5. L'APPROCHE FONCTIONNALISTE EN TRADUCTION LITTERAIRE ans ce chapitre. nous verrons comment l'approche fonctionnaliste peut s'appliquer a la traduction des textes litteraires (voir Nord 1988). Nous commencerons par analyser les aspects qui differencient la communication litteraire de la communication non-litteraire. Nous nous pencherons ensuite sur le skopos, la consigne, de la traduction litteraire et nous nous interrogerons quant au role du concept d'equivalence dans ce contexte. Nous servant de quelques exemples tires d'Alice au pays des merveilles, nous evaluerons quelques aspects de la traduction litteraire pour lesquels Tapproche fonctionnaliste peut aider a resoudre des problemes ou a evaluer des textes traduits. Les aspects actionnels de la communication litteraire L'analyse de la communication litteraire et de la situation communi-cationnelle dans laquelle prennent place les textes litteraires revele les acteurs et les elements suivants : Vemetteur ou l'auteur L/emetteur dun texte litteraire est generalement Tauteur du texte lui-meme. Cet auteur est souvent un personnage connu (ou presente comme tel) en tant qu'ecrivain dans le contexte litteraire de la communaute culturelle. Une telle qualite exerce une forte influence sur les attentes des destinataires, mais peut egalement poser des problemes lorsque l'oeuvre est traduite a Tintention d'une communaute culturelle ou l'auteur est inconnu. L 'intention La production litteraire peut etre motivee par toutes sortes d'intentions. Contrairement a celle de l'auteur du texte non-litteraire, Tintention de l'auteur litteraire consiste, daas la plupart des cas, a offrir une vision personnels de la X v/v/ l^,rv i ivviyuv^i lun . KJViJZ, 11 V 1 1 I1, v- 1 I^L-r^Ü réalité, en la décrivant comme un monde alternatif ou fictif, plutót que de la décrire telle qďelle est percue et reconnue dans sa communauté culturelle (voir de Beaugrande et Dressler 1981 : 192). Cest pourquoi on a souvent tendance á voir un lien ďidentitě entre le texte littéraire et la fiction. Comme le constatent de Beaugrande et Dressler, un element ďexpressivité vient s'ajouter á la reproduction mimétique du monde ; pour adopter la perspective de Jakobson (1960), la fonction expressive devient alors plus importante que la function referentielle. Les destinataires Le texte littéraire sadresse en premier lieu á des destinataires possédant des attentes spéciíiques, conditionnées par leur experience littéraire, et unc certaine maitrise des codes littéraires. Schmidt (1970 : 65) fait remarquer que les textes littéraires tels que la poesie visuelle ne peuvent étre pleinement appréhendés que par des lecteurs pourvus ďune competence dans le domaine des systémes dinterprétation, qui leur permettra de donner au texte une signification personnelle. Cette aptitude á interpreter des textes littéraires peut étre qualifiée de « competence littéraire » (voir de Beaugrande 1980 : 22, qui parle de « competence poétique »). Le support Dans nos cultures contemporaines, la plupart des textes littéraires sont transmis sous forme éerite, bien que les textes oraux, tels que les contes de fees, fassent également partie de la littérature. II se peut que ceci soit une caractéristique de nos cultures. L 'espace, le temps, la motivation Quoique les facteurs situationnels (Fespace, le temps, la motivation) n'aient peut-étre pas de pertinence particuliére dans la distinction entre le texte littéraire et le texte non-littéraire, ils jouent néanmoins un role important en traduction littéraire, en ce qu'ils transmettent les caractéristiques propres á la situation commimicationnelle de la culture source et de la culture cible. Le message Comme nous venons de le constater, le texte littéraire fait généralement reference á des objets fictifs ou á des phénoménes ayant un lien non-défini avec la réalité (voir Grabes 1977). Cette definition reste pourtant problématique puisqu'elle permettrait de classer parmi les textes littéraires n* importe quel mensonge. tandis qu'un roman realisté ou socialement engage pourrait étre considéré comme non-littéraire, du fait que son contexte correspond au monde reel de l'auteur ou des lecteurs. Comme le remarque de Hcaugrande (1980 : 29): Un texte fictif [...] ne peut se distinguer sur la base dune non-correspondanee avec le monde reel; c'est la une caraeteristique generate de tout texte. Le critere principal est plutot : de quelle maniere et jusqu'a quel point un texte correspond-il au monde reel, ainsi que les diliferents moycns par lesquels les lecteurs parviennent a etablir des associations. D'un point de vue linguistique, le langage litteraire a ete defini soit comme un ecart par rapport aux normes de la communication quotidienne (comme dans YArt Poetique d'Aristote ou dans les cents de van Dijk 1972), soit comme l'utilisation creative du potentiel linguistique, dont Lusage