3. LES ASPECTS FONDAMENTAUX DE LA THEORIE DU SKOPOS a theorie de Taction esquissee dans le chapitrc precedent sert de base a la theorie generate de la traduction de Hans J. Vermeer, qu'il nonimc la theorie du skopos. Cette theorie est expliquee de maniere detaillee non seulement dans les ouvrages de Vermeer deja cites (1978, 1983, 1986 a), mais aussi dans celui de 1984, dont les co-auteurs sont Vermeer et Reiss. Dans la premiere partie de ce texte, Vermeer presente sa theorie generale (6-121), dont Reiss cherche a dcmontrer la compatibility avec diverses traditions de la traductologie dans la deuxieme partie intitulee « Theories specifiques» (122-219). II persiste neanmoins un certain decalage entre les deux parties du texte, principalement du fait que Reiss a tente d'adapter son approche, basee sur la typologie de textes et issue de la theorie de T equivalence, a T approche de Vermeer, basee sur la theorie de Tagir. Dans ce chapitre, nous examinerons de plus pres certaines des notions fondamentales presentees dans cet ouvrage, en particulier le lien entre la theorie generale de Vermeer et les theories specifiques de Reiss. Tout d'abord, trois notions de Vermeer, a savoir le skopos* la coherence et la culture, et ensuite deux notions de Reiss : T adequation par rapport a T equivalence et le role de la typologie de textes dans le cadre d'une approche fonctionnaliste de la traduction. Skopos : le but, la finalite, l'intention, la fonction et la consigne de traduction Skopos est un mot grec qui veut dire « final it c ». Selon la theorie du skopos (Skopostheorie) qui applique le concept du skopos a Tacte traductionnel, le principe fondamental qui determine tout processus de traduction est le skopos de Taction de traduction dans sa globalite, ce qui correspond a Tidee de Tintentionnalite comme partie integrante de la definition de toute action. x^-n irvrtxywt^llWiN : UJNit AUi 1VI'I'll CIMLlih Constaterque toute action est motivee par une intention, e'est presupposer 1'existence dune volonte et d'un lib re choix entre au moins deux formes de comportement possibles. II n'en reste pas moins qu'un de ces comportements sera considers comme etant plus approprie que T autre, dans le seul but d'atteindre la finalite de Taction (le skopos). Comme Texplique Vermeer, « on peut toujours donner a une action de bonnes raisons en termes d'objectifs ou de declaration d'intention)) (1989 b : 176). Dans le De inventione (2.5.18), Cic^ron definit Taction quand il parte de cas ou « un certain desavantage ou un certain avantage est neglige afin dobtenir un plus grand avantage ou d'eviter un plus grand desavantage » (cite par Vermeer 1989 b : 176). Nous pouvons alors faire la distinction entre trois types possibles de finalite dans le domaine de la traduction : d'abord, la finalite generate du traducteur qui entreprend Tacte traductionnel (gagner sa vie, par exemple) ; ensuite, la fonction communicative visee par le texte cible dans la situation de la culture cible (par exemple informer le lecteur) et enfin la fonction d'une strategie ou d'une procedure de traduction specifique (par exemple, « traduire litteralement afin de demontrer les specificites syntaxiques de la langue source ») (voir Vermeer 1989 a : 100). Toutefois, le terme skopos fait d'habitude reference a la finalite du texte cible. En plus de skopos, Vermeer utilise les termes « objectif », « finalite », « intention » et« fonction ». Dans les ecrits de Vermeer, on trouve une distinction entre « objectif » et« finalite » (Venneer 1990 : 93 sqq.): - L'objectif (Ziet) se definit comme le resultat final que Tacteur veut realiser au moyen d'une action (voir Vermeer 1986a: 239). Par exemple, quelqu'un peut vouloir apprendre le chinois afin de lire les ecrits de Li Ta-po dans la langue d'origine (Vermeer 1989 a : 93). -La finalite (Zweck) se definit comme une etape proviso ire dans le processus d'atteinte de 1'objectif. Ainsi T objectif et la finalite sont des concepts relatifs. Par exemple, quelqu'un achete un livre de grammaire de la langue basque (finalite 1) afin d'apprendre la langue (finalite 2) pour pouvoir traduire des nouvelles (finalite 3) dans le but de familiariser dautres communautes sociolinguistiques avec la litterature basque (objectif) (ces exemples ont ete adaptes de Vermeer 1989 a : 94). - La fonction (Funktion), e'est ce que signifie un texte ou ce quil est cens<5 signifier du point de vue du destinataire, tandis que Tobjectif est la finalite ou le besoin auquel le texte doit repondre, ou est cense repondre (voir Vermeer 1989 a: 95). -L'intention {Intention - Absichi) serait un « plan d'action