60 De Proust au nouveau roman calme : « Je n'ai jamais assiste un mourant dont Fame m'ait paru plus presente, ni plus attentive. — C'etait, lui ai-je dit, une impression, car en fait, il n'entendait rien. » De nouveau il m'a regarde. « Voulez-vous que nous allions le voir? » a-t-il demande. Je l'ai suivi jusque dans la chambre. — Eh bien? demanda Angus d'une voix etouffee. — Eh bien, mon ami, je ne suis pas homme a ceder trop vite a ses emotions. Je me mefie des emotions. Quand je me suis retrouve dans cette petite chambre, j'ai saisi des deux mains le barreau du lit pour etre sur de me tenir droit. J'ai vecu de longues annees. Je n'ai pas encore vu sur le visage d'un etre humain une expression de bonheur comparable a celle qui eclairait les traits de Wilfred. Applique a lui, le mot de mort n'avait aucun sens. II vivait, il vivait! Pendant une minute, je suis demeure dans une sorte de stupefaction, puis je me suis entendu demander au pretre : « C'est fini? » II a repondu : « Oui, si vous entendez par la que le cceur ne bat plus. » Je ne sais pas ce que j'ai dit. Cela n'a pas d'importance. Je ne pouvais detacher les yeux de Wilfred. On aurait dit qu'il souriait de ma surprise et qu'il connaissait des choses secretes qu'il gardait pour lui. C'etait comme s'il nous avait joue un tour en s'en allant, un tour de jeune garcon, et malgre ses paupieres closes, il semblait nous observer de loin, comme d'une region de lumiere. Je me suis approche de lui et je l'ai embrasse deux fois, trois fois. Cela me genait un peu, a cause du pretre qui s'etait mis a genoux. Je crois que si j'avais ete seul avec Wilfred, je lui aurais parle, je lui aurais parle pour vous, si j'avais su ce que je sais maintenant, je lui aurais parle pour moi, et pour Phoebe aussi, parce qu'il etait la, Angus, il etait loin et il etait pres, tout pres... Angus se courba en deux et porta les poings a son front. — Taisez-vous, supplia-t-il. Ne dites plus rien, rien, rien. Chaque Homme dans sa nuit. (Plon 1960), chap, xlvii. JEAN-PAUL SARTRE Remarquable pjiilosophe, Sartre est aussi un grand ecri-vain, plus grand dramaturge que romancier — sauf pour son chef-d'oeuvre, La Nausee (1938). II a brillamment analyse la genese de cette vocation d'ecrivain dans Les Mots. Quant ä sa Philosophie existentialiste, il nous en propose la vision concrete et sensible dans La Nausee. LA NAUSEE Roquentin, qui fait ä Bouville des recherches historiques, se detache de son travail sous l'emprise de sensations de malaise devant l'existence des choses (plenitude massive de « l'en-soi »); elles vont de la nausee devant un galet ou des bretelles mauves, ä des sortes d'extases materielles devant une banquette de tramway ou une racine d'arbre, et ä des reveries hallucinees. Roquentin se sent « de trop » dans un monde compact, et s'ir-rite contre les bourgeois confortables, les « salauds » qui se masquent ä force d'assurance cette deplaisante condition. II ne se sent guere plus proche de son ancienne amie Anny, eprise d'instants privilegies, ni de 1'Autodidacte, autre solitaire qui trompe son isolement par 1 'erudition et un humanisme equivoque. Roquentin ne trouve la serenite qu'en accedant au niveau de l'essence pure, incompatible avec celui de l'existence epaisse : la fin du roman analyse I'audition d'un disque de jazz dont la melodie inflexible transcende toute manifestation materielle. De l'existence k l'essence Nous sommes encore dans les debuts du roman, c'est-ä-dire du journal intime de Roquentin, et c'est un jour de nausee. 11 est au cafe et parvient dejä ä fuir la nausee grace au disque de jazz. C'est pour nous l'occasion de saisir, au niveau de I'impression concrete, I'analyse des deux etals opposes; on y admire la capacity d'elucidation du philosophe; mais aussi I'originalite de la vision du romancier, ä travers une langue et un style volontaire-ment elementaires ä la facon du behaviorisme americain, avec une sorte de transparence que R. Barthes a appelee « degre zero de I'ecriture »; mais de temps ä autre, des images etincelantes viennent nous rappeler que cette pauvrete est apparente et ne doit pas celer la fermete du trait dans la peinture meme du flou et de V absurde. 