ordinaire n'est qu'un usage reduit (voir Cosenu 1971). Quelle que soit notre position a l'egard de ces questions de definition, il est clair que le langage litteraire est suppose posseder une signification connotative, expressive ou esthetique qui lui est propre et qui peut nous eclairer quant aux intentions de Tcmctteur (voir Schmidt 1970a: 50). Le code litteraire comprend les conventions textuelles des genres litteraires traditionnels. II est toutefois vrai que nous rencontrons souvent des textes litteraires depourvus de toutc caraeteristique du style litteraire conventionnel, surtout dans la litterature contemporaine. De tels textes peuvent reproduire un langage argotique, du jargon ou des registres du langage parle. Dans ces cas, les textes sont paradoxalement classes comme litteraires, en raison preciseinent de l'absence des caracteristiques litteraires attendues. Veffet ou la fonction Que la qualite de texte litteraire soit percue comme resultant du choix specifique d'un sujet dc Vutilisation d'un code litteraire ou du rapport avec les conventioas langagieres (originalite ou conventionnalite), on ne peut nier que le texte litteraire peut avoir sur les lecteurs un eflet esthetique ou poetique tres particulier. On peut qualifier ce dernier d'eflfet ou de fonction propre au texte litteraire. II donne a ce texte une valeur propre, exercant ainsi une influence sur l'interaction entre auteur et lecteur. De Beaugrande (1978 : 20) nous fait constater que « C'est la fonction de surprise qui est significative dans l'interaction entre auteur et lecteur; cette fonction peut etre remplie tant par le langage ordinaire que par le langage non-ordinaire ». La comparaison des caracteristiques de nature apparemment litteraire avec les caracteristiques correspondantes des textes non-litteraires nous revele qu'aucun facteur ne suffit a lui seul a definir la qualite de texte litteraire, puisque chaque facteur peut aussi sc trouver dans les textes non-litteraires. JL,/\ J K/\IJU^IHJJN : UINJi AL I I V111HJI£S1,I .1 \ Si nous considérons cependant rimportance fondamentale de 1'intention de rémetteur et des attentes des destinataires pour la fonction et Feffet d'un texte, nous sommes, á notre sens, tenus d'admettre que la qualité de texte littéraire est avant tout une qualité pragmatique, attribuée á un texte spécifique par les leeteurs, dans une situation communicationnelle donnée. Les elements intratextuels ne sont pas marqués comme «littéraires » (on peut les trouver également dans un texte publicitaire ou journalistique); ils fonctionnent pourtant comme des signaux qui indiquent aux leeteurs 1'intention littéraire de rémetteur. Les destinataires interprétent alors ces caractéristiques comme étant littéraires par rapport aux attentes formées dans leur culture, attentes qui sont ďailleurs activées par des signaux extra-textuels. Le lecteur decide ainsi de considérer un texte comme de la littérature. Le facteur décisif, e'est la volonté de participer au jeu. Si la littérature doit forcément se servir du langage ordinaire pour créer son propre systéme, un texte appartenant á ce systéme doit étre marqué de íacon á ce que 1'attention du lecteur soit attirée par le caractére littéraire extraordinaire du texte. Si le texte n'est pas marqué comme « littéraire », il peut arriver que le lecteur n'en reconnaisse pas la fonction littéraire, ne voyant peut-étre dans son contenu qu'une simple exposition factuelle. Les marqueurs littéraires peuvent se trouver dans l'environnement extra-textuel, parfois par l'inclusion d'un livre sous la rubrique «fiction/littérature » d'un catalogue, ou par le fait qu'un texte est publié dans un magazine littéraire. Ce concept de littérarité depend des intentions communicatives et culturelles de l'emetteur et des destinataires, ce qui en fait un concept plus approprié á une théorie de la traduction littéraire qu'un concept uniquement fonde sur des caractéristiques linguistiques. II reste pourtant une question épineuse: peut-on en effet parler d'« intentions coimtiunicatives » des textes littéraires ? Certains experts en littérature soutiennent que 1'absence de visée communicative est précisément une caractéristique du texte littéraire. En ce qui concerne la traduction littéraire, on peut pourtant se permettre de ne préter aucune attention á cette reserve. Méme si le texte source a été éerit sans visée ni intention particuliěres, la traduction (commandée á un traducteur par un client) s'adresse toujours á un public (ciblé ou non) et est par consequent destinée á remplir une fonction pour ses destinataires. Si nous voulons identifier les caractéristiques d'un texte littéraire pertinentes pour la traduction, nous pouvons considérer les textes littéraires comme des textes ordinaires dotés de quelques traits propres susceptibles de revétir une importance pour lc traducteur. Voici un exemple de