DEUX COMEDIES 18° ROCOCO :Marivaux Les fausses confidences "Les Fausses Confidences", comedie en trois actes, fat representee au Theatre-Italien le 16 mars 1737 avec un succes fort mitige, sept ans apres "Le Jeu de l'amour et du hasard". Avec cette derniere, elle est consideree comme un des chefs- d'oeuvre de Marivaux et a une place de choix dans le repertoire de la Comedie- Francaise. Un intrus chez Araminte Dorante, un jeune homme qui n'a point de bien, est amoureux de la riche veuve Araminte. Conseille par son valet Dubois, il se fait engager comme secretaire par cette femme malgre l'opposition de la mere de celle-ci, Mme Argante. Dubois commence ses manigances aupres d'Araminte en lui recommandant de se debarrasser de Dorante, follement amoureux d'elle. Araminte va devoir lutter entre sa compassion pour Dorante qui, a son insu se transforme en amour, et ses interets qui l'invitent a suivre l'avis de sa mere. Un portrait dAraminte, mis expres chez Dorante et pretendument decouvert par Dubois, instruit tout le monde de l'amour de Dorante. Araminte se plaint a Dubois de son zele mais est obligee de prendre une decision, car elle ne peut garder un secretaire amoureux. Pressee par ces circonstances artificiellement creees, irritee des instances de sa mere, qui envisageait pour elle un mariage brillant, elle se decide a "faire la fortune" de Dorante en l'epousant malgre leur difference sociale. Une comedie legerement grincante Cette piece tres subtile offre deux interets majeurs : le premier ressortit au theme si sou vent traite de la "surprise de l'amour". On suit, pas a pas, le comportement de la jeune veuve Araminte que Dubois oblige quasiment a tomber amoureuse . Le role de Dubois est loin d' etre innocent: il use avec jubilation de son intuition psychologique et de son pouvoir de persuasion. Sous couvert d'aider Araminte de ses avis, il la pousse par ses "fausses confidences" dans ses derniers retranchements. Dorante, complice de Dubois, pourrait etre confondu avec un simple coureur de dot si ses inquietudes et l'aveu final qu'il fait a Araminte de leur supercherie ne le lavaient de ce soupcon. Le second interet de la piece releve d'une etude des maeurs d'une societe en mutation, non denuee de certains traits de satire. Nous sommes chez une femme riche qui envisage de se marier pour eviter un proces. Chacun songe a soi. Marion, la cameriste sacrifice, doit renoncer avec le sourire a son beau reve d'epouser Dorante pour ne pas perdre sa place. L'interet personnel regit tous les actes. Extraits : Acte 1, scene 14 DUBOIS-. Si je le connais, Madame ! si je le connais ! ah ! vraiment oui; et il me connait bien aussi. N'avez-vous pas vu comme il se detournait, de peur que je ne le visse ? ARAMINTE-. II est vrai, et tu me surprends a mon tour. Serait il capable de quelque mauvaise action, que tu saches ? Est-ce que ce n' est pas un honnete homme ? DUBOIS-. Lui ! il n'y a point de plus brave homme dans toute la terre, il a, peut-etre, plus d'honneur a lui tout seul que cinquante honnetes gens ensemble. Oh ! c' est une probite merveilleuse ; il n'a peut-etre pas son pareil. ARAMINTE Eh ! de quoi peut-il done etre question ? D' ou vient que tu m' alarmes ? En veritej' en suis toute emue. DUBOIS- Son defaut, c' est la. (il se touche le front.) C est a la tete que le mal le tient. ARAMINTE. - A la tete ? DUBOIS-. Oui, il est timbre, mais timbre comme cent. ARAMINTE. Dorante ! il m' a paru de tres bon sens. Quelle preuve as-tu de sa folie ? DUBOIS-. Quelle preuve ? II y a six mois qu' il est tombe fou il y a six mois qu' il extravague d' amour, qu' il en a la cervelle briilee, qu'il en est comme un perdu ; je dois bien le savoir, car j' etais a lui, je le servais, et c' est ce qui m'a oblige de le quitter ; et c' est ce qui me force de m' en aller encore ; otez cela, e'est un homme incomparable. Acte III, scene 12 ARAMINTE. - Vous donner mon portrait ! Songez-vous que ce serait avouer que je vous aime ? DORANTE.