62 De Proust au nouveciu roman Quand la patronne fait des courses, c'est son cousin qui la remplace au comptoir. II s'appelle Adolphe. J'ai commence ä le regarder en m'asseyant et j'ai continue parce que je ne pouvais pas tourner ia těte. II est en bras de chemise, avec des bretelles mauves; il a roulé les manches de sa chemise jusqu'au-dessus du čoude. Les bretelles se voient á peine sur la chemise bleue, elles sont tout effa-cées, enfouies dans le bleu, mais c'est de la fausse humilité : en fait, elles ne se laissent pas oublier, elles m'agacent par leur entétement de moutons, comme si, parties pour devenir violettes, elles s'etaient arrétées en route sans abandonner leurs pretentions. On a envie de leur dire : « Allez-y, devenez violettes et qu'on n'en parle plus. » Mais non, elles restent en suspens, butées dans leur effort inachevé. Parfois le bleu qui les entoure glisse sur elles et les recouvre tout ä fait : je reste un instant sans les voir. Mais ce n'est qu'une vague, bientöt le bleu pälit par places et je vois réapparaítre des ilots d'un mauve hesitant, qui s'elargissent, se rejoignent et reconstituent les bretelles. Le cousin Adolphe n'a pas d'yeux : ses paupiěres gonfiées et retroussées s'ouvrent tout juste un peu sur du blanc. II sourit d'un air endormi; de temps ä autre il s'ebroue, jappe et se debat faiblement, comme un chien qui réve. Sa chemise de coton bleu se détache joyeusement sur un mur chocolat. Qa aussi ?a donne la Nausée. Ou plutót c'est la Nausée. La Nausée n'est pas en moi : je la ressens lä-bas sur le mur, sur les bretelles, partout autour de moi. Elle ne fait qu'un avec le café, c'est moi qui suis en eile. A ma droite, le paquet tiěde se met á bruire, il agite ses paires de bras. « Tiens, le voilätonatout. —Qu'est-ce que c'est l'atout?» Grande échine noire courbée sur le jeu : « Hahaha! » « Quoi? Voilä l'atout, il vient de le jouer. » « Je ne sais pas, je n'ai pas vu... » « Si, maintenant je viens de jouer atout. » « Ah bon, alors atout coeur. » II chantonne : « A tout cceur, A tout cceur. » Parle : « Qu'est-ce que c'est, Monsieur? qu'est-ce que c'est, Monsieur? Je prends! » De nouveau, le silence — le goüt de sucre de l'air, dans mon arriěre-bouche. Les odeurs. Les bretelles. Le cousin s'est levé, il a fait quelques pas, il a mis ses mains derriěre son dos, il sourit, il léve la téte et se renverse Interrogations morales et spirituelles 63 en arriere, sur Pextremite des talons. En cette position, il s'endort. 11 est la, oscillant, il sourit toujours, ses joues tremblent. II va comber. II s'incline en arriere, s'incline, s'incline, la face entierement tournee vers le plafond, puis, au moment de tomber, il se rattrape adroitement au rebord du comptoir et retablit son equilibre. Apres quoi, il recommence. J'en ai assez, j'appelle la serveuse : « Madeleine, jouez-moi un air, au phono, vous serez gentille. Celui qui me plait, vous savez : Some of these days 1. » « Oui, mais ca va peut-etre ennuyer ces messieurs; ces messieurs n'aiment pas la musique, quand ils font leur partie. Ah, je vais leur demander. » Je fais un gros effort et je tourne la tete. Ils sont quatre. Elle se penche sur un vieillard pourpre qui porte au' bout du nez un lorgnon cercle de noir. II cache son jeu contre sa poitrine et me jette un regard par en dessous. « Faites done, Monsieur. » Sourires. II a les dents pourries. Ce n'est pas a lui qu'ap-partient la main rouge, c'est a son voisin, un type a moustaches noires. Ce type a moustaches possede d'immenses narines, qui pourraient pomper de Fair pour toute une famille et qui lui mangent la moitie du visage, mais, malgre cela, il respire par la bouche en haletant un peu. II y a aussi avec eux un jeune homme a tete de chien. Je ne distingue pas le quatrieme joueur. Les cartes tombent sur le tapis de laine, en tournoyant. Puis des mains aux doigts bagues viennent les ramasser, grattant le tapis de leurs ongles. Les mains font des taches blanches sur le tapis, elles ont l'air souffle et poussiereux. II tombe toujours d'autres cartes, les mains vont et viennent. Quelle drole d'occupation : ca n'a pas l'air d'un jeu, ni d'un rite, ni d'une habitude. Je crois qu'ils font ca pour remplir le temps, tout simplement. Mais le temps est trop large, il ne se laisse pas remplir. Tout ce qu'on y plonge s'amollit et s'etire. Ce geste, par exemple, de la main rouge, qui ramasse les cartes en trebuchant : il est tout flasque. II faudrait le decoudre et tailler dedans. 1. Un de ces jours. 