la facon dont la communication littéraire est susceptible de fonctionner dans le cadre d'une culture C. I /vrr ivwvi Le « monde » de la culture C CODEht INTENTION1'1 EMETTEUR1 it produf SIT SUPPORT TEXTE1'1 A ATTENTES1" RECEPTEUR1'1 recoit srrR / Le « monde » fictif REFERENT Tableau 5 : Modele de la communication litteraire Le recepteur (R) possede des attentes (ATT) determinees par son experience prealable, soit tout ce qui est considers comme etant « litteraire ». Dans une situation specifique (SITR) (figee par rapport au temps, a l'espace, a la motivation de reception), le recepteur lit (= re9oit) un texte produit par un emetteur (EHt) (qui est susceptible d'etre connu comme ecrivain dans le contexte litteraire dc sa communaute culturelle), avec une intention litteraire particuliere (INTht). Le texte est marque comme litteraire par une reference intra- ou extra textuelle a un code litteraire, peut-etre par un titrc poctique ou par T indication « roman » sur la couverture. Ces marqueurs amenent le lecteur a interpreter le contenu comme fictif et a interpreter Tintention de Temetteur (selon des traditions d'interpretation determinees) a partir des caracteristiques stylistiques et structurelles du texte. A la lecture et a Tinterpretation du texte, le lecteur ressent un effet textuel particulier, qui n'est pas necessairement celui recherche par l'emetteur. Les caracteristiques qui servent a distinguer cette interaction communicative des autres interactions non-litteraires sont marquees tllP dans le modele ; il s'agit de Tintention litteraire propre a Temetteur et des attentes litteraires propres aux destinataires. Les deux sont liees aux cultures d'origine respectives de l'emetteur et du recepteur. Si la fonction du texte est determinee principalement par la relation entre 1' intention de Pemetteur et les attentes du destinataire, alors la litterarite doit, elle aussi, etre culturellement specifique, indepcndammcnt des autres fonctions particulieres recherehees par l'emetteur ou suggerees par une fonction conventionnelle du type de texte. Les caraeteristiques stylistiques et th^matiques du texte litteraire, TEXTELIT, ne sont pas marquees comme litteraires ; elles sont interpreters comme etant de nature litteraire sur la base de signaux culturels propres aux interlocuteurs. Pour ce f aire, le destinataire puise dans ses experiences culturelles personnelles. acquises a partir de la lecture d'autres textes litteraires. Dans des conditions situationnelles diffe rentes (un depliant touristique ou un article de presse putalie le ler avril), les memes caraeteristiques stylistiques et thematiques peuvent etre interpreters comme non-litteraires. Par consequent, l'effet specifique d'un texte litteraire depend non seulement de facteurs culturels mais aussi de facteurs individuels (culturellement determines). La communication litteraire interculturelle Apres avoir decrit le fonctionnement de la communication litteraire au sein d'une meme communaute eulturelle, il nous faut passer a Paralyse de son fonctionnement interculturel et interlinguistique. Quatre relations fondamentales proposees dans le modele ci-dessus serviront a decrire les aspects essentiels de la communication litteraire interculturelle, a savoir: (a) la relation entre l'intention de l'emetteur et le texte ; (b) la relation entre l'intention de l'emetteur et les attentes du destinataire ; (c) la relation entre le referent et le destinataire ; (d) la relation entre le destinataire et le texte. La relation entre l'intention de l'emetteur et le texte Puisque tout auteur qui s'attend a ce que son texte soit lu cherche a produire un certain effet sur les destinataires, il ne laisse nullement au hasard la creation de cet effet. L'intention de l'emetteur represente done une anticipation teleologique de cet effet. L'emetteur du texte saura orienter le choix des elements textuels pour renforcer 1'effet voulu. Qui plus est, l'effet voulu ne sera atteint que si Tanticipation a fait l'objet d'une reflexion attentive et que l'emetteur est capable d'exprimer cet effet de maniere appropriee. L'emetteur doit des lors reflechir a l'effet possible de son texte. Dans la litterature originale, l'emetteur ne fait qu'un avec Tauteur. Dans le texte litteraire traduit, les responsabilites sont partagees : l'emetteur-auteur fournit l'intention et le traducteur cherche a articuler cette intention. N'etant qu'un destinataire parmi de nombreux autres, le traducteur a une comprehension propre et individuelle du texte source, qui represente le point de depart du processus de traduction (voir Vermeer 1986 d, qui compare le traducteur litteraire a un chef dorchestre ou a un directeur de cinema). Le traducteur doit, en regie generate, inferer 1' intention de l'emetteur a partir \_j J\rr ivwi ii^ x , ~ * ~------- de sa lecture du texte source, par 1'interpretation des elements textuels et la consultation de sources secondares. Dans la communication non-litteraire, ce sont la situation et les facteurs intra-textuels qui donnent de nombreuses indications quant a l'intention de Femetteur. II n'en va pas de meme pour la communication litteraire, ou la situation et les caracteristiques stylistiques du texte ne sont generalement pas soumises a des conventions de production. Au contraire, la bonne litterature est souvent caracterisee par le fait qu'elle evite les chemins connus de Fexpression conventionnelle. Les elements du code temoignent souvent d'une certaine ambiguite qui donne le caractere vague ou polysemique bien connu du texte litteraire (voir Schmidt 1970 a: 75 sqq.