amplifier son repertoire linguistique et d'ajouter ä sa specialisation scientifique une troisiěme langue étrangěre ; le francais qui, s'ajoutant ä ľanglais, lui permet d'entamer un cursus scientifique bilingue. Viennent ensuite les consequences de ce choix : ľexpérience de l'exotisme francais et la mise en relation avec un réseau international. Ä ce stade, nous comprenons comment Jing Dong commence a reproduire dans ľ emigration ľexpérience initiale de transformation du handicap (perte de ľoui'e) en processus de différenciation (étre travailleur), puis en processus ď excellence (étre le meilleur). A l'issue d'un court apprentissage du francais (deux mois dans une Alliance francaise, en Chine, puis un mois ä Cergy), le jeune étudiant s'exprime, pour la premiére fois, en public, dans le cadre d'un cours de francais, devant trente étudiants Erasmus pour leur presenter le dessin que nous venons d'analyser. Ce public international 1'applaudit chaleureusement, le félicite et lui prodigue ses encouragements. Jing Dong en est visiblement trěs heureux. Ceci réconforte ľestime qu'il a vis-ä-vis de lui-méme : le sentiment de réussir le processus dans lequel il s'est engage semble passer aussi par la reconnaissance que lui témoignent ses pairs. Nous en conduons que son acculturation ľest moins ä « la France » (representee dans la partie inferieure de son dessin par la Tour Eiffel), un 165 pays dans lequel il ne fait que passer, qu'ä une commu-nauté internationale (les étudiants Erasmus) qui valorise les efforts qu'i] fait pour se lancer dans un cursus international. Personne ne savait encore, ä ce moment-lä, que la prochaine etape de Jing Dong serait ľUniversité de Cambridge, en Grande-Bretagne... Historicitě du séjour et historicitě de ľétudiant Le séjour s'inscrit dans un processus historique Pour Men saisir la diversité des réponses élaborées par chaque étudiant effectuant un séjour universitaire ä ľétranger, il convient tout d'abord de se souvenir que celui-ci s'inscrit dans un processus historique. Comme toute pratique sociale, il se construit ä partir de pré-constructions passées: celieš de ľétudiant chinois Jing Dong qui arrive, celieš de notre institution qui ľaccueille, celieš des différents acteurs en presence. Ces formes sociales hérítées sont reproduítes, appropriées, déplacées et transformées; ďautres sont inventées dans les pratiques et les interactions entre les différents acteurs. La confrontation entre cet heritage passé et le travail quoti-dien ouvre sur un champ de possibles dans ľavenir. Au cours des multiples interactions qui ponctuent son « séjour », Jing Dong entre done en contact avec des « réalités sociales »4 de deux maniěres. Circuler entre monde objectif et subjectif 11 doit d'une part composer avec des « mondes objec- tifs » : mots, objets, regies, institutions, etc. II utilise ces regies, ces objets, les transforme et en crée de nouveaux. Constitutes par l'ensemble des rapports de forces et des rapports de sens qui se construisent dans les representations et le langage. 166 Ces ressources agissent en retour comme contraintes et points ďappui pour son action. D'autre part, au cours de ces mémes interactions, la realite sociale s'inscrit dans son'-«monde subjectif» ä travers les fíltres de sa sensibilité, de ses perceptions, representations et connaissances. Ceci nécessite un reel «travail» de va-et-vient, que touš les étudiants ne par-viennent pas ä effectuer, se répartissant globalement dans deux types de réponse : 1) Une réponse negative : les étudiants pour qui ľapprentissage de la langue dans le cadre du « séjour» doit se poursuivre selon le modele d'origine. La langue et la culture sont vues comme des réalités externes ä soi; 2) Une réponse positive: les étudiants dont le repertoire communicationnel et culturel5 doit ä tout prix s'amplifier au cours du séjour Erasmus. Cette amplification du repertoire peut s'effectuer selon deux strategies: une stratégie bí-lingue et bi-culturelie, orientée vers un va-et-vient identitaire entre les deux pays et une logique pluricuíturelle orientée vers une identite (professionnelle) internationale en devenir. Cette stratégie de construction identitaire apparaít clairement dans le « Bilan de mon séjour en France » écrit par Christoph, un étudiant allemand en séjour Erasmus et reproduit ci-dessous. II y décrit ľ ensemble des dispositions qu'il a acquises en formation initiale (ouvertuře au plurilingiiisme) et au cours de son experience internationale (hédonisme) et qui lui permettent de tirer parti de ce qu'il nomme la « vie étrangěre » : 5 Cette notion designe le reservoir dans lequel I'individu irait puiser des ressources variées, voire contradictoires entre elles. Ainsi, pour 3'anthropologue Amselle, la culture est identifiée ä un reservoir de pratiques dont les acteurs se servent pour renégocier en permanence leur identite. Celle-ci est alors le résultat provisoire ďune négociation entre elements disparates. 167 « [...] Aprěs entrer í'universiíé allemande, j'ai commence apprendre japonais et car il y a une programme trěs bon échangée entre mon universitě et une universitě japonaise, j'ai decide aller au Japon aprěs mon DEUG. Au Japon, j'ai aimé bien la vie étrangěre et j'ai commence ä penser sur une travaille dans une organisation internationale aprěs ['universitě. Avec connaissance dans la langue japonaise et couramment en anglais et allemande, je vu apprendre une autre langue, ou francais ou chinois. Car j'ai appris francais un peu déjä et car les difŕicultés chinois (pronunciation et écriture) j'ai recommence apprendre francais. Aprěs réussi avec mes examens de la gestion, je pu aller encore une foi ä un pays étrangěre avec la programme Erasmus ä í'Univer-sité Cergy-Pontoäse. Aprěs arrivée ä Cergy, aprěs survivre les premiers difficultés en relation de la residence, la vie ä Cergy était trěs agréable. íl y avait beau-coup de possibilités pour rencontrer des amis interessantes et riches (...). Mais en fait pour les étudiants étrangers, la vie ä Cergy était variée et libre et grace ä la proximate de la grande capitale franchise et de la varieté des amis international, aucun ennui. La melange des grandes fetes dans les clubs, de la offre culturelle ä cause des grandes musées ä Paris et de la intimite des soirees prives aux residences ä Cergy était parfaitement appropriées. Done la vie étudiante ä Cergy était plus agréable comment je m'avaís attendu (...). En rapport avec mon progres je suis un peu dessus. Bien que j'ai sans doute amélioré mon capacité de parier francais considerable, aprěs vers trois mois ä Cergy mon niveau est encore élémentaire. Mais en fin, mon bilan general est positive. La vie dans la banlieue de Paris était amüsant et j'espere avoir une autre possibilité d'habi-ter Paris pour vraiment maitriser la difficile langue francaise ». Christoph Kademacher, Universitě de Cergy-Pontoise, Cilfac, 2003-__________________________________________________________2005 Pour Christoph, ľappréciation du séjour éducatif ä ľétranger se fonde sur deux criteres devaluation : la qua-lité socialisatrice de ľexpérience internationale et les progres realises dans la ou les langues des pays d'emi-gration. On voit, ä travers cet extrait, comment, děs sa formation initiale, Christoph met en place une série de decisions (apprendre le japonais, partir au Japon, etc.) qui font qu'ensuite, íe séjour a Cergy s'inscrit dans une trajec-toire internationale conscientisée depuis longtemps déjä. On voit, en outre, ä travers les modalités appréciatives, critiques, évaluatives, interprétatřves, etc., mises en 168 ceuvre dans ce « bilan », que la reflexivitě de Christoph n'en est plus ä ses débuts. Conclusion Toute construction de strategies identitaires va de pair avec la mise en ceuvre de processus de reflexivitě. Mais ce phénoměne semble s'accroitre en situation de mobilite internationale. Ceci se traduit notamment par le fort investissement dont font preuve les étudiants des échanges (notamment les étudiants de niveau B1-B2) vis-ä-vis de formes textuelles, telies que journaux ďappren-tissage et récits de parcours de formation que nous leur proposons. Ce constat fait echo avec les reflexions du sociologue de ľexpérience Francois Dubet, pour qui la distance ä soi se construit tout particuliěrement lorsque le sujet est confronté ä ľhétérogénéité de diverses logiques de l'action. Ainsi, la pluralite sociale engendre une réflexivité qui peut donner sens et coherence ä ľexpérience diversifiée de la mobilite internationale. On peut en déduire que la mise en relation des elements heterogenes devient centrale dans la construction de ľ identite sociale de Jing Dong qui consolide une Strategie identi-taire plurilingue en contexte de mobilite educative. Le séjour dans un pays étranger constitue un derangement (vécií comme positif, dans le cas de Jing Dong et de Christoph), parce qu'il confronté ľétudiant ä la néces-sité ďapprendre la langue autrement; c'est-ä-dire dans le cadre de processus de socialisation (formelle et informelle) au sein desquels il doit, ďune part, gérer des situations de communication exolingue et, d'autre part, mettre en ceuvre des competences psychosociales (entrer en relation avec les autres, gérer des tensions, etc.) que, dans la plupart des cas, il découvre ä ce moment-lä. La pauvreté de ses moyens linguistiques doit done étre compensée par la mise en ceuvre de competences qu'il découvre sur le terrain. Ľanalyse ä laquelle nous avons procédé, dans cet article, montre que, dans le cadre d'une intervention 169 appropriée, ľétudiant peut réfléchir sur ses formes de socialisation et ď acculturation passées pour transferer cette capacité de réflexivité ä ce qu'il vit au present. La decision ďintiruler un cours de francais langue seconde « Texte et mise en discours de parcours interna-tionaux » induisait qu'un étudiant puisse relire ľhistoire de sa socialisation passée ä partir de cet angle particulier qu'est la notion de «parcours international». Ľanalyse des productions de Jing Dong (du dessin ä ľexposé oral -applaudi par les étudiants - et de ce moment ďoralité reflexive vers la realisation d'un texte) a montré que ľaltérité (d'abord incarnée par une lointaine langue étrangére - le francais - puis ľ embléme d'un pays exo-tique - la Tour Eiffel - pour devenir un espace social concret - Cergy, peuplé ďindividus que l'on a plaisir ä connate, les étudiants du monde entier) est devenue un objet present dans sa conscience et avec lequel il commence ä composer. Bibliographie Bronckakt J.-P., 1999, Activité langagiěre. Texte et Discours. Pour un interactionnisme sociodiscursif, Lausanne: Delachaux & Niestlé. CORCUFF P., 1995, 2004, Les nouvelles sociologie. Constructions de la réalité sociale, Paris : Armand Colin. Coste D., Moore D., Zarate G., 1997, Plurilingual and Pluri-cultural Competence, Strasbourg : Council of Europe. DuBET F., 1994, Sociologie de ľexpérience, Paris : Seuil. Molinie M., 2000, <- Ecrire son histoire pour penser la culture, Education permanente », dans A. Lainé, R. Orofiamma, P. Dominicé (dir.), Les histoires de vie, theories et pratiques, Paris : Education permanente, pp. 133-146, n° 142. Molinie M., 2002, « Discontinuités linguistiques et coherences biographiques », Bulletin de ľassoáation Suisse de linguistique applíquée, Biographies langagiěres, 76, Universitě de Neuchä-tel, pp. 99-113. 170 Molinie M., 2005, « Retracer son apprentissage, pour quoi faire ? », dans C. Martinot (dir.), A.I.L.E., Recherche sur t'acquisition des langues étrangéres et didactiaue du frangais langue étrangére, n° 23, Paris : Encrages. Approches relationnelles et actionnelles de récits biographiques Daniel FELDHENDLER Universite Goethe, Francfort-sur-Main, Allemagne Le portfolio européen des langues (PEL) du Cadre européen commun de reference pour les langues consacre une importance de choix ä l'approche biographique par ľintroduction de pratiques de biographie langagiěre. Ces demarches émergentes interpellent les praticiens et acteurs sociaux engages dans les demarches de formation interculturelle et dans la didactique du francais langue étrangére (FLE). Les enjeux fondamentaux sous-jacents de l'approche biographique demandent de considérer de telies pratiques avec grande attention. Au cours de cette communication, aprés avoir resitué différents aspects du débät äcťuel - äpproche biographique, biographie langagiěre, biographie interculturelle comme ouvertuře ä la diversité identitaire ~ nous aborderons les enjeux multi-dimensionnels de telies pratiques éducatives et leurs potentialités ďélaboration ďidentité culturelle dans ie contexte actuel de la construction européenne. Nous prendrons plus particuliérement appui sur les pratiques de formation qui se déroulent dans le cadre de ľlnstitut des langues et littératures romanes de l'Univer-sité Goethe ä Francfort-sur-Main (RFA). Ces ateliers invitent les participants étudiant le francais, ä réťléchir activement sur leurs itinéraires respectifs ä travers différents modes d'expression. Des instruments ďexploration J 72 favorisent ľapproche expérientielle de vécus (approche relationnelle et dramaturgique, journal de formation, pratiques autoréflexives, etc.)- Le processus de travail rela-tionnel permet de répertorier de nombreux aspects pertinents qui entrent en consideration pour ľélaboration de demarches biographiques dans les apprentissages langa-giers. Le travail biographique repose sur le développe-ment ďattitudes et ďaptitudes fondamentales inhérentes aux situations de communication et ďinteraction, ä savoir ľécoute sensible, ľécoute de Soi et celie de l'Autre, en vue ďune meilleure comprehension et restitution réri-proque, ľexpression personnalisée dans une dynamique ďidentité narrative et de reflexivitě, la sensibilisation aux elements paralinguistiques dans ľénonciation (langage non verbal, voix et intonation, langage corporel, expression des emotions, representation de ľaffectivité, perception de ľexprimé et du non-dit). La perspective actionnelle de la demarche que nous préconisons, déve-loppe la dynamique de la reliance comme mediation et mise en relation symbolique des dimensions complexes ďun travail biographique (aspects relationnels, personnels, interpersonnels, interactionnels, intergénéra-tionnels, inter- et transculturels, travail de reminiscence et memoire collective). Comme le precise le Cadre euro-péen commun de reference pour les langues, la perspective actionnelle prend en compte « les ressources cognitives, affectives, volitives et l'ensemble des capacités que pos-sěde et met en ceuvre l'acteur social». Ľapproche biographique s'inscrit dans une dynamique instituante des actes de parole portcs par des acteurs sociaux, sujets de leur apprentissage. Actualité d'une approche biographique Elle constitue une demarche émergente dans le sec-teur éducatif generalise. Ä travers la notion de biogra-phie langagiěre, eile pourrait s'inscrire et s'institutionna-liser dans les pratiques pédagogiques et entrer, plus particuliěrement, dans la formation, initiale et permanente des enseignants (de langue) au niveau national, 173 international, européen, mondial. De par la place que le Cadre européen commun de reference pour les langues confere ä ľapproche biographique, ceile-ci constitue un enjeu éducatif européen de premier plan comme support de mediation transculturelle dans ľouverture euro-péenne et ľélaboration ďidentités culturelles. Replacons le débat dans un contexte societal - ä ľexemple des débats scientifiques orchestrés par la revue Sciences de l'Homme, dirigée par Armand Touati. Depuis le debut du nouveau millénaire, cette revue organise des congrěs européens de Sciences de l'Homme et Sociétés. Ils visent ä řaciliter les échanges entre des recherches de pointe et les pratiques professionnelles avec leurs acteurs sociaux respectifs. Au cours des premiers congrěs européens, les enjeux pour répondre aux multiples défis de nos sociétés en mutation se sont précisés. Une idée clé fait son chemin : créer du lien social entre individu et société, en réponse aux phénoměnes alarmants de fragmentation sociale. La question centrale et essentielle au devenir humain se pose: Quelle education pour quelle humanitě ? Elle s'inscrit dans une dynamique particuliěre : comment étre en devenir tout en restant sujet de son his-toire et créateur de sa vie, sujet agissant et non assujetti aux contingences et aux contraintes sociales et sociétales dans les processus de mondialisation actuels. Le travail de reliance que la société civile et que nos systěmes de formation et ďéducation doivení engager en priorite, demande de « substituer une pensée qui relie ä une pen-sée qui disjoint», comme le formule judicieusement, Edgar Morin. Pour mettre en acte cette pensée émanci-patrice et génératrice de transformations profondes, les pratiques ďhistoires et de récits de vie (Pineau & Le Grand, 2002) sont porteurs de vecteurs encourageants et de potentialités riches en développement. Leur actualité en tant que pratiques multiformes est liée ä un sentiment et ä une conscience de mutations des sociétés touchées par une proťonde crise (la crise du sens, des identités et des structures sociales en profond bouleversement). Ľapproche biographique oriente le regard sur le quoti-dien, l'individuel et le collectif. Elle aborde nos phéno- 174 měnes de société en se constituant comme moyen de representation, de mise en forme et de structuration de trajectoires de vie. Elle se donne ainsi pour täches de donner du sens au vécu et de le rendre signifiant dans la recherche identitaire. Reference clé dans ľapproche bio-graphique, Paul Ricceur a abordé ä maintes reprises, depuis une vingtaine ďannées, ľimportance de la fonc-tion narrative pour ľélaboration de ľidentité du sujet humain. II constate qu'individu et communauté se constituent dans leur identite ä travers leurs récits qui deviennent, pour ľun comme pour ľautre, leur histoire effective. Pour Ricceur, ětre historien et conteur de sa propre vie introduit une dialectique particuliěre; le sujet apparaít comme lecteur et scripteur et il se reconnait dans ľhistoire qu'il se raconte ä lui-méme, sur lui-méme. Ľhistoire ďune vie ne cesse ainsi d'etre refigurée par la narration et cette activité peut induire des changements d'ordre qualitatif. La refiguration constante de sa propre histoire avec transformation progressive conduirait ä une identite narrative. Travail de memoire et de reminiscence, la narration active la prise de conscience de Soi et des Autres et la connaissance de son altérité: Soi-meme comme un Autre. Celle-ci est ä considérer comme facteur dynamique et structurant dans la recherche identitaire. La demarche biographique invite ä assumer son histoire et dans certains contextes ä revisiter l'Histoire ä travers nos histoires singuliěres, « expression de ľhisto-ricité, ďest-á-dire du travail qu'un individu effectue sur sa propre histoire pour tenter d'en maitriser le cours », comme le pointe Vincent de Gaulejac (1999), en reference ä ľapproche existentielle de Jean-Paul Sartre. Les histoires personnelles individuelles demandent ä ětre reliées en une histoire collective. Nous sommes appelés ä un défi d'une autre envergure dans cette recherche existentielle en quéte de conscience commune et de parcours de reconnaissance partagée comme culture de la reciprocite. Christine Delory-Momberger (2000: 207) rappelle qu'« en France, les années soixante-dix marquent un tournant épistémologique et méthodologique dans les sciences sociales ». Elle souligne que, dans la mouvance 175 et dans la repercussion des événements de mai 1968, il y a emergence d'une sensibilité politique et sociale attentive ä saisir le vécu social dans ses conditions et ses pratiques concretes. Ainsi, dans les sciences sociales, les méthodes quantitatives font place aux méthodes qualitatives qui accordent une importance fondamentale ä la realite individuelle et subjective des situations vécues par les acteurs sociaux. Cest dans ce climat, precise Delory-Momberger, qu'il faut resituer la redécouverte (ou la découverte) de la tradition biographique anthropolo-gique ä travers les travaux des ethnologues ou les tra-vaux de ľécole de Chicago des années 1920 et leurs prolongements. Les pratiques d'histoires de vie emergent dans le champ de la sociologie et Daniel Bertaux introduit ľapproche biographique dans les sciences sociales fran-caises « en menant le premier une reflexion terminolo-gique et méthodologique sur les notions d'histoires de vie et de récits de vie » (Delory-Momberger, 2000 : 211). Parallělement, les pratiques d'histoires et de récits de vie vont progressivement entrer dans le champ de la formation permanente. Aujourd'hui, nouvel enjeu, ľapproche biographique constitue une demarche émer-gente dans tout le champ de ľéducation. Pierre Dominica, professeur de sciences de ľéducation ä ľUniversité de Geněve, ľun des premiers protagonistes (avec Gaston Pineau et Guy de Villers) dans la promotion des histoires de vie en formation, souligne la nécessité de repenser les priorités de ľéducation : « le moment est venu de rappro-cher biographie et education, dans une perspective de "biographisation" qui concerne aussi bien ľespace social de ľécole que les programmes de formation continue ». Pour Delory-Momberger, le biographique est « une caté-gorie de ľexpérience qui permet aux indivídus d'inté-grer, de structurer, ďinterpréter les situations de leur vécu ». 176 Une pédagogie de la relation Quelles approches envisager pour dormer forme aux mutations qui s'opeřeni actuellement dans les apprentis-sages langagiers et dans la formation des enseignants de langue ? Dans la reflexion sur les apprentissages FLE, une dimension a été peu considérée: la relation et la dimension du vécu qui est fundamentale dans l'inter-action communicative. Ainsi, en 1983, la Revue Lefrangais dans le monde (n° 176) intitulait un numero special: La classe de francais autrement. Numero axé sur les pedagogies dites alternatives et des didactiques appelées non conventionnelles. Jean-Marc Caré, coordinateur et Jean-Marie Gautherot, directeur de la revue, ä cette époque, y mentionnent ľexpression alternatives entre guillemets pour constater que si ces pratiques ont des appellations génériques en anglais Humanistic Approach et en allemand Alternative Methoden, elles sont restées « intraduisibles » en francais. Quinze ans aprěs, la méme revue titrait son numero special de Kecherch.es et applications : Apprendre les langues étrangěres autrement (Janvier 1999). Son coordinateur, Jean-Marc Caré, a organise le sommaire autour de cinq points clés : le courant humanisté; ľhypothése neu-robiologique avec la suggestopédie et la programmation neuro-linguistique; une pédagogie de la relation; les outils de l'imaginaire; l'espace, le corps et le mouvement. Caré souligne que ces pratiques de didactique des iangues étrangěres, qui sont toujours identifiées en France comme non conventionnelles, interrogent et inter-pellent: « Ä la perióde des certitudes méthodologiques s'appuyant sur des moděles forts {structuralisme, beha-viorisme...) devrait légitimement succéder (c'est le sens de ľhistoire) une plus grande ouvertuře ». Aujourd'hui, nous nous ouvrons ä de nouveaux horizons et ä de nouvelles perspectives, á ľexemple de la bio-graphie langagiěre. Le modele de l'approche relationnelle crée un cadre de reference favorable pour une adaptation de l'approche biographique ä ľapprentissage ďune langue : « ľenjeu veritable des apprentissages langagiers est de développer, non settlement des competences lin- 177 guistiques, mais aussi des aptitudes de sorte que les interactions langagieres deviennent espace d'emergence de la subjectivité dans ses composantes affectives, cogni-tives, sociales et culturelles ». Depuis 1977, nous avons élaboré, en AÍIemagne fédérale, dans les contextes uni-versitaires de Mayence et de Francfort-sur-Main ainsi que dans un centre de recherche-formation, le Centre de psy-chodramaturgie, des demarches qui mettent particuliěre-ment ľaccent sur le développement d'attitudes et d'apti-tudes relationnelles dans une approche globale (Feldhendler 1999). Développer de telies competences, c'est aborder ies situations d'apprentissage en créant un espace, un climat, un type de relation pédagogique parti-culier. Ceci entraine un changement d'attitude fondame-tal avec d'importantes consequences pédagogiques. L'en-seignant d'une langue vivante doit done procéder diffé-remment dans ľorganisation de ľapprentissage. II doit faire appel ä une autre structure didactique. Dans cette nouvelle situation, la fonction de la langue est d'etre bien plus un support relationnel. Elle doit permettre ä chacun de se situer et de se determiner, eile est de méme l'inter-médiaire dans les situations de communication. De langue enseignée, eile devient langue vécue, langue relationnelle et langue des interactions au sein du groupe-classe. C'est, comme le souligne Bernard Dufeu (1996), la langue des sensations, des emotions, des impressions, de la situation, dans l'espace et le temps, de la position par rapport ä ľautre. La consequence didactique immediate qui découle d'une progression relationnelle est le recours ä des « activilés-cadre ». Leurs caractéristiques reposent sur leurs fonetions de catalyseurs favorisant ľécoute et le désir ďexpression. Les demarches proposées dans la formation initiale ä ľuniversité, dans la formation didactique et dans la formation permanente des enseignants, ont pour origine les fondements théoriques des sciences de la communication, de la psychologie sociale étayées par la pratique du psychodrame pédagogique et des structures de la dramaturgic C'est une approche portée par la communication 178 et les relations humaines, combinée ä ľ expression dramatique. Dans le travail de formation ä la relation interculturelle, de telies demarches intěrdisciplinaires constituent des instruments d'analyse, d'intervention et de changement, agissant comme miroirs culturels et sociaux, comme révélateurs et catalyseurs relationnels. Ces pro-cédés invitent ä une autre attitude forma trice. lis rejoignent d'autres modes d'intervention qui sont regrou-pés sous la denomination «techniques d'implication» (Demorgon & Lipiansky, 1999). De telies approches nécessitent la mise en place de demarches ayant pour enjeu de sensibiliser ä la complexité du champ abordé et ďintégrer la dimension affective et inter-subjective dans des pratiques de type expérientielle. Une pédagogíe de l'histoire de vie en tant qu'éducation ä la complexité apparaít peu ä peu dans la formation aux demarches interculturelles : « La dimension interculturelle est un des points saülants de la mise en ceuvre de cette demarche biographique un des lieux d'accroche du travail individuel et collectif » (Delory-Momberger, 2001). Martine Abdallah-Pretceille precise que ľéducation interculturelle (1999) repose sur une mise en relation et une prise en consideration des interactions entre des groupes,. des individus,. des identités. La priorite y est donnée au sujet. Maddalena de Carlo (1998) propose ďintégrer le travail d'identité narrative comme activité didactique ä visée interculturelle. Approches relationnelles et travail biographique Depuis 1997, j'organise des travaux de recherche-action dans le cadre universitaire, avec pour objectifs, ľémergence du sujet et de son identite narrative par la mise en relation de ľécriture de récits de vie et la representation scénique. La brochure de notre Institut de langues et littératures romanes présente cet atelier-laboratoire sous le titre : « Hístoires de vie et üarcours de 179 formation ». Ce cours propose aux étudiants de réfléchir sur leurs itinéraires respectifs ä travers ľexpression écrite et la representation scénique. Cette approche auto-réflexive permet de mieux cerner ses propres motivations dans un parcours de formation. L'approche biographique se comprend comme processus dynamique de formation ä partir de: • Ľécriture ä la premiere personne du sujet, ä la découverte d'un JE ; • La redaction d'un journal personnel de récits et d'histoires de vie pour ŕavoriser ľémergence d'une « identite narrative »; • La representation scénique de fragments de vie en ayant recours aux procédés dramaturgiques du Théätre-Récit; • La recherche du NOUS par la mise en correspon-dance thématique et collective. Nous nous concentrons, plus particuliěrement, sur les aspects thématiques suivants : - la vie étudiante, le parcours de romaniste, - les rapports ä la langue étrangěre, - la motivation profonde dans le choix des etudes de franca is, - les influences transgénérationnelles dans le choix d'une langue étrangěre, - la découverte de l'Autre et de ľautre culture, - les experiences ä ľétranger (en France), - les vécus intercuiíurels, - la socialisation scolaire et les experiences d'apprentíssage, - les premiers moments dans ľapprentissage d'une langue étrangěre. D'autres aspects thématiques sont intégrés en fonction des désirs exprimés par le groupe. Ce cours constitue, de merne, un entraínement ä ľexpression orale et écrite dans des situations d'implication et de communication relationnelle. 180 Une étudiante, ayant participé ä ce cours, écrit ä la fin de son journal de récits et ďhistoires de vie : « Ä travers les dialogues, pendant le cours, mais aussi ä travers ľécriture des textes pour ce journal et ä travers les jeux interactifs, il y a souvent les moments ou mes camarades ďétudes mentionnent qu'ils commencent ä réaliser quels ont été leurs motifs pour le choix de leurs etudes. Ceci est une experience que moi-méme, j'ai aussi faite (...). La reflexion sur de tels sujets révěle qu'il existe toujours des fils conducteurs qui dirigent le parcours de formation et ainsi le dérouíement d'une vie ». Nous intégrons, dans de telies approches, la representation de récits de vie et leur mise en relation par une approche novatrice de récits de vie (Feldhendler 2005). Celle-ci, peu présente dans les demarches FLE, a été créée en 1975 par Jonathan Fox (1994, 1999) et Jo Salas (1996), aux États-Unis, dans l'État de New York. Cette méthode ď improvisation intitulée Playback Theatre constitue un instrument dialogique ďexploration de nos experiences vécues, de nos reminiscences individuelles et de nos his-toires collectives au present. La demarche a pour objectif la representation spontanée du vécu, ä travers un dispo-sitif interactif original: des perceptions subjectives, des moments, des fragments, des tranches de vie, des récits personnels exprimés par les spectateurs ou les participants ďun groupe sont tour ä tour représentés selon une dramaturgie particuliěre. La méthode, que nous dési= gnons dans un contexte francophone, par le terme de Théätre-Récit opere ä partir ďun modele de dialogue social constructif. Dans une situation d'ateíier, de session de formation, les participants sont tour ä tour acteurs et spectateurs en éveil, dialoguant et communiquant par ľ intermedia ire de la narration de leurs histoires et la representation. Les membres d'un groupe mettent ainsi en scéne leur vécu personnel; ils expriment leurs sentiments et leurs emotions. Les individus se découvrent dans la parole et ľimage, dans ce miroir et prisme inter-subjectif de perceptions instantanées. Nous rejoignons ľherméneutique philosophique de Ricceur dont l'ceuvre est guidée par une conviction centrale : le plus court che- 181 min de soi ä soi est la parole de ľauťre. La philosophie de cette forme d'improvisation reside dans son enjeu essen-tiel: traduire en images sur scene, sous une forme eidé-tique, métonymique et métaphorique, ľ essence et la quintessence de ce qui a été exprimé par le conteur/ narrateur. En d'autres termes, les récepteurs (acteurs et conducteur / metteur en scene) doivent saisir le sens propre et figure d'un message, ses connotations et lui donner une figuration signifiante aussi authentique, congruente et empathique que possible, de sorte que ľémetteur de la narration puisse recevoir, voir, entendre, découvrir et comprendre sa propre histoire dans une restitution transposée. Cest ľ enjeu fundamental du déve-loppement de ľécoure sensible, de la reciprocite et de la réflexivité! Dans un contexte pédagogique, la méthode de Théätre-Récit constitue un entrainement actif ä la réflexivité dans la communication et la demarche integre diffé-rentes phases: écoute, comprehension, expression, action, interaction, retroaction et mise en commun. Elle sert ľ emergence d'attitudes relationnelles entre locuteurs et récepteurs. Mon experience pratique de la méthode et son integration dans mon enseignement ä ľuniversité, ainsi que dans la formation permanente des enseignants, confortent cette hypothěse. Ses formes spécifiques accentuent; - la capacité d'écoute et de comprehension, - la réceptivité et ľexpressivité, - la spontanéité dans la parole et dans ľaction, - ľadéquation de la réponse donnée, - la traduction d'un message avec d'autres supports (le corps, la voix, les sons etc.), - ľintégration de ľ expression verbale et non verbale, - ľ expression de ľaffectivité et des emotions, - la perception de soi et des autres, - ľ ouvertuře ä une situation nouvelle. 182 L'approche biographique constitue une herméneu-tique comme mediation transculturelle. Ceci apparait dans les travaux de recherche-action que nous dévelop-pons actuellement dans le cadre de I'enseignement uni-versitaire, ä ľexemple ď ateliers intitules: innovations dans les demarches interculturelles. Ces séminaires abordent la question des méthodes appropriées pour aborder la dynamique complexe des phénoměnes cultu-rels, ä ľexemple de dynamiques interculturelles. Le recours aux pratiques transdisciplinaires constitue une nécessité tout autant qu'un défi pour les systěmes éduca-tifs existants. Nous favorisons les approches qui s'appuient sur les processus expérientiels, sur l'impiica-tion personnelle et relationnelle des participants, sujets de leur apprentissage. Par le récit de vie, le sujet est acteur et auteur de son histoire en devenir. Ainsi, entre passé, present et avenir, nous apprenons ä conjuguer tous les temps. Une pédagogie innovante apparait et une progression didactique peut se dégager dans les diffé-rentes étapes du travail de sensibilisation ä la relation inter cultur eile. Bibliographie Abdallah-Pretcetlle M., 1999, Ľ education internaturelle, Paris : P.U.F. Bertaux D., 1997, Les récits de vie, Paris : Nathan. de Carlo M., 1998, L'interculturel, Paris : CLE International. de Gaijlejac V-, 1999, « La vie est-elie un roman ? » Cultures en mouvement, 18. Delory-Momberger C, 2000, Les histoires de vie. De ľ invention de soi au projet de formation, Paris ; Anthropos. Delory-Momberger C, 2001, « Les histoires de vie pour penser la mutation », Cultures en mouvement, 41. Delory-Momberger C, 2003, Biographie et education, Paris: Anthropos. Demorgon }., Lipiansky E.M., 1999, Guide de l'interculturel en formation, Paris: Retz. 183 Dufeu B., 1996, Les approches non conventionnelles des langues étrangéres, Paris : Hachette. Feldhendler D., 1990, « Dramaturgie et interculturel », Le fran-qais dans le monde, 234, pp. 50-60. Feldhendler D., 1992, Psychodrama und Theater der Unterdrückten, Frankfurt: Verlag Nold. Feldhendler D., 1999a, «La dramaturgie relationnelle», Le frangais dans le monde, Recherches et applications, pp. 125-133. Feldhendler D., 1999b, « Formation ä la relation intercullurelle par des approches psychodramatiques et dramatur-giques », dans C. Aixemann-Ghionda (éd.) Education et diversité socioculturelle, Paris : L'Harmattan, pp. 249-264. Feldhendler D., 2005, Theatre en miroirs, ľhistoire de vie mise en scene, Paris: Téraědre. Fox J., 1994, Acts of Service, New Paltz : Tusitala Publishing. Fox J., Dauber H., 1999, Gathering Voices, New Paltz : Tusitala Publishing. Morin E., 2000, Les sept savoirs nécessaires ä {'education du futur, Paris : Seuil. Pineau G. & Le Grand L., 2002, Les histoires de vie, Paris : P.U.F. RictEUR P., 1985, Temps et récit III, Paris : Seuil. Ricceur P., 1990, Soi-méme comme un autre, Paris : Seuil. Salas J., 1996, Improvising Real Life, New Paltz: Tusitala Publishing. Uanalyse du « discours de soi » comme dispositif didactique de décentration Carmen GUILLEN DíAZ, Inmaculada CALLEJA Largo et Mä Luz GarráN AntolÍNEZ Universitě de Valladolid, Espagne Cette communication vise ä rendre compte de la modelisation de ľ analyse du « discours de soi» comme dispositif didactique qui a une double fonction : - Assurer le développement du processus de décen-trage et comprehension de l'Autre/les Autres dans les demarches de ľinterculturel en FLE, avec un public ďapprenants adolescents et grands adolescents du domaine sodo-éducatif espagnol: apprenants.de 1.4-18 ans du secondaŕre (pour qui le francais est la deuxiěme langue étrangěre, ä carac-těre optionneí); et apprenants de 20-24 ans du premier cycle des etudes universitaires {futurs ensei-gnants en primaire, pour qui cette modelisation a adopté une perspective méta didactique, parce qu'elle est insérée dans leur formation). - Servir au principe suivant: toute demarche inter -culturelle - dans le domaine socio-éducatif de l'en-seignement des langues - est un engagement inter-actif et constructif pour les apprenants considérés comme des acteurs sociaux, et requiert un dispositif d'accompagnement de dialogue, de partage et de cooperation. 186 Cette modélisation, côtoyant la recherche en prag-matique lexiculturelle exploitée par Galisson (1997), fait partie ďune etude1 sur ľ identification des savoirs socio-culturels qui entrent en jeu dans- ľ education inter-culturelle (Abdallah-Pretceille, 2001) et dans le develop-pement de la competence communicative interculturelie promue grace aux travaux coordonnés par Byram (Byram & Zarate, 1996; Byram & Tost Planet, 2001). Dans ces travaux : - í'interculturel est envisage pour les contextes sco-laires « en representation »2 tel que nous proposait Galisson (1997: 149) indiquant encore que c'est artificiellement crée en classe, un milieu exolingue oil la culture étrangěre est réellement absente et - la demarche interculturelie est articulée sur la mise en commun de ce que Ton est, ce que Ton sait, la (re)connaissance de soi, les ressemblances et les differences devant les Autres. Le dispositif didactique - concu en lui-méme commé un processus et comme un résultat de ľinteraction entre action et rationalisation - nous renvoie ici au concept de modélisation, done, ä ľ analyse de ses deux niveaux : - le niveau de sa conception ; - le niveau de son application et utilisation effective. 