cible» (Vermeer [1978]1983 : 41), tant de la part de Temetteur du texte que du destinataire, indiquant le moyen le plus adaptc pour produire ou interpreter le texte (voir Vermeer 1986 a: 414). Le terme « intention » est egalement synonyme de « fonction de Taction » (Reiss et Vermeer 1984 : 98). LES ASPECTS FONDAMKN 1AUX Uli 1 > A I I lFAJKm uu o^yv-L/o Afin d'eviter une telle confusion au niveau des concepts, nous avons propose une distinction fondamentale entre V intention et la fonction. L'intention se definit ä partir de la perspective de Temetteur qui cherche a atteindre, au moyen de son texte, une finalite specifique. Les meilleures intentions ne garantissent cependant pas l'objectif recherche, surtout dans les cas ou les situations respectives de l'emetteur et du recepteur varient considerablement. En conformite avec le modele de 1'interaction textuelle, le recepteur se servira du texte pour une certaine fonction, selon ses attentes, ses besoins, ses connaissances anterieures ainsi que les conditions situationnelles. L'ideal serait que l'intention de l'emetteur soit reconnue, ce qui aurait pour resultat que T intention serait semblable, voire identique, a la fonction. Cette distinction s'avere particulierement utile dans le cas de la traduction puisque, dans le cadre de cette activite, l'emetteur et le recepteur appartiennent forcement ä des environnements culturels et situationnels differents. En raison de cette appartenance difiKrenciee de l'emetteur et du recepteur, il faudra sans doute analyser l'intention et la fonction ä partir de deux perspectives differentes. f Vermeer reprend brievement la distinction que nous faisons sans pour autant la faire sienne (voir Vermeer 1989 a : 94f). II considere en regle generale les notions teleologiques d'objectif, de finalite, d'intention et de fonction comme equivalentes, en les subsumant sous le concept generique de skopos. Ainsi, la regie directrice par excellence pour toute operation traduisante est la regle du skopos, selon laquelle un acte traductionnel est determine par son skopos, e'est-a-dire que la fin justifie les moyens (Reiss et Vermeer 1984 : 101). Vermeer explique ainsi la regle du skopos : Chaque texte est produit pour repondre ä une finalite specifique et il doit servir cette finalite. La regle du skopos s'etablit comme suit: il faut traduire/ interpreter/ parier de maniere ä ce que le texte traduit puisse fonctionner dans la situation dans laquelle il sera utilise, pour ceux qui veulent l'utiliser et precisement comme ils souhaitent qu'il fonctionne (Vermeer 1989 a: 20). La plupart des operations traductionnelles permettent toute une gamine do skopoi differents, que l'onpourrait classer par ordre d'importance hierarchique. Le traducteur doit pouvoir justifier (begründen) le choix d'un skopos particulier dans une situation traductionnelle donnee. Cette regie est censee resoudre le dilemme eternel du choix entre traduction « libre » et « fidele », entre equivalence dynamique et formelle, entre lc bon intcrprete et le traducteur esclave... Elle implique que le skopos d'un acte traductionnel puisse engendrer une traduction « libre » ou « fidele » ou tout texte entre ces deux extremes, selon la finalite du texte traduit. Ce qu'elle n 'implique pas, en revanche, e'est qu'une « bonne » traduction doive necessairement se conformer ou s' adapter au comportement de la culture ±^ lisj^HJL,] iwin : UNh ACT1VITE CIBLEE cible ou aux attentes de cellc-ci, bien que le concept du skopos soit souvent ct erronement interprete de cette facon. Ce malentendu est sans doute issu d'une regie ulterieure qui affinne. dans une perspective plutot sociologique, que le skopos peut se definir comme une « variable dependant du recepteur » (Reiss et Vermeer 1984 : 101), ce qui implique que le recepteur ou plutot le destinataire, serait le facteur principal qui definit le skopos du texte cible. Pourtant, cette regie n'exclut en aucnne maniere les traductions philologiques, litterales. ni meme mot a mot. II existe bien des cas ou un litteralisme relatif correspond de maniere exacte aux besoins du recepteur (du client, de Lusager du texte), par exemple dans le cas de la traduction d'un certificat de manage ou d'un permis de conduire, de textes juridiques etrangers a des fins comparatives ou de citations directes dans des articles journalistiques. Comme l'explique Vermeer: Ce que constate la theorie du skopos e'est qu'il faut traduire de maniere consciente et coherente, avec pour principe la prise en consideration du texte cible. La theorie n*impose pas un principe en particulier, eelui-ci etant par ailleurs different