\ permettant ainsi toute une gamme d interpretations. II existe neanmoins des moyens possibles d'interpreter l'intention de remetteur, de maniere consciente ou ineonsciente, a partir des marqueurs linguistiques, stylistiques ou thematiques contenus dans le texte. Que cette interpretation mene veritablement a la mise en lumiere de F intention originale de Femetteur est sans importance. En efifet, ce qui se traduit n'est pas l'intention de remetteur mais / interpretation de celle-ci par le traducteur Le recepteur en culture cible, qui n'est pas toujours conscient de lire un texte traduit (et qui ne s'interesse pas toujours, non plus, a la traduction) est susceptible d'accepter le texte traduit comme manifestation de l'intention de Femetteur. En ce qui concerne 1' interpretation des textes traduits, nous pouvons proposer les hypotheses suivantes : Hypothese 1 : le recepteur en culture cible accepte I 'interpretation du traducteur comme etani la representation de I 'intention de I 'auteur. La relation entre Vintention de Femetteur et les attentes du destinataire Pour produire un texte. 1'auteur doit connaitre le bagage culturel et intellectuel des destinataires, ainsi que leur potentiel 6motif, leur environnement socioculturel et leur experience de lecture. Les elements informatifs faisant partie integrante de Penvironnement du destinataire n'ont pas besoin d'etre explicites dans le texte. Puisque le texte litteraire ne promet aucune possibility d'application directe au monde reel la redondance n'y aura qu'une importance reduite par rapport au texte pragmatique, dans lecjuel on trouve souvent de Finformation (p. ex. la tension requise pour un rasoir electrique) que le lecteur est cense posseder. La presence d'une tres grande quantite de presupposes dans un texte litteraire risque de poser de graves problemes au traducteur. II est parfois possible de combler le fosse culturel entre la quantite d'information presumee connue des recepteurs en culture source et les connaissances du monde des destinataires du texte cible, par des renseignements supplementaires ou par des 1UU adaptations de la part du traducteur. Dans d'autres cas eependant, les horizons des deux groupes ne coincideront pas suffisamment, avec pour resultat que le texte cible n'atteindra pas le ou les skopos recherche(s) par Fauteur du texte source, les recepteurs cibles n'etant pas capables d'etablir un lien de coherence entre leur savoir experientiel et F information contenue dans 1c texte source. Dans la situation ideale, un auteur saura prcvoir correctement le bagage de connaissances du lecteur, reussissant ainsi a articuler son intention dans le texte. La fonction du texte est alors identique a Fintention de Femetteur. Pour qu'un texte traduit realise cette memo identite dintention et de fonction, les conditions suivantes doivent etre remplies : - le traducteur a interprets correctement Fintention de Femetteur. - le traducteur a articule cette interpretation de sorte que le recepteur cible saura lui aussi Finterpreter de la maniere voulue. - le savoir contextuel et les attentes des destinataires en culture source seront les memes que ceux des destinataires cibles, ou le traducteur aura su les faire coincides En ce qui concerne la fonction des textes traduits, nous pouvons formuler une deuxieme hypothese : Hypothese 2 : la fonction du texte traduit est basee sur I 'interpretation d 'une interpretation de I 'intention de I 'emetteur, ainsi que sur le bagage de connaissances et les attentes des recepteurs en culture cible. La relation entre le monde du texte et le monde reel Comme nous l'avoas souligne dans le chapitre 2, la situation dans laquelle a lieu F interaction communicationnelle fait partie de la culture de Femetteur et du recepteur. La comprehension est realisee par la coordination de 11 information exprimee explicitement dans le texte avec une forme ou une manifestation quelconque de Fidee mentale de la realite que se fait le recepteur, ce qui instaure une coherence entre les deux. Le recepteur du texte non-litteraire sattend a ce que Finformation textuelle corresponde a son propre modele de la realite, tandis que celui du