1 Recherche interdisciplinaire menée par les auteurs de cette collaboration, dans le cadre du Projet I+D, reference n- BSO2001-1567. Tirre : El Uxico cultural compartido en los materielles sociales. 2 C'est en ľopposant á ľinterculturel «en action», que l'auteur confere une signification aux interventions éduca-tives préparant ä Faction reelle. 187 Analyse de la conception du dispositif La notion de dispositif didactique, équivalente ä un systéme, est prise pour l'objet qui nous occupe dans un sens general et courant (e'est-a-dire, en principe non développé en Hgne). En tant que systéme, il se montre ä nous comme un ensemble intellectuel (avec des fondements théoriques surgis au sein du travail de recherche interdisciplinaire cite), un ensemble méthodologique (avec la definition des procédés pour son application pratique) et un ensemble materiel (avec des moyens ou instruments pour l'actua-lisation de la double fonction énoncée). Comme il est de rigueur, pour sa construction, nous avons suivi les étapes préalables de: - L'analyse des besoins ä satisŕaire, identifiant la problématique des relations pédagogiques entre les apprenants et ľenseignant par rapport ä la nature de l'Objet ďapprentissage (le FLE ďaprés les directives européennes et notre curriculum offi-ciel qui réclament ľengagement des enseignants dans le développement de la conscience interculturelie). - La conception du trajet ä parcourir, par la representation fonctionnelle et dynamique des conceptions théoriques et principes qui deviennent les premisses permettant de défínir les täches, le role des participants et les phases nécessaires pour la realisation du processus de décentrage dans les demarches de ľinterculturel. - La determination des moyens ä mobiliser et ä fabriquer pour réaliser l'application pratique. L'analyse des besoins La mise en ceuvre d'une demarche interculturelie constitue, dans notre contexte, l'une des difficultés majeures du point de vue institutionnel, méthodologique et 188 pratique, parce que le FLE est au centre ďun réseau de paradoxes entre demandes et offres (Guillen Diaz, 2005). Nous - enseignants et apprenants - sommes assez limités par les horizons de notre ethrtocentrisme, en raison dune socialisation regionale monoculturelle et monolingue, parce qu'il s'agit de la Communauté autonome espagnole de Castille et Leon. Les apprenants du FLE concernés ne sont pas amenés (voire habitués) ä remettre en question leur propre vision du monde, leur propre culture. Dans la salle de classe, on ne tient pas compte du décentrage. Dans ce cadre, ľAutre / les Autres ne sont plus tant ceux qui viennent d'un autre pays; en realite, chaque individu témoigne d'abord d'une autre culture au-deíä des nationalités. Les enseignants du FLE, ä ľheure actuelle, se voient ďune part relégués par la primauté institutionnelle, aca-démique et sociale de la langue anglaise qui, avec le statut de premiére langue étrangere depuis les premiers äges (3 ans, en maternelle), occupe une place centrale dans ľemploi du temps, les motivations des apprenants et les attentes de leurs families. D'autre part, ces enseignants se voient confrontés aux mémes exigences et res-ponsabilités curriculaires de la premiére langue étrangere. L'attention au déveioppemc-nt d'une conscience inter-culturelle - proposée par le Cadre européen commun de reference pour les langues (CECR) (2001)3 et située par notre curriculum officiel (en termes plutôt diffus) dans le bloc de contenus dénommé aspects socioculturels -, est évitée par la plupart des enseignants. lis déclarent que cela s'écarte de ce qu'ils concoivent académiquement comme L'interculturalité dans le CECR est formulae au titre des competences générales individuelles, décrites comme un ensemble de savoirs: savoir, savoir-faire, savoir-étre et savoir-apprendre, et dont le développement doit se pro-duire, de facon intégrée, dans les competences cornmuni-catives langagiéres (voir Chapitre 5 du document cite). 189 essentiel: la dimension linguistique proprement dite, et ils focalisent l'attention sur ce qu'ils connaissent et maí-trisent mieux et peuvent évaluer de facon tangible: les competences linguistiques. Ils déclarent aussi, pour la plupart, qu'ils introduisent la dimension culturelle sous forme de themes, avec des explications et des documents qu'ils présentent dans les cours, pour un travail axé sur les formes linguistiques. Nous pouvons affirmer que tout cela est du ä l'absence généralisée d'une sensibilisation et formation de base pour susciter « une découverte apaisée de la culture de Lautre et de la sienne propre» (Galisson, 1997: 150) et pour assembler savoirs socioculturels et savoirs linguistiques. Dans ces circonstances, le dispositif didactique doit orienter sa conception et son application ä : 1) Pouvoir lier l'objectif de la décentration ä un objectif qui concerne les competences linguistiques, et plus particuliérement la competence lexicale, envisagée dans sa composante lexi-culturelle4, étant les mots des réalités psycholo-giques puissantes, pour la plupart des individus. On les fait circuler trěs facilement dans la salle de classe, se prétant ä ľobservation, la reflexion et la comparaison. 2) Rendre conscients les apprenants de leur propre culture parce que, situés dans les conditions adéquates, ils se voient amenés ä « dire » leurs perceptions et representations propres, ä « lire » la structuration de leur propre culture: leurs savoirs, savoir-faire et savoir-étre, a connaitre les effets sur les Autres, débouchant sur la connais-sance et comprehension réciproques. Pour Galisson (1991), les signes portent une valeur culturelle qui nous permet de contempler les dimensions sociale et culturelle. 190 3) Réduire ľinsécurité et les incertitudes des ensei-gnants devant le fosse qu'ils percoivent entre les demarches de l'apprentissage linguistique et les demarches de l'apprentissage interculturel. La conception du trajet ä parcourir: des references théoriques aux principes du dispositif Nous avons suivi dans notre recherche ľitinéraire suggere par Galisson et Puren (1999) pour la resolution ďun probléme ďintervention didactique, ä la quéte des principes directeurs de la fabrication du dispositif didactique de décentration. Par le recours aux disciplines de reference concernées et en correspondance avec les traits qui configurent ľinterculturalité, nous avons dégagé des construits théoriques et conceptuels, voire les paramětres conceptuels qui vont guider le processus de décentration. Ces paramětres conceptuels ont été transposes en termes de principes directeurs de la fabrication du dispositif, dont découlent nécessairement des formules métho-dologiques et pratiques susceptibles de structurer le dispositif cherché, toujours par la prise en compte des besoins que nous avons exposes. Ces operations et leurs résultats sont décrits ci-dessous ä la racon d'un tableau de bord qui constitue notre guide de pensée et ďaction (Tableau 1) : 191 Disaplinöde Anthropologie Pragmatice Sánantique SémanBque cognitive Sonioürtguistique reference1 ciilturalíste lexiaiJturelle ■ inlerculturelie Psvcholosie Sémioloáedela Sociologie Traits de UnecOTjstoCř Uneitlfcilroiila Unráfiiiiiie líne fflirassiKť qui UneparrjJlkřtMiijri- ľinletcultu- dont la dimension «culture »inter- rajijDrfecnlre s'ínsait dans un sys- lamkimrámch ralite' essentielle est la vient comnie Mvidus posse- tane sérnio- outils de I expáience iiidl- déceníration donnré subjective daní une ihíití praematique viduelle et sodomlíurelle Paramětres Processus de prise {.'organisation Lescomposantes Lessípjiíiífois L'oräl fnraffaiir conceptuels de conscience de desréalitéscultu- dumoi:ragjÄ, väiiculées par im objet ta^etleleriquecst soi (marquairs relies: m tipmiitk, de savoir bits m ľordrelinguistíque qui au cultureis) ihlátliiíletaxe (ünipümmtäit pfyMmwemh plus haut degiémntien! et sfttfif rŕjrátaÉŕ ďunecommunauté fait transfer la culture Principes «Se disiander» Lintelectuel: Leraoi marque Les praxis en usage L'uülisation des nsjfs directeurs re'Iéchir par rostra k tú. par 1 iiferlift son! yniiik s f I lijiiste comme I, rapport ä soi-méme Ľaf (ectií: coíIséí par lis m<&m (la m iépnGknú publicite) (observation, r Formules Stimuler le regard Faire (sj'iiiaf lijísr, Meto en MÉfa devant les fráéi (faire dire) les méthodolo- et ['interrogation se (re)connaitre commun, annoncespublidlaiies savoirs, les fa$ons giques et sur soi, médiatisant réfléchir km Its pupres jiwij m rs oiltalies propres ďag pratiques lesreponses___________________Imterxm ahrik____________seno), ětre, devenir 'léku 1; Dß káptines íe réfhme ssxfomis n&úéfym er fé^s k íisp&itifiké] m Disciplines décrites suivant plulůt 1'oidre alphabéiique. 192 Nous pouvons décrire le trajet par les formulations suivantes: a) L'interculturalité est une competence dont la dimension essentielle est la décentration, par un processus de prise de conscience de soi, de ses propres marqueurs culturels, « se distanciant», se regardant, s'interrogeant, (se) dormant des réponses. Nos apprenants requiěrent la stimulation de leur regard et de leur interrogation sur soi et leurs propres réponses, par la mediation de questions et sous ľeŕťet « miroir » d'un materiel ou support de depart (les annonces publicitaires, tel que nous argumentons ci-apres). b) L'interculturalité est une activité dans laquelie la variable « culture » intervient comme une donnée subjective, configurée par un ensemble ďéléments organises en deux axes : l'intellectuel et l'affectif (Morin, 1.969) enracínés ä plusieurs niveaux. Sur l'axe intellectuel de ľordre du cognitif (objectiŕ), l'individu rend compte des «registres du moi». Sur Taxe affectif de l'ordre de la subjectivité, l'individu rend compte des « réponses du moi». Nos apprenants requiěrent identifier et (re)connaítre leurs propres composantes culturel-les par l'observation et analyse distanciées et médiatisées de leurs productions (« discours de soi »), au moyen des grilles de lecture et de categorisation, comme support de travail. c) L'interculturalité est un réseau de rapports entre indívidus possédant une identite personnelle. Dans les échanges et contacts interp ersonneis, les individus mettent en jeu les composantes du moi: cognitive, expérientielle, comportementale et representative. Le développement de ľidentité personnelle est fortement marqué par ľidentité collective des individus du groupe concerné. Nos apprenants requiěrent pouvoir mettre en commun et réfléchir dans ľinteraction. 193 d) L'interculturalité est une connaissance qui s'inscrit dans un systéme sémiopragmatique, parce que les significations que peut véhiculer un objet de savoir sont étroitement liées ä ľutilisation de ce merne objet dans les pratiques socioculturelles ďidentité des sujets ďune communauté. Des pratiques en usage que ľunivers des médias et, en particulier, la publicite1 produisent et diffusent. Ce sont les messages publicitaires qui conditionnent et modělent les identités, parce que les individus dégagent ou associent ä tout type ďobjets et produits de publicite : des pratiques, conduites, maniéres de penser, sentir, désirs ou aversions, etc. (Abastado, 1980; Lomas, 1996). Dans cet ordre de choses, nos apprenants peuvent mobiliser de facon révélatrice leurs propres marqueurs culturels devant les annonces publicitaires dont ľutilisation, dans la dimension ď intervention dädactique, présente davantage un haut degré de pertinence et disponibilité (Ferrao Tavares, 2000). e) L'interculturalité est une perception et comprehension du monde (propre et étranger) et une perception intuitive de la difference1, avec les outils de l'expé-rience individuelle et socioculturelle pour donner sens aux informations qui nous parviennent Et ľoutil par excellence est la langue, au sein de la quelle le lexique est l'ordre linguistique qui au plus haut degré contient et fait transiter la culture, e'est-a-dire, ce sont les elements lexicaux qui nous donnent ä voir le monde et son mode d'emploi Prise celle-ci, évidemment pour le contexte qui nous occupe, non coxrtme propagande ou creation commerciale mais comme une institution sociale et culturelle (Ferraz Martinez, 2000). Des etudes recentes indiquent que ľ ceil humain, entre la naissance et l'äge de 18 ans, est exposé en moyenne á 350 000 publicités. Imposant de modifier la perception de soi et de ľ Autre et signifiant la (re)connaissance réciproque qui requiert, ä son tour, la (re)connaissance du moi. 194 (Galisson, 1997). Nos apprenants peuvent produire (dire) les savoirs, les facons culturelles propres ďagir, sentir, étre et devenir, comme un. « discours de soi» stimule par des questions affectant les composantes du moi. II ne s'a'git pas ďun rěcit de vie autobiographique ou ďune histoire de vie, car il nous faut éviter le blocage, la crise du «je ». Dans une certaine mesure, ľ utilisation des annonces publicitaires franchises situe les apprenants dans un contexte de radicale altérité (par rapport ä eux-memes et ä la langue utilisée) et, en merne temps, les questions deviennent un facteur de distanciation, étant chaque message publicitaire un pretexte et un pretexte au sein ďun manifeste publicitaire de base (Joannis, 1982) qui fonctionne comme un mécanisme déclencheur, évoca-teur, dormant la « permission de penser ». La determination des moyens ä mobiliser et ä fabriquer Nous avons prepare les moyens pour le dispositif sous forme de matériels de depart et de travail. Leur fabrication a eu lieu dans les phases suivantes : 1) Selection d'une série d'annonces publicitaires esti-mées significatives et productives du point de vue des pratiques sociales. En fonction des données statistiques de l'AACC (Association des Agences - Conseils en Communication), nous avons retenu les annonces de la presse périodique -support papier - relatives aux secteurs de consummation les plus fréquemment annonces: voyages, voitures, services financiers3 (Tableau 2). lis répondtínt aux indicateurs culturels utilises pour Interpretation du monde social (suivant les instruments métho-dologiques de Bourdieu, 1979), ä travers six mots-noyaux: Style de vie, Achats personnels, Économie, Usages habi- 195 Voyages « Et pour vous ? venez vous exprimer sur easijjet.com » « Navettes Paris-Aéroports, pensez RATP » « Les petits prix ď Air France arrivent sur terre » Voitures « Par I 'amour de I' automobile » « La boite de vitesse sans-a-coups entre les rapports » « Touran. Avec ou sans enfants » Services « Si proche de vous » financiers « La banque d'un monde qui change » « Regarder autrement c 'est voir plus loin » Tableau 2 : Messages linguistiques (slogan) des annonces publicitaires retenues 2) Configuration d'un questionnaire dont les items sont en correspondance avec: - Les axes de ľ organisation des réalités culturelles chez les mdividus qui, entre l'intellectuel et ľaffectif (Morin, 1969), articulent les quatre composantes fundamentales de toute identite: cognitive, expérien-tielle, comportementale et representative. - Les modes d'organisation du discours (Charaudeau, 1992 : 633 et ss), un discours (de soi) qui contient les «registres du moi» provenant du domaine intellectuel et les « réponses du moi» pas-sées par le filtre de ľaffectif. Modes que nous avons codifies selon les finalités discursives4 comme: la tuels, Professionnel, lnstitutionnel, qui groupent les secteurs de consommation, coagulant une coherence. Par rapport aussi aux objectifs et fonctions de la publicite (Abastado, 1980: 70-71) et par rapport ä l'orientation en trois sens de ľemploi de la langue (usage verbal) dans la construction du message publicitaire: nommer, indiquer des attributs, exalter pour créer de ľadhésion. 196 denomination, l'attribution, la fonction, la description (Tableau 3). QUESTIONS:________________________________________ 1. Qu'est-ce que c'est ? 3. Quels desirs te suscite cela ? 2. Ä quoi tu ľassocies ? 4. Quels sont les mots qui te A quoi cela te fait penser ? viennent ä ľesprit ä propos de _______________________ces désirs ? ORGANISATION DES RÉALITÉS CULTURELLES : Axe intellectuel ______ Axe affectif COMPOSANTE5 DU MOI:___________________________ Cognitive Expérientielle Comporte- Representative ____________________ mentale MODES D'ORGANISATION DU DISCOURS (DE SOI): ___ Dcnomi- Attribution Fontion Description nation_____________________________________________ Tableau 3. Elements qui sous-tendent les questions : composantes du moi et modes ď organisation du discours (du moi) Les productions du «discours de soi» comme réponse ä la question 1, doivent accorder une identite ä ľ objet annoncé: denomination. Comme réponse ä la question 2, les productions lui accordent une personna-lité, particularités et caractéristiques : attribution. Comme réponse ä la question 3, les productions lui accordent une fonctionnalité, valeur utilitaire: fonction. Et comme réponse ä la question 4, les productions exaltent en nom et personnalité : description. 3) Fabrication d'une fiche de travail et cueillette des don-nées. Celle-ci contient le questionnaire ä remplir, pré-sidée par chaque annonce ou Ton a détaché le message linguistique ou slogan. 4) Configuration d'un outil de description des données et ď analyse de ce « discours de soi», selon un principe de structuration externe aux elements lexicaux produits, parce qu'il ne s'agit pas de les envisager comme systěmes formeis conŕormément aux categories grarnmaticales, mais par rapport ä la structure 197 du monde, done, associés ä ľidentité culturelle de chaque apprenant. C'est ainsi que, par les operations de correspondance et interdépendance entre axes et composantes du moi, nous avons determine les unites de classification qui peuvent étre considérées comme « categories culturelles » parce que leur conception s'est enracinee sur le vécu propre de chaque apprenant, ä travers : a) Les manifestations des « registres du moi», que l'on peut associer au champ de la denotation ou objectivité, dans le sens de la relation referentielle du signe avec les objets nommés. Ces manifestations contiennent des notions relatives aux classes suivantes : objets, événements et experiences. La « catégorie culturelle » objets groupe les elements lexicaux qui nomment les referents ou connaissances declaratives sur le monde et son fonctionnement (lieux, objets, personnes, valeurs, institutions, entités...). Elle nous renvoie au savoir que le CECR nous décrit. La « catégorie culturelle » événements groupe les elements lexicaux qui désignent les actions et procédés mobilises dans les pratiques sociales, resultant du carac-těre utilitaire et pratique des referents. Elle nous renvoie au savoir-faire que le CECR a décrit. La « catégorie culturelle » experiences groupe les elements lexicaux qui désignent des propriétés et conditions de ľ objet (ä caractére structural, formel, esthétique et méme éthique). Elle nous renvoie au savoir-étre que le CECR a décrit. b) Les manifestations des « réponses du moi», que l'on pourrait associer au champ de la connotation ou subjectivité, dont les elements lexicaux se voient charges de valorisations, associations, etc. (voire d'information affective). Ces manifestations contiennent des notions relatives aux classes suivantes : Schemas, decisions I projets, scenarios. 198 La « catégorie culturelle » Schemas groupe les elements lexicaux que désignent les images subjectives du contexte reel ou non. Ce sont des referents subjectives, les savoirs correspondants a une vision propre du monde. La « catégorie culturelle » decisions I projets groupe les elements lexicaux qui désignent des actions et compor-tements estimés nécessaires ou désirés. On percoit un (vouloir) savoir-faire. La « catégorie culturelle» scenarios groupe les elements lexicaux qui désignent les effets et perceptions subjectifs des experiences, charges ďattributíons socio-afťectives. Cest un savoir-étre. 5) Fabrication ďune fiche de travail sous forme de grille contenant les categories culturelles (avec des indications sur les caractéristiques de chaque classe), afin d'y grouper les elements lexicaux produits (Tableau 4). DENOTATION____________________________________ Objets Evénements Experiences Savoir Savoir-faire Savoir-étre CONNOTATION Schemas Decisions I Projets Scenarios Savoir Savoir-faire Savoir-eire Tableau 4. Un support pour la description et I 'analyse des données. 199 Analyse de l'application et utilisation effective du dispositif La mise en ceuvre du dispositif concu peut étre décrite ä travers : les phases de l'organisation observable, les rôles et täches de l'enseignant et les rôles et täches de l'apprenant, travaillant entre ľindividuel et le collectif (Tableau 5). Phases Production Presentation et Classification Interaction BlLAN Evaluation Täches et Rôles DES APPRENANTS Observer. Se poser et répondre aux questions. Repérér. Identifier le « discours de soi ». Clarifier les elements lexicaux et les concepts. Catégoriser les données. Informer de leurs propres marqueurs. Collecter des informations des Autres. Comparer. (Se)définir. Effectuer un inventaire des definitions des Autres. Taches et Rôles de l'enseignant Preparer la situation présidée par les manifestes publicitaires de base. Dormer les consignes devant le materiel de depart et de travail. Fournir des referents pour un travail de métacommuni cation. Favoriser l'inventaire du « discours de soi ». Encourager ä approfondir sur le « discours de soi». Stimuler des strategies de reflexivitě. Mettre en evidence les singularités. Veiller á la qualité des échanges. Soutenir et stimuler des strategies socio-relationnelles. Stimuler ľobjectivité. Veiller et appuyer les formulations du propre « profil culturel » et celui des Autres. Tableau 5. Facteurs descriptifs de la mise en ceuvre du dispositif didactique. 200 Les phases et demarches de ľ organisation débutent exposant les apprenants aux stimuli des messages lin-guistiques des annonces retenues. Et cela, dans des conditions les plus proches possible du caractére séquen-tiel de ía reception publicitaire, utilisant comme technique la formulation des questions specifiques pour éviter les problěrnes ď interpreta t ion des réponses. Cette situation progresse - présidée par la presence des manifestes publicitaires de base correspondents - de la facon suivante: a) Production du « discours de soi », repérage et denomination des propres marqueurs culturels, utilisant le support de depart ou materiel véhiculé. On peut faci-liter la recherche des mots qui renvoient aux images mentales que l'on veut communiquer. Par exemple: une voiture (pouvoir, argent...); la bahque (dépense, épargne...). Les repertoires du lexique culture! de ľespagnol par indicateurs culturels, résuitat du travail de recherche cite, constituent un materiel ďappui trěs utile (Guillen Diaz, Calleja Largo & Garrán Antolínez, 2005). b) Presentation du « discours de soi », par Identification des correspondances entre les elements de ce « discours de soi » et les elements de culture, émettant des hypotheses de sens. c) Classification sur la grille d'analyse dans une perspective lexiculturelie, utilisant les «categories culturelles » et le support de travail. d) interaction pour une analyse ľéíléchie en commun des résultats au sein du groupe de classe, afin de prendre conscience des contenus culturels propres. e) Perception des differences dégageant les similitudes et les differences. 201 Bilan provisoire Les résultats de ľ application peuvent étre commences sur une grille ď evaluation, encore provisoire, que nous avons fabriquée pour obtenir : a) De ľenseignant, les données relatives au fonctionne-ment du dispositif, exprimées en termes ďefficacité (degré ďatteinte de ľobjectif) par rapport au temps, ä la qualité des supports, etc. b) Des apprenants, les données relatives ä la valorisation accordée. Lors ďune approche globale des résultats, nous pou~ vons identifier quelques points forts et quelques faiblesses : - Le questionnaire apparaít comme la technique la plus convenable dans le dessein ď éviter les problěrnes ď interpretation des réponses. - Le travail en dyades est l'organisation la plus efficace, spécialement pour la reflexion et la preparation de chaque mise en commun. -- La phase de production prend beaucoup de temps, determinant chez ľenseignant une plus grande intervention avec des täches de méta-communication (évidemment pour les moins avancés). - La phase ď interaction s'avere trěs productive, si bien eile s'est montrée ä nous marquee par trois points faibles dans ľensemble du processus: eile prend beau-coup de temps; eile exige une forte implication et initiative des apprenants (non assurées au depart); eile depend des capacités de reflexion et discursives en FLE, et aussi de la mobilisation des strategies socio-relationnelles. Comme dispositif, il ne peut étre que considéré ä titre de suggestion, done il est descriptif plutôt que prescriptif, mais e'est ä nous de le faire évoluer encore dans ľoptique de la formation des enseignants, de valider ses différents elements, et de chercher son adequation pour 202 d'autres situations ďenseignement / apprentissage du FLE. Bibliographie Abastado C, 1980, Messages des médias, Paris : CEDÍC. Abdallah-Pretcsille M., 2001, La educación inter cultural, Barcelone : Idea Books. BOURDIEU P., 1979, La distinction. Critique sociale du jugement, Paris: Minuit. Byram M. & Tost Planet M., 2001, L 'identite sociale et dimension européenne. La competence inter culture! le par ľ apprentissage des langues Vivantes, Strasbourg: Editions du Conseil de Ľ Europe. Byram M. & Zarate Gv 1996, Les jeunes confrontés a la difference, Strasbourg : Editions du Conseil de L'Europe. Charaudeau P., 1992, Grammaire du sens et de ľexpression, Paris : Hachette Education. FerraO Tavares C, 2000, Os Media e a Aprendizagem, Lisboa: Univereidade Aberta. Ferraz Martinez A., 2000, El lenguaje de la publicidad, Barcelone : Areo / Líbros S. L. Galisson C, 1997, « Problématique de ľ education et de la communication interculturelles en milieu scolaire euro- péen », Etudes de linguistiqne appliquée, 106, pp. 141-160. Galisson C. & Puren Ch., 1999, La formation en question, Paris : Clé International. Guillén Díaz C, 2006, « Le FLE dans le systéme éducatif espa- gnol: quelques paradoxes entre demande et offre », dans J.-L.V. Castellotti et H. Chalabi, Le frangais langue étran- gére et seconde: des passages didactiques en contexte, Coll. Espaces discursifs, Paris : ĽHarmattan. Guíllén Díaz C. (dir.), Calleja Largo I. & Garrán Antou'nez, Ma L., 2005, Aproximación a un repertorio léxico espaňol por indieadores culturales. De las categorías gramaticales a las cale- gorias culturales {document privé). 203 Joannis H., 1982, Le processus de creation publicitaire. Stratégie, conception et realisation des messages, Paris : Dunod. Lomas C, 1996, El espeetäculo del deseo. Usos yformas de la persuasion publicitaria, Barcelone: Octaedro. Morin E., 1969, «De la "eulturanalyse" ä la politique culturelle », Communications, 14, pp. 5-38. « Internet et interculturel: quelles implications pour la recherche et les pratiques en didactique du FLE ? » Approches, outils et pratiques une reflexion ä partir du projet Cultura Gilberte FURSTENBERG Massachusetts Institute of Technology, Etat-Unis Děs les années 1970, grace essentiellement aux tra-vaux de Genevieve Zarate, I'interculturel a fait son entree sur la scene de l'apprentissage des langues étrangěres, jusqu'ä devenir maintenant « un des axes essentiels de toute pédagogie» des langues, comme l'indique ce colloque. Au lieu de rester l'apanage traditionnel de disciplines telies que ľanthropologie sociale, la sociologie ou la psychologie, I'interculturel non seulement est entré de plain-pied dans le domaine des langues mais il y a trouve un terrain de predilection. L'apparition d'Internet lui a fourni un nouvel élan, dans la mesure oil il a engendré des pratiques de classe trěs concretes, Une synergie parfaite est,, en effet. immé-diatement apparue entre cette technologie - qui permet la rencontre avec l'autre - et le domaine de ľ inter cultura-lité - qui suppose cette méme rencontre. Cette communication se propose,, d'abord, de presenter l'approche, le contenu et la méthodologie ďun projet interculturel qui se situe dans le cadre d'un cours de langue et ensuite, de soulever, ä la lumiěre de cette experience, un certain nombre de questions qui restent en suspens. Pour préciser de quel interculturel il s'agit, nous reprendrons la formulation de Peter Stockinger, ä savoir : 208 «une Situation dans laquelle s'établit, se développe un rapport, une relation entre des acteurs appartenant ä deux (ou plusieurs) cultures, c'est-ä-dire entre des acteurs appartenant ä deux environnements cognitifs et axiologiques, ä deux systěmes de connaissances et" de valeurs (partielle-ment) différents »!. II convient évidemment d'ajouter que, comme 1'ont montré beaucoup d'études, (Beiz, 2003 : 68-69), la simple mise en relation ďétudiants avec des natifs ď une autre culture ne se traduit pas automatiquement en une meil-leure comprehension de ľautre. Cette intercompréhen-sion doit se construire, avec une approche et des outils. Objectif et contexte d'utilisation Toute culture contient une multiplicité de facettes. Notre choix s'est porté sur le développernent de la comprehension de ce qu'Edward Hall, l'anthropologue américain appelle le « langage silencieux », « la dimension cachee » (Hall, 1996 et 1981) de la culture c'est-ä-dire la comprehension des attitudes, valeurs, croyances, modes de pensée, d'action et d'interaction des membres d'une culture. Ces aspects sont, par definition, parti-culiěrement difficiles ä appréhender car ils sont abstraits, flous et quasiment invisibles. Notre défi était de rendre l'abstrait concret et ľ invisible visible. II nous fallait une approche et un outil, desquels sont nes une méthodologie et des pratiques. Collum, projet créé en 1997 au Massachusetts Institute of Technology (MIT)2, a pour but de développer une « La notion ďinterculturel », présentée par Peter Stockinger, dans son cours intitule Séminaire de Maítrise en Communication IntercultureUe, ä l'Institut national des Langues et Civilisations orientales (INALCO), 2002-2003, Paris. Ce projet, créé par trois enseignants do FLE au MIT: Gilberte Furstenberg, Sabine Levet (maintenant ä Brandeis University) et Shoggy Waryn (maintenant ä Brown 209 comprehension interculturelle entre étudiants américains et francais3. Ľexpérience menée entre le MIT et différents établissements en France4 met actuellement en relation des étudiants qui suivent un cours de francais langue étrangěre au MIT avec des étudiants de ľ IUP de Paris II suivant un cours ďanglais de špecialite/ sous la direction de Kathryn English (Furstenberg, 2001). Dotés d'un calendrier et d'un contenu communs, les étudiants de part et ď autre de l'Atlantique, sont amenés ä construire ensemble, par le biais ďlnternet et pendant la durée d'un semestre, une comprehension réciproque de la culture de ľautre5. Approche Nous avons choisi ľapproche comparative dans la mesure oú eile nous paraissait en adequation parfaite avec nos besoins. Dans Cultura, les étudiants francais et américains comparent une varieté de documents semblables tirés des cultures francaise et américaine qui sont présentés en juxtaposition sur le Web, puis échangent leurs points de vue sur ces documents, par le biais de forums en ligne. University), a été finance essentiellement par le National Endowment for the Humanities. Des versions de Cultura ont été créées depuis, en allemand, espagnol et russe. Notre premier partenaire a été Supaéro (l'Ecole supérieure d'Aéronautique) ä Toulouse, puis ce rut ľ INT (Institut national des Telecommunications) ä Evry pendant quelques années. Et ce malgré des horaires différents (quatre cours par semaine au MIT, deux ä Paris II), des niveaux linguistiques différents (niveau intermédiaire au MIT / niveau avancé ä Paris II) et done des priorités linguistiques divergentes (le travail sur la langue ne se faisant pas de la méme facon ä Paris II et au MIT). 2X0 Cette double approche (la comparaison de documents se doublant ďun échange de regards croisés entre natifs de cultures difiérentes sur ces mémes documents) nous paraissait également pleine de pQtentialités. Comme ľécrivit le philosophe russe, Mikhail Bakhtin (1986 : 6-7): « In the realm of culture, outsideness is a most powerful factor in understanding. It is only in the eyes of ANOTHER culture that foreign culture reveals itself fully and profoundly [...] A meaning only reveals its depths once it has encountered and come into contact with another, foreign meaning ». Autrement dit, c'est ä travers le regard de l'autre et par les questions soulevées par l'autre que vont surgir la veritable et pleine dimension des mots et des phéno-měnes culturels inhérents ä route culture. Cet effet de miroir a été souligné par Martine Abdallah-Pretceille dans ses travaux quand eile écrit, en preface ä son ou-vrage Relations et apprentissages interculturels (Abdallah-Pretceille & Thomas, 1995 : 15) que celui qui essaye de comprendre mieux l'autre « parviendra, dans le merne mouvement, ä une meilleure maitrise et une connais-sance plus approfondie de ses propres valeurs et de ses comportements culturels en les voyant ä travers le miroir ďune autre culture ». Processus et méthodologie Comme chacun le sait, comprendre une culture étran-gěre est une demarche progressive, un processus de construction qui peut durer toute une vie. Pour nous, il n'existe, tout au moins pour le moment, que la durée ďun semestre, mais nous le voyons comme le point de depart d'un processus qui se poursuivra ailleurs et autrement. C'est pourquor, nous avons voulu recréer la sym-bolique d'un voyage et d'un itinéraire. II s'agit done pour les etudiants, de part et ď autre de l'Atlantique, de suivre ensemble un parcours représenté par la courbe (voir page suivante). Le point d'ancrage de Cultura est constitué par trois questionnaires que les étudiants remplissent, tout au 211 debut du semestre - avant merne qu'ils n'entrent en contact avec leurs partenaires transatlantiques. Chacun répond ä une série de trois questionnaires identiques6, en tout anonymat et dans sa langue maternelle7. Aprěs avoir repondu ä ces questionnaires, les étudiants entrent dans le site de Cultura lui-méme, qui s'ouvre sur une phrase de Marcel Proust8 (Proust, 1922 :257). Chaque point sur cette courbe représente ä la fois un module (présentant un type de contenu) et une etape (symbolisant la progression dans un parcours). 6 Un premier questionnaire d'associations de mots : quels mots associez-vous ä individualisme / pouvoír / autorite / réussite, etc. Un deuxiěme questionnaire qui leur demande de finir les phrases suivantes : un bon parent.../ un bon étudiant.../ un enfant bienélevé.../unboncitoyen... etc. Un troisiěme questionnaire leur demandant de réagir ä des situations hypothétiques, telies que: vous voyez une mere dans un supermarché donner une gifle ä son enfant.../ vous faites la queue depuis 10 minutes et quelqu'un vous passe devant, etc. 7 Ou tout au moins (dans la mesure oil il y a quelques étudiants-étrangers dans les cours) dans la langue du pays dans lequel ils font leurs etudes. Cette decision (qui ne fait pas ľunanimité chez tous les enseignants de langue) est délibérée. Elie veut répondre ä un désir de parite entre les étudiants (il n'y a aucune domination linguistíque d'un groupe sur un autre ou ďun étudiant sur un autre). Par ailleurs, nous voulions que nos étudiants puissent decoder et lire une langue totalement authentique, qu'ils pourront ensuite utiliser dans leurs discussions en classe. s La citation exacte, tirée de La Prisonniere, est la suivante : « Le seul veritable voyage, le seul bain de Jouvence, ce ne serait pas ďaller vers de nouveaux paysages, mais ďavoir ďautres yeux, de voir ľunivers avec les yeux d'un autre, de cent autres, de voir les cent univers que chacun ďeux voit, que chacun ďeux est ». 212 Les premiers matériaux que comparent et analysent les étudiants sont les réponses aux questionnaires qu'ils auront remplis. Les champs ď investigation s'élargissent et se diver-sifient ensuite. Ľitinéraire de Cultura donne accěs (dans un ordre choisi en commun par les enseignants) ä : • des statistiques et sondages nationaux francais et américains qui permettront aux étudiants de replacer leurs premieres observations dans un contexte socio-culturel plus large, leur donnant ainsi la possibilité de confirmer ou d'infirmer leurs impressions initiales ; • des films francais et leurs remakes américains, tels que Trois homines et un couffin et Three Men and a Baby dont ľanalyse comparative permet de faire émerger des attitudes culturelles sous-jacentes; • des banqües d'images franchises et américaines sur des sujets identiques - images qui, contra irement ä tous les autres contenus et modules, sont produites par les étudiants eux-mémes, en illustration ä des sujets de leur choix et en vue de créer un dictionnaire visuel bilingue et biculturel; 213 • des journaux et magazines nationaux et régionaux permettant de faire une analyse comparative des médias : {'organisation de ľinformation; les choix de la premiere page; ľanalyse ďun merne événement international, tel qu'il est décrit dans la presse américaine et ŕrancaise etc. ; • enfin, une bibliotheque qui propose des documents officiels ä chaque pays ainsi que de courts extraits de textes historiques, littéraires, philosophiques et anthropo-logiques, écrits par des Américains sur la France et par des Francais sur les États-Unis, continuant ainsi une approche de regards croisés. Des archives en bout de parcours donnent la possibilité de comparer les réponses et les forums du semestre en cours avec ceux des années précédentes, et ce depuis 1997. Ces archives9 (si eíles sont utilisées) ne sont ouvertes qu'ä la fin de facon ä laisser entierement neuve ľexpérience de chacun. Au cceur du site, comme de ľapproche, se situent les forums. Ces forums, communs aux deux classes, ont un triple objectif: partager des observations avec les parte-naires transatlantiques; émettre des hypotheses quant aux raisons possibles des differences remarquées; poser des questions et réagir aux commentaŕres et aux questions des autres, le questionnement nous paraissant presenter une dimension essentielle de la veritable communication10. 