64 De Proust au nouveau roman Interrogations morales et spirituelles 65 Madeleine tourne la manivelle du phonographe. Pourvu qu'elle ne se soit pas trompee, qu'elle n'ait pas mis, comme l'autre jour, le grand air de Cavalleria Rusticana x. Mais non, c'est bien ?a, je reconnais l'air des les premieres mesures. C'est un vieux rag-time 2 avec refrain chante. Je l'ai entendu siffler en 1917 par des soldats americains dans les rues de La Rochelle 3. II doit dater d'avant-guerre. Mais l'enregistrement est beaucoup plus recent. Tout de meme, c'est le plus vieux disque de la collection, un disque Pathe pour aiguille a saphir. Tout a l'heure viendra le refrain : c'est lui surtout que j'aimeet lamaniere abrupte dont il sejette en avant, comme une falaise contre la mer. Pour l'instant, c'est le jazz qui joue; il n'y a pas de melodie, juste des notes, une myriade de petites secousses. Elles ne connaissent pas de repos, un ordre inflexible les fait naitre et les detruit, sans leur laisser jamais le loisir de se reprendre, d'exister pour soi. Elles courent, elles se pressent, elles me frappent au passage d'un coup sec et s'aneantissent. J'aimerais bien les retenir, mais je sais que, si j'arrivais a en arreter une, il ne resterait plus entre mes doigts qu'un son canaille et languissant. II faut que j'accepte leur mort; cette mort, je dois meme la vouloir rjeconnaispeud'impressions plusapresni plusfortes. Je commence a me rechauffer, a me sentir heureux. Ca n'est encore rien d'extraordinaire, c'est un petit bonheur de Nausee : il s'etale au fond de la flaque visqueuse, au fond de notre temps — le temps des bretelles mauves et des banquettes defoncees —, il est fait d'instants larges et mous, qui s'agrandissent par les bords en tache d'huile. A peine ne, il est deja vieux, il me semble que je le connais depuis vingt ans. II y a un autre bonheur : au dehors, il y a cette bande d'acier, l'etroite duree de la musique, qui traverse notre temps de part en part, et le refuse et le dechire de ses seches petites pointes; il y a un autre temps. 1. (Euvre de bel canto, opera italien (1890) de Mascagni d'apres une oeuvre du venste Verga. — 2. Morceau de musique de jazz issu vers la fin du xix= s., d'une fusion du folklore negre et des airs de danse blancs; Ravel et Strawinsky ont emprunte ce type d'air fort a la mode aux alentours de la guerre de 1914-18. — 3 A cette date Sartre etait eleve du lycee de La Rochelle. « Monsieur Randu joue coeur, tu mets le manillon. » La voix glisse et disparait. Rien ne mord sur le ruban d'acier, ni la porte qui s'ouvre, ni la bouffee d'air froid qui se coule sur mes genoux, ni l'arrivee du veterinaire avec sa petite fille : la musique perce ces formes vagues et passe au travers. A peine assise, la petite fille a ete saisie : elle se tient raide, les yeux grands ouverts; elle ecoute, en frottant la table de son poing. Quelques secondes encore et la negresse va chanter. Ca semble inevitable, si forte est la necessite de cette musique : rien ne peut l'interrompre, rien qui vienne de ce temps ou le monde est affale; elle cessera d'elle-meme, par ordre. Si j'aime cette belle voix, c'est surtout pour ca : ce n'est ni pour son ampleur ni pour sa tristesse, c'est qu'elle est l'evenement que tant de notes ont prepare, de si loin, en mourant pour qu'il naisse. Et pourtant je suis inquiet; il faudrait si peu de chose pour que le disque s'arrete : qu'un ressort se brise, que le cousin Adolphe ait un caprice. Comme il est etrange, comme il est emou-vant que cette durete soit si fragile. Rien ne peut l'interrompre et tout peut la briser. Le dernier accord s'est aneanti. Dans le bref silence qui suit, je sens fortement que ca y est, que quelque chose est arrive. Silence. Some of these days You'll miss me honey Y. Ce qui vient d'arriver, c'est que la Nausee a disparu. Quand la voix s'est elevee, dans le silence, j'ai senti mon corps se durcir et la Nausee s'est evanouie. D'un coup : c'etait presque penible de devenir ainsi tout dur, tout ruti-lant. En meme temps la duree de la musique se dilatait, s'enflait comme une trombe. Elle emplissait la salle de sa transparence metallique, en ecrasant contre les murs notre temps miserable. Je suis dans la musique. Dans les glaces roulent des globes de feu; des anneaux de fumee les encer- 1. Un de ces jours, tu me quitteras, cherie. 