texte litteraire accepte volontiers des informations qui sont en contraste avec sa propre realite (par exemple, les arbres et les oiseaux qui communiquent avec les etres humains dans les contes de fee). Plus Fecart entre la realite textuelle (le monde du texte) et la realite du monde du recepteur (la reality) est grand, plus il est facile pour le recepteur d'accepter cet ecart comme signe de specificite litteraire. Dans une telle situation, le recepteur s'attend non pas a une coherence extra-textuelle entre le monde du texte et la realite, mais a une coherence intra-textuelle entre les elements du monde du texte. Si toutefois la distance entre les deux mondes est plutot negligeable, voire inexistante, alors le lecteur est plus susceptible de les accepter comme identiques. En traduction, ce phenomene influence la comprehension du texte par les lecteurs de la langue cible. Le traducteur doit prendre en cornptc lcs deux eilbls de distance, d'abord entre le mondc du texte et la rcalite de la culture source, ensuite entre le monde du texte et la realite de la culture cible. On peut schematiser les trois formes diflferentes de distance culturelle potentielle comme suit: - le monde du texte correspond a la realite de la culture source ; le recepteur source peut alors superposer celui-ci a son propre monde, mais le recepteur de la culture cible n'y arrive pas. - le monde du texte ne correspond pas a la realite de la culture source. Comme le recepteur source n'arrive pas a ctablir une correspondance directe entre le monde du texte et sa realite. lauteur doit decrire avec precision les specificites du monde du texte, qui pourraient egalement etre utiles au recepteur de la culture cible. Un cas special serait une situation ou lc monde du texte correspondrait a la culture cible. ne posant ainsi que des problemes de redondance dans la traduction d'un texte non-fictionnel; cependant, pour le texte litteraire, cette redondance d'informations pourrait poser de graves problemes au traducteur si la traduction est censee rendre parfaitement la vision que Tauteur a de la culture cible. - le monde du texte correspond a la realite de la culture source, mais est « denue de specificite culturelle » du fait d'allusioas explicites a une autre epoque ou a un autre lieu (non precises), comme par exemple 1 introduction des contes dc fees, « il ctait une fois dans un pays lointain », Dans de tels cas, le monde du texte peut avoir un caractere general ou neutre ; l'environnement socioculturel perd alors sa pertinence pour la reception du texte, avec pour consequence que les lecteurs du texte cible comme du texte source eprouveront plus ou moins la meme distance (ou proximite) par rapport au mondc du texte (source ou cible). La pertinence de Identification du lecteur avec le monde du texte depend dans une large mesure de la finalite et de l'effet recherche par le texte, pour le texte source comme pour le texte cible. Le skopos doit alors determiner si le traducteur doit laisser le monde du texte tel qu'il est dans le texte source, avec peut-etre quelques precisions, ou le neutraliser ou L adapter afin de maintenir la meme distance culturelle et realiser ainsi une finalite et un effet donnes. En ce qui concerae la comprehension des mondes fictifs des textes en situation de traduction, nous pouvons formuler une troisieme hypothese : Hypothese 3 : dans les situations source et cible, la comprehension du monde du texte depend du contexte culturel et du savoir du monde du recepteur. La relation entre le texte et le recepteur En regie generale, les codes litteraires contiennent non seulement des aspects stylistiques tels que le ry thme, la prosodie, la syntaxe. la macro structure, lUf) les métaphores et les symboles, mais également des personnages, des idées, de Fexpressivité et une ambiance. Comme nous Favons remarqué, la familiarité relative avec le monde du texte joue un role important dans la creation ďun effet textuel. Quand le lecteur reeonnait un monde textuel, il est en mesure de s* identifier aux personnages et situations fictifs. Par la mě me occasion, la distance critique s'amenuise. Dans le texte non-littéraire, le langage a un caractere plus conventionnel et ceci á tous les niveaux : textuel. maerostructurel, microstructurel, syntaxique et morphologique. En revanche, dans le texte littéraire, c'est Fauteur qui decide quels elements du code littéraire il veut inclure dans son texte. Or, les moyens stylistiques étant propres á chaque culture, ils ne seront pas forcément identiques dans la culture cible et la culture source, bien qu'ils puissent appartenir á un fonds commun de moyens rhétoriques classiques. II arrive néanmoins que des aspects stylistiques acquierent de nouvelles connotations et significations lorsquils sont transplantés dans un autre environnement littéraire. D'ou leur influence sur le contexte littéraire