4 Les archives de Cultura se trouvent ä ľadresse suivante : http://web.mit.edu/french/culturaNEH/spring2004_sample_ site/index_arch.htm. 10 Comme le dit encore Bakhtin {1986 : 6-7), en continuation de la merne citation. « We raise new questions for a foreign culture, ones that it did not raise itself; we seek answers to our own questions in it; and the foreign culture responds to us by revealing to us its new aspects and new semantic depths. Without ONE'S OWN questions one cannot creatively understand anything other or foreign ». 214 II est important de noter que, si les échanges sur les forums sont toujours écrits dans la langue d'origine des etudiants, tout le reste (les discussions dans la salle de classe, les essais, les carnets de bord>,etc. se font dans la langue-cible). Dans ces forums, les etudiants sont totale-ment maitres du dialogue. Les enseignants n'inter-viennent jamais - decision voulue et délibérée. Methodologie: la construction d'un savoir II convient de préciser que ce cours se fait en grande partie en présentiel, mais que la partie en ligne (celle des forums) y est étroitement intégrée. Cest en fait ä la jonc-tion des deux (du travail en ligne et du travail en classe) que les etudiants construisent leur comprehension reci-proque de la culture de ľautre. II s'agit bien sür d'une approche construed viste11 (Brooks, 1999) dont le processus de construction peut se résumer de la facon suivante : • La premiere phase est celie de ľobservation individuelle : tout comme des ethnologues, les etudiants de part et d'autre explorent, observent - ďabord individuel-lement - les documents bruts qui sont présentés sur le Web en juxtaposition (les réponses aux questionnaires / les sondages, les médias, les textes, etc.). Le processus merne de juxtaposition nous paraissait trěs prometteur dans la mesure oú il rend immédiatement visibles ä ľceil Une definition, entre autres, par Jacqueline et Martin Brooks dans leur Hvre In Search of Understanding: The Case for Constructivist Classrooms (1999): « The purpose of learning is for an individual to construct his or her own meaning, not just memorize the "right" answers and regurgigate someone else's meaning [...]. The focus in on making connections between facts and fostering new understanding in students. Instructors tailor their teaching strategies to student responses and encourage students to analyze, interpret, and predict information ». 215 nu certaines attitudes et croyances culturelles, comme le montrent trěs bien les réponses au mot «individualisme », par exemple12 (Automne 2004). • La deuxiěme phase est celle de ľobservation collective en classe oú les etudiants partagent avec leurs cama-rades de cours ce qu'ils ont vu et / ou découvert, élargis-sant done le champ de leurs propres observations. Les tableaux dans la salle de classe ajoutent une dimension cruciale dans la mesure oil iís réfíéchissent les observations que chaque groupe y a inscrites, créant un espace partage visible de tous et permettant ainsi aux etudiants ďétablir des relations d'une observation (d'un tableau) ä une autre - observations qui suscitent alors de nouvelles discussions. • La phase de ľéchange en ligne oú chaque étudiant partage ses observations, decouvertes, interrogations et questions. • La phase de collecte de messages des partenaires transatlantiques. Les etudiants américains, par exemple, rapportent en classe des messages des etudiants francais qui, soit éclairent un point de vue, soit donnent une explication ou soulěvent une question ou une contradiction. Ces messages sont alors diseutés dans la salle de classe, donnant lieu ä de nouveaux questionnements qui seront ensuite débattus ä nouveau dans Ies forums, en un processus de construction permanente. Au fur et ä mesure que des documents sont lus et analyses et grace au regard de ľautre, les etudiants, de part et d'autre, prennent connaissance, affinent, remettent en question leurs decouvertes sur la culture de ľautre, en un processus dynamique de questionnement et de reflexion Continus. Dans ce contexte, rien n'est jamais définitive-ment acquis. Le processus merne par lequel passent les etudiants requiert qu'ils suspendent, en permanence, leur Voir les associations de mots ä «individuaiism / individualisme » : http://web.mit.edu/french/culturaNEH/spring 2004_sample_site/archives/01/answers/individualisme.htm 216 jugement et qu'ils soient préts ä remettre en question, revoir, modifier, élargir, affiner leur comprehension de la culture de ľautre ä la lumiěre de nouveaux documents et perspectives, en un processus colla_boratif et réciproque. Toutes les questions n'auront pas de réponse. Certaines réponses seront revues ďun forum ä ľautre, ďun document ä un autre, des contradictions seront soule-vées, créant une image ä la fois de plus en plus nette et de plus en plus complexe de la culture de I'autre. Ainsi, pour donner un exemple, une étudiante du MIT, aprěs avoir remarqué le traitement tres different de la police dans le film américain Three Men and a Baby par rapport ä l'original Trois hommes et un couffin, écrit (Automne 1998) en reaction au commentaire ďun éru-diant francais : «I am surprised to hear that you think that the French don't accept authority well, and that is why you think the men didn't cooperate in the French movie. In the word associations for "police" and "authority", the French responses were much more positive than the American. Also, I was looking at the opinion polls on the cultura page, and one poll asked French people if they had faith in the police... 70% said yes. There seems to be a contradiction here... What are your thoughts on this ? ». Un étudiant frangais répond et propose ľ explication suivante: «La contradiction entre le sondage qui montre que 70 % des Francais ont confiance en leur police nationale, et le fait que dans le film francais la police se fait doubter, est caractéristique du fait que les Frangais font toujours le contraire de ce qu'ils disent en public. On craint ľautorité, done on dit qu'on est confiant en eile. Mais derňěre son dos, on n'y pense plus, ou pire on essaye de la contourner ». Un autre continue : « La difference entre le questionnaire et {'attitude des acteurs dans le film est que nous acceptons ľautorité lorsqu'elle ne nous bride pas personnellement. Que la police s'occupe des voleurs, e'est tres Men, mais quand eile commence ä s'intéresser directement ou non ä nos propres affaires alors lä, la méftance s'installe et les Frangais considérent alors la police comme un ennemi ». 217 Ce processus de questionnement, qui souíěve constamment de nouvelles questions, se poursuit ä la lecture et ä ľanalyse de nouveaux documents. Ainsi, en fin de parcours, ä la suite d'une comparaison entre La Declaration des Droits de I'Homme et The Bill of Rights, le concept de liberté revient-il dans les forums. (Printernps 2001) « It seems that the French have a different idea of liberty than most Americans. In article 4 of the French bill of rights it says that liberty is being able to do all that does not harm others. This is different from America where we are given certain lights whether or not they affect others (free speech, freedom of the press, right to bear arms, freedom of association). This reminds me of when the French government sued yahoo.com for offering nazi memorabilia on its auctions website. In France I guess it is illegal to sell anything having to do with the nazis. This law seems ridiculous to most Americans. What are your opinions on those types of laws and that case in particular ? ». Á quoi un étudiant francais répond : « En réponse au post de Kamal, je pense que e'est normal de la part du gouvernement de vouloir inter dire la vente ou I'achat d'objets Nazi. Us véhiculent une ideologie anti-démocratique qui prône ľinégalité. Je m'étonne en fait que le concept de liberie aux États-Unis soil définí comme des droits inaliénables (liberie de presse et de la parole) piäsque dans le cas Yahoo cela encourage les groupes nazis ä s'exprimer publiquement: Us sont par essence opposes aux droits du citoyen [...] du moment qu'un ensemble de personnes se prodáme oppose aux droits de la personne (et qu'ils veulent agir dans ce sens pour I'instaurer...), il me semhle normal de les empecher de diffuser ce genre ďidéologie ». Ce méme étudiant continue : « Est-ce que vous pensez qu'une liberie absolue est appropriée ? Et, parce que ce sont des droits inaliénables, est-ce que quelqu'un qui veut publier des informations se sent-il responsable de ce qu'il fait ? Par exemple, est-ce que vous pouvez vraiment annoncer n'importe quoi ? ». II n'est pas de mon propos, ici, de détailler ce que les étudiants apprennent sur I'autre. Les quelques exemples suivants (glanés pármi les découvertes qu'ils font) servi-ront ď illustration. 216 jugement et qu'ils soient préts ä remettre en question, revoir, modifier, élargir, affiner ieur comprehension de la culture de ľautre ä la lumiěre de nouveaux documents et perspectives, en un processus collafeoratif et réciproque. Toutes les questions n'auront pas de réponse. Certaines réponses seront revues d'un forum ä ľautre, ďun document ä un autre, des contradictions seront soule-vées, créant une image ä la fois de plus en plus nette et de plus en plus complexe de la culture de ľautre. Ainsi, pour donner un exemple, une étudiante du MIT, aprěs avoir remarqué le traitement trěs different de la police dans le film américain Three Men and a Baby par rapport ä ľoriginal Trois hommes et un couffin, écrit (Automne 1998) en reaction au commentaire ďun étudiant francais : «I am surprised to hear that you think that the French don't accept authority well, ana that is why you think the men didn't cooperate in the French movie. In the word associations for "police" and "authority", the French responses were much more positive than the American. Also, I was looking at the opinion polls on the cultura page, and one poll asked French people if they had faith in the police... 70 % said yes. There seems to be a contradiction here... What are your thoughts on this ? ». Un étudiant francais répond et propose l'explication suivante : « La contradiction entre le Bondage qui montre que 70 % des Francais ont confiance en leur police nationale, et le fait que dans le film francais la police se fait doubler, est caractéristique du fait que les Frangais font toujours le contraire de ce qu'ils disent en public. On craint ľautorité, done on dit qu'on est confiant en eile. Mais derriére son dos, on n'y pense plus, ou pire on essaye de la contourner ». Un autre continue : « La difference entre le questionnaire et ľ attitude des acteurs dans le film est que nous acceptons ľautorité lorsqu'elle ne nous bride pas personnellement. Que la police s'occupe des uoleurs, e'est trěs Men, mais quand eile commence ä s'intéresser directement ou non ä nos propres affaires alors lä, la méfiance s'installe et les Frangais considěrent alors la police comme un ennemi ». 217 Ce processus de questionnement, qui soulěve constamment de nouvelles questions, se poursuit ä la lecture et ä ľanalyse de nouveaux documents. Ainsi, en fin de parcours, ä la suite ďune comparaison entre La Declaration des Droits de l'Homme et The Bill of Rights, le concept de liberté revient-il dans les forums. (Printemps 2001) « It seems that the French have a different idea of liberty than most Americans. In article 4 of the French bill of rights it says that liberty is being able to do all that does not harm others. This is different from America where we are given certain lights whether or not they affect others (free speech, freedom of the press, right to bear arms, freedom of association). This reminds me of when the French government sued yahoo.com for offering nazi memorabilia on its auctions website. In France I guess it is illegal to sell anything having to do with the nazis. This law seems ridiculous to most Americans. What are your opinions on those types of laws and that case in particular ? ». Ä quoi un étudiant francais répond : « En réponse au post de Kamal, je pense que e'est normal de la part du gouvernement de vouloir inter dire la vente ou ľ achat d'objets Nazi. lis véhiculent une ideologie anti-démocmtique qui prône ľinégalité. Je m'étonne en fait que le concept de liberté aux Etats-Unis soit défini comme des droits inaliéndbles (liberté de presse et de la parole) piäsque dans le cas Yahoo cela encourage les groupes nazis ä s'exprimer pubHquement: Us sont par essence opposes aux droits du citoyen [...] du moment qu'un ensemble de personnes se prodáme oppose aux droits de la personne (et qu'ils veulent agir dans ce sens pour ľinstaurer...), il me semhle normal de les empecher de diffuser ce genre ďidéologie ». Ce méme étudiant continue : « Est-ce que vous pensez qu'une liberie absolue est appropriée ? Et, parce que ce sont des droits inaliénables, est-ce que quelqu'un qui veut publier des informations se sent-il responsable de ce qu'il fait ? Par exemple, est-ce que vous pouvez vraiment annoncer n'importe quoi ? ». II n'est pas de mon propos, ici, de détailler ce que les étudiants apprennent sur ľautre. Les quelques exemples suivants (glanés pármi les découvertes qu'ils font) servi-ront ď illustration. 218 L'analyse contrastive des documents permet aux étu-diants de voir émerger, entre autres, les differences culturelles suivantes: - ľimportance donnée ä l'affectlf dans la culture américaine; - les diťférents concepts de politesse; - la nécessité souvent exprimée par les Francais de respecter certaines conventions, regies et normes établies par la société, en ce qui concerne la politesse ou ľ education des enfants ou l'utilisation du «tu » et du « vous » ; - ľimportance que les Francais accordent ä la notion ďéquilibre, leur désir de ne pas aller trop loin, de ne pas dépasser des limites et leur critique des Américains dont ils jugent les reactions souvent trop excessives; - la tendance des Américains ä vouloir, ä tout prix, éviter la confrontation, dans des situations poten-tiellement conflictuelles, préférant faire appel á un tiers pour résoudre le probléme, contrairement aux Francais qui n'hésitent pas ä étre trěs directs envers le coupable dans des situations de conflits, - attitude que les Américains auront tendance ä qualifier d'impolie... - la tendance dans la culture américaine (qui peut paraítre paradoxale étant donne le fait culture! precedent) ä étre trěs explicite, contrairement ä la culture francaise, beaucoup plus implicite, etc. Progressivement, nos étudiants vont étre amenés ä synthétiser. En guise ď illustration, void13 un des premiers papiers écrits par un étudiant du MIT trois semaines ä peine aprěs avoir commence le projet Cultura. II s'agissait dečhoisir une notion qui paraissait émerger de la société francaise á travers l'analyse des question- http://web.mit.edu/french/culturalNEH/classroom/essai/es sai.l/ html 219 naires et des forums correspondants. Cet étudiant, qui avait commence ses etudes de francais au MIT deux semestres plus tot et n'était jamais alle en France, choisit, pour sa part, la notion d'ordre - notion qui lui fit mettre en evidence et ä son insu, cette facon bien francaise, selon l'expression bien francaise eile aussi, de ne pas « mélan-ger les torchons et les serviettes ». Questions en suspens Bien que Cultura donne des résultats extrémement riches, il n'en reste pas moins que plusieurs questions subsistent. En voici quelques-unes. • Quels modes de communication ? Dans Cultura, ils se limitent essentiellement ä ľécrit. Ce choix initial, bien que trěs porteur, contient également ses limites. Si les conversations en asynchrone ont l'avan-tage de permettre un temps de reflexion de la part des participants, elles présentent ľinconvénient de rester au niveau de la parole écrite, dont les limites sont evidentes. II est effectivement facile de se « cacher » derriěre des mots et de ne montrer qu'une face publique, ce qui pose la question de la véridicité des propos. Les messages reflětent-ils le point de vue d'une personne ou celui ďun groupe; rěfletěnt-ils la vraie pensée de ľétudíant ou pas ? Les étudiants se considěrent-ils en representation ou pas ? Autant de questions auxquelles il est difficile ďapporter des réponses, sans une recherche approfondie. II existe certes beaucoup ďautres moyens de communication ä explorer. Nous avons fait quelques visioconfé-rences14; des collěgues dans une autre universitě utilisent Si les étudiants les ont beaucoup aimées, je les trouve, per-sonnellement, ďun intérét plutôt limite dans la mesure oú 1'heure coute eher, oú eile passe trěs vite, ne permettant pas 220 réguliěrement des webcams15. Mais encore faut-il avoir les moyens financiers et techniques de le faire. Conscients de la nécessité de diversifier les moyens de communication, nous avons depuis peu introduit une dimension visuelle. Le parcours de Cultura inclut maintenant un module intitule « Images», qui permet aux étudiants d'illustrer pour l'autre des réalités de leur vie quoti-dienne sur des sujets de leur choix. Les images qu'ils s'échangent sur Internet sont generatrices de nouveaux forums, ceux-ci étant plus ancrés dans la vie de touš les jours, mais dormant également lieu ä des conversations sur des sujets trěs divers et vastes. Ainsi, un reportage photos sur les métros respectifs de Boston et de Paris a-t-il donne lieu ä des conversations en ligne sur : le sens de ľexpression « metro / boulot / dodo », qui sont les usa-gers du metro, le coüt d'un billet, la fraude, les distances, ľ importance des transports en commun, sur ľ art et les artistes dans les métros, etc. Évidemment, ce mode de communication, aussi apprécié soit-il des étudiants, ne résout pas pour autant la question de savoir quelle image ou réalité ces photos véhiculent, merne si elles se prétent plus facilement ä ľ interpretation. H conviendrait done de comparer et ďanalyser les différents modes de communication pour essayer de determiner quels peuvent étre les apports spécifiques de chaeun et leur complémentarité. • Peut-il y avoir une veritable parite ? Pour établir un veritable sens de communauté (ce qui nous paraít crucial dans le contexte d'un apprentissage de la comprehension interculturelle), il nous semble essentiel qu'il y ait parite entre les partenaires : parite ďäge, certainement, mais aussi parite linguistique pour de suivi dans les réponses et privilégiant plutôt unc simple série de questions-réponses. 15 Au Smith College oú Cultura est utilise, les étudiants communiquent par webcams une fois par semaine. 221 les échanges en ligne. Cest une des raisons pour lesquelles nous avons tenú ä ce que ces échanges se fassent dans la langue «maternelle». Comme ľécrit Francoise Ploquin, (Ploquin, 1997) « s'exprimer dans sa langue est le seul moyen de choisir le mot juste, de nuancer sa pensée, ďapporter la plus grande precision possible ä sou propos. V utilisation de la langue apprise, si eile marque une plus grande ouvertuře ä l'autre, appauvrit ľexpression ». Certaines inégalités restent incontournables, telies que ľinégalité des moyens, ľinégalité du niveau des connais-sances (les étudiants francais en sachant beaucoup plus sur les Etats-Unis que les étudiants américains16 sur la France), ou les «inégalités» dues ä des differences culturelles. Ainsi, les étudiants américains sont-ils tous préts ä fournir plusieurs heures de travail en dehors du cours, contrairement aux étudiants francais, ce qui crée une disparite inevitable dans la frequence des échanges sur les forums. ° Le role du partenaire-enseignant et de ľenseignant ? II faut ďabord souligner la difficulté premiere : celie de trouver un/e partenaire adéquat/e. H est indéniable qu'il est trěs difficile de trouver non seulement le/la -quelqu'un qui partage les mémes objeetifs et le merne type de pedagogic et qui puisse étre libre des contraintes imposées par les programmes. Ou alors, il s'agira de trouver un compromis, entre les objeetifs souhaités et les pratiques possibles, sans toutefois compromettre les prin-cipes fondamentaux, ce qui peut étre problématique. Dans la salle de classe, les enseignants, de part et ď autre, ont toute liberie d'exploiter les documents ä leur facon, mais la partie commune (le calendrier, les modules ä choisir, le temps á passer sur chaque module, etc.) exige une coordination importante. Surtout pour des étudiants américains faisant des etudes scientifiques, comme au MIT. 222 Au-delä d'une orchestration generale, le role principal des enseignants est de s'assurer que les étudiants « avancent» dans leur apprehension et comprehension de la culture étrangěre. Le maténau sur lequel travaillent nos étudiants étant par nature complexe, et portant en lui-méme de nombreuses contradictions et paradoxes, il revient ä ľenseignant ďaäder les étudiants ä apprendre ä reconnaítre et ä réconcilier les elements divers et disparates, non pas en annulant les differences, mais en les encourageant ä pousser leur analyse et ä essayer de voir la realite derriěre les apparences. II s'agit ďencourager les étudiants soit ä établir des rapports soit ä faire surgir des contradictions et paradoxes. La täche principále de ľenseignant est ďamener les étudiants ä une analyse plus approfondie, de s'assurer qu'ils ne vont pas tout regarder sous le merne angle, chercher dés recettes ou remplacer des cliches par ďautres generalisations. H s'agit de veiller ä ce que chaque étudiant, tout comme un archéologue, fouille toujours davantage et essaie de reconstruire, avec les elements dont il dispose et avec autant ďauthenticité que possible le « puzzle que consti- * tue ľautre culture » (Furstenberg, 2003). Ce qui nous aměne ä la grande question, celie de ľ evaluation. • Quels moyens devaluation ? Une evaluation porte, en general, sur le résultat d'un travail (une dissertation / une presentation). Or Cultura, comme d'ailleurs tout apprentissage interculturel, repose essentiellement sur un processus. Comment done évaluer le processus et comment évaluer le processus de chacun des étudiants ? Le dernier module de Cultura permet une sorte ďauto-évaluation dans la mesure oú il donne la possibi-lité ä ľétudiant de confronter ses propres découvertes ä des documents officiels ou ä des écrits ďécrivains et 223 d'historiens francais et américains sur la culture de ľautre, ďy trouver une confirmation ou une explication et done de mesurer quelque peu le chemin parcouru17. Cela dit, l'instrument de choix est certes le portfolio, car il est en adequation parfaite ä la fois avec les objeetifs voulus (la découverte et la prise de conscience de la culture de ľautre) et la méthodologie constructiviste qui ľaccompagne. II permet h ľapprenant de documenter son propre parcours, de tracer son itinéraire personnel au fur et ä mesure, de mettre sur papier ses observations et reflexions, lui permettant en fin ďitinéraire de voir (et pouvoir retracer) le chemin parcouru dans sa comprehension de ľautre culture. Dans Cultura, les étudiants tiennent un carnet de bord dans lequel, chaque semaine, ils notent les documents explores et analyses, les reflexions qu'ils ont suscitées, les questions qu'ils ont posées, qu'ils se sont posées, les réponses qu'ils ont obte-nues de leurs partenaires et qui les ont éclairés ou, au contraire, leur semblent constituer une contradiction, les liens qu'ils ont établis, etc. Mais beaucoup de questions se posent encore, ces carnets de bord ne constituant que la partie émergée du parcours des étudiants et présentant nécessairement une vue partielle. Ces écrits reflétent-ils complětement ce qu'ils ont vraiment observe ? Par ailleurs, trop souvent encore, certains étudiants auront tendance ä s'accrocher ä quelques grandes idées sur ľautre culture et ä vouloir y chercher confirmation- Comment s'assurer aussi que cer- Ainsi, aprěs avoir découvert par eux-mémes ľimportance que les Francais accordent á la notion ďégalité, les étudiants américains découvriront, par exemple, cette phrase d'Alexis de Tocqueville qui écrit, dans La Democratic en Amérique (1850): «Le grand avantage des Américains est d'etre arrives á la democratic sans avoir ä souffrir de revolutions démocratiques et d'etre nés égaux au lieu de le devenir », cette phrase illumřnant pour nos étudiants une des raisons pour lesquelles le principe ďégalité est fundamental dans la culture francaise. 224 tains préjugés ne sont pas renforcés, malgré la multipli-cité des documents et des points de vue ? Enfin, comment voir et savoir si ľétudiant a évolué et modifié son point de vue ? Comment mesurer ce cherhin parcouru ?■ Pour chaque étudiant? Et ce chemin peut-il s'évaluer ä la fin d'un seul semestre ? Les véritables effets ne s'en feront-ils pas sentir beaucoup plus tard ? Et comment les juger ? Autant de questions auxquelles ce colíoque, espérons-le, apportera quelques réponses. Mais, merne si elles sont de mieux en mieux cernées, il en restera toujours en suspens, Peut-étre le plus important, ä ce niveau, n'est-il pas le «résultat», mais le processus merne ä travers lequel passe ľétudiant - processus qui le sensibilise et lui donne les outils qui lui permettront, comme ľécrit Michael Byram (1997 : 61) de devenir « a true intercultural speaker » (nous prendrons le terme « speaker » dans son sens plus large), comme il le définit ci-dessous : « The intercultural speaker can "read" (sic) a document or event, analysing its origins I sources — e.g., in the media, in political speech or historical writing — and the meanings and values which arise from a national or other ethnocentric perspective (stereotypes, historical connotations in texts) and which are presupposed and implicit, leading to conclusions which can be challenged from a different perspective. [...] The intercultural speaker can identify causes of misunderstanding (e.g. use of concepts apparently similar but with different meanings or connotations.l...]. The intercultural speaker can use their explanations of sources of misunderstanding and dysfunction to help interlocutors overcome conflicting perspectives; can explain the perspective of each and the origins of those perspectives in terms accessible to the other ». C'est le but vers lequel tend Cultura, 225 Bibliographie Abdallah-Pretceille M. & Thomas A., 1995, Relations et apprentissages interculturels, Paris : Armand Colin. Bakhtin M., 1986, « Response to a Question from the Novy Mir Editorial Staff», dans Speech Genres & Other Late Essays, Austin, Texas : University of Texas Press. Belz J., 2003, « Linguistic Perspectives on the Development of Intercultural Competence in Telecollaboration », Language Learning and Technology, 7(2), http://llt.msu.edu/vol7num2/ belz/ (consulté le 21 juillet 2004). BROOKS J. et M., 1999, In Search of Understanding: The Case for Constructivist Classrooms, Alexandria, Va.: Association for Supervision & Curriculum Development. Byram M., 1997, Teaching and Assessing intercultural Communicative Competence, Cleredon : Multilingual Matters Ltd. FURSTENBERG G-, 2003, « Constructing French-American Understanding : the Cultura Project », French Politics, Culture and Society, Numero special, Institute of French Studies, New York University. Fürstenberg G. avec Levet S., English K., Maillet K., 2001, « Giving a Virtual Voice to the Silent Language of Culture : The -Cultura Project», Language Learning and Technology Journal, http://llt.msu.edu/vol5numl/furstenberg/default. html. Hall E.T., 1973, The Silent Language, Garden City (N.Y.): Anchor Press/Doubleday. Hall E.T., 1990, The Hidden Dimension, New York: Anchor Books/Doubleday. Ploquin F., 1997, « Ľintercompréhension, une invention redou-tée », Ľintercompréhension: le cas des langues romanes, Le francais dans le monde. Recherches et applications. Proust M., 1922, La prisonniěre, dans A la recherche du temps perdu, texte édité par P. Clarac, A. Ferre, t. 3., Paris: Gallimard, 1961. Aspects interculturels de l'enseignement en ligne : le cas du programme franco-australien « le fran^ais en (premiere) ligne » Christine DEVELOTTE École normale supérieure Lettres et sciences humaines de Lyon, France Ľ integration des TIC dans le domaine éducatif a per-mis la mise en place de nouvelles situations de communication pedagogique entre etudiants (cř. les programmes Tandem, Culturd). En 2001, en s'inspirant de ces projets, qui sont ä ľorigine d'interactions originales entre etudiants, nous avons lancé un projet, lefrancais en (premiere) ligne, en partenariat avec les universites de Sydney (Austrálie) et. de Franche-Comté. Deux ans aprěs, alors que commence la troisiěme saison du programme mis en ceuvre, nous allons, dans cet article, chercher ä expliciter les aspects interculturels favorisés par le dispositif pedagogique en ligne mis en place. Par «aspects interculturels », nous entendons les elements qui portent la marque ď« une mise en relation et une prise en consideration des interactions entre des groupes, des individus, des identités» (AbdaHah-Pretceille, 1999: 48) propre, selon nous, ä susciter la reflexion aussi bien sur la culture étrangěre que stir sa propre culture. Ces elements ä potentiality de reflexion interculturelle sont construits comme tels par le regard du chercheur car, comme le souligne Martine Abdallah-Pretceille, « la spécificité de 228 ľapproche interculturelle reside bien dans le mode ďinterrogation et non dans un champ d'application presents comme interculturel » (2003 : 24). Dispositif pédagogique en ligne On trouvera une description du projet ä ľadresse sui-vante : http://crmtes2.univ-fcomte.fr/qpufc-web/index. htm1 Son objectif consiste ä se servir ďlnternet pour créer un environnement ä distance favorable, ďune part, ä ľapprentissage du francais par des étudiants australiens, ďautre part, ä ľapprentissage du metier ďenseignant de FLE par des étudiants francais engages dans un cursus de maitrise FLE. Son économie globale permet ďexploiter ä la fois les fonctions d'information et de communication ďlnternet: dans un premier temps (premier semestre), des res-sources spéciŕiques sont créées par les étudiants francais pour le public australien et dans un deuxiěme temps (deuxiěme semestre), ces ressources sont exploitées par le biais d'exercices et de täches qui sont proposées aux étudiants australiens et «tutorées» par les étudiants francais ä travers des interactions asynchrones sur un lorum. uans cei article, nous ne traiterons que uu corpus tiré de la premiere phase du programme, c'est-ä-dire la creation de ressources multimédias par les étudiants francais. Nous nous intéresserons done ä la fonction d'information ďlnternet pour tenter d'expliciter quelques-unes de ses spécificités, en particulier, culturelles, liées ä la forme du dispositif au sein duquel cette fonction s'exerce. Ce projet a donné lieu en 2004 ä deux mémoires de DEA soutenus ä ľUniversité de Lyon 2. 229 Corpus et méthodologie Le corpus, sur lequel se fonde cette etude, est compose des productions multimédias des étudiants de maitrise FLE de Besancon des années 2002-2003 et 2003-2004. La consigne qui leur avait été donnée était de concevoir une activité realisable en ligne qui s'adresse ä des étudiants australiens2 et qui s'appuie sur des données culturelles interessantes pour leur public-cible. Les exemples retenus ici ľont été dans le souci de prendre en compte les différents canaux et supports utilises par les étudiants de Besancon. Ainsi, les productions éerites (textes et images) proviennent majoritairement de la premiere année, alors que les documents sonores ont été recueillis dans le corpus des productions de la deuxiěme année. Par ailleurs, ont également été integres des elements tirés d'entretiens realises auprěs des étudiants concepteurs des activités 2002-2003, afin ďavoir accěs ä certaines de leurs representations (en particulier, celieš qu'ils se font de leur public et des traits culturels associés ä l'Australie). Au niveau méthodologique, nous avons utilise les outils issus de ľanalyse du discours (Charaudeau & Maingueneau, 2002) permettant, par exemple, ďéclairer les objets mis en scene dans les discours ou les marques de modalisation (en particulier appréciatives) qu'ils comportent. Nous commencerons par chercher ä mettre au jour les representations initiales des étudiants francais concer-nant leur public-cible, ä savoir les étudiants debutants en francais de ľUniversité de Sydney (corpus 2002-2003). Le public-cible n'était pas le méme pour les deux années: debutants en 2002-2003 et intermédiaires (Universitě de Sydney) et avancés (Universitě de Melbourne) en 2003-2004. 230 Representation du public australien et thěmes censés ľintéresser Au travers des entretiens de 2003, on s'apercóit que les étudiants ťrancais savaient peu de choses au sujet de l'Australie. La plupart ďentre eux ont tenté ďobtenir quelques informations sur le style de vie australien, mais ä ce niveau, ils n'avaient qu'une idée trěs vague de ce que cela recouvrait: « J'suis allée voir un peu un site, des documents, j'ai tapé Austrálie et j'ai regardé des images pour avoir une idée. J'ai vu qu'ils avaient organise les JO, deux ou trois paysages, deskangourous... mais game paraitquand merne loin ». Pour decider des thěmes culturels qu'ils allaient abor-der dans leurs conceptions ďactivités, les étudiants de Besanoon ont été influences, ď une part, par ľidée qu'ils se faisaient des étudiants australiens et de leurs centres ďintérét potentiels: « Nous avons bati notre thěme sur í'interculturalité tout de méme ! Ä savoir qu'ils avaient des bateaux et de ľeau, lä-bas ä Sydney aussi, ils ont de ľeau salée, nous pas, etc. Done oui c'était important. (...) II fallait avoir conscience ä qui on allait s'adresser pour savoir oü taper un petit peu, parce qu'on va pas taper au méme endroit chez tout le monde quoi... ». et d'autre part, par leur environnement, leur mode de vie et l'envie de le faire connaítre. Le thěme de ľeau a parti-cuiiěrement inspire les créateurs ďactivités multimédias : « On a voulu leur montrer notre vie a nous, comme ca ils allaient voir comment ca se passait. On a choisi la décou-veríe des cascades parce qu'eux ils ont la mer mais nous on a des lacs, des cascades, le mont St-Michel et on a voulu montrer la Franche-Comté et la France ä partir de ga. Vers chez moi, il y a des cascades et des lacs vraiment beaux et e'est vraiment notre region ». En dehors des thěmes, comme ľeau, censés susciter ľintérét du public-cible, probablement par sa proximité avec ť element propre ä ľ image stéréotypée du surfeur 231 australien, e'est sur tout la culture étudiante des jeunes de Besancpn que les Francais ont cherché ä faire connaítre : «J'ai voulu montrer le côté étudiant, jeune de la ville de Besangon car le public était jeune, et le côté petite ville sympa, (...)». Pour répondre ä cet objectif, les photos prises par les étudiants et qui ont servi de supports aux activités lin-guistiques mettent ľaccent sur la vie étudiante, ses lieux de vie, ses facpns de faire la féte. í LesbSäiracntseňiversiteípsts ieS ffcs rÉŕsnts Í^ľí [Žit éistaaM< ~f tStcpf-ívl-wes On notera que le fait de donner son appreciation sur ľaspect architectural des bätiments, c'est-ä-dire de faire part de ses propres goüts tend ä créer un lien de connivence avec les étudiants australiens. Cette facon de per-sonnaliser les descriptions en les dotant d'un aspect subjectif est également particuliere ä la communication instauřée avec autmi3 et se démarque, par exemple, de ce que ľ on peut trouver dans les manuels traditionnels. Mise en scene de la dimension multiculturelle dela France 11 faut distinguer deux cas de figure : la volonte expri-mée par les Francais de transmettre aux Australiens une image non stéréotypée de ses habitants et le fait que plu- On le trouvait déjä, par exemple, dans les courriers adressés aux classes qui correspondent entre elles. 