pour chaque nouvelle situation traductionnelle (1989b : 182). La question se pose alors de savoir qui doit decider du principe a adopter. La reponse semble bien evidente. Comme nous l'avons deja constate, la traduction d'un texte se fait nonnalement en reponse a une demande specifique. Un client a besoin dun texte pour une finalite bien particuliere, il fait done appel a un traducteur pour que celui-ci en fasse la traduction ; le client se comporte comme initiateur du processus de traduction. Dans une situation ideale, le client donnerait au traducteur autant d'informations que possible quant a la finalite : date, lieu, environnement et support de la communication et fonction ciblee du texte traduit. Toute cette information constituerait en elle-meme une consigne de traduction explicite (Ubersetzungsauftrag). Nous avons introduit dans nos propres ecrits un autre terme, «instructions pour la traduction », « puisque celui-ci souligne F aspect pedagogique » ([1988] 1991 : 8, note 3). Cependant dans cet ouvrage, nous adopterons le terme « consigne de traduction » puisque celui-ci nous semble se conformer le mieux a l'usage professionnel en langue franca ise. La consigne etablit les criteres de traduction du texte. Voila pourquoi il incombe a celui qui joue le role de donneur d'ouvrage, qui pourrait etre le traducteur lui-meme, de decider du skopos pour le texte a traduire, meme si la consigne ne souligne pas de maniere explicite les conditions de production du texte. II est clair que le client et le traducteur se verront souvent obliges de negocier pour determiner le skopos, surtout si le client n'a qu'une idee assez vague, voire incorrecte, du type de texte qui convient a la situation donnee. Vu I J S ASPECTS H )NI )AMJ ,M IAUA I )\'. \J\ II \\'\ mm i A j ^/\c y/ t /t1 qu'en general le client n'est pas un expert en communication interculturelle et quil ne sait pas qu'une consigne precise ne peut que faciliter la production optimale d'un texte, il ne se donne souvent pas la peine de dormer une telle consigne au traductcur. II faut toutefois remarquer que la consigne ne dicte nullement au traducteur la facon daccomplir sa tache, ni les strategies a utiliser ni encore Tapproche traductionnelle a adopter. De telles decisions relevent entierement de la responsabilite et de la competence de celui-ci. S"il arrive que le client et le traducteur ne soient pas d"accord quant au type de texte traduit servant le mieux la finalite recherehec, le traducteur peut refuser le contrat (et risquer de mourir de faim) ou refuser dassumer la responsabilite de la fonction du texte traduit et se resigner a faire exactement ce que lui demande le client. Evidemment. dans bien des cas, le traducteur experimente est en mesure d'iiiferer le skopos a partir de la situation traductionnelle. Comme l'explique Vermeer : sauf indication contraire, nous prendrons pour acquis, dans notre culture, qu'un article technique, par exemple, au sujet d'une decouverte astrononrique. doit etre traduit corainc un article technique pour des astronomes [...] ou, si une societe veut faire traduire une lettre d'affaires, il est naturel de presumer que cette lettre servira a cette meme societe (et, dans la plupart des cas, le traducteur sera deja suftisamment familiarise avec le jargon de cette societe) (Vermeer 1989 b : 183). Voila ce que nous considererions comme une « consigne conventionnelle », puisqu'elle se base sur la presomption generale que, dans une culture donnee, a une epoque donnee, certains types de texte sont norma lenient traduits selon certaines approches traductionnelles. La correlation etablie par Katharina Reiss entre le type de texte et la methode de traduction (1971, 1976) est precise me ni fondee sur cette presomption. Ceci nous amene a un autre aspect, plus specifique, de la theorie du skopos, a savoir le lien entre les textes source et cible, dans le cadre dune approche fonctionnaliste de la traduction. La coherence inter- et intra-textuelle Dans le cadre de la theorie du skopos, la viabilite de la consigne depend des circonstances de la culture cible, non pas de celles de la culture source. Puisque nous avons deja defini la traduction comme une activite traductionnelle qui implique l'existence d'un texte source, la culture source fait normalement partie de la consigne de traduction. Cependant, dans le contexte de la theorie de l'agir, les acteurs (soit Temetteur, le recepteur, l'initiateur et le traducteur) jouent les roles les plus importants et il est malaise de parler d'un texte source k nioins qu'on ne fasse reference qu'aux mots ou aux stnictures de la phrase. Le