- Que vous m' aimez, Madame ! Quelle idee ! Qui pourrait se 1' imaginer ? ARAMINTE, d'un ton vif et naif - Et vola pourtant ce qui m' arrive. DORANTE,se jetant a ses genoux. - Je me meurs ! ARAMINTE Je ne sais plus ou je suis : moderez votre joie ; levez vous Dorante. DORANTE se leve et dit tendrement. - Je ne la merite pas cette joie qui me transporte ; je ne la merite pas, Madame ; vous allez me l'oter, mais n'importe, il faut que vous soyez instruite. ARAMINTE étonnée. - Comment! Que voulez-vous dire ? DORANTE. Dans tout ce qui s' est passé chez vous, il n'y a rien de vrai que ma passion, qui est infinie, et que le portrait que j' ai fait. Tous les incidents qui sont arrives partent de 1' industrie ď un domestique qui savait mon amour, qui m' en plaint, qui, par le charme de 1' espérance du plaisir de vous voir, m' a pour ainsi dire force de consentir á son stratagěme : il voulait me faire valoir auprěs de vous. Le ieu de 1'Amour et du Hasard, Acte I, Scene 6 1 Silvia, Dorante SILVIA. Non, Bourguignon ; laissons la l'amour, et soyons bons amis. DORANTE. Rien que cela ? ton petit traite n'est compose que de deux clauses impossibles. 5 SILVIA, a part. Quel homme pour un valet! Haut. II faut pourtant qu'il s'execute ; on m'a predit que je n'epouserais jamais qu'un homme de condition, et j'ai jure depuis de n'en ecouter jamais d'autres. DORANTE. Parbleu, cela est plaisant, ce que tu as jure pour homme, je l'ai jure pour femme, moi, et j'ai fait serment de n'aimer serieusement qu'une fille de condition. SILVIA. Ne t'ecarte done pas de ton projet. DORANTE. Je ne m'en ecarte peut-etre pas tant que nous le croyons, tu as l'air bien distingue, et Ton est quelquefois fille de condition sans le savoir. SILVIA. Ah, ah, ah, je te remercierais de ton eloge, si ma mere n'en faisait pas les firais. 10 DORANTE. Eh bien, venge-t'en sur la mienne, si tu me trouves assez bonne mine pour cela. SILVIA, a part. II le meriterait. Haut. Mais ce n'est pas la de quoi il est question ; treve de badinage, e'est un homme de condition qui m'est predit pour epoux, et je n'en rabattrai rien. DORANTE. Parbleu, si j 'etais tel, la prediction me menacerait, j 'aurais peur de la verifier ; je n'ai point de foi a l'astrologie, mais j'en ai beaucoup a ton visage. SILVIA, a part. II ne tarit point... Haut. Finiras-tu, que t'importe la prediction puisqu'elle t'exclut ? DORANTE. Elle n'a pas predit que je ne t'aimerais point. 15 SILVIA. Non, mais elle a dit que tu n'y gagnerais rien, et moi je te le confirme. DORANTE. Tu fais fort bien, Lisette, cette fierte la te va a merveille, et quoiqu'elle me fasse mon proces, je suis pourtant bien aise de te la voir ; je te l'ai souhaitee d'abord que je t'ai vue, il te fallait encore cette grace-la, et je m'y console d'y perdre, puisque tu y gagnes. SILVIA, a part. Mais en verite, voila un garcon qui me surprend malgre que j'en aie ... Haut. Dis-moi, qui es-tu toi qui me parle ainsi ? DORANTE. Le fils d'honnetes gens qui n'etaient pas riches. SILVIA. Va, je te souhaite de bon cceur, une meilleure situation que la tienne, et je voudrais pouvoir y contribuer ; la fortune a tort avec toi. 20 DORANTE. Ma foi, l'amour a plus de tort qu'elle, j'aimerais mieux qu'il me fut permis de te demander ton cceur, que d'avoir tous les biens du monde. SILVIA, a part. Nous voila grace au ciel en conversation reglee. Haut. Bouguignon, je ne saurai me facher des discours que tu me tiens ; mais je t'en prie, changeons d'entretien, venons a ton maitre ; tu peux te passer de me parler d'amour, je pense ? DORANTE. Tu pourrais bien te passer de m'en faire sentir, toi. SILVIA. Ahi ! je me facherai, tu m'impatientes, encore une fois laisse la ton amour. DORANTE. Quitte done ta figure. 25 SILVIA, a part. A la fin, je crois qu'il m'amuse ... Haut. Eh bien, Bourguignon, tu ne veux done pas finir, faudra-t-il que je te quitte ? A part. Je devrais deja 1'avoir fait. DORANTE. Attends, Lisette, je voulais moi-meme te parler d'autre chose ; mais je ne sais plus ce que e'est. SILVIA. J'avais de mon cote quel que chose a te dire ; mais tu m'as fait perdre mes idees aussi, á moi. DORANTE. Je me rappelle de ťavoir demandé si ta maitresse te valait. SILVIA. Tu reviens á ton chemin par un détour, adieu. 30 DORANTE. Eh non, te dis-je, Lisette, il ne s'agit ici que de mon maítre. SILVIA. Eh bien, soit, je voulais te parler de lui aussi, et j'espere que tu voudras bien me dire confidemment ce qu'il est; ton attachement pour lui m'en donne bonne opinion, il faut qu'il ait du mérite puisque tu le sers. DORANTE. Tu me permettras peut-étre bien de te remercier de ce que tu me dis lá, par exemple ? SILVIA. Veux-tu bien ne prendre pas garde á l'imprudence que j'ai eue de le dire ? DORANTE. Voilá encore de ces réponses qui m'emportent; fais comme tu voudras, je n'y résiste point, et je suis bien malheureux de me trouver arrété par tout ce qu'il y a de plus aimable au monde. 