232 sieurs étudiants de la maitrise FLE étaient étrangers et que leurs productions en portent la trace. Le premier cas de figure est illustre par une étudiante qui explique qu'elle a voulu donner une autre image des Francais que celie transmise par les méthodes de langue : «On a des photos de l'accompagnement scoiaire, par exemple, parce que je travaille ä l'accompagnement scoiaire, ou on voit que ben les accompagnateurs sont de toutes les ethnies, y a une personne qui vient des Antilles, y a deux personnes qui viennent des Antilles, y a deux Marocaines, y a une Francaise, moi - une Cambodgienne, et les élěves, c'est des Marocains, des Algeriens, des Francais, des Italiens, des Espagnols, on a tout, et que la France c'est pas que les Francais, mais c'est un amalgame de tout plein de natio-nalités qui viennent et qui cohabitent ensemble, quoi, et que évidemment on y arrive trěs bien, voilä ». Les notions ď« ethnie » voire ď« étranger » sont assez floues dans ľesprit de cette étudiante qui melange, par exemple, les Francois des Antilles avec les autres natio-nalités, mais sa volonte de montrer la multiculturalité ä Besancon est claire. On retrouve cette volonte de diver-sifier l'origine culturelle des locuteurs francais dans les documents sonores choisis par les Bisontins en 2004 : sur les six locuteurs interviewés, quatre sont ďorigine étran-gěre: marocaine, capverdienne, cambodgienne, cana-dienne. Ce sont autant d'accents étrangers de locuteurs parlant en francais auxquels les apprenants australiens ont ainsi pu étre exposes, ľ étudiante qui interviewait étant elle-méme canadienne. Le deuxiěme cas de figure concerne la presence impli-cite des étudiants étrangers dans les productions multi-médias, comme on a pu ľentrevoir dans ľ exemple de la comparaison avec la Malaisie... Pour en donner un autre exemple, on prendra celui de deux étudiants africains, récemment arrives en France qui, cherchant ä montrer une fete francaise ont choisi... Halloween ! L'un d'entre eux a justifié ce choix ainsi: « Tout au debut, quand on a commence, c'était la perióde d'Halloween et on a cherché quelque chose qui puisse inté-resser les adolescents de ľ autre côté et quand on est entré 233 sur les sites, on a vu qu'en general Halloween c'était la fete des adolescents et des enfants actuellement (bien sür, aupa-ravant, c'était une fete assez effrayante, parce que ca parlait des esprits qui envahissaient la terre et des choses comme ca), mais actuellement on a vu que c'était plus aussi effrayant et c'est pour ca qu'on a voulu chercher quelque chose qui pouvait intéresser le public et aussi on a voulu avoir un certain échange culturel entre ce qui se passe en France et voir, par exemple, ce qui se passe en Austrálie pendant la fete d'Halloween ». On voit ainsi que la concomitance de la fete d'Halloween en France avec celie de ľactivité demandée ä ľuni-versité a joué un role. Un autre facteur a été le fait que ces deux étudiants assistant ä cette féte qui a pris une importance fulgurante ces 5 ou 6 dernieres années, ignoraient son caractěre récent et son aspect « importe » par rapport aux fetes traditionnelles franchises. Comment savoir qu'une fete est typique ou non ? Pour un natif du Malawi, on peut supposer que les fetes en France détiennent un certain degré de « xénité »... Ce choix de « féte francaise » qui paraít en fait insolite aux Francais ďäge adulte est interessant en ce qu'il produit un éclairage de la realite frangaise vue par le prisme d'une culture étrangére. C'est ce que nous appel-lerons le « décentrage » du regard porté sur la réalité francaise. De ce point de vue, la presence ďétudiants étrangers dans les filiěres FLE constitue un atout pour la formation interculturelle, puisqu'elle permet, en classe, de donner accěs ä d'autres regards que ceux que ľ on connait. 234 Publication en ligne des ressources produites par les étudiants La volonte de véhiculer d'autres representations que celieš qui circulent dans les manuels est explicite4. Les étudiants voulaient que leurs productions soient person-nalisées, qu'elles transmettent des informations sur eux-mémes. Ce faisant, ils ont été amenés ä rendre publiques des ressources sensiblement différentes de celieš qui tra-ditionnellement sont utilisées pour l'apprentissage d'une langue. Nous allons chercher ä rendre compte de la spé~ cificité de ce type ďénonciation, par rapport ä celui des auteurs de ressources classiques. En 2004, les étudiants bisontins ont choisi de presenter des documents sonores qui sont des interviews de diffé-rents habitants de Besancon ďorigine étrangěre. Leur questionnement s'effectue, ä chaque fois, selon la merne trame qui fait alterner des questions classiques (« Depuis quand habitez-vous Besancon ? », « Qu'est-ce qui vous a le plus marqué en arrivant en France ? ») et d'autres qui le sont moins, parmi lesquelles : « Avez-vous été victime du racisme ou de discrimination raciale ? ». A cette question, Antonia, coiffeuse, originaire du Cap Vert et en France depuis 20 ans répond : « Oui... Si si... Par exemple, quand j'ai cherché urt appart, j'ctais dans l'agence et j'ai pris touš les papiers et mon rnari il a porte caution en disant que j'étais allée visiter ľappart, c'était tout OK et aprěs, j'ai arrive et eile m'a dit: "non, on te donne pas" et on voulait savoir pourquoi et, en fait, c'est que l'agence était vraiment raciste ». De son côté, Ung, cuisinier cambodgien répond, lui «jusqu'ä maintenant, non » et Al Mahmoud, commercant marocain dit: .. «Ouah... Sans trop exagérer... Partieilement... Style entendre parier quand on a une exposition "c'est de la Cf., sur ce point, Develotte, Mangenot, Zourou, ä paraitre 2005. 235 marchandise de bougnoul" ou... mais pas directement, c'est dessous-entendusquoi... ». Les personnes interrogées répondent de facon directe, sans que l'on per^oive aucune forme d'embarras dans leur réponse et on peut considérer que cette situation qui met en scéne deux jeunes étudíantes posant «na'ive-ment » des questions ä des adultes ďorigine étrangére se dištancie de la norme discursive poHtiquement correcte des manuels. Les données culturelles recueülies dans les réponses, par la diversité qu'elles recouvrent sont interessantes, dans la mesure ou elles renvoient ä des énoncia-tions qui referent au reel qui les a suscitées : ľhésitation des apprentis journalistes, le rythme des questions, les differences dans la facon de parier francais, ľaccent cambodgien, marocain, etc. Toute la partie orale de Vethos des locuteurs est conservée dans leur discours et le caractěre inattendu des questions, telies que celieš mentionnées ci-dessus, confere une certaine spontanéité ä ces documents. Néanmoins ľauthenticité des interviews des locuteurs étrangers pose la question du traitement linguistique de ces énoncés par rapport ä la norme du francais parle et soulěve des questions : quelles variations par rapport ä la norme sont acceptables dans une perspective d'ensei-gnement / apprentissage linguistique ? Quels méta-discours par l'enseignant local sont rendus nécessaires ? Comment concilier authenticite culturelle et contrainte linguistico-pédagogique ? Décenírage du regard porta sur la culture f ran^aise Nous illustrerons ce point ä partir des documents sonores realises par les étudiants en 2003-2004. Á la question : « Qu'as-tu pensé de la vie ä ľuniversité ? », Annie, étudiante canadienne, depuis un an en France, répond en effet ceci: « En fait, c'était plus facile que j'aurais cru de s'ŕntégrer ä ľuniversité, mais le systéme du secretariat ou il faut aller c'est pas un systéme sur Internet ou par telephone on peut choisir des cours, mais il faut aller au secretariat de tous les 236 sujets et ga c'est un peu mal organise au debut de ľannée. Mais aussi ce qui m'a étonné, c'est le manque de participation dans les cours et c'est que dans les grands amphitheatres les Francais s'habituent ä écrire que des notes et puis de ne pas lever le doigt pour poser une question ou pour faire un commentaire ». II est peu probable qu'un étudiant francais, s'il cherche ä décrire sa vie ä ľuniversité, pointe le comporte-ment de passivité pendant les cours qui est le propre de la majorite des étudiants et qui, vraisemblablement, doit lui paraítre la norme (ä moins qu'il ait déjä eu des occasions de comparaisons extérieures). Et c'est parce que ľattitude des étudiants s'inscrit en opposition avec ce qu'elle connaít de son pays qu'Annie évoque ce point. Si, comme le pense Martine Abdallah-Pretceille, « ľaptitude ä la décentration n'est pas innée, eile nécessite un apprentissage systematise et objective » (2003: 83), on peut penser que des témoignages comme celui-ci peuvent étre utilises dans cette perspective. Jeu des regards en miroir La nature numérique de ces ressources en leur confé-rant une reception internationale amplifie ce phénoměne. Ainsi, dans la recherche liée ä son DEA, Renuka Bhat a propose six documents sonores realises par ces mémes étudiants bisontins ä des professeurs de francais indiens exercant en Inde et eile a recueilli leurs opinions quant ä la valeur pédagogique qu'ils leur attribuaient (en parti-culier, au niveau culturel). Concernant la representation des étudiants francais rapportée par Annie, citée ci-dessus, Renuka Bhat écrit: « Les enseignants (en Inde) sont frappés par cette realite. Un étudiant frangais est associé normaiement aux grands philosophies et aux savants que ce pays a donnés au monde. Dans la plupart des maiiuels de FLE, on trouve une reference ä la revolution de Mai 68 qui donne une image dynamique de ľétudiant frangais. Un étudiant francais, pour le monde, est un étudiant qui pose des questions, qui anime une discussion, qui conteste l'opinion des autres » (2004 : 54). 237 On voit que ľétonnement qui a motive la reaction ď Annie est également ressenti par les enseignants indiens. Le choix de ce fait culturel est done interessant, en ce qu'il bouscule les stereotypes associés ä « ľétudiant francais ». Un autre aspect de ce jeu de miroir, qui mérite d'etre signále, renvoie au regard porté sur soi-méme, qui est un des traits caractéristiques de toute reflexion et formation interculturelles. Ainsi, lorsque, dans I'une des interviews, ľétudiante canadienne demande ä son amie alsaciemie: « Est-ce que tu ressens une identite forte alsacienne ? », celle-ci répond : « Ben déjä par mon accent, j'veux dire quand je vais dans un autre endroit en France on sait tout de suite que je viens d'Alsace [...] je me sens alsacienne, mais je me sens plus francaise qu'alsacienne ». L'attribution de cette hierarchie dans 1'appartenance identitaire ressentie par Jeannette a été relevée par les enseignants indiens comme étant susceptible ď exploitations interessantes en Inde du fait de la relation qu'ils ont établie avec le régionalisme dans leur pays. « Les Frangais des différentes regions de France ont des accents et des fagons de parier variées. Mais le mot "régionalisme" tel qu'il est percu et utilise par les Indiens, dans leur pays et dans leur milieu, fait appel aux discriminations existant entre les différentes regions de ľlnde, regions qui ont des cultures et des fagons de vivre trěs différentes, qui parlent des langues entiěrement différentes. En Inde, il ne s'agit pas simplement d'accent, mais d'une question de langues et de cultures entiěrement différentes » (Bhat, 2004 : 49). Au niveau plus general, les enseignants indiens inter-rogés sur ľintérét de tels supports pour l'enseignement du francais mettent ľaccent sur ľauthenticité des témoignages. Ľun ďentre eux écrit: « Ces six fichiers réussissent ä dormer une vraie image de la France aux apprenants de la langue francaise. Les manuels y échouent car il y a souvent un effort de la part des auteurs de ne projeter qu'une bonne image de la France, ce qui n'est pas toujours vrai et, plus tard, merne si cela a change, on n'a pas toujours une image qui soit conforme ä la realite. Ce qui 238 est trěs interessant c'est qu'il y a quatre fichiers ou on inter -roge les étrangers venus en France (méme si maintenant deux d'entre eux sont ressortissants du pays). Leurs réponses nous font comprendre que la France est un pays comme aucun autre au monde. Les entretiens avec Al Mahmoud et Ung révělent que c'est un pays trěs accueillant, malgré quelques problěmcs de racisme ». Ä travers ľ opinion des professeurs indiens, interrogés sur les ressources sonores francaises, on a ainsi accěs ä certaines de leurs representations sur la France et les Francais. Ces regards « diffractés » aměnent k une representation « pluridimensionnelíe » de la réalité culturelle que ľ on cherche ä étudier. Ä partir de ces ressources numériques, on peut envisager des sequences de cours visant ä développer les competences ďintercompréhen-sion culturelle qui s'appuieraient sur de teíles ressources en multiplíant les points de vue : que pensent de ces documents sonores des apprenants d'autres pays ? Quels aspects culturels leur paraissent intéressants ? Mise en ligne des jeux de miroirs Penser une architecture hypertextuelle de telies res-sources culturelles, qui permettent de juxtaposer les representations associées ä un méme fait culture!, en fonction de diŕférents critéres (pas uniquement géogra-phiques, mais aussi sociaux, générationnels, etc.), peut permettre de donner sens ä la formation pluriculturelle prônée par les textes émanant du ConseÜ de ľ Europe. Si, selon Martine Abdallah-Pretceille, «la décentration et la distanciation peuvent étre deve-loppées en s'appuyant sur des techniques qui ont pour objectif de multiplier les points de vue sur un méme objet» (2003:84) ' il semble qu'aujourd'hui, outre les techniques pédago-giques, les technologies procurent également des poten-tialités de décentrage. En efřet, grace, entre autres, ä leurs capacités de stockage quasi illimitées, ä leurs empans de diffusion, ä leurs facilités de classement hypertextuel, 239 elles peuvent permettre de faire co-exister des points de vue distances géographiquement, mais réunis par une méme perspective d'apprentissage d'une langue et d'une culture étrangěres. Dans un programme de formation de ce type, 1'utili-sation d'Internet se fonde, ä la fois, sur son accessibilité (partout oů les connexions sont possibles) et sur sa fonction ampHficatrice des échanges, par I'aspect exponentiel des representations qui peuvent étre collectées. Ce chan-gement ďéchelle, dans la multipíicité des comparaisons auxquelles il peut donner lieu, peut conduire ä y voir également un changement de nature des ressources pour la formation et ľéducation interculturelles. Maintes questions restent en suspens concernant, par exemple, le degré de pérennité souhaitable pour la presence de ces données en ligne (cf. droit des personnes interviewees ou photographiées dans les travaux ďétudiants), le role de régulateur ä jouer en tant que formateur pour la validation de données, plus ou moins éloignées de la norme linguistique, auxquelles seront exposes des apprenants, la legitimation ou non de telies données par les ensei-gnants et les institutions des pays qui y ont accés. Autant de pistes de recherche dans le domaine de la communication et de ľéducation... Bibliographie Abdallah-Pretceille M., 1986, Vers une pedagogic inter culturelle, Paris: 1NRP. Abdallah-Pretceille M., 1999, Ľéducation inter culturelle, Paris : P.U.F. Abdallah-Pretceille M., 2003, Former et éduquer en contexte heterogene, Pour un humanisme du divers. Paris : Anthro- pos, Ed. Economica. Agrafioti Mv 2004, Les interactions pédagogiques en ligne: le cas d'un projet universitäre d'enseignement I apprentissage du FLE en communication asynchrone, Memoire de DEA, Universitě de Lyon 2. Bľncheick M. & Develotte C, 1995, Ľ interculturel: reflexion pluridisciplinaire, Paris : ĽHarmattan. BhaT R., 2004, Analyse de discours oraux produits dans une situation ďenseignement en Hgne, Memoire" de DEA, Universitě de Lyon 2. Charaudeau P. & Maingueneau D., 2002, Dictionnaire ďanalyse du discours, Paris : Seuíl. Coste D., Moore D. & Zarate G., 1996, Competence plurilingue et pluriculturelle. Etude préparée pour le Conseil de ľ Europe. Dľmorgon J. & Lipíanski E.M. (dir.), 1999, Guide de ľinter- culturel en formation, Paris : Retz. Develotte C., 2000, « Les titres de journaux : un accěs privilégié aux representations », Mots, 64, Paris : Presses de Sciences Po, pp. 23-37. Develotte C, Mangenot F. & Zourou K. (ä paraitre), « Situated Creation of Multimedia Activities tor Distance Learners », RECALL. LadmíRAL J.R. & LlPlANSKY E.M., 1989, La communication inter- culturelle, Paris: Colin. Zarate G., 1993, Representations de ľétranger et didactique des langues, Paris: Didier. Sites Internet Tandem: http://www.slf.ruhr-uni-bochum.de/etandem/ etindex-fr.html Cultura: http://web.mit.edu/french/culturaNEH/ Internet, interculturel et autonomie de ľapprenant Giovanni Camatarri Universitě Paris 8, France et Universita degli Studi di Verona, Itálie Problématis ation de ľinterculturel Nécessité ďune delimitation sémantique du terme «interculturel» Les deux axes de reflexion proposes pour ce symposium posent, avant tout, le probléme d'une definition partagée de ľinterculturel - une definition tout ä fait loin d'etre formulae. A un premier égard, le débat ä propos de la notion ď« interculturel» concerne la sociologie de la culture, I'anthropologie culturelle ou la philosophie de la culture. Toutefois, les bonnes pratiques pédagogiques ne peuvent pas ignorer le noyau du questionnement interculturel, et ne pas prendre position ä ce propos. Je voudrais done expliciter, avant tout, ce que je veux dire en utilisant le terme « interculturel ». Ľinterculturel et Véquivoque autour de la notion de « culture » Malgré le succěs que cette notion a rencontre dans les derniěres années (Portera, 2003), la recherche sur ľinterculturel est aujourd'hui en grande difficulté, en premier lieu pour une raison épistémologique: nous sommes 242 impliqués dans un processus de transformation de la culture qui entraíne un exces de proximité ä ľ objet autour duquel se constitue la notion merne ď« interculturel ». Ľanthropologue suédois Ulf Hannerz décrit le chan-gement culturel en cours comme passage d'une culture comprise comme «packaging», ä ľidée de la culture comme « habitat de signifies » (Hannerz, 1996 : 22). Ľidée de la culture comme packaging découle du postulát selon lequel il subsiste une relation organique entre un territoire, une population, un organisme politique unitaire et un « paquet» organise de signifies et de signi-fiants partagés (Hannerz, 1996: 24). Cette idée de culture, selon toute apparence auto-évidente, est cependant le résultat d'une interpretation historiquement déterminée, étroitement liée au succěs du modele des Etats-nations -ceux que Benedict Anderson a appelés « communautés imaginées » (Anderson, 1991), ĽEtat-nation a eu besoin, pour s'affirmer, de mythologies capables, en měme temps, d'unifier et de diviser, Ľidée du packaging culturel se préte d'une facon formidable ä ce double processus. Le packaging permet, en effet, d'unifier un peuple avec le partage du « paquet national », présenté en opposition ä d'autres « paquets nationaux ». Cette idée est toutefois le résultat d'une construction. Les cultures sont toujours plurielles, méme quand on les percoit comme un suppose « paquet» unitaire. Et, d'ailleurs, la difference culturelle se nourrit de nuances et de relations complémentaires avec autrui (Remotti, 1996 : 69-96). La transition dans laquelle nous sommes impliqués, comporte un glissement des chercheurs vers un concept de culture concue comme « habitat de signifies », corres-pondant non plus au quadrinôme territoire / peuple / etat / culture, mais plutôt á la notion d'« cecouměne global » (Hannerz, 1992: 281-346). Le rythme de croissance de la mondialisation économique a accéléré sa vitesse dans les vingt derniéres années et la communauté scientifique a conjugué ses forces ä l'analyse des consequences de cette acceleration. Cependant, la nouveauté effective, 243 dans la mondialisation, n'est pas la vitesse de ľ intensification des échanges économiques, mais plutôt la mondialisation culturelle, c'est-ä-dire la realisation effective du «village global» prédit, dans les années 1960, par Marshall McLuhan. Internet et interculturel La diffusion de la communication télématique, mais, surtout, la creation d'un systéme intégré des telecommunications - pas seulement du point de vue technique, mais aussi économique / propriétaire -, modifie aujourd'hui la perception méme de la culture. Comme l'a observe Clifford Geertz, « le triomphe de la technologie, notam-ment de la communication, a transformé le monde en un réseau unique d'information et causalité » (Geertz, 1996: 69). Internet (et, de ce point de vue, au méme titre, les emissions télévisées satellitaires) n'est pas seulement la majeure des Infobahn (Mitchell, 1995), mais aussi le véhicule principal d'une nouvelle configuration culturelle. En suivant encore une fois Hannerz, on peut dire qu'Internet est le véhicule privilégié de ľ« habitat de signifies», comprís comme une notion de flux, capable d'expansion et de contraction, toujours dynamique (Hannerz, 1996 :30). La fluiditě de la culture véhiculée par la télématique n'est pas seulement la transposition d'une notion « dure » ä une notion « faible » de culture, mais l'activa-tion d'une nouvelle dynamique culturelle, centrée, non plus sur la « culture » comme totalite réifiée de signi-fiants et de signifies, mais sur les processus de construction que les individus activent. Voilä, enfin, le point de conjonction entre ľ interculturel et le réseau : dans ľ experience personnelle de ľusager, les signifies se composent, se décomposent et se recomposent selon les circonstances de la navigation, c'est-ä-dire selon un critére analogique et purement stochastique. Le résultat de cet usage est 244 ľ assemblage ďune culture toujours plus individuelle et, dans une certaine mesure, toujours plus solitaire1. Ce processus personnel de construction / déconstruc-tion /reconstruction correspond ä une" modalite typique-ment « interculturelle » de signification. Cette configuration de la culture déplace ľ attention « interculturelle » de la « culture » aux individus - les vrais « lieux » oů les « traces culturelles » (Abdallah-Pretceille, 1999 : 16-18) peuvent trouver une synthěse interculturelle. Du point de vue de notre questionnement, cela signifie que 1'approche interculturelle en education n'a pas comme interlocuteur «la culture», mais «les per-sonnes». Ainsi comprise, enfin, la competence interculturelle n'est pas une connaissance générique de la/des culture/s d'un pays dont on étudie la langue, mais une ouvertuře relationnelle spécifique, une disponibilitě ä assembler, partager et négocier ľaltérité et la diversité. En suivant le philosophe italien de ľ education Duccio Demetrio, on peut parier ď« interculturel » comme résul-tat ďun métissage de moděles cognitifs, de langages, ď experimentations artistiques, dans lequel il n'y a plus la possibilité (ni le sens) ďidentifier les moděles originaux (Demetrio, 2004). Potentialités et limites de ľusage interculturel dfInternet De noire point de vue, ía delimitation sémantique de la notion ď interculturel, comprise comme intersection, métissage, créolisation (Miller, 1994), serait la plus interessante ä retenir par rapport ä ľutilisation pédagogique ďlnternet, car eile pourrait exploiter, de facon pertinente, au moins trois potentialités du réseau : 1 Z. Bauman (1999) décrit trěs bien cette situation en termes de « solitude du citoyen global ». 245 1) La personnalisation des parcours. ~ Ľutilisation du réseau permet d'engager l'apprenant dans des täches non artificielles et non construites « en laboratoire », en le contraignant ä se mesurer ä la realite effective de la diversité et de ľaltérité. Si la « culture » n'est pas un « paquet » unívoque, mais un « habitat», on ne peut pré-voir oú se situe réellement la diffículté « culturelle ». En s'engageant dans des difficultés reelles, « ä sa propre mesure », l'apprenant peut mieux évaluer son rapport ä la diversité et accomplir, en pleine autonomie, sa propre construction interculturelle. 2) La dimension critique, c'est-ä-dire la possibilité de sonder la plurivocité constitutive des « cultures ». - En activant une navigation exploratoire, le réseau peut per-mettre ďévaluer, de facon critique, quels elements constituent soit ľ« habitat» dans lequel l'apprenant se situe actuellement, soit les possibilités d'expansion de ľhori-zon de cet « habitat» par ľintermédiaire de la langue apprise. 3) L'autonomisation de ľusager. - Le réseau peutfavo-riser la valorisation de ľautonomie de l'apprenant dans le processus d'apprentissage. Or, ľautonomie n'est pas seulement une des conditions générales de ľapprentis-sage, mais aussi une des conditions specifiques de l'apprentissage interculturel, ainsi que nous l'avons precise. En effet, ľ« habitat de signifies » se configure toujours comme un habitus2 individuel. Cela signifie que la synthěse interculturelle n'est pas, a parte subject!3, une Ulf Hannerz, auquel nous nous référons, a explicitement declare que son concept d'habitat de signifies est derive du concept á'habitus, utilise par Pierre Bourdieu (1979 : chapitre II). On precise a parte subjecti, car évidemment le processus interculturel de production de sens ne peut pas étre dissocié des contraintes sociales (p. ex.: la position sociale ou économique, le degré d'instruction du sujet, la hierarchie institutionnelle, etc.), qui constituent, a parte objecti, les 246 Synthese sociale, mais toujours une synthese individuelle et autonome. L'exploitation de ces potentialités agit avant tout sur la motivation (done sur les composantes affectives de l'apprentissage), mais aussi sur l'attribution de sens (done sur une composante cognitive essentielle) et oriente ľapprenant vers une attitude construetiviste. Mais pour rendre efficace cette perspective, il faudrait renverser la logique habituelle avec laquelle on approche l'interculturel: non plus la recherche d'une relation entre la/les langue/s et un «paquet» culturel de reference, mais plutôt la recherche d'une relation significative entre un sujet et des traces culturelles qu'il doit étre libre de suivre et ďassembler. Évidemment, cela. signifie que la valeur de ľapprentissage d'une langue est reconduite ä ses possibilités ďutilisation « purement » fonctionnelles, non pas ä ľidée qu'elle véhicule « une » culture. Cette nécessité d'une reorientation face aux possibilités ďutilisation interculturelle ďlnternet est liée aux transformations que le réseau a connues dans la phase la plus récente, c'est-ä-dire les transformations causées par la commercialisation du réseau. 11 y a sept ans, il était encore possible de penser que la prevalence, dans le réseau, d'une hegemonie occidentale dans la production, pouvait étre provisoire : étant donné le réseau ramifié, il était possible de penser ä une crois-sance proportionnelle de l'influence des « cultures » péri-phériques4. En effet, dans la derniére décennie, il y a eu une croissance de la presence sur le réseau de sujets minoritaires, mais la condition de leur presence est l'acceptation d'un standard communicationnel qui s'est impose. conditions memes (et les limites) de ľautonomisatkm de ľapprenant. J'interprete, dans cette perspective, l'observation de C. Develotte (1997:103). 247 II suffit de comparer les pages d'accueil de deux sites de la presse internationale ä savoir celie de Grand Island Independent, http://www.theindependent.com/ Nebraska, États-Unis, et celle d'El Watan, http://www.elwatan.com/ Algérie) pour constater l'affirmation la plus complete d'une uniformisation de la mise en page et, surtout, d'une standardisation de la communication analogique alignée sur le modele occidental: Le premier exemple se réfere ä un petit quotidien provincial nord-américain, le deuxiéme ä un grand quotidien algérien ä diffusion nationale. II s'agit, ä premiere vue, de deux ressources ideales pour atteindre la difference culturelle. Sans reserve, on peut affirmer que la modulation de la mise en page, le choix des elements analogiques (les photos, le logo, les icônes) sont iden-tiques ou, plus exactement, sont des variations entre une gamme qu'on peut qualifier de « neutralement occidentale ». Cela signifie que la presence en réseau est percue toujours plus comme un nécessaire renoncement ä toute forme de spécificité communicative et comme une adaptation aux modalités de la communication de ľ Occident5. Voici, alors, ľinévitable paradoxe: le réseau posséde aujourd'hui (aprěs sa commercialisation) une structure « de contenus » qui valorise la localisation (done la pluralite culturelle dans toutes ses formes) et lui donne une potentialite globalisante. Superficiellement, Internet est un reservoir théoriquement illimité de ressources culturelles. Cependant, les contenus culturels trouvent ieur place dans ce reservoir ä ľunique condition d'accep-ter des « formes » communicationnelles standardisées. Ainsi, la spécificité culturelle des sites ne se reflěte pas toujours dans la forme: ni dans la forme linguistique, ni dans la forme communicationnelle generale. La notion méme ď« Occident» est aussi privée de specification : eile est ľidée méme de la transformation de la culture en « habitat de signifies ». 248 Pratiques et typologie de ressources effectivement utilisables D'un point de vue pratique, l'ütilisation du réseau pour ľenseignement / apprentissage interculturel des langues étrangěres est dépourvue ďexemples structures (mais, peut-étre, ľenseignement / apprentissage interculturel est-il réfractaire ä une structuration effective6). Les cours de langues en ligne offrent généralement une approche comparatiste entre « packagings », ou une approche ouvertement multiculturelle. Ainsi, par exemple, la page « La France multiculturelle » comprise dans le cours en ligne 2003-2004 du projet he francais en premiére ligne, mis en place par l'Université de Franche-Comté, l'Université de Sydney et la Mohash University (Austrálie)7. Une approche multiculturelle est visible, également, dans le Cd-Rom généraliste italien Educazione inter-culturale nella scuola delľautonómia8, notamment dans le séminaire Chi sono gli Ebrei ? Conoscere la storia e la cultura ebraica per una educazione interculturale13. En effet, la « structuration » d'un parcours est possible lä oú il y a une «structure». Or, ľ interculturel, comme je ľai compris ci-dessus, est un exercice autonome de structuration, qui se realise ä travers un processus de negotiation « vis-avis » des «■ traces culturelles ». Angelině Garnier et Laurence Reynes, La France Multiculturelle, accessible ä ľadresse http://crmtes2.univ-fcom.te. fr/qpufcweb/maitrise/mc/mcl.html), derniěre consultation: le 27 décembre 2004. Realise par le Ministers de l'Éducation, en collaboration avec RA1 Educational, en distribution ä ľadresse Internet http://www.educational.rai.it/co rsiformazione/intercultura/c drom/default.html, derniěre consultation: le 27 décembre 2004. Qui sont les Juifs ? Connaitre I'histoire et la culture juives -pour une education interculturelle. 249 Plus intéressants sont les parcours généralistes realises par Mosaico (Mosa'ique), projet de RAÍ-Educational, qui integre la documentation publiée sur Internet et emissions télévisées satellitaires dédiées aux services éduca-tifs10. Pármi ces parcours, il y en a qui sont utilisables pour le choix thématique et pour la possibilité d'utilisa-tion effective qu'ils offrent dans le cadre ďune pédagogie interculturelle (Histoires ďémigrants; Réécrire les droits en Europe; A la découverte de la Méditerranée). D'autres pré-sentent un choix thématique enjôleur (Maladie et rétablis-sement: confrontation entre cultures), mais développé d'une facon ouvertement comparatiste. Le projet Mosaico est effectivement utilisable aussi pour ľenseignement/ apprentissage des langues, car il est un projet ä vocation européenne. Dans ľavenir, un enseignant frangais pourra consulter sur Internet le catalogue des unites didactiques du Mosaico italien et demander ä la RAI de diffuser les unites qu'il aura choisies. Lorsque les Francais auront leur Mosa'ique, les enseignants Italiens pourront demander ä la « Cinquiěme » (correspondant ä RAI-Educatio-nal), ía diffusion des modules didactiques du catalogue francais. Ce merne échange pourra se faire, naturelle-ment, entre tous les pays de l'Únion européenne11. Le site Internet met ä disposition le catalogue des emissions disponibles. Chaque emission est presentee par une fiche illustrant le contenu du documentaire. En plus, lorsque cela est possible, la fiche illustrant ľémission est accompagnée par les liens éventuels ä des ressources utilisables pour ľapproťondissement thématique. L'enseignant, á la fin cle sa recherche, choisit les unites audiovisuelles qu'il considěre utiles ä sa lecon et on les sollkite via Internet. Les jours suivants, la RAI Educational transmet, sur la chame thématique satellitaire RAISAT, le materiel demandé par cet enseignant, dans le programme quotidien «Mosaíque» diffuse du lundi au vendredi de 10h30 á 13h30. http://www.mosaico.rai.it/francais/index.asp, derniěre consultation : le 27 décembre 2004. 250 Encore plus interessantes sont, de toute facon, les res-sources non explicitement produites pour une utilisation pédagogique. Un site trés utile pour activer des parcours personna-lisés et autonomes ďapprentissage interculturel, est accessible á travers [France] Italia12, portail culturel de l'Ambassade de France en Itálie: il s'agit des ressources de Gallica Voyages en Italieu, nouveau site Web de la Bibliothěque nationale de France dédié ä ľltalie. Le projet Gallica montre une approche interdisciplinaire, car il per-met de consulter une breve presentation de ľltalie géo-graphique, une courte chronologie de ľhistoire italienne, puis ďaccéder aux ressources, en suivant trois chemins différents : le premier prévoit quatre parcours théma-tiques; le deuxiěme (accěs géographique) permet de cli-quer sur une region de la carte puis une ville pour faire apparaítre une liste d'ouvrages; le troisiěme (Itálie en images), enfin, permet de visualiser dessins, peintres, gravures, photographies de voyage. Les deux premieres routes permettent ďaccéder ä un reservoir trěs important de textes, ä travers lesquels, en suivant les parcours de voyage d'écrivains, les apprenants Italiens découvrent des regards détournés sur leurs pays et, en merne temps, explorent les interstices de la pensée dans lesquels des personnes (les écrivains) ont exercé directement une interpretation interculturelle, en transformant ľaltérité et ľinconnu en paysage de leur intériorité. Gallica peut ainsi devenir une ressource essentielle pour ľapprentissage interculturel des langues francaise et italienne, car il va développer un partenariat avec le Centro interuniversitario di Ricerca sul Viaggio in Italia14 (CIRVI), qui travaille actuellement sur un projet de 12 http://www.france-italia.it/, derniěre consultation: le 27 décembre 2004. 13 http://gaUica.bnf.fr/VoyagesEnItalie/, derniěre consultation : le 27 décembre 2004. ,4 Centre Interuniversitaire de Recherche sur le Voyage en Itálie. 251 numérisation et d'exposition virtuelle multilingue, II Viaggio in Italia, et qui pourra étre complémentaire du dossier Voyages en Itálie de lá BNF. Des liens permettront de lire ou de voir des documents de ces deux sites, de découvrir des notices détaillées, des elements biogra-phiques ou bibliographiques, des mises au point critiques, d'autres textes et d'autres voyageurs. Malgré tout, ľanalyse des ressources en ligne pour ľenseignement révéle la persistance d'une equivoque, ä propos de la notion merne ď« interculturel», difficile ä résoudre, car eile est enracinée dans la carence d'un cadre théorique coherent. Trěs souvent, en effet, ľadjectif « interculturel » cache une conception multiculturelle ou, au moins, une conception culturaliste15. En Itálie, cette confusion est relativement diffusée, car la récente « découverte » de ľ interculturel est étroitement liée aux migrations, phénoméne presque inconnu jusqu'il y a une dizaine d'années. Dans une logique d'émergence, se sont rapidement développées des pratiques éducatives fina-lisées dans ľintégration des étrangers dans les institutions scolaires, au detriment de la reflexivitě16. Brěve reflexion sur les implications techniques pour ľutilisation pédagogique du réseau Comme nous ľavons vu, ľ interculturel peut étre concu comme une attitude individuelle ä assembler et partager les signifies dans un « habitat» qui est sans doute social (ľidée merne de ľhabitat implique un contexte non-solipsiste), mais qui a comme point de depart le sujet. II faudrait alors construire des modalités d'utilisation du réseau qui peuvent activer en méme Pour une critique du cuíturalisme, compris comme « mala- die infantile de la culture », cf. M. Abdallah-Pretceille (1999 : 36-40). On utilise ce terme dans ľacception de N. Luhmann et K.--E. Schorr (1979). 252 temps les capacités de construction autonome de la signification et la capacité de partager et de négocier les signifies. Pour utiliser efficacement le réseau dans une approche intercultureile, il semble souhaitable de se doter d'une plateforme minimale (Calvani & Rotta, 2000) comprenant les outils de la classe virtuelle, intégrée et celie du groupe de partage (Rotta, 2001) et surtout des outils de communication synchrones et asynchrones (Mailing-list, forum, chat, etc.), Par ailleurs, des espaces concernant ľédition ou la production de documents, le travail personnalisé pour enseignants et apprenants et le partage des fichiers et d'une liste de liens Internet (Rotta, 2001) sont recommandés. Le choix des conditions techniques a une grande incidence sur toute pratique de formation ouverte. De méme que le choix d'une strategie relationnelle structure le rapport ďenseignement / apprentissage en presence, le choix ďune plateforme technique est décisif pour la réus-site de la formation ouverte et il 1'est d'autant plus pour la FAD. De mon point de vue, il existe une gamme, une hétérogénéité qui va du fermé ä ľouvert. A un pole, la possibilité ďinteraction et de partage est strictement réglée par ľenseignant, au detriment de ľautonomie de í'apprenant (autonomie de gestion temporelle, de construction sémantique, etc.). Ä ľautre pole, la créativité des enseignants favorise celie des apprenants. Dans cette optique, au moins quatre conditions essentielles peuvent étre clégagées : 1) Ľintégration ďoutils télématiques différents, qui fournissent soit ľacces aux ressources en réseau, soit ľacces au partage et a la négociation, avec les enseignants et avec les autres apprenants. 2) La possibilité ďutiliser des modalités asynchrones de communication entre apprenants et entre apprenants et enseignants. Ľasynchronisme permet, en effet, ďavoir ä disposition un temps de « refroidissement » des compo- 253 santes affectives de la négociation, que facilite la disponi-bilité ä partager les signifies. 3) La visée de ľautonomie de ľapprenant, c'est-ä-dire ľactivation ďun processus de construction personnelle du rapport aux signifies culturels. 