sens, ou la fonction, dun texte n'est pas inherent aux signes linguistiques : iiv\jjul i kjin : UNt AC J1V1TE CIBLEE pour lextraire d'un texte, il ne suffit pas d'en connaitre le code. Un texte n'a de sens que celui que lui donne le lecteur. Les diiferents recepteurs (ou un meme recepteur a des moments differents) d'un texte trouveront differents sens dans le meme materiau linguistique que leur propose le texte. On pourrait meme constater qu'un texte donne a autant d'interpretations potentielles qu'il y a de recepteurs (voir Nord 1992 b : 91). Ce concept dynamique du sens et de la fonction d'un texte figure assez frequemment dans les theories contemporaines de la reception du texte litteraire (esthetique de la reception). Vermeer resume ce concept en expliquant que tout texte nest rien dautre qu'une offre dinformation, a partir de laquelle chaque recepteur choisit ce qui lui semble interessant ou important. Si nous appliquons ce concept a Facte de traduire, nous pouvons constater qu'un texte cible est en effet une offre d'information, formulee par un traducteur dans une culture et une langue cible, pour representer une oilre d'information formulee par un autre dans la culture et la langue source (voir Reiss et Vermeer 1984 : 67 sqq.). Ce concept dynamique ne nous permet pas de parler d'un seul sens, pour un seul texte source, qui serait transfere a l'intention de recepteurs precis dans la culture cible. Conformement a la consigne, le traducteur sclcctionnera certaines informations de roffre d'information presentee dans la culture source (a destination des lecteurs dans cette meme culture), afin de fonnuler une nouvelle offre d'information dans la langue cible, qui servira de point de depart pour la selection, par les recepteurs cibles, de ce qui leur semble significatif dans le contexte de leurs circonstances culturelles. Dans de telles conditions, le processus de la traduction devient un acte irreversible. Tout ce que peut et doit faire le traducteur, c'est produire un texte qui, pour le moins, puisse transmettre une signification aux recepteurs de la culture cible. Selon Vermeer, le texte cible devrait se conformer a la norme de la coherence intratextuelle (Reiss et Vermeer 1984 : 109 sqq.). C'est-a-dire qu'il soit intelligible pour le recepteur et qu'il ait un sens dans la situation communicationnelle et culturelle d'accueil (voir Pochhacker 1995 : 34). Une interaction communicative ne peut etre consideree comme reussie que si les recepteurs rinterpretent comme etant suffisamment coherente avec leur situation. Ainsi, une autre regie importante de la theorie du skopos, celle de la coherence, etablit qu'une traduction est acceptable dans la mesure ou elle est coherente avec la situation du recepteur (Reiss et Vermeer 1984 : 113). Par « etre coherent» il faut entendre « faire partie de » la situation de la culture cible (voir Vermeer [1978] 1983 : 54). Un texte traduit etant une offre d'information issue d'une offre precedente d'information, il doit bien exister cependant un lien entre celui-ci et le texte source correspondant. Pour Vermeer, ce lien s'appelle la coherence intertextuelle, ou la fidelite. C'est la un autre principe, nomme la regie de la LES ASPfcXJ 1 IS ^ONlJAMJilM IA i. J A un L/\ itiEXJKJd± uu ojyuatc/o fidelite (Rciss et Vermeer 1984 : 114). Commc dans le cas de la regie du skopos, lessentiel est qu'une coherence intertextuelle existe entre le texte source et le texte cible, independamment de la forme de cette coherence, qui sera dictee d'abord par rinterpretation que donne le traducteur du texte source et, ensuite, par le skopos de la traduction. Par exemple, on trouve une forme de coherence intertextuelle dans unc imitation aussi fidele que possible d'un texte source. Comme raffirme Vermeer, c'est de cette forme de coherence qu'il s'agirait souvent dans le cas du texte litteraire : On pourrait dire que le postulat de « fidelite » au texte source exige, par exemple, qu'une information soit traduite telle quelle avait paru dans la langue source. Ce qui, en fait, est une finalite en soi. En efTet, c'est peut-etre d'ailleurs la finalite que s'imposeraient traditionnellement la plupart des tradueteurs litteraires (1989 b : 179 sqq.). La coherence intertextuelle est ainsi subordonnee a la coherence intra-textuelle et toutes deux sont a leur tour subordonnees a la regie du skopos. Si la finalite (skopos) exige un changement de fonction du texte, la norme ne sera plus alors la coherence intertextuelle avec le texte source, mais 1' adequation et la conformite a la finalite (Reiss et Vermeer 1984 : 139). Qui plus est, si la finalite