du récepteur ainsi que sur les attentes de celui-ci, et leur role important dans la production de Feffet littéraire. En situation de traduction, par consequent, les mémes moyens stylistiques ne peuvent avoir le méme effet que lorsqu'il y a identité de contexte littéraire. Le traducteur qui pretend reproduire les moyens stylistiques employes par Fauteur dans le texte d'origine ne peut pas escompter forcément le méme effet. Á I egard de Feffet ďun texte traduit sur le récepteur cible, nous pouvons alors formuler une quatriěme hypothěse : Hypothése 4 : les elements du code littéraire cible ne peuvent avoir sur le récepteur cible un effet identique a celui exercé par les elements du code littéraire source sur le récepteur source, sauf dans le cas oil les traditions littéraires sont identiques dans les deux cultures. Le skopos et la consigne en traduction littéraire Léquilibre entre fonction et eflct est tres délicat dans la communication littéraire interculturelle, puisque cet équilibre est base sur de nombreuses hypotheses délicates. II n'empeche que les traductions littéraires sont censées prendre comme principe fondamental la notion ^equivalence (voir Snell-Hornby, 1988 : 13 sqq. pour une discussion critique de ce concept). En traduction littéraire, le traducteur doit non seulement effectuer le transfer! du message du texte source, mais aussi de la maniěre particuliére dont est exprimé ce message en langue source (voir Reiss 1971 : 42). L'ideal serait de pouvoir établir une relation ď equivalence entre textes source et cible en ce qui concerne la finalitc et Feffet textuels. Une traduction idéale aurait alors la méme finalité et le méme effet que le texte source. II existe cependant encore d'autres attentes auxquelles doit répondre lc traducteur du texte littéraire. Le texte traduit doit pouvoir exister en tant 1^ i~Vl * A^~~- qif ouvrage independant et parallele (voir Fitts 11959] 1966 : 33), ou comme sorte de metamorphose du texte d'origine. capable de prolongs r son existence dans une autre culture (voir Benjamin 1923). Le traducteur doit aussi reproduirc la structure litteraire du texte original (voir Dedecius 1986 : 144), afin d* informer le lecteur cible du genre, de la valeur artistique et de la beaute linguistique du texte original (voir Reiss 1986 : 214), tout en enrichissant ainsi la langue cible (voir Friedrich 1965 : 8) et en faisant comprendre au lecteur cible Fopportunite de la traduction du texte source (voir Nord 1989 : 55). Pour Reiss, la traduction litteraire | tend vers le earaetere particulier de Foeuvre, avec pour principe directeur la volonte creative de Fauteur. Ainsi, lexique, syntaxe, style et structure sont manipules de maniere a creer daas la langue cible un effet esthetique qui sera analogue au earaetere expressif singulier du \ texte source (1976 : 21). Telles sont les attentes qui sous-tendent le concept d'equivalence dans son sens le plus large. Le traducteur doit savoir remplirun grand nombre de conditions fondamentales s'il veut reussir a etablir une relation d'equivalence entre textes source et cible. Daas la suite de ce chapitre, nous tacherons de superposer ces conditions d'equivalence aux quatre hypotheses formulees plus haut. L * interpretation Condition d'equivalence n°l : {'interpretation faitepar le traducteur doit corresponds a I 'intention de I 'emetteur. Dans la traduction non-litteraire, le texte source est souvent lie a des intentions conventionnelles, comme le mode d'emploi qui donne des instructions a Futilisateur. La souplesse qui caracterise le texte litteraire permet toutefois un grand nombre dinterpretations, rendant ainsi non seulement impossible mais aussi peu souhaitable la realisation de la condition d'equivalence ci-dessus. Le processus complexe de comprehension et d'interpretation d'un texte peut mener inevitablement a differents resultats selon les traducteurs, ce qui n'est pas, a notre seas, sans interet. Puisque les differents lecteurs vont interpreter le texte original de lacon differente, le traducteur devrait lui aussi avoir le droit de traduire selon sa propre interpretation du texte (non sans analyse exhaustive evidemment). II est interessant a noter qu'au cours de l'histoire, les traductions fondees sur les interpretatioas les plus personnelles sont souvent celles qui out connu le plus grand succes. La fonction textuelle Condition d'equivalence n° 2 : le traducteur doit articuler Vintention de I 'emetteur de faqon a ce que le texte cible remplisse la meme fonction dans la culture cible que celle remplie en culture source par le texte source. 