1 Roman Sikora Mort d’un porc talentueux traduit par : Michal Kováč učo: 384531 Aie, l‘attente ! Comme ça court. Si, au moins, c’était l’attente de quelque chose d’agréable. Mais, en fait, cela ne l’est pas du tout. Un porc comme moi pourrait, au moins, attendre une chose agréable avec joie. Mais il ne peut guère attendre de choses néfastes, tristes, avec joie. Eh bien, quand on attend quelque chose d’agréable, le temps passe avec lenteur comme un porc qui va à l’abattoir. Ce ne sont que les choses désagréables qui s’approchent au galop. Comme dans un sprint. Les secondes ne sont pas complètes, elles n’ont qu’une moitié. Peut-être qu’elles n’ont même qu’un quart. Quant aux minutes, elles ne sont plus bien en ordre parce qu’elles n’ont que des quarts, et les heures aussi. Et l’on doit y penser sans cesse. Qu’est-ce qu’il se passe quand ça arrive ? Et comment ce sera après ? D’où viens-je ? Où vais-je ? Je le sais très bien en ce moment. Tout à coup, je l’ai vu. Mais, pourquoi ? Quel est le sens de tout cela ? Comment l’ai-je mérité ? Je cherche la réponse à cela maintenant. Pourtant, j’étais pendant toute ma vie un porc obéissant et agréable. Et y a-t-il quelque chose après ? Après avoir marché jusqu’à la mort? Quand j’arriverai là où je dois aller ? Je vais vous dire, chers enfants, il n’est pas du tout mal d’être un porc. J’eus même une très belle enfance. Il est vrai que l’on ne pouvait guère sortir mais on se sentait en sécurité près de notre mère. Mais aors, pourquoi aurait-on dû sortir ? De la mue. De la petite bauge ? Notre maman nous disait souvent que dehors, le monde était mauvais et qu’c’est pourquoi il valait mieux être enfermé et grossir. Et puis les gourmandises. Combien en avons-nous grignoté ? De la pâtée. Des pommes de terre pourries. Les restes des repas des cantines. De la farine carnée. On poussait comme des champignons. Et un jour je trouvai une chose superbe. Je ne suis pas un porc normal. Un porc quelconque qui grossit et se vautre dans la boue et le fumier, et qui se porte bien. Je découvris ma vocation. Mon talent. Et avec ça aussi de grandes ambitions m’envahirent. Tout à coup, je me rendis compte que la petite bauge n’était rien pour moi et que c’était au monde de dehors que j’appartenais. Le grand, le joli monde, le monde immense du dehors, la petite bauge qui sentait comme du sucre. Le monde derrière la bauge. 2 Ça s’est passé quand un homme qui dosait nos gourmandises à l’aide d’une mécanique commença à siffler quelque chose. Comme ci, comme ça. Et tout à coup, il m’est venu à l’esprit que je savais le faire aussi. J’étais étonné, fasciné par ces sons et les sons de cette douce mélodie commençaient à sortir de ma petite gueule (il couine la mélodie de l’Ode à la joie). L’homme qui l’entendait se pétrifia. Il me regarda comme si j’étais un fantôme. Mais après, il commença à rire grassement et partit. Quoi donc. Je ne devins pas sur le champ encore connu partout, mais le talent de ma personne fut découvert. Et je savais qu’il s’imposerait un jour. Que quelqu’un l’apercevrait un jour et que ma vie porcine, modeste et banale, changerait du tout au tout. J’en étais sûr. Où nous amènent-ils ? – me demanda une fois mon frère Pierre. Le pauvre, il est aussi dans l’au-delà. Je ne sais pas – lui répondis-je en toute vérité. Mais il semblait pourtant que nous allions découvrir le grand Monde quand ils nous firent sortir de la mue en nous poussant dans un camion. Nous étions, moi et mes frères, bien compressés dans la mue, mais qu’est-ce qu’on nous en faisait voir dans la remorque... Au fait, nous étions plus gros. Mais je sentais que cela pouvait être le moment qui déciderait où irait ma vie. Le moment décisif. Le moment de rupture ; de coupure. Et cette grande occasion ne devrait pas être perdue. Mais je devrais l’attraper par les cheveux ou comme nous, les porcs, le disons, par le groin. Et ne pas la lâcher. Et nous sommes arrivés ici. A l’abattoir. Mais je ne savais pas en ce temps-là ce que c’était qu’un abattoir. Je n’avais pas assez d’expériences avec le grand Monde. Pierre, au moment où nous étions menés l’un après l’autre par des couloirs étroits, couina qu’il avait un pressentiment bizarre. Face à moi, il y avait cependant une image, aux clairs contours, de ma grande carrière artistique. Et je m’accrochai par mes onglons pour chanter à gorge déployée. Avec joie. Avec force comme le font les vrais artistes. Et cela sortait juste de mon coeur, de mon petit coeur porcin qui, comme je m’en rendis compte plus tard, aurait pu arrêter de battre. Et je m’accrochai et chantai à gorge déployée (il chante de nouveau la même chanson). Et ce fut un cri pour la vie, pour la liberté, pour les petits droits des porcs que personne ne respecte. Dans ce cri se mêla une volonté énorme de vivre et mon talent et ma passion que je n’avais pu avoir l’occasion, et peut-être même pas su exprimer. Et vous dûtes le voir. Les mecs qui jusqu’à ce moment-là nous faisaient avancer dans le couloir avec des triques électriques avaient l’air de s’être tout juste réveillés. Et tout à coup, tout le monde riait et puis... Alors, imaginez-le donc ! Puis tout le monde m’applaudit 3 cordialement et on me fit sortir du couloir. Et leur chef dit : « Il serait dommage de tuer un tel artiste.» Donc, écoutez, Un artiste ! C’est ce qu’il dit ! Un tel triomphe. Et depuis ce momentlà, je suis ici à l’abattoir avec ces mecs heureux. Pourtant, je ne voyais plus mes frères, mais je sentais que mon devoir, la mission de ma vie, s’accomplissait. Et je devins enfin Quelqu’un.