exige une incoherence intra-textuelle, comme par exemple dans le cas du theatre de l'absurde, la norme de la coherence intra-textuelle ne tient plus. II faut toutefois noter que le concept du skopos peut s'appliquer non seulement a des textes entiers mais aussi a des segments ou a des elements textuels, tels que les exemples, les notes de bas de page et les citations (Nord [1988] 1991 : 102). Le skopos ou le sub-skopos de telles unites moins grandes sera parfois different de celui des autres segments textuels ou du texte tout entier. La culture et la specificite culturelle La notion de culture adoptee par Vermeer est fondee sur la definition de Gohring, qui, elle, s'inspire de Tanthropologue americain Goodenough, cite dans le chapitre precedent (voir Vermeer 1986 a : 178): La culture est tout ee qu'il faut savoir, ma it riser ou res sent ir, afin, d'une part, de juger si un comportement donne. de la part des membres d'une communaute dans leurs divers roles, se conforme ou non aux attentes generales, et, d'autre part, afin de se comporter au sein de cette meme communaute de sorte a se conformer aux attentes generales, a moins d'etre pret a assumer les consequences d'un comportement juge inacceptable (Gohring 1978 : 10). Venneer donne une importance toute particulicrc aux aspects suivants de cette definition : ses qualites dynamiques (elle se concentre sur Taction et le comportemcnt humain); son caractěre general (elle concoit la culture comme un systéme eomplexe qui determine toute action ou tout comportement humain y compris le langage) et le fait qu'elle peut servir comme point de depart á une approche tant descriptive qu" explicative ou prescriptive de la spécificité culturelle (voir Vermeer 1986 a : 179). La definition de la culture, telle qu'elle est proposée par Vermeer lui-méme met davantage T accent sur les normes et les conventions comme aspects les plus importants d'une culture. Selon Vermeer, une culture comprend : L'ensemble des normes et des conventions que doit connaitre un individu, en tant que membre dune société, pour ětre « co mine tout le monde », ou pour pouvoir se diíférencier des autres membres de cette société. (Venneer 1987 a : 28) Pour lui, dans un systéme eomplexe de valeurs, une position hiérarchique est attribuée á tout phénoméne culturel, avec pour résultat que chaque phénoméne est lui-méme évalué. Chaque individu devient ainsi un element dans un systéme de coordonnées temporelles et spatiales. Si Ton accepte cette proposition, alors Taction transculturelle ou la communication interculturelle doit tenir compte des differences culturelles liées au comportement, á 1'évaluation et aux situations communicationnelles (voir Vermeer 1990 b : 29). On nomme désormais « culturémes » les elements spécifiques d'une culture (Vermeer 1983 a : 8). Le culturéme est un phénoméne social de la culture X que Ton tient comme ayant une eertaine pertinence aux \eux des membres de cette culture et qui, si on le compare avec un phénoméne correspondant de la culture Y, est spécifique á la culture X. Le terme « correspondant » veut dire ici que les deux phénoménes sont comparables dans certaines conditioas quil est possible de préciser (voir Vermeer et Witte 1990 : 137). Par exemple, ils peuvent varier quant á leur forme tout en ayant une fonction similaire (le train par rapport á la voiture ou á la bicyclette) ou vice versa (par exemple, to have coffee le matin en Angleterre, et tomar un café en Espagne aprés le diner, ou le Kaffeetrinken en Allemagne, l'apres-midi, et prendre un café - aprés le diner ou á n'importe quel autre moment en Trance). Un phénoméne culturellement spécifique est dés lors un phénoméne qui existe sous une forme particuliére ou avec une fonction particuliere. dans une des deux cultures que Ton compare. Ce qui ivimplique nullement que le phénoméne n'existe que dans une seule culture puisqu'il pourrait exister dans dautres cultures que eelles mises en contact dans une situation de traduction. La traduction implique la comparaison des cultures. Le traducteur interprete des phénoménes de la culture source á partir de sa propre connaissance culturelle, spécifique de cette culture. Cette interpretation se fait de Tintérieur ou de Textérieur de la culture source, selon la direction de traduction : vers la LES ASPbCIS ^UJNIJAMJMN 1AUA UtL 1 imWKLr, IVU OA.iy/ iA) langue et la culture maternclles du traducteur ou vers la langue et la culture etrangeres. Nous ne pouvons comprendre une culture etrangere que par comparaison avec notre propre culture, la culture de notre toute premiere « culturation »(voir Witte 1987 :119). II