1 LKJ Le texte cible doit done étre re9u comme un texte littéraire dans le contexte de la littérature en culture cible. Nous axons note que la definition de la littérarité ďun texte relěve surtout de la pragmatique ; il est done trěs facile de remplir cette condition en s'assurant que le texte cible est marqué comxne « littéraire » par ses elements tant extra-textuels qu'intra-textuels. Cependant, ďautres fonctions du texte source ne se prétent pas aussi facilement au transfert interculturel. Dans certains cas, il existe plus d'une situation textuelle source, puisque le texte aura rempli des fonctions diverses á des époques différentes (voir van den Broeck 1980 : 90 sqq.). Dans d'autres cas, la lonction source ne s'applique tout simplement pas au récepteur cible, parexemple lorsque Tauteur ďun roman situé en Amérique latine fait implicitcment appel au lecteur pour que celui-ci contribue á changer le regime dictatorial. Le traducteur doit-il lui aussi faire appel au récepteur cible pour que ce dernier change le regime de son propre pays ou celui de la culture source ? La distance culturelle Condition ^equivalence n° 3 : le récepteur cible doit comprendre le monde textuel du texte traduit de la méme facon que le récepteur source comprend le monde textuel d 'origine. II n'est possible de satisfaire cette exigence que si le monde textuel se trouve a une distance égale des cultures source et cible. Dans une telle situation, chaque récepteur peut aligner le texte sur son propre savoir du monde, de maniére identique. C'est toutefois la un ideal illusoire lorsque sont en jeu des aires linguistiques vastes telle celle de 1'espagnol en Espagne et en Amérique latine, ou lorsque les textes sont plus anciens, puisqu'il nous faut nous demander lequel des récepteurs potentiels du texte source doit servir de point de depart á 1'interpretation du texte. V effet textuel Condition ďéquivalence n° 4 : / 'effet d 'un texte traduit sur le lecteur cible doit étre le méme que celui du texte source sur le lecteur source On pourrait croire que, si le texte source a un effet innovateur á cause du non-respect des normes dominantes du systéme littéraire de la culture source, alors le texte cible ne réussira a produire un effet equivalent qu'en s'eloignant dans la méme mesure des normes du systéme littéraire de la culture cible. Une telle equivalence ne peut évidemment étre atteinte au moyen d'une reproduction fidele du contenu et de la forme du texte original, sauf dans de rares cas oú les cultures source et cible possědent des littératures ayant évolué de maniére plus ou mo ins semblable. Plus encore, les effet s que peut avoir un texte sur des lecteurs divers seront tellement différents qu'il n'est guěre possible de parler de / yeffet (au singulier) du texte original, meme au sein d'une meme culture ou d'une meme region linguistique. Paradoxalement, les notions de fidelite et & equivalence sont souvent incompatibles lorsque les cultures source et cible apparaissent tres etroitement liees. Moins la distance culturelle est marquee, plus le traducteur risque de se laisser tromper par de faux amis culturels, puisque tout se ressemble tellement, sans pour autant etre vraiment identique. Si de telles differences culturelles sont reconnues et marquees dans le texte traduit. la ou cela s'avere necessaire, alors le texte traduit ne sera plus une reproduction fidele du texte source, mais il sera en revanche plus apte a produire un effet analogue. La comparaison des conditions d'equivalence et des hypotheses formulees plus haut nous porte a croire que les premieres cherchent en fait a resoudre la quadrature du cercle. Des lors, il ne faut guere s'etonner de ce que la litterature traduite decoive souvent. II existe trois solutions possibles a ce dilemme : - Renoncer a la traduction litteraire du fait de son impossibility, en suggerant aux lecteurs desireux de connaitre des oeuvres litteraires etrangeres d'en apprendre la langue. Mais oil reside precisement l'impossibilite ? Est-ce toute la traduction qui est impossible ou seulement les conditions d'equivalence ? I aut-il accepter la notion d'equivalence comme une loi naturelle ou ne pourrait-on pas y voir un concept de traduction parmi d'autres, fonde sur des conventions historiques et culturelles ? - Continuer a traduire comme auparavant. en faisant appel a notre intuition et en designant le resultat comme texte equivalent, laissant a la discretion du lecteur et des critiques litteraires la question de Pellet du texte cible. II est meme possible quun traducteur dote de talent litteraire puisse en arriver ainsi a creer une nouvelle oeuvre litteraire. En attendant, quid du processus de traduction ? - Mettre en place les fondements theoriques de la traduction litteraire qui permettent aux traducteurs de justifier leurs decisions, afin de faire comprendre aux autres (traducteurs, lecteurs. editeurs) pourquoi et comment ces decisions ont ete prises. Une approche fonctionnaliste devrait rendre possible la troisieme solution. N'avons-nous pas note qu'en fin de compte, il n'existe que peu de differences entre les modeles communicationnels des textes litteraires et