66 De Proust au nouveau roman clent et tournent, voilant et devoilant le dur sourire de la lumiere. Mon verre de biere s'est rapetisse, il se fasse sur la table : il a l'air dense, indispensable. Je veux le prendre et le soupeser, j'etends la main... Mon Dieu! C'est ca sur-tout qui a change, ce sont mes gestes. Ce mouvement de mon bras s'est developpe comme un theme majestueux, il a glisse le long du chant de la negresse; il m'a semble que je dansais. Le visage d'Adolphe est lä, pose contre le mur chocolat; il a l'air tout proche. Au moment ou ma main se refermait, j'ai vu sa tele; eile avait l'evidence, la necessite d'une conclusion. Je presse mes doigts contre le verre, je regarde Adolphe : je suis heureux. La Nausee. lSd. Gallimard 1938, p. 34. (Journal : Vendredi.) ALBERT CAMUS Des sa jeunesse, Albert Camus considere que Fart n'est pas un amusement, ou une fin en soi; c'est un moyen, ecrit-il, « I'ceuvre est un aveu, il me faut temoigner ». Son temoignage est celui d'un homme qui tente de justifier son appartenance a un monde profondement senti comme absurde. II oscille sans cesse entre Vacceptation et le refus, tente par la revoke et l'action comme par le renoncement et la contemplation. Son premier heros romanesque, Meursault (T'Etranger, 1942) fait ^experience d'une solitude totale, mais il decouvre aussi que tous les hommes sont soumis ä un meme destin : « Kien, rien n'avait d'importance, et je savais bien pourquoi... ». Si le monde est absurde, tandis que I'homme est desesperement epris d'absolu, la solution se trouve dans cette tension elle-meme, qui offre a Vesprit lucide une süffisante justification : Sisyphe connait un bref instant de bonheur lorsque le rocher qu'il a fait rouler a grand peine au sommet de la montagne reste immobile avant sa chute. A Vinverse du trop logique Caligula 1, pour qui la realite de la mort rend tout possible, meme le crime, d'autres heros cherchent une nouvelle ethique, ä partir de la constatation que fait tout homme de sa misere et de sa grandeur. Le docteur Rieux, dans le plus celebre des romans de Camus, La Peste (1947) refuse d'aimer « cette creation oü des enfants sont tortures », mais sa haine de la mort et du mal luifait trouver le chemin d'un heroisme sans gloire, purement humain. On ne saurait cependant conclure trop vite ä quelque « conversion ». Camus reste un analyste lucide de la condition humaine; ä la tendresse qu'il eprouve pour un monde malheureux se joint une ironie qui permet a l'auteur de garder la distance du jugement; l'un de ses derniers recits, La Chute (1956) porte bien la marque de cette ambiguite. 1. Cf S. Bonnerot, Le Theatre de 1925 ä 1950 (Collection Ensembles litteraires, Masson et C'e editeurs). De Proust au nouveau i LA PESTE La Peste est un roman de ľexistence : il pose sans concession le probléme du mal, symbolise par ľépidémie qui frappe la ville d'Oran. Devant cet état de fait, chacun réagit selon ses convictions ou son caractěre : on prie, on lutte ou on s'aban-donne. Le narrateur, le docteur Rieux, s'est lié ďamitié avec un homme assez mystérieux, Tarrou, qui lui raconte sa vie. Son pere, avocat general, l'emmene un jour, alors qu'il est encore adolescent, assister ä un proces en Cour d"assises. II est frappé par le fait que ľaccusé, « un petit homme roux avec I'air d'un hibou effarouché par une lumiěre trop vive », est vivant, et qu'il va mourir. Cette veritable revelation de ľabsurdité d'un tel destin lui inspire un dégoút profond de la société dans laquelle il vit et qui pratique cette sorte de justice; il en a « le coeur malade », et il quitte sa famille. « Fleaux et victimes » Tarrou est, de toute evidence, le porte-parole de 1'auteur. On retiendra la lecon de morale politique de Camus qui refusa le recours a la violence aveugle, meme dans les circontances les plus delicates, ou toutes les justifications etaient possibles (de Vepu-rat ion des collaborateurs en 1944 aux exactions commises de part et d'autre pendant la guerre d'Algerie). Le style, didactique par destination, reste cependant vivant, d cause de Vengagement personnel de I'auteur, qui lui confere un ton passionne. « J'ai longuement insiste sur ce debut parce qu'il fut en effet au debut de tout. J'irai plus vite maintenant. J'aiconnu la pauvrete a dix-huit ans, au sortir de l'aisance. J'ai fait mille metiers pour gagner ma vie. Ca ne m'a pas trop mal reussi. Mais ce qui m'interessait, c'etait la condamnation a mort. Je voulais regler un compte avec le hibou roux. En consequence, j'ai fait de la politique comme on dit. Je ne voulais pas etre un pestifere, voila tout. J'ai cru que la societe ou je vivais etait celle qui reposait sur la condamnation a mort et qu'en la combattant, je combattais l'assas-sinat. Je l'ai cru, d'autres me 1'ont dit et, pour finir, c'etait vrai en grande partie. Je me suis done mis avec les autres que j'aimais et