n'existe point de perspective neutre dans cette comparaison. Tout cc que nous observons comme etant different de notre culture sera, pour nous, spccifique a Fautre culture. Les concepts de notre culture formeront ainsi les points de reference pour la perception de « l'alterite ». Qui plus est, notre attention sera focalisee sur les phenomenes qui seront soit differents de notre culture (la oil nous nous attendions a la similarity) ou bien similaires a notre culture (la ou nous nous attendions a la difference). Si toute action doit etre intcrpretee dans le contexte dune culture spccifique, il en va de meme de la traduction. Nous pouvons ainsi presumer c|U il existe dc nombreuses interpretations de ce qu'est la traduction, ou une action traductionnelle, qui seront specifiques, elles aussi. a des cultures dtiTerentes. Nous reviendrons sur ce point dans le chapitre suivant. L'adequation et ('equivalence Quand Tauteur du texte source presente une offre d'information. il prend en compte les interets presumes, les attentes, les connaissances et les contraintes situationnelles des destinataires du texte dans la culture source. Meme si un texte source est produit dans l'intention specifique d'etre traduit, on peut raisonnablement supposer que lauteur a en tete un type de destinataire dans la culture source, puisqu'il ne possede pas forcement toute Tinfonnation pertinente concernant la culture cible. S'il n'en etait pas ainsi, le produclcur serait sans doute capable de rediger lui-meme le texte cible dans la langue cible (voir Venneer 1989 b : 175). Dans le cas d'un texte a traduire, le traducteur est bien le recepteur du texte source qui doit par la suite informer d'autres destinataires, situes dans un contexte regi par des conditions socioculturelles de la culture cible, de l'offre d'information faite par le texte source. Le traducteur offre a ce nouveau public un texte cible dont la composition sera, il va sans dire, guidee par les inferences de celui-la par rapport aux besoins, aux attentes, aux connaissances (etc.) des destinataires de la culture cible. Ces inferences seront naturellement differentes de celles faites au sujet des destinataires de la culture source par Tauteur, puisque les deux groupes appartiennent a des cultures et a des communautes linguistiques differentes. Ce qui a pour resultat que le traducteur ne pourra pas donner les memes informations, ni la meme quantite d'informations que lauteur du texte source. Ce que fait le traducteur, e'est offrir un autre type d'information sous une autre forme (voir Reiss et Venneer 1984 : 123). Cette vision de la tache du traducteur remet en question la notion traditionnelle d'equivalence comme element constitulif de Facte traductionnel. Doit-on pour autant renier complete ment la possibility dc Inequivalence ? On peut trouver une réponse dans les écrits de Reiss. Aprěs avoir examine plusieurs definitions du concept ďequivalence, Reiss ne l'abandonne pas tout á ťait; en revanche, elle établit un lien entre celui-ci et le concept hyperonymique ď adequation (Adáquatheií) (Reiss et Vermeer 1984 : 124 sqq.). II i aut remarquer ici que Reiss emploie le concept ďadéquation dans un sens presque contraire á celui qu'il a dans ďautres emplois de ce terme. Par exemple, Toury explique que « e'est le respect des nonnes de la culture source qui determine / adequation d'un texte traduit au texte source »(1995 : 56, italiques de l'original). Celui-ci cite également la definition suivante d'Even-Zohar: «Une traduction adequate est celle qui arrive á créer dans la langue cible les liens textuels d'un texte source sans pour autant enfreindre le systéme linguistique fondamental de la langue cible » (Even-Zohar 1975 : 43 ; traduction de Toury). Tout comme le terme allemand AdáquatheiU 1'idée ďadéquation sert á décrire une qualité qui se dciinit par rapport á une nonne, comme quand on dit«il faut toujours verifier ť adequation des competences aux exigences de la tache ». Cest le sens qu en donne Reiss. Dans le contexte de la theorie du skopos. le terme adequation fait reference aux qualités d'un texte cible par rapport á la consigne de traduction. D s'agit ainsi d'un concept dynamique entrctenant un lien étroit avec le processus d'action traductionnelle qui comprend « la selection fonctionnelle des signes considérés conune étant appropriés á la finahté communicationnclle telle qu'elle est précisée dans la consigne de traduction » (Reiss [ 1983] 1989 : 163). L'equivalence, en revanche, est un concept statique lié au résultat de 1 'action traductionnelle, qui sert á décrire un rapport de valeur communicationnclle égale entre