4) La possibilité ďexplorer en pleine indépendance un reservoir de ressources en ligne, en activant une pedagogic de la recherche et de la construction. Conclusions Dans cette communication, j'ai cherché ä focaliser quelques enjeux que la recherche doit prendre en charge pour explorer les potentialités interculturelles du réseau, en relation avec l'apprentissage d'une langue étrangěre (mais, plus généralement, en relation ä tout apprentissage). En premiere instance, j'ai cherché ä démontrer la nécessité de renoncer ä établir un lien univoque et trop strict entre une langue et une culture, car la diversité culturelle ne suit pas strictement les frontiěres langa-giěres. La culture, dans la phase historique actueíle, subit une transformation profonde, qui nous éloigne de ľidée traditionnelle du packaging, heritage d'une phase historique precedente, et nous rapproche de ľidée de la culture comme «habitat de signifies». Internet est, en méme temps, acteur de cette transformation et moyen privilégiá pour accéder au nouvel « habitat ». En deuxiěme instance, j'ai cherché ä repérer les potentialités et les limites de ľusage interculturel ďlnternet. Parmí les potentialités, j'ai insisté surtout sur la possibilité de personnaliser et ďautonomiser les parcours d'apprentissage et ďexplorer d'une fagon critique la plurivocité constitutive des «cultures». En ce qui concerne les limites, j'ai observe la tendance du réseau « commercialise » ä standardiser la communication, au detriment de toute specification « culturelle» au sens traditionnel. 254 Qa ne signifie pas que le réseau ne soit pas unusable avec une finalité interculturelle: certaines ressources peuvent étre précieuses, ä condition que le dispositif pédagogique soit clairement-»oriente ä développer une competence interculturelle, non plus des competences comparatistes ou multiculturelles. Ľ« inter » en question dans ľinterculturel n'est pas, en fait, une attitude des cultures, mais plutôt des hommes, qui en autonomie doivent produire du sens et dormer du sens ä leur realite. Bibliographie Abdallah-Pretceille M., 1999, Ľ education interculturelle, Paris : P.U.F. Anderson B., 1991, Imagined Communities, London-New York : Verso (trad, it., 2000). Bauman Z., 1999, In Search of Politics, London: Polity Press {trad, it., 2000). BOURDIEU P., 1979, La distinction: critique sociale du jugement, Paris : Les Editions de Minuit. Calvani A„ 1994, Iperscuola. Tecnologia e futuro dell'educazione, Padova: Muzzio. Calvani A., Rotta M., 2000, Fare formazione in Internet. Manuale di didattica online, Trento : Erickson. Dkmetrio D., 2004, « Tutto s intcrculturale ? », in Pedagogika.it, (version en ligne ä ľadresse: http://www.pedagogia.it/ popups/newswindow.php?id=104 ; derniěre consultation : le 27 décembre 2004). Dkvelotte C, 1997, « Lecture et cyberlecture », Le francais dans le monde. Recherches & Applications, numero special, juillet 1997, « Multimédia, réseaux et formation », P. Oudart éd., Paris : EDICEF, pp. 94-104. Grertz C, 1996, Welt in Stücken. Kultur und Politik am Ende des 20. Jahrhunderts, Wien : Passagen Verlag, HannerzU., 1992, Cultural Complexity. Studies in the Social Organization of Meaning, New York: Columbia University Press. 255 Hannerz U., 1996, Transnational Connections. Culture, People, Places, London-New York : Routledge. Luhmann N., Schorr K.-E., 1979, Reflexions probléme im Erziehungssystem, Stuttgart. Kluckhohn C, Kroeber A.L., 1963, Culture. A Critical Review of Concepts and Definitions, New York: Vintage Books (trad, it. Bologna : II Mulino, 1985). Maragliano R., 1998, Tre ipertesti su mulHmedialitä e formazione, Roma-Bari: Laterza. Miller I., 1994, « Creolizing for Survival in the City », Cultural Critique, 27, pp. 153-188. Mitchell W.J., 1995, City of Bits. Space, Place, and the Infobahn, Cambridge (Mass.): MIT Press. Mosse G.L., 1974, The Nationalization of the Masses. Political Symbolism and Mass Movements in Germany from the Napoleonic Wars through the Third Reich, New York : Ferting. Portera A., 2003, Pedagogia interculturaie in Italia e in Europa, Miláno : Vita e Pensiero, pp. 3-23. RemottiF., 1996, Contro VidenHtä, Roma-Bari: Laterza. Rotta M., 2001, Piattaforme per la FAD, Jrttp://www.scform. unifi.it/lte/materiali/piattaforme/index.htm (derniěre consultation : ie 27 décembre 2004). Schiavina E., 1995, Media, societä-mondo, formazione, Miláno : Anabasi. Wieviorka M., 2001, La difference, Paris : Balland. Interculturel et Internet Le site Web, objet cuiturel ? Josephine RÉMON Universitě Lumiěre Lyon2, France Dans le cadre d'un e reflexion sur Internet et ľinter-culturel en didactique des langues, le site Web peut revétir deux caractéristiques : il est canal de communication et lieu d'interactions interculturelles (forums...)/ ou alors support ď informations et convoy eur de marques culturelles. Méme si, on le voit, ces deux options se recoupent, nous avons abordé ici les sites Web non comme lieux ďéchanges interculturels, mais comme por-teurs de traces culturelles. Nous avons fait ľhypothése que ľ analyse de sites effectuée.par les professionnels de la localisation (adaptation linguistique et culturelle d'un site Web), pouvait étre riche d'enseignements pour une approche inter-culturelle en didactique des langues. Nous avons done cherché ä faire un état de ľart des pratiques et discours dans ce domaine. D'une maniere generale, il n'est pas evident de savoir quelle grille ďanalyse appliquer ä un site pour en faire émerger des paramětres influencant la lecture et ľutilisation qu'en font des apprenants de langue. De méme, dans le cadre d'une didactique du FLE consciente des processus interculturels, on peut chercher ä fournir au didacticien des outils d'analyse des sites pour lui permettre de constituer le corpus le plus ä méme de sensibiliser les apprenants. 258 Nous avons parallělement émis ľhypothese qu'un ensemble de sites Web de multinationales localises dans différents pays cibles pourraient permettre ä des appre-nants de langue de faire des comparaisons utiles pour une sensibilisation interculturelle. Cette hypothěse, nous le verrons, se révěle infructueuse, et nous proposons plutôt d'utiliser le concept d'universels-singuliers de Porcher (2003) qui rend possible une approche transversale des sites Web en privilégiant leur contenu et non leur forme, un méme theme, l'eau par exemple, étant decline de diverses maniěres selon les cultures. Un enseignement de langue soucieux de ľinter-culturel, rappelons-le, sensibilise les apprenants aux stereotypes, les rend conscients qu'ils sont des étres cultures, les incite ä relativiser les valeurs culturelles, les met éventuellement en situation ďinconfort culturel pour en retirer un benefice (Byram & Zarate, 1998). Abdallah Pretceille (1996) décrit un processus dynamique reposant sur une « veille culturelle ». Méme si ľapproche interculturelle met 1'accent sur le processus et la rencontre plutôt que sur un ensemble de categories culturelles figées, on peut quand méme se demander par quels indices la culture va se traduire sur un site Web. Ces indices sont presents dans toutes les activités humaines et dans touš les aspects de la realite francaise. II nous a paru interessant, ä cet égard, de voir queues correspondances, entre ces aspects et des indices formeis, sont établies dans le domaine de la localisation de sites Web. Sites Web et interculturel: quelles categories ? La localisation est ľadaptation technique, linguistique et culturelle d'un produit, logiciel notamment, ä un public cible. On est dans le domaine de l'industrie et du commerce avant tout. Keniston (1997) donne, par exemple, le cas d'un logiciel destine ä des enseignants en Argentine, qui a été considéré comme trop individua liste, ne permettant pas assez de collaboration. Certains 259 auteurs embrassent des problématiques semblables ä propos des sites Web. Les procedures d'adaptation de sites Web tentent ďenglober les niveaux suivants : technique, linguistique, culturel et cognitif (Sturm, 2002), Pour Cleary (2000), un aspect important concerne les attentes et attitudes des utilisateurs en termes d'information (par exemple, oil est, en general, l'information la plus importante sur une page). Dans le méme ordre ďidée, Badre (2004) détaille : « 1. Non-verbal behavior / communication, gesture / facial interactions 2. Thought patterns, recall, connotation and categorization 3. Color, color naming, color preference 4. Geometry, depth perception, style 5. Icons, pictures, symbols 6;xVisuaiization / verbalization 7. Individual differences 8. Language / scripts / writing systems / reading habits 9. National formats/standards 10. Learning/ information search». Ainsi, Sun (2001 : 96) regroupe dans un tableau les marqueurs graphiques pouvant étre determines culturel-lement: l'utilisation des couleurs bien sür, mais aussi le nombre de liens hypertextes (externes ou internes) ou encore l'utilisation des métaphores visuelles telies que enveloppes, livres, horloge, etc., le mode ď organisation visuel (symétrique, asymétrique, alignement, proxi-mitc...), l'utilisation des plans, drapeaux, elements regio-naux (paysages, animaux...), elements architecturaux, utilisation des polices de caractéres, etc. Marcus et al. (1999) mentionnent eux aussi la valeur culturelle de métaphores que ľon ne questionne pas, en donnant ľexemple de la « corbeille » vers laquelle on « fait glis-ser » des fichiers sur le « bureau » de ľordinateur. Pour ce qui est des categories culturelles plus parti-culiěrement, les auteurs du domaine se referent réguliě-rement aux parametres de Hofstede (1997) destine ä ľanalyse du fonctionnement d'organisations humaines. « Ces quatre dimensions sont ce qu'il a appelé : la distance du pouvoir, ľindividualisme / collectivisme, la 260 masculinité / féminité, et ľévitement de ľincertitude » (Gillert et al, 2001 : 20). Singh et Baack (2004) essayent, pour chaque catégorie de Hofstede, de proposer des märqueurs adaptés ä Internet, dans le domaine commercial. Par exemple, pour la catégorie « collectivisme », ils recherchent sur un site Web tout ce qui est relations communautaires, chats, etc. Pour la catégorie «individualisme », ils proposent entre autres de chercher des indices de personnalisation du site (« my yahoo »). Pour la catégorie « contrôle de ľincertitude », les indices peuvent étre les services aux usagers, les FAQ, etc. Etudes comparatives Malgré la complexité de ces categories, un certain nombre ďétudes tentent done de les appliquer ä la comparaison de sites Web, au risque de tomber parfois dans la caricature. Nous en rapportons des exemples ci-dessous : Ä propos d'un site malais (Malaysian Association of Hotels), Sheridan (2002) relie le parametre « distance du pouvoir » et la presence de recompenses et de personne ďautorité. Gould et al. (2000) appliquent les categories de Hofstede ä des sites malais et américains : transport fer-roviaire, education et libraires. Yli-Jokipii (2001) compare les versions finoise et anglaise du site ďune compagnie finoise. II conclui que la version finoise correspond ä ľapproche « orientée täche » du discours, qu'il considere typique de cette nation en accord avec les études de Hofstede. Sturm (2002) donne ľexemple de sites Web universita ires (Pays-Bas, Uruguay et Mexique). La encore, il rétrouve les elements de «distance hié-rarchique »> et « individualisme / collectivisme » de Hofstede. Les études de Marcus et al. (2000) vont dans le méme sens. D'autres travaux concernent des aspects plus graphiques, comme ceux de Barber et Badre (1998), qui voient apparaítre, ä travers ľétude de centaines de sites Web, des choix dans les interfaces. 261 Si certaines études semblent confirmer que des märqueurs culturels sont bien presents sur certains sites Web, d'autres recherches tendent ä montrer que ces marqueurs ou leur absence influencent les comportements des utilisateurs. Ergonomie interculturelle Barber et Badre (1998) parlent de «culturäbüity», contraction de « cultural» et « usability ». On rejoint les idées plus générales d'anthropotechnologie (Wisner, 1995), de «graphisme culturel», et ď« ergonomie culturelle » (Chapanis, 1975). La localisation s'inscrit/..en effet, dans le contexte plus large de ľergonomie des interfaces et de la prise en compte de facteurs humains dans leur conception. II y a encore trěs peu d'études sur ces aspects de « convivialité interculturelle » des sites Web. Samarah et al. (2002) en citent quelques-unes sur les technologies en general. Nous resumons, ci-dessous, quelques travaux sur ce theme, qui font tous le lien entre graphisme d'un site et comportement des utilisateurs : Carolyn Handa (2001), par exemple, fait le lien entre culture et apprehension des métaphores visuelles sur les sites Web. Sears et al. (2000) font, pour leur part, analyser un site ä des utilisateurs suisses et américains. Ils constatent, par exemple, que les criteres de nationalite sont determinants sur ľ appreciation de ľattrait du site. Sun (2001) étudie lui aussi les comportements d'utilisa-teurs face ä deux sites localises (Adobe et Lotus). Ces personnes semblent utiliser inconsciemment leurs preferences culturelles (couleurs, par exemple) dans revaluation de l'apparence du site (Sun, 2001 : 99). Sheppard et Scholtz (1999) měnent, quant á eux, une experience avec des utilisateurs américains et du Moyen-Orient sur des sites culturellement marqués. Les utilisateurs n'ex-priment pas de preference, mais effectuent mieux les täches sur le site qui correspond ä leur culture. Cleary (2000), également, présente une experience sur la convi- 262 vialité culturelle du site du Musée du Louvre. Les utilisa-teurs sont Francais, Japonais, Espagnols et Irlandais. Les participants ont touš jugé positivement les visuels relati-vernent neutřes du site, mais les menus et legendes des graphiques, non localises, ont géne certains utilisateurs. Les Japonais, notamment, ont le moins apprécié le site. Si ľ influence de la culture sur les sites Web semble done reelle, il faut cependant nuancer celte vision, certains sites étant parfois symptomatiques d'une globalisation plutôt que d'un particularisme culturel, d'une part, et les paramětres employes traduisant parfois un modele discutable de la culture, d'autre part. Modele statique de la culture En dehors du fait que les marqueurs exposes ci-dessus semblent complexes ď utilisation, Sun (2001) attire I'attention sur le danger de tomber dans des stereotypes, lors de l'utilisation de grilles qui ne conservent pas les nuances. La grille proposée par Marcus et al. (1999) en donne un apercu. lis considěrent, par exemple, que le fait que les discussions politiques soient inhérentes ä une culture determine la maniere de rechercher sur le Web. Sun (2002) dénonce done un modele statique de la culture, et critique notamment les analyses de Barber et Badre. íl donne ľ exemple de la couleur rouge qui peut representor le danger en Occident, mais est bien sur utilisée sur des sites américains. En plus de cette critique, ľautre bémol reside dans le constat que certains sites ne présentent pas de particularisme culturel, mais traduisent plutôt une unifor-misation des interfaces. Globalisation / localisation En effet, méme si certains comme Barber et Badre (1998) se défendent de vouloir développer une interface globale transnationale, d'autres prônent ouvertement 263 ľeffacement de tous indices culturels pour plus de facilité ä ľ international (Sheridan & Simons, 1999; Horton, 1993; Sackmary et al., 1999). Pym (2000) ne fait pas de mystěre autour des aspects financiers en jeu. Selon lui, la difference linguistique entre sites recouvre bien souvent une globalisation culturelle. On distingue done en réalité la localisation qui ajuste le contenu aux besoins locaux (Alvarez et al., 1998), ce contenu étant éventuellement créé directement en local, et ľinternationalisation ou globalisation qui vise ä supprimer tout contenu culturelle-ment spécifique. Certaines etudes constatent cette globalisation ä travers ľ analyse de sites Web. Sackmary et al. (1999), par exemple, étudient des sites de compagnies américaines et mexicaines. Ils constatent que ces sites contiennent peu ď elements sémantiques, graphiques ou culturels spécifiques. Chu (1999) s'Interesse ä la conception d'un site bilingue anglais / chinois et remarque que le choix a porté sur ľuniversalité plutôt que la spécificité culturelle, pour les aspects visuels du site. Stengers et al. (2004 : 9) mentionnent dans leur etude une culture hybride dominée par les valeurs occidentales, avec done une presence moins forte des paramětres « distance hiérarchique forte» et «masculinité». Des étu-diants interrogés n'ont pas su repérer de marqueurs locaux, contrairement ä ce que la théorie de Hofstede aurait pu laisser prévoir (Stengers et al., 2004: 8). Les auteurs signalent aussi que les webmestres interrogés disent s'inspirer souvent de sites existant lors de la creation de pages, ce qui peut étre une autre cause d'homo-généisation. Nous avions nous-mémes émis 1'hypothěse qu'un corpus de sites de multinationales ou d'organisations internationales pourrait permettre des comparaisons interessantes pour une approche interculturelle en didac-tique du FLE, avec ľ obligation de presence, pour ces organisations, dans un grand nombre de pays et les moyens de financer l'adaptation des sites Web. Mais lä aussi, l'absence de traces culturelles s'est faite sentir. Compagnies aériennes, compagnies de telecommunications, Nestle, Toyota, IBM, Louis Vuitton, Dior, Chanel, 264 Carrefour, MacDonalds, Danone, Nesquik, Leonidas, CNN, Bodyshop, Swatch, TV5, etc.: les marqueurs cultu-reis sont soit invisibles, soit difficilement décelables, soit trop complexes pour pouvoir étre- utilises dans im contexte pédagogique, soit décelables en caricaturant ä ľ extréme les categories de Hofstede ou ďautres, Le site luí-méme n'est parfois pas consumable, parce qu'il requiert la derniěre technologie, que ne posséde pas nécessairement l'enseignant de FLE. Méme des nuances linguistiques entre diverses versions francophones semblent rarement significatives. Quelques elements, qui semblent plus directement applicables en didactique, apparaissent, mais en petit nombre, lies aux stereotypes notamment, comme des images de la Tour Eiffel ou de Notre-Dame, ou relevant d'autres domaines comme la notion de «metropole», mention de la crěche d'entreprise, de jours spéciaux comme la fete des meres, etc. Sites multilingues Un cas un peu particulier, dans ce contexte, est celui des sites multilingues, par opposition ä des sites íocaux bien distincts. Cunliffe (2002) explore la complexité de la gestion de ce multilinguisme sur un site Web : langue des menus, langue des liens, replication de tout ou de parties des contenus, page d'accueil unique ou pages d'accueil dis-tinctes, emplacement des liens vers les autres versions du site, etc. Un autre probléme reside dans le choix du nom de domaine (www.yahoo.fr ou fr.yahoo.com ou www.yahoo.com/fr/) (Huang et al, 2001). On peut faire ľhypothése que la gestion de ce multilinguisme par les créateurs du site est révélatrice des representations qu'ils ont de leur public-cible, avec les stereotypes que cette vision peut comporter, le statut politique d'une langue que cela peut reveler, etc., autant 265 d'éléments exploitables dans le cadre d'une demarche didactique. Universels / singuliers Pour sortir de la tension mentionnée ci-dessus entre local et global, peu féconde d'un point de vue didactique, on va laisser de côté les aspects formeis, pour privilegier le contenu, le « genre » du site ou son intention1 : information, vente, divertissement, education, site commu-nautaire, etc. En ce sens, ľétude de Sapienza (2001) est interessante. Elle étudie les sites web d'immigrants russes aux Etats-Unis, leur contenu particulier générant selon l'auteur, un nouveau mode de communication. II en est de méme pour les environnements d'apprentissage sur le Web qui sont, eux aussi, marques culturellement et doivent ľétre pour gagner en efficacité. Avec des sites de ce type, dans leur contexte local et marques d'épaísseur communautaire, on envisage plus facilement des utilisations en didactique des langues. A cet égard, le concept d'universels / singuliers, sur lequel insiste Porcher (2003), apporte certaines clés : « Les universels / singuliers sont touš les phénoměnes qui existent partout et pour tous et que chaque groupe ou chaque société, ou chaque culture, traite ä sa maniere ». II donne ľexemple de ľeau, qu'il semble tout ä fait envisageable d'aborder par le biais d'Internet. Si, dans le cadre d'une approche interculturelle en didactique du FLE, on considére des pays francophones par exemple, on peut alors décliner le théme de ľeau ä travers des sites aussi divers que : http://www.generale-des-eaux.com/ La Generale des Eaux; http://www.danone.com/wps/portal/redirect/hoirLeVolvic/ Expression reprise de M.-J. Barbot. 266 L'eau de Volvic; http://www.hydroquebec.com/fr/index.html; Les barrages du Québec; http://aquassistance.blogspirit.com/ Une association humanitaire dédiée ä l'eau et ä. ľenvironnement; http://www.uade.org/index.asp; Ľ Association africaine de l'Eau; http://www.cslaval.qc.ca/profinet/anim/ac/pluies/index.htm 1, Un site québécois sur les pluies acides; . http://www.antillesinfotourisme.com/guadeloupe/surf.html, Surf en Guadeloupe; http://portal.unesco.org/fr/ev.php- URLJD=14364&URL_DO=DO_TOPIC&URL_SECTION=20 l.html « La guerre du Nil » ; http://www.memalgeria.org/fr/enr/c_pot.html, Ľénergie géothermique en Algérie, etc. Conclusion Ces déclinaisons diverses ďun merne thěme,- et ce qu'elles révělent des preoccupations de chacun, semblent propices ä ľ identification identitaire et éventuellement ä ľinconfort culturel recherchés dans le cadre ďune approche interculturelle. Le détour que nous avons effectué, dans le cadre de cette demarche exploratoire, par le domaine de ia localisation de sites Web, loin d'etre infructueux, nous a per-mis de laisser de côté les aspects formeis et caricaturaux et de mieux cerner les véritables lieux de l'interculturel. Bibliographie Abdallah-Prľtceíll e M., 1996, Vers une pedagogic interculturelle, Paris: Anthropos. Alvarez M., Kasday L., Todd S., 1998, « Global and Accessible Web Sites : Practical Steps How we made the Web Site International and Accessible: A Case Study », dans 4th Conference on Human Factors & the Web, 267 http://www.research.att.com/conf/hfweb/proceedings/alva rez/index.himl. Badre A., 1997, « Usability and the New Media », dans CQS'98 Conference Proceedings, Rome, Italy, April 1997. Badre A., 2001, « The Effects of Cross Cultural Interface Design Orientation on World Wide Web Performance », in GVU Technical Report Number: GIT-GVU-01-03, ftp ://ftp.cc. gatech.edu/pub/gvu/tr/2001/01-03.pdf. Badre A., 2004, «The Role of Culture in User Interface Design », http://www.cc.gatech.edu/gvu/people/albert. badre/rcul ture.html. Badre A., Laskowski S., 2001, « The Cultural Context of Web Genres : Content vs. Style », dans Human Factors and the Web, http://www.cc.gatech.edu/gvu/people/albert.badre/ abstracts.html. Barber W., Badre A., 1998, «Culturability: The Merging of Culture and Usability », in Conference Proceedings, Human Factors and the Web, http://www.research.att.com/conf/ hfweb/proceedings/barber/ Byram M., Zarate Gv 1998, « Definitions, objectifs et evaluation de la competence socioculturelle», Le franqais dans le monde. Recherches et applications, juillet, pp. 70-96. Chapanis A., 1975, Ethnic Variables in Human Factors Engineering, Baltimore : Johns Hopkins University Press. Chu S., 1999, « Using Chopsticks and a Fork Together : Challenges and Strategies of Developing a Chinese/English Bilingual Web Site », Technical Communication, 46-2, pp. 206-219. Cleary Y., 2000, « Museums and the Web 2000 », Archives & Museum Informatics, http://www.archimuse.com/mw2000/ papers/clea ry /cleary .html. Cunliffe D., 2002, « Guidelines for Bilingual Usability : Unitary Authority Web Sites in Wales», School of Computing Technical Report CS-02-4, UK : University of Glamorgan. Gillert A., Haji-Kella M., Cascäo Guedes M., Raykova A., Schachinger C, Taylor M., 2001, L'apprentissage inter- 268 culturel, Strasbourg : Conseil de ľEurope et Commission européenne. Gould E., Norhayati Z., Shafiz A., Mohd Y., 2000, Proceedings of IEEE Professional Communication Society International Professional Communication Conference, «Technology & Teamwork », Cambridge, Massachusetts : September 24-27, pp. 161-171, http://portal.acm.org. Hall E., Hall M., 1990, Understanding Cultural Differences : Keys to Success in West Germany, France, and the United States, Yarmouth, Maine : Intercultural Press. Handa C, 2001, « Visual Metaphor and Visual Metonymy : Cultural Reflections on the World Wide Web », Computers and Writing, « A cyber Odysee », mai, Ball State University, http://www.bsu.edu/cw2001/prograin.pclf. Hofstede G., 1997, Cultures and Organizations: Soßware of the Mind, New York : McGraw-Hill. Horton W., 1993, « The Almost Universal Language : Graphics for International Documents», Technical Communication, Journal of the Society for Technical Communication, 40(4). Huang S., Tilley S., 2001, « Issues of Content and Structure for a Multilingual Web Site», SIGDOC '01, October 21-24, Santa Fe, New Mexico, USA. Keniston K., 1997, « Software Localization : Notes on Technology and Culture» http://www.mit.edu/people/KKen/ PDF/Software %20Locali^ation.pdf. Marcus A., Armitage ]., Volker F., 1999, «Globalization of User-Interface Design for the Web», 5th Conference on Human Factors & the Web, juillet, Maryland, USA, http://zing.ncsl.nist.gov/hfweb/proceedings/marcus/index. html. Marcus A., West G., 2000, «Cultural Dimensions and Global Web User-Interface Design: What ? So What ? Now What ? », 6,h Conference on Human Factors & the Web, June 19, Austin, Texas. 269 Porchsr L„ 2003, « Interculturels : une multitude d'especes », FDM, septembre-octobre, 329, http://www.fdlm.org/fle/ articíe/329/ínterculturel.php. Pym A., 2000, « Localization and the Changing Role of Linguistics », Conference Traduction humaine, traduction automatique, interpretation, Universite Tunis I, 28-30 septembre, http://www.fut.es/~apym/on-line/locling/locling.html. Sackmary B., Scalia L., 1999, « Cultural Patterns of World Wide Web Business Sites : A Comparison of Mexican and US Companies », Crass Cultural Research Conference, Can-cun, Mexico, http://marketing.byu.edu/htmlpages/ccrs/ proceedings99/sackmary.htm. Samarah I., Paul S., Mykytyn P., 2002, « Exploring the Links Between Cultural Diversity, The Collaborative Conflict Management Style, and Performance of Global Virtual Teams », Eighth Americas Conference on Information Systems. SaPTENZA F., 2001, «Nurturing Translocal Communication: Russian Immigrants on the World Wide Web », Technical Communication, 48,4, pp. 435-448. Sears A., Jacko ]., Dubach E., 2000, « International Aspects of World Wide Web Usability and the Role of High-End Graphical Enhancements » International journal of Human-Computer Interaction, 12,1, pp. 241-261. Sheridan E.F., 2002, « Cross-cultural Web Site Design », Multilingual Computing & Technology, 12, 7, Ed. Multilingual Computing, Idaho, USA. Sheridan, E.F. & Simons, G.F., 1998, Going Global Online: Monitoring your Cultural Presence in Cyberspace. The Web of Culture. http ://www. webof culture, com/home/analysis .html. Shoppard C, Scholtz ]., 1999, « The Effects of Cultural Markers on Web Site Use », Conference Proceedings, Human Factors and the Web, 5th conference, June, Maryland, USA, http://zing.ncsl.nist.gov/hfweb/proceedings/sheppard. Singh N., Baack D., 2004, « Web Site Adaptation: A Cross-Cultural Comparison of U.S. and Mexican Web Sites », Computer-Mediated Communication, 9(4). 270 Stengers H., De Troyer, O., Mushtaha, A., Baetens M., & BOERS, F. 2004. Localization of web sites: Is there still a need for it ? International Workshop on Web Engineering (held in conjunction with the- ACM HyperText 2004 Conference), Santa Cruz, CA. Sturm C, 2002, « TLCC - Towards a Framework for Systematic and Successful Product Internationalisation », http://www. arolis .com/do wnioads/internationalization.pdf. Sun H., 2001, «Building a Culturally-Competent Corporate Web Site: An Exploratory Study of Cultural Markers in Multilingual Web Design», ACM Special Interest Group for Design of Communications, Proceedings of the 19th Annual International Conference on Computer Documentation, Sante Fe, New Mexico, USA, pp. 95-102. SUN H., 2002, « Why Cultural Contexts Are Missing : A Rhetorical of Localization Practices », in STC 2002, Conference Proceedings, http://www.stc.org/confproceed/2002/PDFs/ STC49-00090.pdf. Wisner A., 1995, « The Etienne Grandjean Memorial Lecture : Situated cognition and action : implications for ergonomie work analysis and anthropotechnology », Ergonomics, 38, pp. 1542-1557. Yli-Jokipii IT., 2001, « The Local and the Global: An Exploration into the Finnish and English Websites of a Finnish Company », IEEE Transactions on Professional Communication, 44, 2, pp. 104-113. Des cultures aux langues á travers les forums de discussion Lolona RAKOTOVAO ENS Antananarivo, Madagascar et Universitě Paris III, Sorbonne Nouvelle, France La formation des futurs professeurs de frangais dans les lycées fait ľ objet d'un cursus universitaire spécifique á Madagascar. Elle a été concue de facon ä ce que les étudiants maítrisent la langue dans ses dimensions lin-guistique (grammaire, syntaxe, lexicologie), communicative (techniques ď expression), esthétique (román, poesie, theatre), et culturelle (interculturalité et espace francophone). En effet, la maitrise de la langue par les ensei-gnants est la garante de ľefficacité de leur enseignement car «.pour.pouvoir efficacement apprendre ä ses élěves ä communiquer au sein de la classe, ľenseignant doit presenter un certain profil: ä ľaise dans la langue étrangěre, il doit aussi maltriser la communication dans touš ses aspects culturels et psychosociologiques » (Bérard, 1991 : 109). Apprendre une langue, c'est d'abord s'approprier un outil de communication. Apprendre une langue, c'est aussi apprendre une culture. Mais, au-dela d'un appren-tissage culturel, les théoriciens de la didactique des langues ont reconnu la nécessité de prendre en compte la dimension interculturelle « parce qu'elle [la culturej est capable d'accoucher du meilleur (le chaleureux sentiment d'appartenance communautaire) comme du pire (le 272 nationalisme, ľépuration ethnique), avec eile, la demarche interculturelle possěde une carte maitresse pour ľavenir ä condition d'en faire un usage satis-faisant» (Gatisson, 1995 : 85). II convient alors de foca-liser son attention sur le concept ďinterculturalité avec ses enjeux et cette interrogation devrait déboucher sur une méthodologie ďapproche de ľinterculturel appli-quée au contexte malgache. Didactique de ľinterculturel: interrogations Des cultures aux langues ? En partant du principe « apprendre une langue, ťest apprendre une culture », la didactique du FLE a adopté comme demarche ľenseignement de la langue ďabord et ľenseignement de la culture ensuite. Entendue comme un enseignement de la civilisation (critiquée pour son caractěre fige), devenue enseignement de la culture, ľaspect culturel de la langue n'a jamais fait ľobjet ď une méthodologie et ď une demarche cohérente. Malgré une reconnaissance par les acteurs de terrain de la nécessité ďune etude du probléme: « que ľenseignement de la civilisation se donne une ossature systémique comparable fonctionnellement ä celie dont ľenseignement des langues s'est doté depuis longtemps » {Porcher, 1986: 120), force est de reconnaítre que la situation n'a pas encore connu une evolution concrete. Dans la pratique, ľapprentissage de la culture se resume en acquisitions ďinformations factuelles axées notamment sur le mode de vie, la facon d'etre de la population dans le pays dont on apprend la langue. Ainsi, dans un cours de FLE, le volet culturel donne des informations sur les Francais en France : au travail, ä la maison, dans la rue, dans une salle de spectacle... Or, « entendue comme une connais-sance de ľ Autre, la formation culturelle, quelle que soit la finesse des savoirs, reste extérieure ä ľacte de formation car eile s'appuie sur un discours de categorisation et ďattribution culturelles ä partir notamment de savoirs factuels et descriptifs » (Abdallah-Pretceille, 2003 :11). En effet, cette description relěve souvent de representations 273 stéréotypées avec des risques de biaiser la realite car par-fois trop idyllique. Par ailleurs, ľimportante diffusion du francais change la donne quant ä la culture enseignée : la nécessité de prendre en compte les cultures francophones s'impose. En outre, comme le monde actuel évolue dans un contexte marqué par la mondialisation, les individus sont plus que jamais mobiles et la circulation des informations (entre autres culturelles) de plus en plus fluide. On assiste alors ä un phénoméne de brassage donnant nais-sance ä des populations heterogenes issues de milieux divers. Chacun de ces individus véhicule sa (ses) culture(s) mais, pour communiquer, ils doivent utiliser la méme langue. Pourtant, ÍI est reconnu que la communication peut passer par des codes autres que la langue et que les erreurs linguistiques n'entravent pas la communication. C'est surtout la divergence des cultures qui est ä ľorigine du dysfonctionnement de la communication. De ce fait, pourquoi la didactique n'envisagerait-elle pas une inversion du processus, ä savoir un enseignement des cultures dans un premier temps et un enseignement de la langue ensuite ? Cette approche semble plus appropriée, notamment par rapport au concept ďinterculturalité, devenu incontournable pour la didactique du FLE. Quelle approche de ľinterculturel ? Dans le cadre de ľapprentissage d'une langue étran-gěre, ľapprenant qui a tou jours évolué dans sa culture maternelle avec sa langue maternelle va se retrouver face ä la culture étrangére, ä travers cette langue apprise, puisqu'il va acquérir des connaissances sur cette culture. Dans la pratique, on a souvent tendance ä mettre en parallele les deux cultures. Or, «la comparaison ď items culturels, du fait qu'elle ne permet pas la prise en compte du réseau des significations dans lequel s'inscrivent les faits culturels, cautionne un certain réductionnisme et une certaine schématisation » (Abdallah-Pretceille, 1983 : 41). Ľinterculturel ne saurait alors se limiter ä un simple contact entre deux cultures. 274 En effet, la categorisation des populations ou groupes sociaux devient de plus en plus opaque, car chaque pays tend ä étre constitué de groupes heterogenes. Comme chaque groupe est compose ďindividus véhiculant diverses cultures, ces derniěres sont alors difficilement identifiables et la gestion de ľinterculturel se complique davantage. Et puisque la culture ne peut pas etre réduite ä des informations factuelles, eile ne peut exister et cir-cuier qu'ä travers les individus. Ce sont ces derniers qui véhiculent la culture ä travers íeurs discours comme ľa souligné Abdallah-Pretceille : '<(...) les cultures n'existent, en effet, que par et dans la mediation des individus et des groupes. Elles ne peuvent, ä ce titre, étre réduites ä des réalités observables, susceptibles d'approches normatives et analytiques. Aucune description, méme la plus afřinée possible, ne saurait réndre compte de la complexité et de la pluralite du concept de culture » (1986 :77). Pour connaítre la culture de I'Autre, il faut alors passer par son discours, car ce qui est dit sur lui est souvent constitué ď informations « fagonnées ». L'approche de ľinterculturel necessity done comme condition la presence ďindividus qui doivent etre dans une situation d'interaction discursive. Le concept d'inter-action est trěs important, car e'est ce qui constitué le fondement de l'approche interculturelle : « (...) la demarche interculturelle confondue souvent avec une approche culturelle voire multiculturelle, met au contraire ľaccent sur les processus et les interactions qui unissent et définissent les individus et les groupes les uns par rapport aux autres » (Abdallah-Pretceille, 2003 :10). Au lieu d'acquérir des connaissances sur, les appre-nants vont -alors acquérir des connaissances avec (les autres). Le fait d'avoir des connaissances sur la culture des autres grace ä eux-mémes permet de maintenir le contact, de prolonger la relation et de surpasser les éventuels risques d'interruption des échanges ä cause des problěmes de divergence culturelle. En effet, «le dys-fonctionnement culturel se caractérise, par rapport au 275 maíentendu, par une rupture relationnelle. Ce n'est pas seulement ľechange qui est perturbé mais surtout, et essentiell ement, la nature méme de la relation» (Abdallah-Pretceille & Porcher, 1999 : 8). De plus, « le prefixe "inter" est le plus important parce qu'il signifie échange, circulation dans les deux sens entre deux cultures, enrichissement mutuel, interpénétration, benefices réciproques, mouvement » (Porcher, 2003 : 33). Aussi, l'apprentissage ne sera plus centralise sur la culture étrangére, mais fera ľobjet d'une décentration et d'un mouvement permanent de va-et-vient, d'un ques-tionnement non plus ä partŕr ď informations données sur les autres mais grace ä leurs discours. En effet, ■;< (...) si apprendre une langue étrangére, c'est faire ľexpérience de ľaltérité culturelle, c'est aussi élucider les rapports avec la culture d'appartenance ou de reference et rest favoriser la prise de conscience de l'enracinement culturel en le relativisant par une contextualisation permanente » (Abdallah-Pretceille, 1992 :10). .[/importance de ľaltérité est renforcée par la definition méme de l'acte de communication : « communiquer, c'est rencontrer ľautre. Toute communication pose la question de I'Autre, de son statut, de ľaltérité et de ľidentité» (Abdallah-Pretceille, 1999: 10); mais « communiquer, c'est aussi: définir une relation, affirmer son identite, négocier sa place, influencer ľinterlocuteur, partager des sentiments ou des valeurs et, plus large-ment, des significations » (Marc & Picard, 2000 : 63). Au-delä des échanges (non) linguistiques, la communication suggére une rencontre, une relation voire une reconnaissance de ľautre afin de partager les mémes sens. Mais ľautre n'est pas forcément d'origine ou de nationalité différente et il peut étre loin tout comme il peut étre proche de soi. Dans tous les cas, toute situation de communication nécessite done la prise en compte de ľautre, avec le souci d'éviter de perdre la face et cľépar-gner en méme temps celie d'autrui comme ľa souligné Goffman (1974 :14). 