que je n'ai pas cesse d'aimer. J'y suis reste longtemps et il n'est pas de pays en Europe dont je n'aie partage les luttes. Passons. Bien entendu, je savais que, nous aussi, nous pronon- Interrogations morales et spirituelles 69 cions, ä l'occasion, des condamnations. Mais on me disait que ces quelques morts etaient necessaires pour amener un monde oü Ton ne tuerait plus personne. C'etait vrai d'une certaine maniere, et, apres tout, peut-etre ne suis-je pas capable de me maintenir dans ce genre de verites. Ce qu'il y a de sür, e'est que j'hesitais. Mais je pensais au hibou 1 et cela pouvait continuer. Jusqu'au jour oü j'ai vu une execution (c'etait en Hongrie) et le meme vertige qui avait saisi l'enfant que j'etais a obscurci mes yeux d'homme. Vous n'avez jamais vu fusilier un homme? Non, bien sur, cela se fait generalement sur invitation et le public est choisi d'avance. Le resultat est que vous en etes reste aux estampes et aux livres. Un bandeau, un poteau, et au loin quelques soldats. Eh bien, non! Savez-vous que le peloton des fusilleurs se place au contraire ä un metre cinquante du condamne? Savez-vous que si le condamne faisait deux pas en avant, il heurterait les fusils avec sa poitrine? Savez-vous qu'ä cette courte distance, les fusilleurs concentrent leur tir sur la region du cceur et qu'ä eux tous, avec leurs grosses balles, ils y font un trou oü Fon pourrait mettre le poing? Non, vous ne le savez pas parce que ce sont lä des details dont on ne parle pas. Le sommeil des hommes est plus sacre que la vie pour les pestiferes. On ne doit pas empecher les braves gens de dormir. 11 y faudrait du mauvais gout, et le goüt consiste ä ne pas insister, tout le monde sait ca. Mais moi, je n'ai pas bien dormi depuis ce temps-lä. Le mauvais goüt m'est reste dans la bouche et je n'ai pas cesse d'insister, e'est-a-dire d'y penser. J'ai compris alors que moi, du moins, je n'avais pas cesse d'etre un pestifere pendant toutes ces longues annees oü pourtant, de toute mon äme, je croyais lutter justement contre la peste. J'ai appris que j'avais indirectement sous-crit ä la mort de milliers d'hommes, que j'avais meme pro- voque cette mort en trouvant bons les actions et les prin-cipes qui I'avaient fatalement entrainee. Les autres ne sem- blaient pas genes par cela ou du moins ils n'en parlaient jamais spontanement. Moi, j'avais la gorge nouee. J'etais avec eux et j'etais pourtant seul. Quand il m'arrivait d'ex- 1. Ľaccusé qu'il a vu juger aux Assises. 8irt^ii(#ťii.fňi?M'ift lit 't*%, "jjitiéiMUgRm ■f^ryrp n rwŕvt *t- -n «r>? t? t t t i -stí m 70 De Proust au nouveau roman primer mes scrupules, ils me disaient qu'il fallait renechir a ce qui etait en jeu et ils me donnaient des raisons souvent impressionnantes, pour me faire avaler ce que je n'arrivais pas a deglutir. Mais je repondais que les grands pestiferes, ceux qui mettent des robes rouges \ ont aussi d'excellentes raisons dans ces cas-la, et que si j'admettais les raisons de force majeure et les necessites invoquees par les petits pestiferes, je ne pourrais pas rejeter celles des grands. Ils me faisaient remarquer que la bonne maniere de donner raison aux robes rouges etait de leur laisser 1'exclusivite de la condamnation. Mais je me disais alors que, si Ton cedait une fois, il n'y avait pas de raison de s'arreter. II me semble que l'histoire m'a donne raison, aujourd'hui c'est a qui tuera le plus. lis sont tous dans la fureur du meurtre, et ils ne peuvent pas faire autrement. Mon affaire a moi, en tout cas, ce n'etait pas le raison-nement. C'etait le hibou roux, cette sale aventure oil de % sales bouches empestees annoncaient a un homme dans 1 les chaines qu'il allait mourir et reglaient toutes choses I pour qu'il meure, en effet, apres des nuits et des nuits f d'agonie pendant lesquelles il attendait d'etre assassine I les yeux ouverts. Mon affaire, c'etait le trou dans la poi- J trine. Et je me disais qu'en attendant, et pour ma part au | moins, je refuserais de jamais donner une seule raison, une j seule, vous entendez, a cette degoutante boucherie. Oui, I j'ai choisi cet aveuglement obstine en attendant d'y voir 1 plus clair. I Depuis, je n'ai pas change. Cela fait longtemps que j'ai i honte, honte a mourir d'avoir ete, fut-ce de loin, fut-ce ^ dans la bonne volonte, un meurtrier a mon tour. Avec le t temps, j'ai simplement apercu que meme ceux qui etaient : meilleurs que d'autres ne pouvaient s'empecher aujourd'hui de tuer ou de laisser tuer