35 SILVIA. Et moi je voudrais bien savoir comment il se fait que j 'ai la bonté de ťécouter, car assurément, cela est singulier ! DORANTE. Tu as raison, notre aventure est unique. SILVIA, á part. Malgré tout ce qu'il m'a dit, je ne suis point partie, je ne pars point, me voilá encore, et je réponds ! En vérité, cela passe la raillerie. Haut. Adieu. DORANTE. Achevons done ce que nous voulions dire. SILVIA . Adieu, te dis-je, plus de quartier ; quand ton maítre sera venu, je tácherai en faveur de ma maitresse de le connaitre par moi-méme, s'il en vaut la peine ; en attendant, tu vois cet appartement, e'est le vótre. 40 DORANTE. Tiens, voici mon maítre. PROJET DE COMMENTAIRE SUR CE »jeu' Introduction : Marivaudage, biographie de Marivaux, presentation de l'oeuvre, problématique, annonce du plan. I. Scene de marivaudage : le jeu du langage 1) La légěreté Paradoxal au x themes (lourds) : - rang dans la société : « condition » x 4, « maternitě » Refus catégorique de Silvia : - refus de 1'amour « laissons-lá 1'amour » - serment «j'ai jure » Mais légěreté par la désinvolture de Dorante : - rire : « ah ! ah ! ah ! « pour un passage cense étre lourd - les deux répliques se reprennent « venge t'en sur la mienne ! » - interjection « eh ! bien ! » - reprise sur le thěme de 1'amour 2) vivacité et comique - répliques courtes, s'enchainent vite - questions / réponses - apartés - jeu de sens : diaphore « quitter » done un jeu sur la polysémie des mots ce qui est typique au marivaudage 3) interaction entre les deux personnages - multiplication des obstacles ce qui renforce l'amour - compassion de Silvia pour Dorante « tous les biens du monde » - Silvia accepte le discours amoureux en reprenant des termes renvoyant a l'amour en fin de replique II. Silvia : la découverte du trouble 1) Focalisation sur Silvia - apartés : sur ses emotions ses sentiments - eile bouge sur scene : tente de partir 4 fois mais reste finalement ä cause de l'arrivee d'Arlequin - importance des termes qui revoient á eile : « me surprend », « que j'en aie » etc... 2) Progression de la scene Silvia et Dorante sont censés obtenir des informations sur leur « maitre » respectif - la scene est construite de maniěre musicale : fugue, poursuite - Dorante la rappelle en reprenant les phrases de Sivia - Gestes 3) Apprentissage de la complexité - moment ou ils se rencontrent: ils ont la méme chose ä demander, puiq deux répliques construites sur la perte de memoire. Iis éprouvent tous les deux le méme trouble. - « aussi» - « tu as raison, notre aventure est unique » : effet de couple ; les deux personnages se rejoignent. Conclusion : Les deux personnages évoluent (trouble de Silvia, amour de Dorante). Marivaux abordent des themes lourds qu 'il réussit á rendre légers toutefois. Cest á partir de cette scene que le trouble nait chez Silvia, sur lequel M. Orgon et Mario joueront avfec leur omniscience dans Facte II scene 11. Cest cette subtilité extréme de la description des premiers émois amoureux qu'on a baptisée marivaudage". Ce terme, dont la valeur pejorative est destinée ä critiquer le maniérisme et l'affectation exagérée de cette analyse, définit le "créneau" étroit auquel Marivaux doit son renom actuel de moralisté et de fin psychologue. 4 Notes : Marivaux a presque toujours écrit pour le Théatre-Italien. II sut ainsi redonner ä cette troupe qui lui plaisait un éclat qu'elle avait perdu au debut du siěcle. Pour le lecteur du XX ěme siěcle ; la troupe des "Italiens" reste indissolublement liée au nom de Marivaux, alors qu'aux yeux des amateurs du XVII ěme siěcle, ce theatre avait un prestige moindre que le Théatre-Francais. Marivaux n'a done jamais connu de succěs briliant de son vivant. Ses contemporains lui reprochaient la monotonie de ses sujets, tel le marquis d'Argens qui remarquait: "il y a un défaut dans ses pieces, e'est qu'elles pourraient étre presque toutes intitulées La Surprise de l'amour", et leur trop grande subtilité psychologique que Voltaire raillait en disant qu'il pesait "des oeufs de mouche dans des balances de toile ďaraignée". Marivaux a pourtant créé une forme originale d'analyse des rapports amoureux ä leurs débuts. La simplicitě classique s'offusquait de ce propos, "melange le plus bizarre de métaphysique subtile et de locutions triviales, de sentiments alambiqués et de dictons populaires".