276 «L'effet combine des regies d'amour-propre et de consideration est que, dans les rencontres, chacun tend ä se conduire de facpn ä garder aussi bien sa propre face que celie des autres participants »-.. Bref, pour que la dimension interculturelle de l'ensei-gnement prenne sens, il faut qu'il y ait contact et que les apprenants soient en interaction avec ceux qui partagent la merne langue en vue ďappréhender leur culture. Contexte malgache: méthodologie Cadre de reference Ce travail s'inscrit dans notre cadre professionnel, le Centre ď Etudes et de Recherches Langue et Lettres fran-caises ä l'École normale supérieure ď Antananarivo. Les étudiants bacheliers y sont recrutés par voie de concours et formés pendant cinq ans pour étre des enseignants dans les lycées. Par rapport ä la problématique interculturelle, les séjours linguistiques ou les voyages ďétudes facilitent le contact avec les autres. En effet, se rendre dans le pays et/ou discuter avec les natifs permet de perfectionner ľapprentissage de la langue étrangěre. Mais le cas de Madagascar nécessite une approche par ticu Here, car ľorganisation de ces voyages et séjours pour les étudiants n'est pas possible pour ľinstant. En outre, ľinsu-larité du pays limite les contacts avec les « autres » et risque merne de développer un sentiment ďisolement. De plus, on tend vers une representation de ľhomo-généité, car le public enseigné (étudiants et leurs futurs élěves) est constitué ä 100 % de Malgaches. Pour ces étudiants done, voyager est impossible et rencontrer ľ« étranger » est improbable. Pourtant, il n'est plus possible de faire abstraction de ľinterculturalité, car malgré son caractěre homogene, ce public est empreint ďune diversité culturelle véhiculée entre autres par les médias (series télévisées, films documentaires...). Concernant la situation Hnguistique, 277 eile est assez ambiguě car, d'un côté, il y a le francais, langue de statut supérieur accessible aux elites et, ďuii autre côté, le malgache, langue nationale mais de statut social inférieur utilise par la masse populaire. Face ä cette situation, bien que le francais soit matiěre enseignée et langue d'enseignement, l'existence du malgache en tant que langue nationale utilisée dans le quotidien ne permet pas d'instaurer de reelles situations de communication oů les étudiants utťlisent le francais. Or, on apprend une langue pour ľutiliser par la suite avec toutes les strategies de communication et il faut ľutiliser en situation d'autant plus que « (...) le probléme essentiel pour ceux qui ne se connaissent presque pas et qui doivent entrer en contact est de réussir ä établir une "flexibilite communicative" c'est-ä-dire adapter leurs strategies ä leur auditoire et aux signes tant directs qu'indirects, de telle maniere que les participants soient capables de contrôler et de comprendre au moins une partie du sens produit par les autres » (Gumperz, 1989 :21). Done, c'est íe contact direct, ľinteraction avec les autres dans un contexte ou le francais assume sa fonction de langue de communication qui fait défaut. Néanmoins, la vulgarisation et la diffusion ä ľéchelle mondiale des TIC représente une opportunity ä condition de savoir les exploiter, car « ľ absence de prise de distance, voire de prise de conscience de son propre contexte culturel est un frein aux possibilités d'envisager un usage raisonné des TIC dans ľenseignement» {Devauchelle, 1999 :109). Pour pallier le probléme ďabsence de contact par rapport ä la problématique interculturelle, la méthodologie proposée consiste ä utiliser les forums de discussion sur Internet pour apprendre les cultures et la langue en tenant compte de la dimension interculturelle. 278 Intérěts des forums Le forum de discussion est unvoutil d'Internet per-mettant ä une communauté «virtuelle» de discuter, ďéchanger des points de vue et des experiences par rapport ä un sujet relatif ä une thématique precise. Ľéchange sur le forum offre aux étudiants marqués par ľinsularité une experience de ľaltérité liée ä ľattitude requise dans le cadre ďune interaction discursive qui exige que « d'une maniere generale, les intérěts de ľautre doivent passer avant les siens propres; on doit s'effacer devant ľautre, lorsqu'on passe une porte comme dans ses comportements discursifs ; et le souci de ľautre est le réquisit fundamental de la communication polie» (Kerbrat-Orrechioni, 1992 :190). A travers les échanges, les étudiants découvrent la culture en situation, en acte mais non plus en faits. lis ont également la possibilité d'utiliser le francais, langue étrangěre, dans une situation de communication avec des « étrangers ». Enfin, ils vivent ľexpérience de ľaltérité avec tout ce qu'elle impose comme comportement. L'ano-nymat sur les forums présente des avantages, car on risque moins de porter atteinte ä sa face et ä celie des autres et chacun est alors amené ä s'exprimer da vantage et ä dévoiler ses points de vue. Une experimentation a été effectuée pour verifier ľefficacité de cette méthodologie. Pour mieux saisir la diversité et créer une situation d'interaction avec les « autres », c'est-ä-dire ceux qui ont en commun ľutilisa-tion du francais et qui véhiculent la diversité culturelle, les étudiants (issus du champ scolaire) sont alles sur les forums pour entrer en contact avec ces autres (issus du champ social). Deux sites dits grand public ont été choisis: wanadoo.mg (fréquenté par les Malgaches du pays et la diaspora) et wanadoo.fr {fréquenté par les Francais et autres francophones). Les sites ont été choisis ä partir de ľhypothése selon laquelle ľhétérogénéité culturelle est présente que ce soit entre « nationaux » ou 279 avec les «étrangers». Quant aux thématiques, elles relěvent des centres d'intérét des étudiants, c'est-ä-dire ce qui les intéresse dans le cadre d'une discussion avec les autres. La langue utilisée est toujours le francais, puisque ľexpérience s'inscrit dans le cadre de ľapprentissage. Néanmoins, des cas de diglossie ont été constates sur le site malgache. La presentation des résultats de cette recherche est en cours de fínalisation mais, en guise d'illustration, un exemple relevant du domaine de ľinterculturel et un autre relatif ä ľamélioration des competences linguis- tiques vont étre présentés ici. - Sur le pian culturel, les forums ont permis une rencontre avec ľhétérogénéité: la culture appréhendée, dans le cadre de ľinteraction discursive sur les forums, n'est plus marquée par la Stereotypie. Pour les étudiants, de surcroít insulaires, la representation se limite souvent ä ľhomogénéité et aux stereotypes (les Malgaches rai-sonnent d'une faoon, les étrangers réagissent d'une autre facon). Or, grace aux échanges sur les forums, les dis-cours ont révélé que, ďun côté, les Malgaches peuvent avoir des representations trěs diversifiées et, ďun autre côté, merne si les intervenants sont issus de contextes différents, les discours ne varient pas trop sur les deux sites. Exemple Sujet: Vivre ici ou aiíleurs Presentation du contexte : avec ce sujet, un étudiant a envoyé un message sur wanadoo.mg et un autre sur wanadoo.fr; la problématique était de savoir ce qui est mieux, rester ä Madagascar ou partir aiíleurs. II a été constaté que les interventions recueillies sur chaque site révelent les mémes idées sur la problématique. Voici des réponses proposées par rapport ä la question. Partir et revenir: voir ce qui se passe aiíleurs pour retourner dans son pays aprěs (LI, L4) (cf. annexe). 280 S'assurer des conditions materielles avant de partir (L2, L5). Goůt de l'aventure et de la découverte (L3, L6) Ces exemples illustrent que les Malgaches et les étran-gers percoivent la realite de la méme facon. Done, les cultures ne peuvent plus étre délimitées par rapport ä un groupe ou ä une population, car ľhétérogénéité est omni-présente. Aussi, l'apprentissage des cultures doit se faire au niveau des individus, car ľinterculturel ne concerne pas ŕorcément les individus d'origines differentes. Grace ä cet échange, les étudiants ont acquis en méme temps un savoir (connaitre la culture des autres), un savoir-faire (travailler le discours pour obtenir des informations), un savoir-étre (se comporter discursivement avec les autres). - Sur le plan linguistique, au niveau de Vacquisition d'une strategie langagiěre: les differentes interventions sur le forum ont permis aux étudiants de saisir le fonc-tionnement du « code switching » qui se manifeste par le passage d'une langue ä une autre ou celui d'un code ä un autre. La tendance, dans le cadre de l'enseignement d'une langue étrangěre, est de considérer ce phénoměne comme étant une imperfection de l'apprentissage, voire un appauvrissement des deux langues utilisées. Or, il s'agit d'une veritable strategie de communication, car I'utilisation d'un code ou d'un autre n'est pas neutře, eile est toujours significative. Exemple d'alternance codique: passage du francais au malgache Cas 1: le message envoyé n'a aucun lien avec le sujet de discussion." Sujet: Relations professionnelles Presentation du contexte: ľétudiante (Jad) voudrait savoir si eile doit inviter ou non ses collégues de travail chez eile pour son anniversaire (L7). Le forumiste (Tahina) pense que Jad est une connaissance et pose une question pour le savoir; sachant 281 que son intervention est hors sujet, il l'a faite en malgache (L8). Jad a répondu ä sa question en malgache (L9) et poursuit en francais pour inviter Tahina ä participer ä la discussion lancée en francais (L9). Cas 2: utilisation de mots-valeurs qui renvoient ä une representation culturelle commune considérée comme propre aux Malgaches et que ľon ne veut pas traduire méme si ďest possible. Sujet: Mariage mixte Presentation du contexte : la famille s'oppose au mariage de leur fils malgache ä une jeune ivoirienne pour des problěmes de differences raciales. Les intervenants utilisent certains mots « malgaches » dans leurs interventions (L10 - L13). Sur le plan linguistique, la traduction de ces mots ne pré-sente pas de difficulté, mais les intervenants ont préféré les garder en malgache pour faire ressortir leur signification par rapport au contexte et au sujet. En guise de conclusion, deux idées principales ont done pu émerger dans le cadre de cet exposé. D'abord, ľabsence de méťhodologie precise d'enseignement des cultures dans le couple langue-culture est peut-étre due ä la nécessité de revoir ľordre ďacquisition de la langue et des cultures dans la didactique des langues étrangěres. Notre suggestion porte sur le schéma « des cultures aux langues », car le dysfonctionnement culturel peut inter -rompre la communication alors que pour le cas de la langue, il est possible d'utiliser d'autres codes (les gestes, les mimiques, voire le silence). Ensuite, comme la pro-blématique liée ä ľinterculturel va désormais de pair avec l'enseignement des langues étrangěres, la prise en compte de ľinterculturel impose une situation ďinter-action discursive entre les apprenants et ceux dont ils apprennent la langue. Une experimentation portant sur I'utilisation des forums de discussion a démontré ľeffica-cité de cette approche qui semble la plus appropriée pour le cas de Madagascar. Son application clans d'autres contextes similaires est envisageable. Enfin, ce travail a ouvert des pistes vers des perspectives ďéducation face ä la mondialisation. Les systěmes 282 éducatits devraient alors integrer, dans leur contexte de formation, le concept ďinterculturalité fonde sur la diversité. En effet, Internet se democratise de plus en plus, tout le monde y accede pour ^s'informer ou pour échanger. Pour ce qui est de ľapprentissage des cultures, la maitrise de ľhétérogénéité culturelle permet d'entrer en contact avec touš les individus quelle que soit leur culture, en utilisant alors la langue comme un simple outil. Des connaissances sur la diversite culturelle devraient alors passer avant ľapprentissage plurilingue : le plus important est d'etre capable de saisir et de gérer la diversité pour pouvoir s'assurer une place de choix sur la scene internationale. Bibliographie Abdallah-Pretceille M., 1983, « La perception de ľ autre >., Le frangais dans le monde, 181, pp. 40-44. Abdallah-Pretceille M., 1986, Vers une pedagogic interculturelle, Paris: Institut national de Recherche pédagogique, Publications de la Sorbonne. Abdallah-Pretceille M., 1992, Quelle école pour quelle integration, Paris : CNDP Hachette. Abdallah-Pretceille M., 1999, «Éthique de ľaltérité. Interrogation et enjeux», Le frangais dans le monde, n° special juillet, pp. 6-14. Abdallah-Pretceille Mv 2003, Former et éduquer en contexte heterogene, Paris : Anthropos. Abdallah-Pretceille M., Porcher L., 1999, Diagonales de la communication interculturelle, Paris : Anthropos. BÉRARD E., 1991, Uapproche communicative. Theorie et pratiques, Paris : Clé' International. Devauchelle B., 1999, Multimedial ser ľ école ?, Paris : Hachette Education. Galísson R., 1995, «En matiěre de culture, le ticket AC [Approche Communicative] - DI [Demarche Inter- 283 culturelle] a-t-il un avenir ?», Etudes de linguistique appliquk, 100, pp. 79-98. GOFEMAN E., 1974, Les rites d'interaction, Paris : Les Editions de Minuit. GUMPERZ ]., 1989, Engager la conversation : introduction ä la socio-linguistique conversationnelle, Paris : Les Editions de Minuit. Kerbrat-Orrechioni C, 1992, Les interactions verbales Tome 77, Paris : Armand Colin. Marc E., PiCARD D., 2000, Relations et communications interpersonelles, Paris : Dunod. Porcher L., 1986, La civilisation, Paris : Clé International. Porcher L., 2003, « Interculturels : une multitude ďespěces », Le frangais dans le monde, 329, pp. 33-36. 284 Annexe Exetnples ď interventions recueillies sur le forum Sur wanadoo.mg: LI « Aprěs tout, on revient toujours ä ses racines et ses terres ». L2 « Le gros probléme est le chômage, le logement, le titre de séjour ». L3 « Tente le coup, ce sera l'occasion d'une experience ». Sur wanadoo.fr : L4 « La oil on est bien, c'est la ou on a ses racines ». L5 « Ne pas partir sans étre certain que le "materiel" est assure ». L6 « La découverte d'autres mondes est utile et enrichissante ». Alternance codique : uniquement sur wanadoo.mg L7 Jad : « Dois-je inviter mes collěgues chez moi pour mon anniversaire ? » L8 Tahina ; «jad ilay namako taloha ve io ? valio raha ianao io » (traduction : Est-ce Jad, mon ancien ami ? Si c'est toi, réponds-moi) L9 jad : « Tsy izaho io (traduction : Ce n'est pas moi), mais c'est un plaisir de le remplacer. Au fait, qu'est-ce que tu penses du sujet de ľautre jour ? » (allusion au premier message). LIO « Je reconnais ľimportance du fihavanana » (Fihavanana = lien familial) Lil « Vous ětes plus racistes que les vazaha » (Vazaha = étranger).. L12 « Je suis merina » {Merina = originaire des hauts piateaux) L13 « Cest trop moramora mais rien ne sert de courir » (Moramora = en douceur). Demarche interculturelle dans une classe debutante de FLE au Portugal Carolina Gon^alves, Pedro PEREIRA Universidade Nova de Lisboa, Portugal Ľapprentissage de la langue maternelle soulěve des questions concernant divers champs, soit au niveau sociologique, anthropologique et méme psychologique... Sur cette question, De Carlo (1998 : 74) affirme que «la perception de notre langue maternelle et celie des autres peut devenir une source de plaisir ou d'angoisse, d'accueil ou de reŕus, ď identification ou ďétrangeté ». Or, quand il s'agit de ľapprentissage d'une langue étran-gěre, ces « angoisses » se multiplient. « Les langues [étrangěres] sont des disciplines sco-laires qui incarnent, par leur nature méme, la presence de ľétxanger» (Abdallah-Pretceille & Porcher, 1996: 105). D'apres ces deux auteurs, ces langues «contiennent intrinsěquement en leur sein [la] dimension de ľétran-geté de 1 étranger » (1996 : 105). Dans cette optique et en tant qu'enseignants de langues, nous sommes conscients qu'il f au t faire face ä cette « étrangeté ». L'enseignement / apprentissage d'une langue pose toujours d'autres questions d'ordre pragmatique, mais nous nous contenterons de dire que nous essayons de réduire les barriěres langagiéres, culturelles et sociales existantes dans ľapprentissage d'une langue étrangěre, 286 en travaillant la langue et la culture de facon simultanée. Nous ne pouvons pas, dans ce cas spécifique d'apprentis-sage des langues, dissocier langue et culture. Ces deux concepts sont en rapport, et 1'approche interculturelle peut aider les apprenants, non seulement ä connaitre d'autres cultures, mais aussi ä accepter, respecter et coha-biter avec les gens qui ont des origines culturelles diffé-rentes de la leur. En ce qui concerne la pédagogie interculturelle, Christian Leray postule, de facon bien claire, ce point de vue (2001 :148) : « Une pédagogie interculturelle n'a done pas intérět a sépa-rer apprentissage des langues et apprentissage des cultures. Au contraire, travailler en interculturalité, c'est prendre en compte la vision du monde qui est véhiculée par chaque langue ». D'apres le meme auteur (2001 : 153-154), le choix d'une langue : « comme langue ď enseignement véhicule elle-méme, une culture. Tout choix d'une langue ď enseignement pose des questions : Comment l'apprenant gere-t-il les jeux de frontiéres, la polysémie et (...) les relations qui ne s'organisent pas de la méme facon dans les deux langues ? Comment se developpe l'acquisition lexicale et quels sont les rapports avec le lexique et les réseaux sérnantiques déjá établis ?» A ces questions présentées par ľ auteur, nous en ajou-terons une autre, qui ä notre avis est le point de depart de notre travail: Comment apprendre le francais langue étrangěre dans un contexte non francophone, en utilisant une demarche interculturelle ? Pour tenter de répondre ä cette question, nous nous appuyons sur nos pratiques pédagogiques en classe de FLE. Ce qui nous parait le plus important ä travailler et ä bien comprendre, e'est la facon dont un apprenant developpe des competences langagiěres et culturelles dans 287 une langue étrangěre, en utilisant comme ressources ď enseignement / apprentissage, non seulement les ma-nuels indiqués par les écoles, mais aussi des documents authentiques et des documents produits par d'autres jeunes auxquels nous pouvons acceder par un ensemble de moyens (audio, audio-visuels, électroniques, entre autres). Dans le Dictionnaire de ľaltérité et des relations inter-culturelles (Ferréol & Jucquois (dir.), 2003 : 43), nous pouvons lire que « la motivation (...) est un facteur essen-tiel » dans ľ enseignement / apprentissage, quelle que soit la discipline que ľon est en train d'apprendre. Dans le meme sens, « pour qu'un enfant puisse acquérir une (...) langue de facon optimale, il faut que le milieu (...) soit favorable ä cette acquisition », Ainsi, Fernandez (2003 : 60) affirme que : «(...) ies situations, les themes et les täches travaillés en classe de langue doivent toujours répondre aux intéréts et aux besoins des apprenants de chaque groupe (...) la motivation que géněre une täche interessante est un des stimulants les plus fort dans ľ apprentissage ». Pour que cela soit possible, Marcel Postic affirme que: «(...) le processus de ľinteraction en classe, au Heu de se réduire ä des formes de communication entre les collěgues et ďinterdépendance de comportements, peut s'élargir ä une dynamique sociale basée sur la negotiation» (1984: 158). Dans ce cas oü le travail en classe se développe sur la base d'un dialogue entre l'enseignant et l'apprenant - la negotiation- l'enseignant donne ä l'apprenant la possi-bilité d'assumer des responsabilités et ľ organisation de son apprentissage. Donner aux enfants les moyens de gérer leur vie en groupe, les placer en position de négocier avec l'enseignant des contrats qui régulent le processus ď enseignement / apprentissage, tels sont les principes fondamentaux qui permettent de créer la dynamique de l'action educative. II ne s'agit pas de distribuer le pouvoir, ni de concéder une partie du pouvoir au 288 groupe. Cest une dialectique du pouvoir qui doit se mettre en pratique, parce que chacun - l'enseignant et ľapprenant- doit tenir compte des initiatives, des res-ponsabilités que les uns et les autres exercent, et des regies établies en cooperation. 13 s'agit surtout de consti-tuer « ľapprenant comme sujet» (Abdallah-Pretceille & Porcher, 1996 :45) de son apprentissage. Pour rendre cette stratégie de négociation et de travail possible, nous travaillons en classe avec nos apprenants sur «des activités de type "pédagogie du projet"» (Puren, 2005). Dans le développement de la pratique pédagogique sous la forme de projet, « l'enseignant est un guide qui cherche avec les apprenants, ceux-ci s'orga-nisent par täches, et demandent ľaide de l'enseignant» (Postíc, 1984: 91-92). Cest ä l'enseignant qu'appar-tiennent le déclenchement et ľorientation'de Faction des apprenants. Pour mieux allier la motivation, les intéréts et les besoins des apprenants ä la mise en pratique des projets en classe de FLE, et pour que soit possible la mise en pratique ďune demarche interculturelle, nous apportons en classe, au debut de chaque projet, un ensemble de themes possibles ä travailler, comme par exemple: les habitudes et les gouts des jeunes ďaujourďhui, le racisme, la migration, les sports, entre autres. Associées ä ľ ensemble des themes, nous suggérons aussi des täches ä réaliser et un but final, lié ä la diffusion des travaux pro-duits par les apprenants de facon ä donner un sens au travail qu'ils ont développé. Nous pouvons faire, par exemple, avec le produit final de chaque projet: une revue thématique, échanger les travaux avec une autre classe de ľécole ou d'une autre école, publier les travaux sur internet, les exposer ä ľécole... Au moment du choix des themes, nous exposons un ensemble de themes que ľ on peut travailler en classe par-mi lesquels les apprenants doivent choisir celui qui les intéresse le plus. lis font leur choix selon leurs preferences et nous, enseignants et médiateurs de ľapprentis-sage, élaborons le projet en cherchant et en fournissant 289 les matériaux nécessaires. II faut ajouter que les themes présentés font partie du Programme de FLE1, et noter que, dans aucun des projets, les aspects grammaticaux ne seront négligés. Le choix de cette pratique pédagogique est du surtout ä la personnalite de notre public. Ce sont des classes trěs heterogenes dont les apprenants, issus de différentes classes sociales, ont des niveaux ď apprentissage trěs difŕérents. IIy a aussi dans les classes de FLE au Portugal des apprenants issus de minorités ethniques, pour qui la promotion d'une pédagogie interculturelle exerce une fonction fundamentale dans tou tes les disciplines. Comme ľaffirme Christian Leray (2001 :147): « Promouvoir une pédagogie interculturelle, c'est prendre en consideration de maniere positive les diversités sociales et culturelles des élěves ». En effet, « (...) ľéducatíon doit se faire de sorte que la diversité ne soit pas simplement ressentie comme un obstacle mais accueiliie comme une richesse. En classe, eile doit devenir objet d'étude, car la naissance et la comprehension de ce qui distingue en favorise ľacceptatíon et facilite la reconnaissance d'autrui » (Mougniotte, 2001: 36). Au Portugal, la iangue franchise est enseignée dans le cadre de l'enseignement des langues Vivantes. Cest un enseignement qui s'adresse ä touš les apprenants. Pour ceux qui sont au lycée, ľ apprentissage du FLE est une discipline obligatoire dans leur cursus scolaire; pour ceux qui sont dans le secondaire, le choix du FLE peut étre optionnel. En tant que discipline obligatoire au lycée, le francais trouve un trěs grand nombre d'apprenants qui n'ont aucun intérét particulier ä apprendre cette Iangue. C'est aussi pour cela que nous parions beaucoup sur la II s'agit du Programme des langues étrangěres, construit par le Ministěre de l'Éducation au Portugal et ä partir duquel touš les enseignants de langues étrangěres doivent planifier leurs cours. 290 motivation intrinsěque de chacun, puisqu'il y a de leur part une forte resistance ä l'usage et ä ľapprentissage du francais en classe. D'apres Le cadre européen commun de reference . (Alv'es, 2001), nous pouvons définir nos apprenants comme des utilisateurs Al ou A2, dependant du niveau2 de chacun. Comme le souligne Le cadre européen commun de reference (Alves, 2001 : 49): « [L'utilisateur niveau Al] est capable de comprendre et d'utiliser des expressions familiěres et quotidiennes, comme des énoncés trěs simples, qui visent ä satisfaire des néces-sités concretes. Cet utilisateur peut arriver ä communiquer de facon simple au cas oil l'interlocuteur lui parle lentement et distinctement et se montre coopérant ». En ce qui concerne les caractéristiques de l'utilisateur niveau A2 : «I! est capable de comprendre des phrases isolées et des expressions qui sont fréquemment en rapport avec les domaines de priorite immediate, comme par exemple : les informations personnelles et familiales simples, les achats, ľenvironnement. Cet utilisateur peut décrire de facpn simple sa formation, son environnement et faire aussi reference ä des sujets qui sont en rapport avec ses besoins ». Au debut de ľannée scolaire, nous sommes toujours confrontés ä des classes oů la grande majorite des apprenants n'ont pas choisi d'apprendre le frangais et qui, par consequent, resistent beaucoup ä son apprentissage et ä son usage en classe. II faut tout ďabord éliminer une série de préjugés et de stereotypes chez nos apprenants, qui sont une des raisons de leur désintérét. « Une fois créés, ils [les préjugés et les stereotypes] ont une influence sur les relations avec les autres peupíes, parce qu'ils déterminent la facpn dont nous percevons ou nous 2 Les apprenants se situent au niveau debutant, mais au lycée portugais, il y a trois types de debutants, que nous pouvons catégoriser ici comme « debutant initial», « debutant inter-médiaire » et « debutant avancé ». 291 jugeons les autres » (Klineberg cite par Abdallah-Pretceille 2004:111-112). Dans une citation de Leiris (1969) reprise par Abdallah-Pretceille, ľauteur définit le stereotype de la maniere suivante: «(...) un jugement de valeur non fonde objectivement et d'origine culturelle (...) qui provoque, ou tout au moins, favorise, et méme parŕois simplement justifie des mesures de discrimination, íe préjugé rejoint le stereotype en tant que generalisation non fondée, jugement rigide et automatique » (2004:110). Comme facon de résoudre et de donner une réponse aux questions posées par les préjugés et les stereotypes en milieu scolaire, nous reprenons encore une affirmation d'Abdallah-Pretceille, citée par Leray : «(...) ľimportance ďune education pour la comprehension mutuelle des cultures au niveau social n'est pas ä démon-trer, son evidence s'impose. La prevention des préjugés, des stereotypes, du racisme, de l'ethnocentrisme, ne sera effective qu'ä partir du moment oü l'interculturel sera pris en charge {...) par les systěmes éducatifs » {2001:147). L'interculturel est done une strategie pour résoudre certains problěmes qui se posent au sein de ľéducation indépendamment des politiques éducatives qui les régissent. En effet, ľobjectif de ľéducation interculturelle « n'est pas la connaissance d'une culture. [Cest ľapprenant] qui est au centre de cette education » (Perotti, 2003 : 51). Ľimportance est done donnée ä l'Autre et pas ä la connaissance de sa culture. De méme, Defays met ľaccent sur ľéducation interculturelle de ľapprenant, en affirmant: « (...) ľapproche interculturelle (...) vise done moins á enseigner aux apprenants une autre culture, mais ä ies aider ä développer chez eux ľ aptitude de vivre dans des milieux et des situations pluriculturels (...). Elle actionne en effet une dialectique entre ľuniversel et le particulier qui permet de cooi'donner et de dépasser les differences culturelies. 292 Cette approche est done fonciěrement critique, auto-réflexive, interactive et constructive » (2003 : 78). Dans ce sens, ü est essentiel que ľenseignant travaille avec ses apprenants les representations qu'ils ont de l'Autre. « Tout d'abord, il les aměnera ä prendre connais-sance de certains codes culturels propres ä la culture cible » (Collěs, 2003 :176). Ici, nous parlerons ďun projet ďapprentissage déve-loppé avec une classe de 25 apprenants debutants de FLE, ägés de 13 ä 15 ans, et du role joué par la demarche interculturelle dans la déconstruction des préjugés et des stereotypes. II s'agit ďun projet de production de textes ďopinion sur ľ usage des piercings dont ľaboutissement est la diffusion sur un site Internet, concu spécifiquement par les professeurs de frangais dans ľécole pour publier quelques travaux des apprenants resultant des projets realises. Le choix de ce thěme a aussi servi ä faire prendre conscience aux apprenants portugais, en proie ä des préjugés et des stereotypes sur les Francais, que « l'Autre est ä la fois identique ä moi et different de moi» (Abdallah-Pretceille & Porcher, 1996 : 8). L'Autre a done les mémes inquietudes, bien que la facon dont il les vive soit différente. Tl raut tout d'abord specifier la facpn dont le projet s'est développé. Le projet, que nous avons nommé « Opinions sur les piercings », était conc;u en trois étapes : une premiere etape, celie de la pré-éeriture, une deuxiěme etape oú les apprenants écrivent leurs textes, et la der-niére etape qui est celie de la réécriture et de la diffusion des « Opinions sur les piercings ». Dans la, phase de pré-écriture, nous avons recherche des documents authentiques en francos (opinions de jeunes francophones extraites de forums de discussion) sur Internet. Ici, on peut considérer Internet comme une ressource (ďune grande valeur interculturelle, dans la mesure oú ľécrit et les témoignages, que nous y trou-vons, sont des documents authentiques de chaque pays). 293 II faut noter que touš les documents dits authentiques (articles de revues, de journaux) et d'autres documents qui ont un fort potentiel culturel passent, avant d'arriver aux élěves, par les enseignants. Cela veut dire que ce sont les enseignants qui accědent, en premier lieu, ä touš les documents qui sont extraits d'Internet. Ce tri se fait pour garantir la fiabilité de touš les documents que l'on travaille en classe face ä des apprenants qui ne seraient pas forcement capables de mener ä bon terme par eux-mémes une recherche de ce genre, vu leur niveau de connais-sance de la langue. En étant conscients qu'avec ce tri, nous empéchons ľeffet du contact direct par le biais de la lecture et de la participation ä des forums (asynchrone, on-line), ainsi que le développement de l'autonomie de chacun des apprenants, il nous semble, nonobstant, que e'est l'option la plus raisonnable face aux contraintes aux-quelles nous sommes exposes. En tout cas, cela nous per-met déjä un contact, ce qui est tout de merne mieux qu'aucun contact: « Une culture n'existe que si eile est "vue", si eile est "lue" » (Abdallah-Pretceille & Porcher, 1996 : 71). Si on ne peut pas voir et étre vu, au moins que cela puisse étre lu. Nous essayons ainsi, en partant d'un theme universel, de réfléchir avec nos apprenants debutants. Sur le theme choisi, dans ce cas l'usage des piercings, nous nous décentrons de nous-mémes pour mieux connaitre le point de vue de l'autre, mais aprěs cela, nous réfléchirons ä notre propre situation, nous aurons un point de vue sur nous-mémes. Nous pouvons merne affirmer que « les données interculturelles (...) s'élaborent ä partir ďune série de décentrations (■■■)» (Abdallah-Pretceille, 2004: 140), lorsque nous envisageons la décentration et « la comprehension de l'Autre au detriment de la seule description et de la simple connaissance théorique » (Collěs, 2003: 175). Ce sont ces mécanismes de décentration qui peuvent le mieux aider la demarche interculturelle. Vu que « la stratégie interculturelle exige [la] confrontation permanente des points de vue» (Abdallah-Pretceille, 2004: 153), nous avons pensé qu'en faisant notre recherche sur des forums de discussion, nous y 294 trouverions une grande varieté de points de vue. En fait, dans ce cas, les confrontations emergent d'une facon presque spontanée, chacun a sa propre maniere de postuler sa culture, d'une facon plus particuliere et, par consequent, libérée d'une grande partie des stereotypes qui normalement définissent une culture dans les manuels scolaires. Au moment de la production des textes, les appre-nants prennent comme moděles les structures des documents trouvés sur Internet. Ici, les textes postés par les jeunes francophones servent aussi comme moděles dont les apprenants peuvent s'approprier les structures langagiěres, les expressions. La réécriture des textes d'opinions se fera dans un but exigeant et stimulant; exigeant, par rapport au niveau des apprenants; stimulant aussi car Internet est une fenětre trés séductrice sur un autre monde auquel ils peuvent accéder et oů ils peuvent partager leurs reflexions. Le moment de la diffusion de leurs productions provoque toujours une sorte ďanxiété et d'attente, done leur degré d'investissement dans la réécriture augmente. Les textes « Opinions sur les piercings » sont diffuses sur un site Internet - www.francais~com. blogspot.com - (dans ce cas, Internet fonctionne comme espace de diffusion, dépassant les limites d'une diffusion ä ľéchelle de ľécole, ou ľauthenticité n'est jamais totale-ment atteinte). C'est cet aller et retour de ľinformation qui donne vie ä la demarche interculturelle, puisque I'interculturel «c'est la circulation, le partage, l'enri-chissement par les differences» (Abdallah-Pretceille, citée par Marmoz, 2001: 44). D'apres Galino (1990), I'interculturel est synonyme de mouvement et de reciprocite. Sa caractéristique fonda-mentale consiste dans ľaltérité et dans ľouverture ä ľautre, «en dormant tout son sens au prefixe inter: interaction, échanges, décloisormement, reciprocite» (Camilleri, citée par Mialaret, 2001 : 270). II s'agit done ďun projet de travail oü la découverte de la langue se fait ä travers les idiosyncrasies des appre- 295 nants natifs et non natifs. Ľactivité déclenche une communication dans une langue (le francais) entre deux pays distinets. « Si les langues sont des facteurs d'identi-fication par rapport aux autres, elles sont aussi vecteurs ďéchanges vers les autres » (Leray, 2001 : 149). Dans ce cas en particulier, la langue assume une double function : « la langue en tant qu'outil de communication (...) et la langue comme véhicule d'une identite, d'un enracine-ment» (Perotti, 2003 : 71), reflétant alors I'interculturel. Avec cette experience d'aller et retour d'information, nous sommes devant un circuit ä ľéchelle interculturelle. «{...) la communication entre le natif et ľapprenant non natif nous semble apporter un correctif important par rapport á la tradition des documents didactiques hautement idealises et de ce fait falsifies dans une certaine mesure » (Wolfgang, 1992 :177). Comme l'affirment Abdallah-Pretceille et Porcher (1996:110), il y des cas oil: «(...) apprendre une langue se resume ä apprendre un code linguistique et apprendre une culture consiste ä s'initier ä un autre code culture!. Les manuels destines aux étudiants étrangers et aux touristes afin de les aider dans lem-décryptage culturel restent ä la surface des phénoměnes et suggěrent une communication autistique qui ne s'adresse pas ä autrui mais ľutilisent en le chosifiant c'est-ä-dire en le condamnant ä n'étre que lc réceptcur du message et non pas un co-auteur, un acteur. Ainsi, toute competence culturelle comprise comme un "guide", un outil au service de la communication, compoľte ie risque d'imposer une forme d'ídéologie qui filtrerait la communication au lieu de la faciliter ». Merne si Internet est une fenétre ouverte sur íe monde linguistique sans frontieres géographiques, done avec un fort potentiel inter culturel, son usage exelusif ne permet pas de rendre compte de certaines caractéristiques trés importantes pour le contact entre deux cultures, notam-ment en ce qui concerne la communication dite non verbale, les conditions de communication ne le permettant pas. Mais « la culture n'existe que par une formulation discursive dont le silence et le non-verbal sont aussi des 296 modalités» (Abdallah-Pretceille & Porcher, 1996: 61). Ainsi, il y a toujours des caractéristiques culturelles que les apprenants n'arrivent pas ä saisir, sauf si la communication par Internet peut disposer de touš íes accessoires adéquats : des webcams, des micros, pour que la communication non verbale puisse étre, dans une certaine mesure, saisie. En guise de conclusion, l'objectif de cette étude se fonde sur l'apprentissage et sur la capacité de commu-niquer avec ceux qui sont culturellement differents de nous, en utilisant leurs moyens d'expression et de communication commun. Nous essayons de «parier SUR, AUTOUR, Ä PARTIR DE >> et surtout « AVEC» l'Autre (Abdallah-Pretceille & Porcher, 1996 :107). Bibliographie Abdallah-Pretceille M., Porcher L., 1996, Education et communication interculturelle, Paris : P.UF. Abdallah-Pretceille M, 2004, Vers une pedagogic inter culturelle, Paris: Anthropos. Alves J. (dir.), 2001, Quadro Europeu Comum de Referenda para as Línguas - Aprendizagem, ensino, avaliaqao, Porto : Edicöes Asa. Beheydt L. et Demeulenaere I., 2003, «Bilinguisme» dans G, Ferréol et G. JUCQUOIS (dir.), Dictionnaire de ľaltérité et des relations inter culturelles, Paris : Armand Colin, pp. 41-46. COLLĚS L., 2003, «Didactique de l'interculturel» dans G. Ferreol et G. Jucquois (dir.), Dictionnaire de ľaltérité et des relations inter culturelles, Paris : Armand Colin, pp. 175- 180. De Carlo M., 1998, L'interculturel, Paris : CLE. Deeays J.