parce que c'etait dans la logique oil ils vivaient, et que nous ne pouvions pas faire I un geste en ce monde sans risquer de faire mourir. Oui, j'ai continue d'avoir honte, j'ai appris cela, que nous etions tous dans la peste, et j'ai perdu la paix. Je la cherche encore ; aujourd'hui, essayant de les comprendre tous et de n'etre j 1'ennemi mortel de personne. Je sais seulement qu'il faut j . L'avocat general, en cour d'Assises, porte une robe rouge. Interrogations morales et spirituelles 71 faire ce qu'il faut pour ne plus ětre un pestiféré et que c'est lá ce qui peut, seul, nous faire espérer la paix, ou une bonne mort á son défaut. C'est cela qui peut soulager les hommes et, sinon les sauver, du moins leur faire le moins de mal possible et méme parfois un peu de bien. Et c'est pourquoi j'ai decide de refuser tout ce qui, de pres ou de loin, pour de bonnes ou de mauvaises raisons, fait mourir ou justifie qu'on fasse mourir. C'est pourquoi encore cette epidemie ne m'apprend rien, sinon qu'il faut la combattre á vos cótés. Je sais de science certaine (oui, Rieux, je sais tout de la vie, vous le voyez bien) que chacun la porte en soi, la peste, parce que personne, non, personne au monde n'en est indemne. Et qu'il faut se surveiller sans arret pour ne pas ětre amené, dans une minute de distraction, á respirer dans la figure ďun autre et á luí coller l'infection. Ce qui est naturel, c'est le microbe. Le reste, la santé, l'intégrité, la pureté, si vous voulez, c'est un effet de la volonté et ďune volonté qui ne doit jamais s'arreter. L'honnete homme, celui qui n'in-fecte presque personne, c'est celui qui a le moins de distractions possible. Et il en faut de la volonté et de la tension pour ne jamais ětre distrait! Oui, Rieux, c'est bien fatigant d'etre un pestiféré. Mais c'est encore plus fatigant dene pas vouloir l'etre. C'est pour cela que tout le monde se montre fatigue, puisque tout le monde, aujourd'hui, se trouve un peu pestiféré. Mais c'est pour cela que quelques-uns, qui veulent cesser de l'etre, connaissent une extremitě de fatigue dont rien ne les délivrera plus que la mort. D'ici lá, je sais que je ne vaux plus rien pour ce monde Iui-méme et qu'a partir du moment ou j'ai renoncé á tuer, je me suis condamné á un exil définitif. Ce sont les autres qui feront 1'histoire. Je sais aussi que je ne puis apparem-ment juger ces autres. II y a une qualité qui me manque pour faire un meurtrier raisonnable. Ce n'est done pas une superioritě. Mais maintenant, je consens á ětre ce que je suis, j'ai appris la modestie. Je dis seulement qu'il y a sur cette terre des fléaux et des victimes et qu'il faut, autant qu'il est possible, refuser d'etre avec le fléau. Cela vous paraítra peut-étre un peu simple, et je ne sais si cela est simple, mais je sais que cela est vrai. J'ai entendu tant de raisonnements qui ont failli me tourner la téte, et qui ont 72 De Proust au nouveau ronum tourne suffisamment d'autres tetes pour les faire consentir a l'assassinat, que j'ai compris que tout le malheur des hommes venait de ce qu'ils ne tenaient pas un Iangage clair. J'ai pris alors le parti de parler et d'agir clairement, pour me mettre sur le bon chemin. Par consequent, je dis qu'il y a les fleaux et les victimes, et rien de plus. Si, disant cela, je deviens fleau moi-meme, du moins, je n'y suis pas consentant. J'essaie d'etre un meurtrier innocent. Vous voyez que ce n'est pas une grande ambition. II faudrait, bien sur, qu'il y eut une troisieme categorie, celle des vrais medecins, mais c'est un fait qu'on n'en rencontre pas beaucoup et que ce doit etre difficile. C'est pourquoi j'ai decide de me mettre du cote des victimes, en toute occasion, pour limiter les degats. Au milieu d'elles, je peux du moins chercher comment on arrive a la troisieme categorie, c'est-a-dire a la paix. » En terminant, Tarrou balancait sa jambe et frappait doucement du pied contre la terrasse. Apres un silence, le docteur se souleva un peu et demanda si Tarrou avait une idee du chemin qu'il fallait prendre pour arriver a la paix. — Oui, la sympathie. Tarrou sera I'une des dernieres victimes de la peste, et le docteur Rieux, devant Vallegresse qui saluera la fin de Vepidemie — le retour a la paix — prendra conscience de ce qu'aucune victoire n'est Jamais definitive et que peut-etre un jour « la peste reveillera ses rats et les enverra mourir dans une cite heureuse ». T La Peste (Éd. Gallimard, 1947). IVe partie. LA CHUTE Dans un long monologue, un