deux textes, ou entre des syntagmes, des phrases, des structures syntaxiques et ainsi de suite. Dans ce contexte, l'idee de valeur fait reference á la signification, aux connotations stylistiques ou á l'effet communicationnel. Reiss ([1983] 1989 : 163) établit une difference entre le concept d'equivalence utilise en linguistique contrastive (qui étudie les langues) et le concept d'equivalence textuelle tel quon F utilise en traductologie (qui se focalise sur la parole ou les actes de parole). La prise en compte de la parole exige que le traducteur envisage la maniěre dont les acteurs de la communication utilisent les signes linguistiques dans des situations culturelles spécifiques. A titre d'exemple, le concept d'equivalence au niveau des mots iťimplique nullement une equivalence au niveau du texte ; de méme, 1'équivalence au niveau du texte n'implique pas automatiquement une equivalence lexicale ou syntaxique. C'est le skopos du texte traduit qui determine le type d'equivalence requis pour une traduction adequate. Par exemple : dans une traduction mot a mot, dont la fina lité est de reproduire fidélement les mots et les structures du texte source, le traducteur va choisir, un par un, les mots et les structures de la langue cible qui correspondent exactement á ceux de la langue source, en ce qui concerne la signification LES ASPECTS FONDAMENTAUX DE LA IHEOKlh 1 ;i J XKUfUS et, dans hi mesure du possible, le style. II s'agira d'une traduction adequate, qui n'exige Pequivalence qu'au niveau des mots et des structures syntaxiques (voir Reiss [ 1983] 1989: 162). Par consequent, pour Reiss, le concept generique est celui de F adequation, non pas celui de Inequivalence. Celle-ci peut etre un but possible de Facte iraductionnel, mais elle ne constitue pas un principc universe! de traduction (voir Reiss et Vermeer 1984 : 146 sqq.), L'equivalence ne represente aucunement une qualite normative ou sine qua non telle qu'elle est developpee dans certaines definitions, comme celle de Koller : La traduction peut etre envisagee comme le resultat d'une activite de retraitement textuel, au moyen de laquelle un texte en langue source devient un texte en langue cible. Entre le texte en langue cible qui resulte de eette transformation et le texte en langue source, il existe un lien qui pourrait se definir comme un lien traduetionnel, ou une relation d^equivalence (1995 : 196). Dans la theorie du skopos. Inequivalence implique F adequation a unskopos qui exige que le texte cible puisse fonctionner de la me me maniere communicative que le texte source, preservant ainsi « Finvariance fonctionnelle entre texte source et texte cible »(voirReissetVermeerl984 :140, etles concepts defidelite ou de coherence intertextuelle de Vermeer expliques plus haut). Le concept de Fequivalence se trouve ainsi limite a une « equivalence fonctionnelle », au niveau textuel de ce que Reiss appelle la « traduction communicative ». Reiss (| 1983] 1989 : 166) en donne Fexemple suivant: Texte source ; Is life worth living ? - It depends upon the liver! Traduction en trancais; La vie en vaut-elle la peine ? - C 'est une question de foi(e) ! Traduction en allemand : 1st das Leben lebenswert ? - Das hangt von den Leberwerten ab. On peut considerer les traductions en francais et en allemand comme equivalents fonctionnels du texte anglais puisqu'elles sont susceptibles d'avoir la meme Ibnctioncommunicationnelle (le jeu dc mots) dans leurs communautes culturelles respectives. Ce jeu de mots est base sur des aspects structurels de chaque langue : homonymie en anglais au niveau du mot « li\vr» (celui qui vit. ou bien le foie); homophonie en fran9ais entre « foi » et« foie » ; et similitude de forme en allemand, entre lebenswert (qui vaut la peine d'etre vecu) et Lebenverte (le resultat d'une analyse de sang pour la fonction hepatique). Dans cet exemple, 1*equivalence ne se situe pas au niveau de la signification des mots. Le role des typologies de texte Apres avoir assiste au detronement du texte source pour le voir decrire comme une simple « ofFre d'information », comme le material! de base du ■ LA 1KA1JLUJI1UN ! UJNh, AC11VI1K CIBLbK traducteur (Ventieer 1987b : 541), on s'etonnera peut-etre de deeouvrir qu'une des theories speciiiques du livre de Reiss et Vermeer (1984) est celle de la typologie textuelle de Reiss. II convient de se pencher sur un type specifique de traduction que Reiss appelle traduction communicative et qui, comme on vient de le voir, est associe a une certaine interpretation du concept d'equivalence. Selon Reiss, les typologies de textes aident le traducteur a preciser la