-M. el Deltour S., 2003, Le franqais langue étrangére et seconde, enseignement et apprentissage, Sprimont: Pierre Mardaga éditeur. Fernande?, S., 2003, Propuesta curricular y Marco comün europeo de referencia, Madrid : Ministeriu de Educación, Cultura y Depo rte. 297 Ferreol G. et Jucquois G. (dir.), 2003, Dictionnaire de ľaltérité et des relations inter culturelles, Paris : Colin. Galino A., 1990, «La educación intercultural. Origens y enfoques » dans A. Galino et A. Escribano, La educacion intercultural en el enfoque y desarrollo del curricula, Madrid : Narcea, pp. 7-22. Leray C, 2001, « Langues de culture et langue(s) d'enseigne-ment(s) dans une education interculturelle», dans L. Marmoz et M. Derrij (dir.), L'interculturel en questions. Lautre, la culture et l'education, Paris: L'Harmattan, pp. 147-161. Marmoz L., 2001, « La recherche interculturelle : exploitation, pédagogie ou co-opération », dans L. Marmoz et M. Derrij (dir.), L'interculturel en questions. Ľautre, la culture et l'education, Paris : L'Hamiattan, pp. 41-63. Míalaret G., 2001, « La multiculturalite et l'education au xxie siede », dans L. Marmoz et M. Derrij (dir.), L'interculturel en questions. Ľautre, la culture et l'education, Paris : L'Harmattan, pp. 249-275. MOUGNIOTTE A., 2001, «L'education face ä la diversity culturelle et au droit ä la difference », dans L. Marmoz et M. Derrij (dir.), L'interculturel en questions. Ľautre, la culture et l'education, Paris : L'Harmattan, pp. 33-40. Perotti A., 2003, Apologia do intercultural, Lisboa : Ministério da Educagäo, Secretariado Entreculturas. POSTIC M., 1984, A relagäo pedagógica, Coimbra : Coimbra Editora. Puren M., 2005, « Enjeux et perspectives de recherche en didactique coinparée des langues-cultures étrangěres : l'exemple de la problématique interculturelle », dans Quelle didactique de l'interculturel dans les nouveaux contextes ď enseignement-apprentissage du FLE/S ?, Colloque de Louvain-la-Neuve. Wolfgang B., 1992, «La video dans l'apprentissage inter-culturel dos langues dans le cadre du projet E.R.C.I» Programu Lingua, Lisboa : Universidade Aberta. Atelier « Médias et interculturel » Pratiques interculturelles ä l'Université Hradec Králové Daniele Geffroy KonŠtacký Universitě Hradec Králové, République tchěque Mises au service des approches interculturelles, les technologies sont d'un apport sans precedent si ľ on apprend ä les maítriser: c'est le role de ľinstitution de formation de faire acquérir un savoir-faire qui reside dans ľutilisation efficace d'un outil qui permet de déve-lopper les competences linguistiques et interculturelles. Je m'appuie sur les activités pratiquées dans le cadre de nos formations initiale et continue, pour analyser les acquis d'une demarche interculturelle pendant 1'appren-tissage d'une langue étrangěre: nous verrons qu'elle repond aux exigences des strategies d'apprentissage différenciées, qu'elle favorise un travail en autonomie guidée et qu'elle développe chez les apprenants initiative et esprit créatif. La premiere étape dans la formation - initiale et continue - prend pour thěmes les cultures des pays francophones. La seconde étape propose des activates cen-trées sur la culture du pays d'origine. Nous constaterons qu'il n'y a pas de veritable ligne de demarcation entre les deux étapes qui, trěs vite, se déroulent presque en 302 parallele, afin de facilíter les comparaisons et ďéveiller la prise de conscience de la valeur des cultures ďorigine1. Approche des cultures francophones Grace aux programmes de TV5 et aux multiples pro-longements offerts sur son site Internet, le médiateur et ses apprenants peuvent aborder un large éventail de cultures des pays francophones. Les activités de décou-verte, ďobservation, ďanalyse, ďéchange se font ä partir de documents textuels et audio-visuels de qualité et, on n'insistera jamais assez sur ce point, actuels. La prise de note, pendant la sequence ďanalyse et de discussion, est complétée par une recherche personnelle sur Internet2, selon un parcours en partie conseillé .par le médiateur. Tout au long du cursus, les étudiants s'entrainent ainsi ä élaborer des documents de reference qui finissent par constituer des dossiers qu'ils pourront réguliěrement mettre ä jour et consulter pendant leur vie profession-nelle3. On peut juger d'une partie du savoir-faire acquis ďaprěs le document powerpoint realise par une étu-diante de troisiěme année pour sa presentation orale d'un pays du Maghreb4. Pour les guider dans leur preparation, les étudiants recoivent des fiches de travail et des recommandations. Ayant constate toutefois que le professeur de francais langue étrangěre trouve peu d'appui dans les manuels pour amener ses élěves ä parier de leur propre culture, 1 Dans notre cas, celle des Pays tchěques. 2 Cette recherche se déroule, soit dans la salle d'auto-formation - oů les ordinateurs, raccordés au réseau Internet, sont á disposition des apprenants -, soit ä la maison. 3 Enseighants des établissements primaries et secondaires / formation magistere professionnels du tourisme-relations publiques / formation universitaire en trois ans. 4 Presentation powerpoint disponible sur le site http://lide. uhk.cz/ (cliquer dans la colonne des professeurs de la Faculté učitel pdf sur mon nom Geffroy Daniele). 303 c'est ä la seconde etape, centrée sur la culture d'origine, que je consacrerai ľessentiel de mon intervention. Cultures de la langue-cible, culture d'origine La formation ä la découverte des cultures du monde francophone prepare les apprenants a la seconde etape pendant laquelle ils vont travailler en autonomie guidée. En s'apptiyant sur le savoir-faire acquis, ils vont preparer et presenter certaines facettes de leur propre culture. Les realisations orales et écrites des étudiants de ľuniversité étaient tout d'abord destinées ä leurs amis et ä nos visiteurs de langue francaise, mais, ä partir de 2005, nous avons voulu placer les productions écrites sur un site de reference pour les francophones íntéressés par la Répu-blique tchěque5. Ces deux étapes génerent une reflexion comparative entre les cultures étrangěres et la culture ďorigine, elles favorisent une identification des ressemblances et des differences. Si nous prenons pour exemple les proverbes et diclons, philosophie et regies de vie ďun peuple, « tresor légué par des generations de petites gens (...), recettes pour vivre sans trop de drames (...), pour n'étre pas trop malheureux en famílie, pour ne pas étre pris constam-ment au dépourvu »6, on constatera que tout proverbe n'a pas forcément son equivalent dans ľautre langue ou que, lorsqu'un equivalent est propose par les diction-naires bilmgues, sa frequence ďemploi et le contexte, dans lequel il est place, sont rarement les mémes. II en résulte une prise de conscience que la langue est porteuse ďune culture implicite, que parier une langue étrangěre ne requiert pas seulement des competences lin- ie site francais de Hradec Králové, dont le projet a recu le prix européen des Langues Label 2004: http://pdf.uhk.cz/ francoclub ou ma borte ä idées ä i'adresse http://lide.uhk. cz/ puis cliquer Geffroy Daniele. Jean Dutourd. 304 guistiques, mais également des acquisitions interdisci-plinaires en géographie, histoire, arts, traditions, et un savoir-faire dans la recherche des informations, le repé-rage des données, leur analyse, puis.la structuration des idées retenues. La sensibilisation aux implicites de la communication orale et écrite (choix des mots, du registre, de ľ inflexion de la voix, de la gestuelle du locuteur), habitue également les apprenants ä déceler les marques de leur culture et ä s'approprier certaines marques de la culture étrangére. Apprendre á parier de sa culture Un pays metnbre observateur de la Francophonie, membre de ľUnion européenne Depuis le sommet de Moncton en 1999, la République tchěque est membre observateur de la Francophonie. Depuis mai 2004, eile est membre de ľUnion européenne. Pour les jeunes Tchěques, il est important que la décou-verte des pays francophones soit accompagnée par la découverte, en francais, de leur pays afin qu'ils deviennent de bons témoins de leur culture dans les rencontres européennes, que ce soit lors de visites officielles ou informelles. Les activités abordent la géographie (ä partir de la carte de la Tchéquie), ľhistoire (ä partir de jeux de cartes et de jeux de domino), la vie littéraire et artistique, la vie quotidienne et les traditions. Voici des exemples ďactivités créées par nos étudíants : Au pays de Charles IV, roi de Bohéme, empereur romain germanique Une série de portraits, des extraits de livres ďhistoire et des articles de journaux permettent de découvrir les 305 souverains qui se cachent derriěre les devinettes et les fiches ďidentité7. Exemple; Je suis né le 2 avril 712. Mon pere parlait peu. J'ai conquis la Germanie jusqu'ä l'Elbe. Qui suis-je ? nom íitre né le décédé le fils de activités voyages Charlemagne roi des Francs, roi des Lombards, empereur romain germanique 2 avril 712 28 janvier 814 Pépin le Bref et Berthe au grand pied 774 conquéte de la Lombardie 778 déŕaite ä Roncevaux 796 destruction du royaume des Avars 805 conquete de la Germanie jusqu'ä l'Elbe en Lombardie, en Espagne, en Germanie Ä vous de jouer! Je suis né le 14 mai 1316. Mon pere, Jean de Luxembourg, a participé ä la bataille de Crécy. Blanche de Valois était ma premiére épouse. nom titre né le 14 mai 1316 décédé le fils de Jean de Luxembourg mariages Blanche de Valois, fils Venceslas IV activités voyages Cette actívité a suscité un grand intérét de la part ďun groupe de 30 étudiants, futurs maítres ďécoles, de l'IUFM de Maine-et-Loire, lors de leur stage en pedagogic comparée ä la Faculté de Pédagogie de l'UHK, en mars 2004. 306 Solution nom Charles IV de Luxembourg titre Margrave de Moravie, roi de Boheme et de Germanie, empereur romain germanique (1355-1378) né le 14 mai 1316 ä Prague décédé le 29 novembre 1378 rüs de Jean Ier de Luxembourg manages Blanche de Valois, Anna Falcká, Anna Svidnicka, Alžbeta Pomoranska Bis Venceslas IV activités fondation de ľUniversité Charles 7.4.1348 et de la Nouvelle Ville de Prague promulgation de la Bulle d'or 1356 construction de la cathédrale Saint-Guy voyages en France, en Itálie, au Luxembourg, en Silésie, en Allemagne Au pays de la carpe de Noel Les manuels de FLE consacrent des activités aux fetes en France, mais comment va-t-on presenter les fetes de son pays ä un ami ou visiteur francophone ? Les fetes de Noěl, pour ne traiter qu'elles aujourd'hui, sont-elles celé- brées de la merne maniere en République tchéque, en France ou en Belgique, par exemple ? Quelle place est laissée aux chants de Noél dans cette celebration? Quelles emissions dans les programmes des chaínes télé- visées participent ä cette perióde de fétes ? Si ľ on s'inté- resse aux emissions retransmises par TV5 pendant la perióde de l'Avent pour établir une comparaison avec les programmes des chaines tchéques, on constate que les enfants tchéques ont un choix ďémissions et de contes que nous énvieraient beaucoup de parents francais s'ils en étaient informés. Beaucoup de families tchéques ont conserve les traditions de Noel, comme la preparation des biscuits qui occupe plusieurs soirees de la mére de famille au debut de décembre. Les jours qui precedent Noěl, un moment important est 1'achat d'une belle carpe pour le réveillon, 307 C est une scene toujours actuelle, que ľ on retrouve aussi dans les films et dans les romans. Pendant le réveillon, on cache une des écailles de la carpe sous chaque assiette, avec une petite piece de monnaie, la famille aura ainsi de ľargent toute ľannée. (Certains gardent cette écaille dans leur porte-monnaie jusqu'au réveillon suivant.) Aprés le repas, une clochette appelle toute la famille autour de ľarbre de Noěl: c'est l'annonce que le petit Jesus est passe et qu'il a depose des cadeaux. Les enfants ouvrent les paquets, on fredonne les chants de Noel, et ä minuit, certains se rendent ä ľéglise pour admirer la crěche et entendre la messe que Jakub Jan Ryba a composée au xviF siécle. J'ai concentre, en un paragraphe, ce que des lycéens ont écrit ä leurs camarades francais dans le cadre d'un échange-Internet. Leur enseignante introduit, dans leur formation, toutes les demarches qui peuvent les mettre en contact avec d'autres cultures. Cette année, un jeune assistant du programme européen Comenius observe ses cours, discute avec les lycéens, anime des activités, suit avec ce professeur les séminaires de formation continue et participe, chaque semaine, aux soirees du club franco-tchěque Hradec Králové. Pourquoi en parier ici ? Parce que cette situation, au depart inattendue - nous atten-dions un assistant de langue maternelle francaise, Danilo est italien - a créé entre tous une veritable situation inter-cultUrellé. Tchéques, Francais, Italiens parlent en francais de leurs cultures respectives, ä partir de themes proposes ä l'avance par l'animateur ou le groupe. Les participants apportent, pour chaque rencontre, le materiel nécessaire ä la discussion (cartes géographiques, cartes postales, documents tires d'Internet, objets personnels, etc.). L'animateur fixe les garde-fous et veille ä ce qu'ils soient respectés. 308 Au pays des contes Pour découvrir les contes tchěques, un lecteur francophone a accěs, depuis 2002, ä une edition francaise de contes de Karel Jaromír Erben publiés par 1'École des loisirs (Erben, 2002). Dans ľ introduction, les traducteurs précisent que « tout enfant tchěque ďaujourďhui connait un conte, une chanson ou un poéme » de cet écrivain, qui a fixe un patrimoine populaire « malmené par ľhistoire ». «Grace ä lui renaít un monde merveilleux, drôle ou inquiétant: les foréts profondes de l'Europe centrale se peuplent de fees, dans ďimmenses plaines se dressent des chateaux, certains de fer, d'autres de cristal. » Dans les lacs, on rencontre le Vodník, ce génie des eaux familier des contes tchěques et absent des contes populaires fran-cais. Deux étudiantes vous présentent cet écrivain tchěque: 1811-1870 Secretaire du Musée national et archi-viste de la ville de Prague, il occupe une place de premier plan dans la littérature tchěque. Auteur de nombreux travaux KjmtSiMN historiques, il a recueilli des contes de fees dansle recueil Cheveux ď or et compose des ballades inspirées des legendes populaires dans le recueil Kytice. Un bouquet de legendes tchěques. Cest ce dernier recueil que les étudiantes/ qui ont prepare un exposé avec powerpoint, ont choisi de mettre en evidence. L'apport du conte dans ľapprentissage ďune langue est inestimable. Le professeur-conteur peut adapter ľhistoire ä son public, utiliser les illustrations du livre pour faciliter la comprehension, reprendre ľhistoire en susci-tant la reaction du groupe, éveiller son imagination, introduire des variantes. Le récit ainsi lancé donne lieu ensuite ä une infinite ď activités adaptables aux diffé-rentes étapes de ľapprentissage. 309 Depuis des années, la chaíne nationale tchěque CTI présente aux enfants un petit marchand de sable/ mar-chand de contes, qui leur raconte chaque soir une histoire qu'ils regardent avant de se coucher. Ce Večerniček est connu de tous, petits et grands, le thěme musical est identifié děs les premieres notes. Mes étudiants ont prepare des activités pour leurs futures classes ou les jeunes apprenants présentent les personnages - compa-gnons familiers - et les situations rencontrées, afin de pouvoir en parier quand leurs camarades viendront de France ä ľoccasion ďun échange scolaire. Les demarches comportent des activités avec les cartes memory, des phrases ä reconstituer, des illustrations ä associer au texte, un commentaire des images video visionnées sans le son, des re-créations, le type et le nombre de ces activités étant presque illimités. Au pays du houblon et de la biěre La République tchěque est le pays de la biěre, au merne titre que la France est le pays du vin. Si la Pilsner ou la Budvar sont les plus célěbres, de nombreuses autres marques se partagent le marché. Blonde ou brune, ä la pression ou en canette, la biěre /pivo/ est au centre de ľanimation des auberges que Bohumil Hrabal aimait frequenter : 310 BOHUMIL HRABAL (1914-1997) - Traduit en francais děs les années soixante, il a conquis son public en partie grace aux adaptations cinématographiques dont il a bénéficié dans le contexte de la « nouvelle vague »tchěque. Fils ď un gérant de brasserie industrielle, il c tau anauic d ľambiance des bistrots. Dans un pays oů la moyenne de la consommation annuelle de biěre s'éleve ä 150 litres par habitant, cet attachement releve ďune revendication toute naturelle de la culture populaire et de ses rites. Son quartier et les nombreux metiers qu'il exerca lulapportěrent la matiěre de nombreux récits. « A l'origine, il y a la brasserie et la consequence en est la biěre; c'est mon mode de vie quotidien, au milieu de conversations parfois confuses, mais qui me font un bien immense car j'apprends sans cesse auprěs des gens comment on peut travaiiler sur la langue (...). Au café, j'enregistre les belles choses que les gens ordinaires parviennent ä exprimer dans la conversation ». A batons rompus avec Bohumil Hrabal (Christian Salmon, éd. Criterion, 1991). II publie notamment ä ľétranger Un doux barbare (1978) et Une trop bruyante solitude qui lui vaudront une renommée internationale. Dans cet extrait ďune presentation de Hrabal par deux étudiantes de troisiěme année, on peut remarquer la justesse dc la citation et ľintérét de la photo qui reproduit le cadre évoqué par le texte. Evaluation formative Ľ evaluation formative qui accompagne les diverses realisations montre que cette prise de conscience de leur culture, de ses particularités, par rapport aux cultures de la langue-cible, développe leur personnalité, leur créati-vité, leur capacité ä transposes ä improviser et ä se débrouiller dans toutes les situations qui peuvent se presenter quand ils sont en relation avec les locuteurs fran- 311 cophones. Ils sont capables de définir leurs differences et de résoudre par eux-mémes certains problěmes. Enfin, ils perfectionnent leur maitrise du francais oral et écrit. Conclusion La classe de langue ? Un carrefour d'interculturalité quand, dans ce lieu clos, les apprenants et le médiateur de la langue-cible ont un désir commun de s'ouvrir aux autres cultures et d'approfondir la leur. Cette ouvertuře ä d'autres cultures est largement facilitée de nos jours par l'acces aux multimédias qui abolissent les distances et permettent de découvrir aussi bien le monde francophone que son pays d'origine. Une meilleure connais-sance de nos cultures respectives peut passer, aujourd'hui, par un usage bien programme des technologies tout au long de l'apprentissage. Les activates que nous avons presentees ont favorisé les rencontres, une meilleure comprehension et acceptation des differences. Elles sont un enrichissement sur le plan linguistique et culturel, mais également, et peut-étre surtout, sur le plan humain. Bibliographie Erben K.J., 2002, Contes íchéques, Cheveux á.'or, Paris: Neuf de ľécole des loisirs. Traduction Arnault Maréchal, Hana Rihova-Allendes et Aurélie Rougé-Carma. Geffroy Konstacky D., 1997, Proverbes el dictons de France, Hradec Králové; Gaudeamus. Peroni S., 2003, « Le Voyage au loin comme instrument de mediation entre les cultures », Le francais dans le monde, Recherche et application, n" special Janvier 2003, pp. 100-110. Zarate G., 1986, Enseigner une culture étrangěre, Paris : Hachette Recherches / Applications. Dialogues et cultures, 2004, «Le francais face aux autres langues », Federation internationale des professeurs de francais, 49, pp. 197-232. Les nouveaux Etats de l'Union européenne par eux-mémes: exploitation interculturelle de vidéogrammes didactisés pour le site Internet de la chaine francophone TV5 Beatrice GlRET, Francoise Tauzer-Sabatelli Alliance frangaise de Bruxelles-Europe, Belgique Pour féter ľélargissement historique de l'Union européenne le Ier mai 2004/ la chaine francophone TV5 a propose á une équipe pédagogique de I'Alliance frangaise de Bruxelles-Europe de collaborer ä la realisation de la rubríque « Bienvenue en Europe » de son site Internet TV5.org. Cette rubrique contient 50 vidéogrammes tour-nés dans les 10 nouveaux pays adherents et des informations sociopolitiques sur ces pays, numérisés et disponibles sur le site. Comment penser la didactisation de ces matériels bruts pour des apprenants de francais langue étrangěre ou seconde, dans une perspective de connaissance interculturelle, le francais jouant le role de langue véhi-culaire entre ces « nouveaux » pays, les « anciens » Etats membres de l'Union européenne et Ies autres pays du monde ? La description de cette realisation pédagogique sera traitée de trois points de vue : 314 le point de vue de ľingénierie pédagogique, dans le cadre de ľélaboration ďun dispositif modulaire souple, aussi bien au service de ľenseignant dans sa classe qu'utiíisé en autoformation guidée en centre de ressources; le point de vue méthodoiogique, base sur une implication étroite entre la langue et la culture véhiculée, en mettant ľapprenant au centre de la découverte interculturelle; - le point de vue pédagogique, dans le cadre de ľ experimentation/ evaluation du produit pédagogique auprěs de publics « européens », afin de participer ä la constitution ďune culture communautaire francophone qui respecte les differences. Introduction: analyse pédagogique du materiel (cf. pages d'accueil de la rubrique en annexe 1) Ľintérét de ces videogrammes est trěs nouveau si ľon considěre la panoplie habituelle des documents audio-visuels utilises par ľenseignant de FLES. En effet, ľenseignant a tendance ä privilegier les documents télévisuels franco-ťrancais, au detriment de documents d'autres pays francophones ou de documents produits en frangais par des locuteurs arrangers. Les videogrammes disponibles sur le site font partie de cette derniěre catégorie car leur conception a été confiée ä des réalisateurs et des acteurs francophones des nouveaux pays entrants : ceux-ci ont choisi les themes (et done les aspects culturels qu'ils privilégient) et ils les commentent 'en francais a vec un «petit accent» et quelques mots sur leur pays qui met immédiatement en scéne ľinterculturalité. II s'agit done de cinquante cartes postales audiovisuelles presentees par les messagers francophones des dix nouveaux pays entrant dans l'UE le Ier mai 2004: Anna de Chypre, Katarina d'Estonie, Lora de Hongrie, 315 Laura de Lettonie, Gabija de Lituanie, Elisabeth de Malte, Katja de Pologne, Marketa de République tchěque, Jaro de Slovaquie, Matej de Slovénie. Ce ne sont ni des cliches touristiques ni des descriptifs institutionners, mais de courts apercus de la vie quotidienne, anerés entre tradition et innovation, dans les grands débats de société: la participation des cítoyens ä la vie publique (engagement, prevention, utilisation des technologies et des médias), la protection de ľenvironnement et du patrimoine, les pratiques culturelles (sport, musique, cinema, arts, gastronomie), ce qui permet de les regrouper en dix themes dont l'ordre est indifferent. II va de soi que l'exploitation de ces documents visera ä travailler la comprehension auditive d'un non-natif {qui est trěs peu travaillée en classe de langue traditionnelle) et que l'exploitation interculturelle va d'abord privilegier le choix du sujet (base sur la fierté écologique, artistique, technologique ou sociopolitique des locuteurs). Ingénierie pédagogique Les videogrammes ont été réunis en dix ensembles thématiques, d'une durée approximative de trois ä cinq minutes car chaque vidéogramme ne dépasse pas une minute, ce qui est ideal pour un cours de langue au niveau élémentaire, intermédiaire ou avancé (niveaux A2, Bl ou B2 du Cadre européen commun de reference du Conseil de ľEurope). Chaque ensemble thématique, compose de trois ä six videogrammes, peut étre utilise au choix dans les deux environnements d'apprentissage décrits ci-dessous. La situation d'autoformation, ä distance pour ľínter-naute isolé ou dans un centre de ressources multimédia pour des étudiants Orientes par leur professeur ou leur tuteur : les apprenants disposent de la Fiche Étudiant, téléchargeable et imprimable ainsi que de la transcription des videogrammes qui font partie de ľensemble thématique choisi. Quand ils ont terminé leurs activités fermées 316 de comprehension, ä partir des vidéogrammes numé-risés, ils peuvent aller voir les corrigés et éventuellement faire des recherches au moyen de liens Internet pour approfondir le thěme, participer ä un forum interne ou envoyer leurs productions ouvertes au tuteur. La situation de cíasse: ľenseignant dispose des Fiches Enseignant qui comportent un parcours complet ďactivités avec des corrigés et des suggestions pour approfondir son enseignement, ainsi que de la cassette video qu'il a pu enregistrer lors de la diffusion des vidéogrammes ou qu'il peut demander ä TV5. Ľenseignant télécharge et imprime depuis le site Internet les Fiches Étudiant qu'il peut photocopier et distribuer aux étu-diants, ainsi que les transcriptions integrales des video-grammes. II dispose aussi d'un mode d'emploi et d'un référentiel precis de ľensemble pédagogique (cf. tableau en annexe 2). Demarche méthodologique Les difťérentes étapes ou phases du parcours méthodologique peuvent étre utilisées dans ľordre choisi par i'étudiant autonome ou par ľenseignant pour sa classe. La premiere phase permet ä ľapprenant de se situer et de s'ancrer linguistiquement et culturellement dans le thěme par une activité préparatoire de remue-méninges et/ou de mise en commun des connaissances. La deuxiéme phase est basée sur une comprehension generale et approfondie de la série de vidéogrammes (niveau intermédíaire ou avancé) ou d'un seul video-gramme (niveau élémentaire). Une troisiěme phase va approfondir ľ expression ďune fonction ou ď une notion langagiére, mise en evidence dans un ou plusieurs vidéogrammes, ce qui va amener ľapprenant ä enrichir ľexpression de sa propre culture et de la culture de I'autre (acquisition d'une competence discursive et linguistique). 317 Une quatriěme phase vise ľexpression orale et écrite, á partir des modéles étudiés et des vécus exprimés par les étudiants, dans un débat d'idées ou encore dans le cadre d'un projet pédagogique de communication inter-culturelle (échanges épistolaires ou rencontres). Chaque fiche permet une prolongation individuelle ou collective par des liens vers des approfondissements (documentation complémentaire du site, autres sites Internet de reference sur les thěmes abordés, emissions de radio ou de television francophones sur les sujets traités). Le travail interculturel n'est done pas « folklorique » : il est aneré, d'une part, dans la relation langue-culture et, d'autre part, il tient compte du vécu de ľapprenant pour observer aussi bien le vécu de ľautre que la maniere dont I'autre présente son vécu (par exemple, la presentation des technologies de pointe dans les difťérents pays entrants oil la fonction discursive d'explication se realise de maniere différente dans les différentes langues-cultures). Applications pédagogiques Chaque ensemble thématique peut-étre étudié par des apprenants de francais langue étrangěre avec trois objec-tifs étroitement liés : interculturels, communicatifs et lin-guistiques (cf. tableau en annexe 1). - Des objeetifs (inter)-cuiturels pour découvrir les ressources naturelles, artistiques, et les valeurs que nous apportent ces pays en entrant dans l'Union, mais surtout les pratiques et les reflexions suggérées. Ces cartes pos-tales sont autant de documents déclencheurs pour connaitre des faits culturels, lancer des débats interculturels (cf. rubrique «Activités») et développer des recherches (cf. rubrique « En savoir + »), dans le but de faire dialoguer les cultures, respecter la diversité culturelle et construire une Europe multiculturelle tolerante. 318 - Des objectifs communicatifs pour améliorer la capacité des apprenants ä comprendre et ä s'exprimer en francais sur des sujets varies : les activités proposées sont toujours décrites en termes de competences ä acquérir. - Des objectifs linguistiques pour donner aux apprenants les moyens de comprendre et de s'exprimer: inventaires lexicaux des thěmes abordés (parier de musique, de mode, de prevention sociale, de technologies...)/ rappels des outils grammaticaux pour exprimer des notions (les articulateurs logiques pour verbaliser la cause, la consequence et le but, les adjectifs et les adverbes pour dire la quantité...), des intentions (expressions pour apprécier, pour mettre en valeur...), des formes de discours (décrire un monument ou un site, un fonctionnement, raconter une transformation, faire un portrait...). Chaque fiche est prévue pour une durée de une ä deux séances de 1 h 30 ä 2 heures. Ce materiel pédagogique a été experimente auprěs des publics «européens» de l'Alliance franchise de Bruxelles-Europe (fonctionnaires européens, diplomates des Representations permanentes auprěs de l'Union européenne, lobbyistes, etc., journalistes accrédités auprěs des Institutions européennes). Dans la situation de classe, il se trouve en general au moins un apprenant des pays concernés par les vidéo-grammes. La dynamique de la classe est alors complě-tement transformee. Les groupes s'organisent pour échanger leurs experiences sur le thěme choisi et croiser leurs regards. Les représentants des pays cités commen-tent en connaisseurs. Le frangais devient alors un authen-tique trait d'union entre les différents apprenants et les différentes cultures. Conclusion Ce materiel pédagogique et les exploitations pédago-giques qui ont été proposées et évaluées permettent non 319 seulement de progresser dans la langue véhicuíaire qui unit les apprenants (le francais, langue de communication internationale), mais également de constituer une culture communautaire francophone, respectueuse des differences linguistiques et culturelles dans ľunité de la construction européenne. Comme le dit la devise de 1 Union européenne : « Unite dans la diversité » 320 Annexe 1: pages d'accueil du site Adreso fej M«i:íívn™.tvS.cio/r>^^Anee/accud#e i^H'JÍ»*i/j?k "%^-ft ■»» )HHÍ1fltH(t lllirůůRňPHir 'J_-. I 321 Annexe 2 : Réf érentiel de Bienvenue en Europe Thěmes Objectifs (inter) Culturels Communicatifs linguistiques 1. Technologies innovations et médias Prendre conscience des avancées techno-logiques des Etats entrant dans l'UE en 2004 Presenter une technique Décrire un fonctionnement Lexique et syntaxe lies ä la description de technologies 2. Produits et traditions gastrono-miques Connaítre des produits locaux et des savoir-faire culinaires Comprendre des habitudes culinaires, apprécier des produits et des plats, décrire un plat, écrire une recette Expression de ľappréciation Lexique aliment aire el culinaire 3. Actions de prevention sociale Parier, ech anger des actions de prevention sociale Faire des hypotheses Comprendre les informations prin-cipales, détaillées et l'articulation logique d'un document Exprimer des relations de cause ä effet Formuler des objectifs Défendre une idée ou un projet Vocabulaire relatif aux problěmes sociaux Expression de la cause, de la consequence et du but 4. Engagement social et traditions Découvrir diŕre-rentes formes ď engagement Définir la notion ďcngagement Parier des traditions matrimoniales de son pays et rechercher des traditions matrimoniales dans Comprendre ies informations principals d'un document sonore Parier de mariage Déťinir la quantité Créer et rédiger un carton ď invitation Vocabulaire relatif aux différentes formes d'engagcment Vocabulaire du manage Expression d'un groupe indéterminé et de la totalite 322 d'autres pays que le sien Débattre de ce sujet 5. Sports et loisirs Mettre l'accent sur Ia facon de combiner sports/loisirs et education Faire le portrait d'un(e) sportif <-ve), Parier des activités scolaires et para-scolaires informer sur son emploi du temps Vocabulaire relatif aux sports et aux loisirs Mise en valeur du propos 6. Production et diffusion du cinema Découvrir des lieux valorisant le rapprochement des cultures et des langues á travers la production et la diffusion cinémato-graphiques Reconnaitre les différents genres de films Parier des habitudes cinématogra-phiques de son pays Faire le résumé d'un film pour un programme Se situer dans Se temps Vocabulaire du cinéma 7. Formation et traditions musicales Découvrir et apprécier !a richesse musicale d'un pays Valoriser ľ experience sociale liée á la pratique de la musique Faire le descriptif d'un genre Parier des traditions musicales de son pays Parier de sa propre pratique musicale Vocabulaire reíatif ä la musique Comparer et caractériser 8. Protection de ľenvironnc-ment Découvrir et parier de projets environnemen-taux Parier d'un projet et le rédiger Nommali-sation Lexique de i'écologie 9. Patrimoine naturel et architecture Découvrir les richesses du patrimoine national des > pays adherents et comparer avec son pays Décrire un lieu Comprendre / raconter ľhistoire d'un lieu Exprimer le passé {passe compose, im-parfait, passé simple) Mettre en valeur par la forme passive Lexique des constructions 323 et styles, Couleurs, formes, 10. Artisanat et arts Découvrir des spécificités artisanales et artisíiques messagěres de la tradition ou emblémes de la modernité Parier de la transformation d'un site Débattre sur la mode Utilisation du passé compose Vocabulaire de la mode Ľéducation cinématographique: interculturelle et transdisciplinaire (Québec, Belgique, France) Nathalie Lacelle Universitě du Québec ä Montreal, Canada Les écoles beiges, québécoises et francaises se trouveiit devant un double défi, soit celui de composer avec la diversité des origines de la population étudiante et le nombre croissant ďallophones, soit celui de la transformation des pratiques culturelles des jeunes au contact des nouvelles technologies de Information. Dans le premier cas, ľécole doit se questionner sur ce que Clanet et Ouellet identifient comme deux tendances idéolo-giques: ľuniversalisme et le pluralisme culturel (Mellouki, 2004)1. Dans le deuxiěme cas, eile doit cher-cher ä réduire le clivage entre la culture scolaire et la culture de ces jeunes, de plus en plus passionnés par les écrans de toutes sortes: cinema, television, Internet, cellulaire..., clivage qui contribue au décalage entre le monde de ľéducation et le monde de nombreux élěves qui se détournent de la culture et des valeurs de ľécole. II Ľuniversalisme (disparition ďentités culturelles distinctes et avěnement ďune culture mondiale) et le pluralisme culturel (nous sommes ce que la culture fait de nous et différons les uns des autres selon le contexte cultuel dans lequel nous avons grandi) (Mellouki, 2004). 326 y a done urgence que ľécole prenne en compte le vécu socioculturel de ľéleve dans ses enseignements. Or, alors que les Gouvernements québécois, beiges et francais pré-conisent dans les programmes la transmission de valeurs démocratiques favorisant les échanges entre les cultures tout en faisant la promotion d'une culture nationale, les pratiques culturelles des jeunes s'internationalisent et s'uniformisent, les éerans favorisant la diffusion d'une culture dominante pour ne pas dire américaine. Ľarrivée de ľéducation interculturelle dans les programmes du Québec, de la Belgique (communauté ŕran-caise) et de la France coincide done non seulement avec la diversification des cultures ďorigine dans les classes des écoles secondaires, mais aussi avec la transformation des valeurs des jeunes. «L'idée d'une education interculturelle relěve de causes plus profondes, et globale-ment, de ce que ľ on a appelé "la crise des valeurs" de la société occidentale » (Clanet, 1990 : 36), notamment au contact des médías. Ľintroduction des technologies d7information et de communication en milieu scolaire - forte-ment recommandée par les textes officiels des trois nations - rend possible une education ä la fois par les médias et sur les médias ainsi que sur leur fonction dans la société. Un tel enseignement s'inscrit dans une reflexion sur le role de ľécole en tant qu'institution de démoeratisation du savoir, afin de preparer les jeunes ä une société multicuíturelle characterise par la mondialisa-tion de ľ information et de la communication (Eriken Terzian, 1998). L'inteniion de notre etude est d'explorer comment ľéducation interculturelle se conjugue avec ('education cinématographique dans les programmes ď enseignement au secondaire, particulierement dans les cours de francais langue seconde. Nous entendons par langue seconde, la, langue du pays d'accueil qui est celle de toutes les disciplines du secondaire. Dans un contexte ou les allophones constituent plus d'un tiers des classes du secondaire et prescjue les deux tiers dans certains milieux urbains (au Québec), ľ enseignement du francais langue 327 maternelle est, en fait, un enseignement du francais langue seconde et sera aussi explore. Problématique Les generations actuelles d'adolescents, dont la nais-sance coincide avec ľévolution fulgurante de la technologie, ont développé de nouvelles pratiques culturelles. Ľ« ensemble de leurs connaissances, de leurs gouts, et de lews comportements culturels suffisamment homogenes et stables pour caractériser leur rapport ä la culture » (Donnat, 1994: 339) est désormais défini en lien avec ces nouvelles technologies, rompant ainsi avec les modes traditionnels de transmission de la culture. Plusieurs études récentes (MEQ, 1994; Piette, 1999; Lagouet, 2000; MCC, 2001; FCE, 2003; Lebrun, 2004) révělent ľengouement des adolescents pour la television, le cinema, les jeux videos et Internet. La culture et le plaisir passent, de plus en plus aujourd'hui, par des pratiques médiatiques : la presence des éerans tient une place considerable dans les loisirs des jeunes, dans leurs discussions et, de maniere generale, dans leur environnement familial, amical ou scolaire. La grande popularite du cinema (Tableau 1: Statis-tiques des pratiques culturelles des jeunes) auprěs des adolescents s'explique, en partie, par ľeffet ďímmédia-teté créé par le film ; « Devant ľécran, je ne suis plus libre de fermer les yeux; sinon, les rouvrant, je ne retrouverais pas la merne image, je suis astreint ä une voracité continue » (Barthes, 1980). Les histoires dans les films ont cette singularitě par rapport aux livres qu'elíes ont un format de temps, « pas plus de deux heures » ; au-delä de cette barriere temporelle, les jeunes semblent exprimer des difficultés pour rester concernés, attentifs et « pris » par les faits (Donnat, 1994). De plus, les adolescents ďaujourďhui semblent plus ä ľaise avec des images qu'avec des mots (Fife, 1999). lis ont ainsi ľimpression que les images se lisent plus facilement, plus naturelle-ment, parce que les codes qui les font naítre semblent pres de la réalité objective, et aussi moins figés par des conventions que les codes de la langue. Le film favorise 328 ainsi I'effet de catharsis, intensifié par la presence ďimages mobiles, et n'appauvrit pas ľactivité cognitive du spectateur qui, contrairement ä ce que l'on croit, n'est pas passif lors de la spectature. En fait, ľ identification du spectateur au contenu du film lui permet de sentir et de saisir des univers a priori étrangers ou de reconnaitre dans des univers familiers. Les films sont des ceuvres de creation, mais sont aussi des reflets de la realite, merne si cette realite est porteuse de stereotypes et de préjugés. Le danger est que le code culturel du film est transmis au spectateur de maniere naturelle, sans distanciation puisqu'il fait partie de sa culture premiere2; le spectateur n'est pas éduqué ä la lecture du film, il le recoit sans cette distance nécessaire ä la critique. La reconnaissance de ces stereotypes véhiculés par les films peut ďailleurs servir ä développer ľesprit critique des jeunes et ä abolir certains préjugés. Dans Pour une pedagogic interculturelle, Gaudet et Lafortune (1997) pro-posent ľétude de documents filmiques afin ďidentifier les stereotypes véhiculés sur les communautés ethniques. Les professeurs, qui en ont fait ľexpérience avec leurs élěves de niveau secondaire, constatent que ľintérét de ľactivité est acc.ru par la participation ďéléves issus de communautés ethniques diverses; un veritable dialogue interculturel s'installe. J'ai fait ce type ďexpérience dans mes classes de francais dans un college de Montreal dont la population étudiante est constitute ä quatre-vingt pour cent ďallophones. Suite au visionnage ď Ararat ď Atom E^oyan, mes élěves ďorigines turque et arménienne se sont prononcés sur la vision du réalisateur du genocide arménien. Les tensions ont fait place ä un veritable dialogue, alimenté des commentaires et perceptions des autres élěves issus d'autres communautés culturelles et dont les parents ont eux aussi vécu des situations d'exil. 2 Fernand Dumont distingue, dans Le lieu de L'homme, la culture premiere, celle de nos actions ordinaires et quoti-diennes et de la culture seconde, celle qui les questionne et permet de prendre une distance par rapport ä notre culture. 