ancien avocat parisien, Jean-Baptiste Clamence, expose au narrateur ses conceptions sur ľexistence. Aprés une vie « normále », passée dans la bonne conscience, Clamence découvre fortuitement en lui-méme la duplicite profonde des hommes. II se fait alors «juge-pénitent »ä Amsterdam, amenant par sa propre confession ses semblables — ses fréres — ä prendre conscience de leur indignité. « Je suis heureux a mourir... » Clamence, a la fin de son monologue, se retrouve a peine dans ses contradictions. Du moins a-t-il le merite de les mettre a nu. Interrogations morales et spirituelles 73 Le Iangage, ici, est image, ce qui confere á la pensée un certain flou, et une certaine poesie á revocation ďun univers étrange etfascinant, qui baigne dans une pénombre propice ä la confidence. On y trou-vera l'une des solutions aux problemes qui hantent I'homme moderne : une morale de l'ironie; ily a « une settle vérité en tous cas, dans ce jen de glaces étudié : la douleur et ce quelle promet. » Et pourquoi changerais-je puisque j'ai trouve le bonheur qui me convient? J'ai accepte la duplicite au lieu de m'en desoler. Je m'y suis installe, au contraire, et j'y ai trouve le confort que j'ai cherche toute ma vie. J'ai eu tort, au fond, de vous dire que I'essentiel etait d'eviter le jugement. L'essentiel est de pouvoir tout se permettre, quitte a pro-fesser de temps en temps, a grands cris, sa propre indignite. Je me permets tout, a nouveau, et sans rire, cette fois. Je n'ai pas change de vie, je continue de m'aimer et de me servir des autres. Seulement, la confession de mes fautes me permet de recommencer plus legerement et de jouir deux fois, de ma nature d'abord, et ensuite d'un charmant repentir. Depuis que j'ai trouve ma solution, je m'abandonne a tout, aux femmes, a l'orgueil, a l'ennui, au ressentiment, et mime a la fievre qu'avec delices je sens monter en ce moment. Je regne enfin, mais pour toujours. J'ai encore trouve un sommet, ou je suis seul a grimper et d'ou je peux juger tout le monde. Parfois, de loin en loin, quand la nuit est vraiment belle, j'entends un rire lointain, je doute a nouveau. Mais, vite, j'accable toutes choses, creatures et creation, sous le poids de ma propre infirmite, et me voila requinque. J'attendrai done vos hommages a Mexico-City x, aussi longtemps qu'il faudra. Mais otez cette couverture, je veux respirer. Vous viendrez, n'est-ce pas? Je vous mon-trerai meme les details de ma technique, car j'ai une sorte d'affection pour vous. Vous me verrez leur apprendre a longueur de nuit qu'ils sont infames. Des ce soir, d'ailleurs, je recommencerai. Je ne puis m'en passer, ni me priver de ces moments ou l'un d'eux s'ecroule, l'alcool aidant, et se frappe la poitrine. Alors je grandis, tres cher, je gran-dis, je respire librement, je suis sur la montagne, la plaine 1. Bar d'Amsterdam oú Clamence exerce son « ministere »: 74 De Proust au nouveau román s'étend sous mes yeux. Quelle ivresse de se sentir Dieu le pere et de distribuer des certiŕicats définitifs de mauvaise vie et moeurs. Je tróne pármi mes vilains anges, ä la cime : du ciel hollandais, je regarde montér vers moi, sortant des brumes et de ľeau, la multitude du jugement dernier. lis s'élévent lentement, je vois arriver déjä le premier ďentre eux. Sur sa face égarée, á moitié cachée par une main, je lis la tristesse de la condition commune, et le désespoir de ne pouvoir y échapper. Et moi, je plains sans absoudre, je comprends sans pardonner et surtout, ah, je sens enŕin j que ľon m'adore! J Oui, je m'agite, comment resterais-je sagement couché? f II me faut étre plus haut que vous, mes pensées me sou- I lévent. Ces nuits-lá, ces matins plutôt, car la chute se pro- j duit á ľaube, je sors, je vais, ďune marche emportée, le j long des canaux. Dans le ciel livide, les couches de plumes j s'amincissent, les colombes remontent un peu, une lueur j rosée annonce, au ras des toits, un nouveau jour de ma \ creation. Sur le Damrak 1, le premier tramway fait tinter | son timbre dans ľair humide et spnne ľéveil de la vie ä f ľextrémité de cette Europe oú, au méme moment, des I centaines de millions ďhommes, mes sujets, se tirent péniblement du lit, la bouche amére, pour aller vers un t travail sans joie. Alors, planant par la pensée au-dessus f de tout ce continent qui m'est soumis sans le savoir, buvant f le jour d'absinthe qui se léve, ivre enfin de mauvaises f paroles, je suis heureux, je suis heureux, vous dis-je, je I vous interdis