hierarehie appropriee des niveaux d'equivalence qu'il faut adopter pour un acte traductionnel par rapport a son skopos (voir Reiss et Vermeer 1984 : 156). Comme de nombreux autres linguistes et traductologues allcniands, Reiss ([1977] 1989 : 105) fait une distinction entre deux typologies de textes qui se situent a des niveaux differents d'abstraction. D'une part, les types de texte (Texttyperi) qui sont classifies selon la fonction communicative dominante (il s'agit ici de trois types fondamcntaux : le texte informatif, le texte expressif et le texte operatif); d'autre part, les genres ou sortes de texte (Textsorten) qui sont classifies selon des caracteristiques ou des conventions linguistiques (par exemple les ouvrages de reference, les cours magistraux, les textes satiriques ou les textes publicitaires). La typologie de textes de Reiss, introduite des 1968, est basee sur le modele « organique » des fonctions langagieres propose par le psychologue allemand Karl Biihler en 1934. Nous expliquerons brievement cette typologie ci-dessous (pour une information plus detaillee, voir Nord 1996b : 82 sqq.). La fonction principale des textes informatifs est de donner au lecteur des infonnations concernant les choses et les phenomenes du monde reel. Le choix des formes linguistiques et syntaxiques est subordonne a cette fonction. Puisque la typologie vise un caractere universel, le choix des formes s'applique egalement aux deux cultures, source ct ciblc. Dans une situation traductionncllc ou Ics textes source et cible sont du type informatif, le traducteur devra chercher a representer de maniere correcte et complete le contenu du texte source, se laissant guider, en ce qui concerne les choix stylistiques, par les normes dominantes de la langue et de la culture cibles. Comme Texplique Reiss dans une description plus recente de cette typologie, le texte informatif doit aussi comprendre « la communication purement phatique, ou T information est sans valeur mais ou le message reside dans le processus de communication en tant que tel » ([ 1977] 1989 : 108). Dans les textes expressifs, Laspect informatif est complete, voire domine, par une composantc csthetique. Les choix stylistiques faits par l'auteur contribuent a la signification du texte, produisant ainsi un effet csthetique sur le lecteur. Cet effet doit etre pris en compte dans le processus de la traduction. Si le tcxlc cible doit appartenir a la meme categorie que le texte source (ce qui n'est pas le cas dans les editions bilingues de poesie, par exemple), le traducteur du texte expressif devra chercher a produire un effet stylistique semblable. Dans ce cas, les choix stylistiques seront naturellement guides par ceux du texte source. [,KS ASPECTS FONDAMKNTAIJX OK I .A THEORJK DU SKOFUB 53 Dans lcs textes operatifs, tant le contenu que la forme sont subordonnes a Teffet extralinguistique que doit produire le texte. La traduction des textes operatifs devra se laisser guider par le but principal, a savoir, susciter chez lcs dcstinataires du texte cible une reaction identique a ccllc dcs dcstinataires du texte source, me me si pour ce faire il faudra modifier le contenu ou des elements stylistiques du texte source. Dans ses premiers ecrits sur la typologie des textes et la traduction, Reiss avait etabli une correlation generate entre le type de texte et la methode de traduction. Pourtant, dans le cadre de la theorie du skopos* cette correlation se limite au cas particulier de Tinvariance fonctionnelle entre les textes source et cible. Les commentaires de Reiss relatifs aux liens de divergence entre le contenu, la forme et Feffet, peuvent ncanmoins s'averer utiles dans les situations qui exigent un changement de la fonction d'un texte, puisque tout texte cible peut etre considere comme representant un type de texte donne. Les typologies de textes servent a accroitre la sensibilite du traducteur/rendre le traducteur plus sensible aux marqueurs linguistiques de la fonction communicative et aux unites de traduction fonctionnelles. Chaquc type de texte est cense comprendre plusieurs genres de texte, mais aucun de ces genres (par exemples, les lettres) ne correspond forcement a un seul type de texte, puisque la lettre d'amour sera du type expressif, que la lettre d'affaires sera informative, tandis que la lettre de demande d'aide appartiendra au type operatif. Puisque lcs genres textuels sont characterises par des elements conventionnels, leur classification joue un role important dans la traduction fonctionnelle. Nous reviendrons plus en detail dans le chapitre suivant sur Limportance des conventions textuelles.