329 L'engouement des jeunes pour le cinema ainsi que son potentiel formateur ainsi soulignés, il apparait evident qu'il y a lieu de questionner en quoi il rallie le double défi de ľécole secondaire de former aux cultures sources des élěves et ä la culture des médias. Si ľ on concoit ľéducation interculturelle comme «ľensemble des apprentissages permettant la reconnaissance des valeurs, des representations symboliques, des croyances, des modes de vie et des modeles de conduite auxquels se referent les autres dans leur interaction avec nous et dans leur facon ďappréhender le monde » (Mellouki, 2004: 13), il faut s'ŕnterroger sur comment une education au cinéma pourrait fournir des outils dans ľatteinte de ces apprentissages. Citterio, Lapeyssonie, Reynaud, 1995 dans Du cinéma ä ľécole dressent le portrait du cinéma comme support didactique ä integrer ä ľenseignement des disciplines, mais aussi comme objet ďétude. On y voit, par exemple, comment les codes spécifiques au film sont porteur d'une vision du monde et contribuent ä ľenrichissement culturel. «Travailler sur le cinéma ou travailľer par le cinéma donne souvent ľoccasion privi-légiée de cette reflexion trěs riche autour de la question des representations considérées aujourďhui comme centrale dans le processus de transmission des savoirs. La disparite de plus en plus grande des « publics » ďéléves, la díversité de leur recrutement social, l'importance gran-dissante de ľinfluence des modes ďapprentissage du savoir concurrent de ceux de ľécole, les médias, dont particuliěrement la television sont autant de facteurs de representations différenciées » (p. 48). Busson et Périchon (1998) envisagent le recours au cinéma et ä son ensei-gnement ä ľécole comme : • Une nécessité dans un monde oú les jeunes sont abreuvés ďimages fixes ou mobiles, sans avoir le recul et les connaissances nécessaires pour les critiquer; 330 • Une réponse ä un besoin de venir en aide aux jeunes en difficulté ďapprentissage3; • Un moyen privilégiá de faire des liens avec les disciplines scolaires dans'" une perspective interdisciplinaire. Or, grace ä la grande diffusion du film que permettent les nouvelles technologies, on voit apparaitre le cinema sur le champ de ľécole comme objet de culture, langage, patrimoine, creation, instrument de formation et objet ďéducation, ä divers degrés ďimportance et sous diffé-rentes formes, dans les programmes québécois, beiges et francais. Nous verrons comment il est le plus souvent associé ä l'enseignement du francais langue maternelle et iangue seconde, mais comment aussi il traverse de nom-breuses disciplines telies ľhistoire, la géographie. Nous constaterons aussi que ľéducation au cinéma se confond ou se fond parfois dans ľéducation aux médias. Programmes québécois Á) Frangais langue seconde Le domaine des langues est ľun des cinq domaines ďapprentissage prévus dans la reforme applicable en septembre 2005. On dit que les langues premiére, seconde et tierce doivent donner accés ä des ceuvres litté-raires ou des textes courants pouvant étre présentés sur «des supports médiatiques diversifies favorisant la découverte du monde et de ľétre humain dans toute leur richesse, leur diversité et leur complexity » (p. 59). On ne définit pas, dans le programme, ce qu'on entend par support médiatique, mais on peut s'imaginer que ľétude d'une ceuvre littéraire adaptée au cinéma constitue ľun des moyens-'ď exp í or er le monde et ľindividu. Le 3 Dans Video et pédagogie interculturelle, Anna Eriksen Terzian a démontré que des jeunes en difficulté ďapprentissage ont été particuliérement stimulés par ľutilísation du film comme moyen ďapprentissage interculturel. 331 domaine des langues a comme discipline ľintégration linguistique, scolaire et sociale dans laquelle se trouve l'enseignement du francais langue seconde, dont les competences visées sont ľinteraction en francais, ľadap-tation aux pratiques scolaires québécoises et ä la société québécoise. La premiére suggére, pour que ľéléve arrive ä comprendre des textes varies, ľécoute et la lecture d'une varieté de textes oraux, écrits et visuels ou mixtes, ä caractére médiatique ou non. La deuxiéme et la troi-siéme ne font pas reference ä ľaudiovisuel merne s'il est question ďapprendre ä connaitre la société québécoise. Par contre, dans la section «reperes culturels», on suggére le cinéma, la video, la television et Internet comme moyen d'améliorer chez les apprenants alio-phones leur connaissance du francais d'ici et d'ailleurs. Le frangais langue seconde propose done des strategies facilitant la comprehension du francais ľutilísation de ressources technologiques. B) Frangais langue maternelle L'enseignement du francais langue maternelle est d'emblée présentée comme relié ä l'enseignement de la culture et done ä ľexploration des ceuvres littéraires de la francophonie. La reference ä ľétude du film est associée ä la competence : lire et apprécier des textes varies, dans le sens de construction de repěres culturels : « A ces traces de lecture s'ajoutent des references ä d'autres textes narratifs et poétiques, de merne qu'á des transpositions d'ceuvres ä ľécran ou ä la scéne dont ľétude permet ľenrichissement des reperes qu'ils se construisent», afin de mieux connaitre des textes ďhier et d'aujourd'hui, du Québec et de la France et de la francophonie. Le lien avec les médias se fait dans les moyens qu'on utilise pour amener le jeune ä comparer les facons de traiter un sujet dans une revue, un film documentaire ou une publicite. C) Autres disciplines Ľéducation aux médias est ľun des cinq domaines généraux de formation. Les médias, cités dans le pro- 332 gramme, sont la presse, la video, les livres, les cédéroms, la radio, la television, les jeux muítimédias, Internet et la musique. Si ľ on considěre que la video et la television sont des canaux de diffusion, ľ etude du cinema pourrait s'y inscrire. Ľécole, que ľ on dit étre « concurrencée par les médias », doit jouer un role de premier plan « en ce qui a trait ä la connaissance de leurs functions, ä la mai-trise des divers langages auxquels ils recourent, au regard critique nécessaire ä leur pleine exploitation et ä la conscience de leurs effets potentiels » (p. 27). Merne s'il peut étre exploité dans plusieurs disciplines, le domaine des langues semble représenter le point ďancrage privilégiá pour atteindre les quatre axes de développement: • Constat de la place et de ľ influence des médias dans sa vie quotidienne et dans la. société; • Appreciation des representations médiatiques de la realite; « Appropriation du materiel et des codes de communication médiatique; • Connaissance et respect des droits et respon-sabilités individuels et collectifs relativement aux médias. L'une des neufs competences transversales visées dans le programme est que les jeunes arrivent ä exploiter les technologies de ľ information et de la communication. On y vise ľ appropriation de différentes formes de langages et leur usage dans une varieté de contextes. Les domajnes de ľunivers social (geographic, histoire et education ä la citoyenneté) font reference ä ľ etude des médias dans le sens du choix de l'information et du développement du jugement critique vis-a-vis de l'information. Le domaine des arts vise trois competences, ä savoir créer, interpreter et apprécier des ceuvres médiatiques. 333 Programmes francais A) Frangais langue tnaternelle Dans ľaccompagnement du programme officiel de francais langue maternelle, on retrouve une veritable education au cinéma, ä son langage, ä ses codes en 3e; c'est la progression d'une education á ľimage qui, peu ä peu, chemine vers une education aux images mobiles accompagnées de sons. Děs la 6e, les éléves sont amenés ä observer la relation entre l'image et le texte, les images pouvant étre fixes ou mobiles. En 4e et 5e, les images sont analysées dans une perspective argumentative et ď etude du discours visuel. Pour étudier les dialogues, on propose des enregistrements audiovisuels montrant des dialogues de theatre, de cinéma et de television. Un travail sur le cinéma est envisage en classe de 3e, « dans la mesure oů les conditions materielles du college le rendent possible ». On privilégie ľétude de ľadaptation filmique d'une ceuvre littéraire, « elles donnent lieu ä des débats plus ou moins stereotypes (fidélité, trahison, appauvrissement, etc.), espace privilégiá pour l'argumen-tation quotidienne » (p. 186). Les élěves doivent étre en mesure de confronter les deux langages en analysant « le caractěre multiple du discours filmique, ses formes de rácits et les modes principaux de sa narration» en comparaison avec ceux de ľécrit. Ľaccompagnement du programme explicite les notions sous-entendues par discours, récit et narration filmique et vise ľétude d'adaptations cinématographiques d'ceuvres ciassiques francaises du Xixe et xxe siěcle. On cite en exemple Zola, Maupassant et Pagnol. Ľétude du cinéma n'est pas seulement abordée en lecture et en appropriation des discours, mais aussi dans ľécriture, oú ľ on suggěre ľécri-ture d'un synopsis set scenario de film en groupe. B) Frangais langue seconde L'enseignement du francais langue seconde, dont le but est ľ integration des élěves étrangers dans le systéme 334 éducatif francais, s'inspire des didactiques du francais langue maternelle et étrangěre. L'image - largement utili-sée dans les manuels de langue étrangěre - apparaít dans les programmes comme un support ä ľécrit. Dans les suggestions de sequences d'enseignement on propose le recours aux jeux video et ä des dessins afin de définir la notion de point de vue. Cest dans les contenus et méthodes que ľ on propose « en ľabsence de méthodes constituées pour le francais langue seconde, l'enseigne-ment dispose de méthodes de francais langue étrangěre, d'outils pédagogiques de francais langue maternelle, de textes littéraires et non Httéraires..., d'enregistrement de films, de logiciels, de CD-rom en francais » (p. 33). Ces outils servent ä ľélaboration de sequences didactiques ayant pour objectif ľapprentissage des différentes competences linguistiques et culturelles. ■ C) Autres disciplines Le CLEMI (Centre de liaison de ľenseignement et des moyens ďinformation) a mis ä la disposition sur son site les résultats ďune lecture des programmes scolaires de la France, du primaire au lycée, visant ä repérer les entrees possibles d'une education aux médias4. On retrouve en education civique de 4e la presentation des différents médias (presse, television, supports multimédias). On y propose l'analyse du traitement de l'information afin de développer l'esprit critique. Cest en classe de troisiěme que ľ on retrouve un lien entre le cinéma et ľacquisition de ľ esprit critique et ľapprentissage ä la citoyenneté dans les cours d'histoire et de géographie. Ľenseignement des arts plastiques de 3e fait une place á ľétude de l'image relevant de la communication audiovisuelle et de ľ image comme produit d'une activité artistique. Cest en Les quatro axes de lecture sont: - Citoyenneté/ comprehension du monde / ouvertures sur une education aux medias; - Lecture de l'image/visuel/optique; - Médias comme objet d'étude; - Médias comme documents ou supports pédagogiques. 335 francais langue maternelle que ľon retrouve le plus de references ä ľédu cation ä ľimage mobile. Programmes beiges A) Frangais langue maternelle Le programme de francais langue maternelle offre, děs la premiere année du secondaire, de « donner aux élěves les moyens de discriminer ce qu'ils percoivent en leur proposant des critěres d'observation et de jugement qui déboucheront, par exemple, sur un avis modeste mais construit, sur le film » (p. 15). On met cependant en garde contre toute derive techniciste de ľenseignement du film. L'une des six competences visées des 2e et 3e degrés est de decoder les images et les productions audiovisuelles et l'une des competences spécifiques de la lecture est de comparer une ceuvre romanesque ä son adaptation en bande dessinée ou en film, de maniere ä découvrir les spécificités de chaque systéme narratif. Les savoirs requis sont la spécificité et les limites de chaque systéme narratif en différentes matiéres : rythme, durée-longueur, paroles et pensée des personnages, descriptions... De plus, une competence spécifique de ľécoute est de faire ľ audition d'interviews et de débats televises et, par exemple, de repérer les moyens non verbaux qu'utilise ľ interview pour convaincre et plus tard (au 3e degré) d'identifier les valeurs de ľinterviewé. Au 3° degré, le rapprochement et la comparaison sont au cceur du programme. On propose, par exempie, le rapprochement entre les cultures (interculturalité) et celui entre des ceuvres littéraires et d'autres arts, notamment le cinéma. Les grands courants artistique et littéraíre « seront abordés au depart de textes et de productions artistiques, picturales, architecturales, musicales...» (p. 35). On propose des ceuvres telies des adaptations cinématographiques qui permettent d'initier ľéleve ä ľintertextualité. Ces ceuvres font partie ďun «fond culturel qui permet de déchifŕrer nombre d'allusions qui emergent dans les ceuvres d'art et dans les médias du monde contemporain » (p. 35). 336 B) Autres disciplines Á tous les niveaux du secondaire, ľune des grandes competences de ľhistoire est de cpncevoir, preparer et mener ä bien une stratégie de communication ďun savoir historique, en ayant recours á différents modes d'expres-sion, écrit, oral, visuel ou audiovisuel. De plus, les 1er et 2Ü degrés offrent un cours ďéducation, par la technologie (qui n'est pas un cours ďinformatique), dont ľun des domaines est la technologie de ľinformation et de la communication proposant trois themes: les telecommunications, les procédés ďéchanges et la prehension, la production et la publication ďinformation (par exemple, comment trouver et exploiter ľinformation, comment produire et publier...). L'apprentissage des arts des 1er et 2e degrés suggěre comme repěres culturels modernes et contemporains ľétude comparative de ľart avec la bande dessinée et le clip video. Conclusion Actuellement dans les programmes québécois, on fait reference au cinéma, seulement en langue maternelle comme repere culturel, sans jamais proposer de piste didactique de ľenseignement du film de fiction ou documentaire (plus souvent associé aux médias). Méme ľéducation aux médias n'y est pas abordée comme ľacces ä un langage, mais plutôt ä de ľinformation sur des supports médiatiques varies. Or, ľenseignement du cinéma (film de fiction ou documentaire) touche ľenseignement des médias si celui-ci est abordé comme langage car les codes sont similaires. En fait, une perspective de ľéducation aux médias, comme ľentend Piette (1996), est tout ä fait complémentaire ä ľéducation au cinéma. Ce dernier met ďailleurs en garde contre une tendance en education aux médias qui est ďutiliser les TIC comme support ou outil sans véritablement éduquer aux médias. Eriksen Terzian (1998) constate qu'en France ľutilisation de technologies nouvelles fait son chemin dans les écoles, mais ľéducation aux médias demeure facultative. De 337 plus, il reste ä voir comment ces concepts seront inter-prétés dans les milieux de pratique. Ce qui est absent des programmes généraux et qui témoigne pourtant ďune grande volonte et mobilisation ďorganismes au service de ľéducation au cinéma, et souvent dans une perspective interculturelle, ce sont les recommandations, par exemple, du Conseil de ľéducation aux médias de Belgique, les projets spéciaux comme le programme cinéma ä ľécole5 au college, les festivals (cinéma et dialogue interculturel en Belgique ou encore Vue d'Afrique ä Montreal). De plus, le Conseil de ľEurope a récemment organise un colloque sur ľéducation aux médias et a publié un document, ĽEurope des douze, pour enseigner ľhistoire avec le cinéma. Des organismes, tels Y ceil cinéma au Québec, font aussi la promotion de ľéducation au cinéma et parfois dans une perspective interculturelle. La Cinérobothéque ä Montreal offre, depuis peu, des ateliers cinématographiques, dont ľobjectif principal est l'apprentissage d'une langue seconde. II faut done sérieusement envisager la perspective d'une didactique langue-culture, dans laquelle le cinéma pourrait étre un lien, ou encore ä ľintérieur d'une didactique langages-culture... car le cinéma est au croisement de tous les autres arts (theatre, musique, danse, peinture, etc.) et il est aussi porteur de savoirs dans la plupart des domaines enseignés ä ľécole. II fait partie du capital culturel indispensable ä une education ouverte sur le monde actuel. Far lui, ľenfant (et ľadolescent) consolide sa propre langue et conquiert le langage des signes non Le programme Ecole et Cinema se déroule dans 60 departementy sous ľégide du Centre national de cinémato-graphie. II a été élaboré avec la collaboration d'Alain Bergala, mandate par le Ministěre de í'Éducation Jack Lang, lors du plan de rapprochement entre ľécole et la culture. Ľobjectif premier du plan « cinéma ä ľécole » est d'apporter ou de conforter une premiére culture du cinéma comme art et de sensibiliser les jeunes ä un cinéma qui n'est pas de pure consummation. 338 verbaux, décisif pour développer son imaginaire et son esprit critique face aux images. Tableau 1: Statistiques des pratiques culturelles des jeunes MEQ MCC FCE LAGOUĚT (Québec, (Québec, 2001) (Canada, 2003) (France, 2000) 1994) 15 ans et plus 5700 enfants / 15 ä 19 ans 15 á 29 ans adolescents canadiens Resultats : Resultats : Resultats : Resultats : • de 15 ä 17 • les jeunes • les jeunes • 45 % vont au ans, iís pré- sont nom- possědent presque cinéma plus fěrent Ig breux ä fre- touš un de 10 fois par cinéma ä quenter salles magnétoscope; année dont toute auíre de cinema • als sont de grands 23 % plus de sortie; (76 %); commandeurs de 20 fois • les films • 80% des films video : 17 % • 67%louent televises jeunes de 15 ä touš les jours et un film par son t leur 24 ans 42 % piusieurs fois semaine genre visionnent par semaine; « 35% ď emission s des films de • 76 % vont au visionnent 6 préŕerées. location cinema quelques heures ou (environ 9 par fois par mois. plus de films mois). par semaine Bibliographie Bakthľs R., 1980, La chambre claire, notes sur la photographic {Cahkrs du cinéma), Paris : Seuil-Gallimard. BUSSON tt, Perichon D., 1998, « Le cinéma dans la classe de frangais : se former et en signer», Parcours didactiques Paris : Bertrand-Lacoste. Citterio R., Lapľyssonib B., Reynaud G., 1995, Du cinéma ä ľécole, Paris: Hachette. Clanet C, 1990, Introduction aux approches intercuUurelles en education et en sciences humaines, Collectif dirigé par Claude Clanet, Toulouse : Presses universitaires du Mirail. 339 Donnat O., 1994, Les Frangais face ä la culture: de ľexchision ä ľédeclisme (co!l. Repéres), Paris : Edition La Découverte. Eriksľn Terzian A., 1998, Video et péäagogie interculturelk, Paris : Hconomica. Federation CANADIENNE des Enseignants, 2003, La place que les jeunes donnent aux médias, Erin research Inc., Réseau éduca- tion-Médias. FIFE E., 1999, «Using Sciences Fiction To Teach Mainstream Literature », Paper Presented at the Annual Meeting of the South Atlantic Modern Language Association, Atlanta, GA, novembre 4-Ó. Gaudet, Lafortune, 1997, Pour une pedagogic interculturelle. Montreal: Editions du renouveau pédagogique. Lagouět, G. et l'Observatoire de l'enfance en France, 2000, Les jeunes et les médias. Ľétat de l'enfance en France. Paris : Hachette. Lebrun M., 2004, Les pratiques de lecture des adolescents québécois. Síe-Foy : Editions Multirnondes. Mellouki, 2004, La rencontre : essai sur la communication et ľédu- cation en milieu inter culturel, Québec : Presses de ľuniver- site Laval. MlNISTĚRE DE LA CULTURE ET DES COMMUNICATIONS, 2001, Les pratiques culturelles des Québécoises et des Québécois. Rapport statistique, Québec: Gouvernement du Québec, MCC; Direction de ľaction stratégique, de la recherche et de la statistique. Ministere de ĽÉducation du Québec, 1994, Competence et pratiques de lecture des éléves québécois et frangais. Une compa-raison Quebec-France, Quebec: Gouvernement du Québec, MEQ; Direction de la recherche. PlETTE J., 1996, Education aux médias et fonetion critique. Paris-Montreal, L'Harmattan. Piette ]., 1999, Internet et les jeunes. Rapport rendu au ministere de l'Éducation. Table des matiěres Introduction Luc CüLLES, Genevieve Geron, Christine Develotte et Francoise Tauzer-Sabatelli ...................................................... 5 Littérature et interculturel Virginia Boža Araya Ľ enfant de Sable de Tahar Ben Jelloun : déveiopper les competences communicatives tout en découvrant la culture maghrébine...................... Jean-Paul Rogues et Stephane Corbin La question de ľinterculturalité dans la iitterature et les sciences sociales......................................................... Réda Bejjtit Elements pour une didactique interculturelíe du conte Georges Sawagodo Le double ancrage culturel: une exigence de ľinterculturalité.............................................................. Mohamed Klífi Confluences littéraires......................................................... Olga Théophanous Le proverbe comme entre-deux : Aspects linguistiques et inter cultureís.................................................................... . 19 . 35 . 51 . 73 . 91 109 342 Fabienne Bullot Lire et représenter des scenes du theatre contemporain des trente derniěres années dans ľenseignement universitäre américain................................*............................... 123 Anne-Rosine Delbart La littérature francaise : un précieux outil inter culture) pour i'enseignement-apprentissage du francais ..................... 139 Approches biographiques et interculturel Muriel Molinie Construire des savoirs culturels : une demarche reflexive entre les frontiěres et tout au long du parcours éducatif ....... 155 Daniel Feldhendler Approches relationnelles et actionnelles de récits biographiques................................................................ 171 Carmen Guillen Díaz, Inmaculada Calleja Largo et Ma Luz Garrán Antolínez Ľ analyse du « discours de soi » comme dispositif didactique de décentration ......................................................... 185 «Internet et interculturel; quelles implications pour la recherche et les pratiques en didactique du FLE ? » Gilberte Furstenberg Approches, outils et pratiques : une reflexion ä partir du projet CuHura........................................................................... 207 Christine Develotte Aspects interculturel s de ľenseignement en ligne : le cas du programme franco-australien « le francais en (premiere) ligne » .................................................................... 227 Giovanni Camatarri Internet, interculturei et autonomie de ľapprenant ............... 241 Josephine RÉMON Interculturel et Internet. Le site Web, objet culturel ? ............ 257 343 Lolona Rakotovao Des cultures aux langues ä travers les forums de discussion 271 Carolina GoNgALVES, Pedro Pereira Demarche interculturelle dans une classe debutante de FLE au Portugal.......................................................................... 285 Atelier « Médias et interculturel » Daniele Geffroy Konštacký Pratiques interculturelles ä 1'Université Hradec Králové...... 301 Beatrice GiRET et Francoise Tauzer-Sabatelli Les nouveaux Etats de ľUnion européenne par eux-mémes : exploitation interculturelle de vidéogrammes didactisés pour le site Internet de la chaine francophone TV5................ 313 Nathalie Lacelle Ľ education cinématographique : interculturelle et transdisciplinaire (Quebec, Belgique, France)..................... 325 344 Le present volume a bénéficié de ľaide financiere des institutions et organismes suivants : sn Mgique 345 D'autres ouvrages parus ou ä paraitre aux E.M.E. sur le theme de I'interculturel dans ľenseignement/apprentissage du fran-cais langue étrangěre ou seconde (FLE/S): • Luc Colles, Jean-Louis Dufays, Francine Thyrion (éds), Quelle didactique de I'interculturel dans les nouveaux contextes du FLE/S ?, collection « Proximités/Didactique ». • Silvia Lucchinl Aphrodite Maravelaki (éds), Langue scolaire, diversité linguistique et interculturalité, collection « iris ». • Francine Thyrion, Fiorella Flamini (éds), Variations et inter-culturel dans ľenseignement du FLE: objectifs spécifiques et contextes d'apprentissage, collection « iris ». • Luc Collěs, Christine Develotte, Genevieve Geron, Francoise Tauzer-Sabatslli (éds), Didactique du FLE et de I'interculturel: littérature, biographie langagiěre et médias, collection « Proximités / Didactique ». • Vincent Louis, Nathalie Auger, Ioana Belu (éds), Former les professeurs de langues á I'interculturel. A la rencontre des publics, collection « iris ». • Jean-Louis Dufays, Monique Lebrun, Cecilia Condei (éds), L'interculturel en francophonie. Representations des apprenants et discours des manuels, collection « Proximités/ Didactique ». Ces ouvrages rassemblent les textes des communications du Colloque international « Quelle didactique de I'interculturel dans les nouveaux contextes d'enseignement/apprentissage du FLE/S ?» (Universitě catholique de Louvain, Louvain-la-Neuve, 20-22 Janvier 2005). Le colloque était organise par le Cedill (Centre de recherche en didactique des langues et littératures romanes) et la Cedefles (Cellule de formation en didactique du FLE/S) du Departement d'Études romanes de ľUCL (Louvam-la-Neuve, Belgique), sous le patronage de ĽAsdifle (Association de didactique du FLE). La collection « Discours et Méthodes » propose aux étudiants de ľenseignement supérieur et universitaire des textes destines á les aider dans leur apprentissage scientifique. Le contenu est spécialement adapté pour permettre 1'auto-apprentissage d'une matiere tout autant que ľ etude systématique accompagnant un enseignement oral. Dans la collection « Discours et Méthodes » : WODON Bernard, Guide du rédacteur de memoire et de these. 2006. ISBN 2-930342-80-3. 16.00€. COLLES Luc, Interculturel : Des questions vives pour le temps present. 2006. ISBN 978-2-930481-05-0. 13.00 €. GONZALEZ Maribel, La didactique du francais idiomatique. 2007, ISBN 978-2-930481 -39-5, 26,00 € GF CORDONIER Denise, NICOLLERAT Martine, HALOCI An-dromaqi, KOLA Vasilika, KOLANECI Irena, XHOXHAJ Daniel, Lire en 3D. Recueil ďactivités langagiéres modulées sur les textes. 2008. ISBN 978-2-930481-40-1, 22.00 € GF La collection « Eehanges » : Cette collection fait le pari qu'échanges interdisciplinaires et partage des questions et des doutes constituent ľessence méme des Sciences Humames et Sociales, á la recherche de points de vue novateurs, tout á la fois ancrée dans la production de sa-voirs, en dialogue avec les voisins proches et plus lointains, et á distance des cliyages artiflciels, et des modes de pensée unique. Dans la collection « Eehanges » : CHEVALIER Yves et LONEUX Catherine éds, Foucault á ľceuvre. Deux années de lectures foucaldiennes dans un la-boratoire de SHS. 2006. 23.00 € ISBN 2-930342- 66-8 CHEVALIER Yves, Do you speak TV ? 2006. 24.00 € ISBN 2-930342-73-0 BOURE Robert, Historre des sciences humaines et sociales. 2007. 34.006 ISBN 978-2-930481-15-9 HERT Philippe et PAUL-CAVALLIER Marcel éds, Sciences et frontiěres. 2007. 36.00€ ISBN 978-2-930481-17-3 CHEVALIER YVES, Systeme d'information et gouvernance. 2008. 16.00 € ISBN 978-2-930481-49-4 KIYINDOU Alain ed., Penser la communication pour le déve-loppement. 2007. En preparation. « Proximités - Didactique » : se propose de promouvoir des innovations et des partenariats, et de diffuser des recherches et des outils en didactique des disciplines. Convaincu que, dans ce domaine, les moděles théoriques, méthodologiques et pédagogi-ques sont encore fortement imprégnés de references occidentals, son Comité de Concertation veut prendre en consideration la diversité culturelle des publics scolaires et susciter une interrogation scientifique sur les variations dans les profils cognitifs, dans les styles d'apprentissage et dans les conditions d'ensei-gnement. Dans la collection «Proximités - Didactique»: NISUBIRE Protais La competence lexicale en francais langue seconde. 2003. 20,50 € ISBN 2-930342- 10-2 DEFAYS Jean-Marc et al. éd. Didactique du francais langue matemelle, langue étrangěre et langue seconde : vers un nou-veau partage ? 2003. 17,00 €. ISBN 2-930342- 24-2 DEFAYS Jean-Marc et al. éd. Langue et communication en classe de francais. Convergences didactiques en langue matemelle, langue seconde et langue étrangěre. 2003. 21,00 €. ISBN 2-930342- 22-6 DEFAYS Jean-Marc et al. éd. L'enseignement du francais aux non francophones. Le poids des situations et des politiques linguístiques. 2003. 23,00 € ISBN 2-930342-23-4 DEFAYS Jean-Marc et al. éd. Les didactiques du francais, un prisme irisé. 2003. 21,00 € ISBN 2-930342-21-8 CARLIER Ghislain et RENARD Jean-Pierre éd. Formation continue. Expertise des formateurs et identite professionnel-les des formes en education physique. 2004. 24,00 € ISBN 2-930342-39-0 MARÉCHAL Dorothée Quand les élěves flamands et francophones se rencontrent... Les stereotypes communautaires en Belgique ä ľépreuve de la pédagogie interculturelle. 2005. 19,50 € ISBN 2-930342-42-0 LEBRUN Marlene Posture critique et geste anthologique. Faire vivre la littérature á ľécole. 2005. 25,00 € ISBN 2-930342-57-9 COLLES Luc, DUFAYS Jean-Louis et THYRION Francine, éds, Quelle didactique de l'interculturel dans les nouveaux contextes du FLE/S ? 2006. 15.00 € ISBN 2-930342- 69-2. COLLES Luc, CONDEÍ Cecilia, D1SPAGNE Michel et LEBRUN Monique, éds, Espaces francophones : diversité lin-guistique et culturelle, 2006. 23.00 € ISBN 2-930342- 72-2. CONDEI Cecilia, DUFAYS Jean-Louis et LEBRUN Monique, éds, L'interculturel en francophonie. Representations des apprenants et discours des manuels. 2006. 22.00 € ISBN 2-930342-81-1. NEDERLANDT R, HONOREZ J.M., MARTINEZ J.P. et al. éds, Les services scolaires aux enfants en difficulté. 2007. 20.00 € ISBN 978-2-930481-07-04. VLAD Monica, Lire des textes en francais langue étrangěre á ľécole. Etude sur un corpus de programmes et de manuels roumains de francais langue étrangěre pour le lycée (1970-2000). 2007. 19.00 € ISBN 2-930342-88-9 LEBRUN Monique et COLLES Luc, La littérature migrante dans ľespace francophone. 2007. 34.00 € ISBN 978-2-930481-12-8 CONDE Germán éd., Nouveaux apports á 1'etude des expressions figées. Nuevas aportaciones al estudio de las expresio-nes fijas. 2007. 24,00 € ISBN 978-2-930481-31-9. GONZALEZ Maribel éd., Les expressions figées en didactique des langues étrangéres, Las expresiones fijas en la didácti-ca de las lenguas estranjeras. 2007. 23,00 € ISBN 978-2-930481-30-2. AUGER Nathalie, Constructions de l'interculturel dans les manuels de langue. 2007. 25,00 € ISBN 978-2-930481-29-6. GONZALEZ Maribel éd., Adquisición de las expresiones fijas. Metodológia y recursos didácticos. Idioms Acquisition. Methodology and didactic Resources. 2007. 24.00 6 ISBN 978-2-930481-35-7. PARPETTE Chantal et MOCHET Marie-Anne éds5 Loral en représentation(s). Décrire, enseigner, évaluer. 2008. 24.00 € ISBN 978-2-930481-47-0. COLLES Luc, DEVELOTTE Christine, GERON Genevieve et TAUZER-SABATELLI Francoise, éds, Didactique du FLE et de l'interculturel: littérature, biographie langagiěre et mé-dias. 2008. 29,00 € ISBN 2-930342-85-4. «Proximités - Sciences du Langage» : Les champs de špecialite abordés dans la série « Proximités - Sciences du Langage » sont complémentaires et mis en coherence autour ďune approche sociolinguistique, pensée comme une théorie des langues et de leurs usages. Outre ľensemble des questions habitueUement traitées par la sociolinguistique, notamment écolinguistique, variationnisme, politique Iinguis-tique, créolistique, interactions langagiěres, ethnographie de la communication, sociolinguistique urbaine, on y accueillera egalement des travaux relevant d'une linguistique fonctionnelle, de la didactique des langues, de la traductologie, de 1 'intercultu-ralité... Les textes publiés, tout en restant divers, envisagent les langues dans une perspective humanisté de relations et de pratiques sociales ouvertes sur ľaltérité. Ce tťait est la « couleur » de la collection « Proximités ». Dans la collection « Proximités - Sciences du langage » : LEDEGEN Gudrun éd. Anciens et nouveaux plurilinguismes. Actes de la 6e Table Ronde du Moufia. 2003. 24,00€ ISBN 2-930342- 27-7 BULOT Thierry et MESSAOUDE Leila éds Sociolinguistique urbaine. Frontieres et territoires. 2003. 24,00 € ISBN 2-930342-32-3 HELLER Monica et LABR1E Normand éds, Discours et iden-tités. La francité canadienne entre modernitě et mondialisa-tion. 2004. 38,00 € ISBN 2-930342-35-8 CONDE TARRÍO German éd. El componente etnoiingüistico de la paremiologia. The ethnolinguistic Component of Pare-miology. 2007. 24.00 € ISBN 978-2-930481-34-0 ASSELAH-RAHAL Safia et Philippe BLANCHE! éds, Plu- rilinguisme et enseignement des langues en Algérie. Rôles du francais en contexte. didactique. 2007. 19.00 € ISBN 2-930342-75-7 HUDELOT Christian ed., Honimages ä Frederic Francois. Annonce La Collection IRIS (Innovations dans les Relations Intercultu-relles et Socioéconomiques) se propose aussi bien de promou-voir des innovations et des partenariats que de diffuser des etudes, des recherches et des outils didactiques dans le domaine des relations culturelles. IRIS est animé par la conviction que la croissance économique doit s'accompagner de ľépanouissement et de ľamélioration des multiples identités collectives. Les demarches situées au confluent de plusieurs courants de pensée ou qui favorisent le rapprochement des cultures sont privilégiées. Une attention par-ticuliére est portée au phénoméne des migrations. Dans la collection « IRIS » : LUCCHINI Silvia. Lingua, scuola e immigrazione. L'apprendi-mento della lettura. 2001. 12.50 €. ISBN 2-930342-02-1 LUCCHINI Silvia. L'apprentissage de la lecture en langue se-conde. 2002. 20.50 €. ISBN 2-930342-05-6 HATUNGIMANA Jacques. Langue francaise et parier bilingue au Burundi. 2004. 17,50€. ISBN 2-930342-36-6 KLEIN Jean et THYRION Francine. Le Japon et l'Europe. Tis-sage interculturel. 2004. 32,00 €. ISBN 2-930342-38-2 LOUIS Vincent, AUGER Nathalie et BELU loana, ed., Former les professeurs de langues ä ľintercultureí. A la rencontre des publics. 2006. 24.00 € ISBN 2-930342-86-2 ANDRÉ-FABER Claire, La langue en mouvements. Methode de sensibilisation ä la phonologie du francais. Accompagné ďun DVD. 2006. 23.00 € ISBN 2-930342-95-1 LUCCHINI Silvia et MARAVELAKI Aphrodite, ed., Langue scolaire, diversité lmguistique et interculturalité. Enseigne-ment primaire et dispositifs d'accueil. 2006. 22.00 € ISBN 2-930342-83-8 THYRION Francine et FLAMINI Fiorella, ed., Variations et interculturel dans l'enseignement du FLE : objectifs spéci-fiques et contextes d'apprentissage. 2007. 24.00 € ISBN 2-930342-84-6 LOUIS Vincent, Interactions verbales et communication inter-culturelle cn FLE. 2007. 24.00 €. ISBN 978-2-930481-19-7