de ne pas croire que je suis heureux, je suis J heureux á mourir! Oh, soleil, plages, et les iles sous les S alizés, jeunesse dont le souvenir désespére! Je me recouche, pardonnez-moi. Je crains de m'étre exalte; je ne pleure pas, pourtant. On s'égare parfois, on doute de ľévidence, méme quand on a découvert les secrets d'une bonne vie. Ma solution, bien súr, ce n'est pas ľidéal. Mais quand on n'aime pas sa vie, quand on sait qu'il faut en changer, on n'a pas le choix, n'est-ce pas? Que faire pour étre un autre? Impossible. II faudrait n'étre plus personne, s'oublier pour quelqu'un, une fois, au moins. Mais comment? Ne m'accablez pas trop. Je Interrogations morales et spirituelles 75 suis comme ce vieux mendiant qui ne voulait pas lächer ma main, un jour, ä la terrasse d'un cafe : « Ah! monsieur, disait-il, ce n'est pas qu'on soit mauvais homme, mais on perd la lumiere. » Oui, nous avons perdu la lumiere, les matins, la sainte innocence de celui qui se pardonne ä lui-meme. Regardez, la neige tombe! Oh, il faut que je sorte! Amsterdam endormie dans la nuit blanche, les canaux de jade sombre sous les petits ponts neigeux, les rues desertes, mes pas etouffes, ce sera la purete, fugitive, avant la boue de demain. Voyez les enormes flocons qui s'ebouriffent contre les vitres. Ce sont les colombes, sürement. Elles se decident enfin k descendre, ces cheries, elles couvrent les eaux et les toits d'une epaisse couche de plumes, elles palpitent ä toutes les fenetres. Quelle invasion! Esperons qu'elles apportent la bonne nouvelle. Tout le monde sera sauve, hein, et pas seulement les elus, les richesses et les peines seront partagees et vous, par exemple, ä partir d'aujourd'hui, vous coucherez toutes les nuits sur le sol pour moi. Toute la lyre, quoi! Allons, avouez que vous resteriez pantois si un char descendait du ciel pour m'em-porter, ou si la neige soudain prenait feu. Vous n'y croyez pas? Moi non plus. Mais il faut tout de meme que je sorte. Bon, bon, je me tiens tranquille, ne vous inquietez pas! Ne vous fiez pas trop d'ailleurs ä mes attendrissements, ni ä mes delires. lis sont diriges. Tenez, maintenant que vous allez me parier de vous, je vais savoir si Tun des buts de ma passionnante confession est atteint. J'espere toujours, en effet, que mon interlocuteur sera policier et qu'il m'arre-tera pour le vol des Juges integres 1. Pour le reste, n'est-ce pas, personne ne peut m'arreter. Mais quant ä ce vol, il tombe sous le coup de la loi et j'ai tout arrange pour me rendre complice; je recele ce tableau et le montre ä qui veut le voir. Vous m'arreteriez done, ce serait un bon debut. Peut-etre s'occuperait-on ensuite du reste, on me decapiterait, par exemple, et je n'aurais plus peur de mourir, je serais sauve. Au-dessus du peuple assemble, 1. Une des grandes avenues d'Amsterdam. 1. Clamence garde chez lui un des panneaux du rétable de Van Eyck, VAgneau mystique, volé ä Gand en 1934. I 76 De Proust au nouveau roman vous eleveriez alors ma tete encore fraiche, pour qu'ils s'y reconnaissent et qu'a nouveau je Ies domine, exem-plaire. Tout serait consomme, j'aurais acheve, ni vu ni connu, ma carriere de faux prophete qui crie dans le desert et refuse d'en sortir. Mais, bien entendu, vous n'etes pas policier, ce serait trop simple. Comment? Ah! je m'en doutais, voyez-vous. Cette etrange affection que je sentais pour vous avait done du sens. Vous exercez a Paris la belle profession d'avocat! Je savais bien que nous etions de la meme race. Ne sommes-nous pas tous semblables, parlant sans treve et a personne, confronted toujours aux memes questions bien que nous connaissions d'avance les reponses? Alors, racontez-moi, je vous prie, ce qui vous est arrive un soir sur les quais de la Seine et comment vous avez reussi a ne jamais risquer votre vie1. Prononcez vous-meme les mots qui, depuis des annees, n'ont cesse de retentir dans mes nuits, et que je dirai enfin par votre bouche : « O jeune fille, jette-toi encore dans l'eau pour que j'aie une seconde fois la chance de nous sauver tous les deux! » Une seconde fois, hein, quelle imprudence! Supposez, cher maitre, qu'on nous prenne au mot? 11 faudrait s'executer. Brr...! l'eau est si froide! Mais rassurons-nous! II est trop tard, maintenant, il sera toujours trop tard. Heureusement! La Chute (Ed. Gallimard, 1956), fin. 3. L'UNIVERS DES IMAGES 1. Clamence a renoncé, un jour, á sauver une jeune femme qui se jetait á l'eau. « Trop tard, trop loin » a-t-il pensé.