ceux des textes non-litteraires ? Faisons maintenant le lien entre les conditions d'equivalence et quelques suggestions pour une approche de la traduction fondee sur la finalite du texte. L9 interpretation Suggestion fonctionnaliste n° 1 : le traducteur interprete le texte source non seulement par rapport a I 'intention de I 'emetteur mais aussi dans le cadre de la compatibility de cette intention avec la situation cible. Cette suggestion implique que le traducteur doit comparer le profil du texte cible (le moment, le lieu, la motivation, les destinataires. le support, etc.) avec le materiel offert par le texte source, et analyser les intentions de remetteur non seulement ä Fegard du recepteur en culture source, mais egalement ä l'egard des possibilites pour le recepteur cible d'assimiler rinformation contenue dans le texte source ä sa propre situation et son propre horizon. Pour ce faire, le traducteur a besoin d'autant d'informations que possible concemant les destinataires du texte traduit, informations qu'il obtiendra de Finitiateur, qui est souvent aussi Pediteur. La function du texte Suggestion fonetionnaliste n°2 : le texte cible doit etre compose de maniere ä ce qu fil puisse remplir dans la situation cible des functions compatibles avec I 'intention de I 'emetteur. En analysant le texte source, le traducteur tächera de decouvrir quelle(s) fonction(s) le texte doit remplir ou a remplie(s) dans la culture source. La premiere question est de savoir lesquelles de ces fonctions peuvent etre remplies dans la culture cible (et dans quel ordre hierarchique) au moyen d'une traduction instrumentale ou d'une traduction documentaire. La distance cuUurelle Suggestion fonetionnaliste n° 3 : le monde du texte traduit doit etre choisi selon la fonction recherchee pour le texte cible, II n'existe aucune norme ni loi qui exige que le monde du texte source doive rester identique dans le texte traduit. Dans certains cas (comme pour certains livres d'enfants), il est tres important, afin de realiser l'intention appellative de Femetteur, que le lecteur cible reconnaisse le monde du texte comme etant en harmonie avec sa propre realite. Cependant, dans d'autres cas, cette reconnaissance ne sera pas essentielle ä la realisation de la fonction du texte ; ainsi, la finalite du texte traduit peut etre differente pour tenir compte d'un interet presume, de la part du lecteur cible, pour un monde « exotique » ; le traducteur pourra satisfaire cet interet en preservant le monde du texte source, mais en ajoutant une explication de toute information « etrange », dans le texte meme, ou par le biais de notes de traducteur, d'un glossaire, ou de tout autre moyen. L 9effet du texte Suggestion fonetionnaliste n° 4 : il faut choisir les elements du code de sorte que I 'effet du texte cible corresponde aux fonctions recherchees pour ce texte. Comme la culture source, la culture cible dispose de moyens 1 i nguist iques propres a remplir une fonction textuelle donnee. En se servant de ces moyens. I le traducteur pcut s'assurer, plus ou mo ins, que le recepteur reconnaisse I intention et attribue au texte la fonction recherchee. Cela ne veut pas dire qu i\ faille macher le travail au recepteur cible. En regie generate, le lecteur est pret a accepter des moyens novateurs, originaux ou etrangers, de presenter des idees, connues ou inconnues (du moins dans les traductions documentaires). Ces moyens contribuent de maniere significative a enrichir la langue cible par le transfert d'expressions langagieres peu communes. C'est pourquoi le traducteur doit recourir a l'analyse du texte source, afin de determiner si, et a quel point, rimitation du texte source est le moyen le plus approprie de remplir la fonction recherchee et quel en sera Peffet (tel que l'enrichissement de la langue cible). Les choix traductionnels devraient resulter de cette analyse. Quelques examples Nous avons tire quelques exemples de Alice in Wonderland (Alice au pays des merveilles) et des traductions fran^aise, allemandc, italienne, portugaise (Bresil) et espagnole, pour montrer comment appliquer au processus de traduction les exigences fonctionnalistes. Nous nous centrerons sur les types de traductioa la distance culturelle, la forme et TeUet, les personnages et les dialogues. Choisir le type de traduction Dans le premier exemple, nous verrons a quel point il est important de decider du type de traduction. L'auteur, Lewis Carroll, emploie de nombreux poemes populaires, ainsi que des chansons et des comptines. tout en les denaturant de fa£on a ce que le lecteur puisse non seulement en reconnaitre Forigine, mais aussi prendre du plaisir a en lire la nouvelle version. Texte original: Twinkle, twinkle, little bat, how I wonder what you're at! Up above the world you 11 y like a tea tray in the sky. Modele: Twinkle, twinkle, little star, how I wonder where you are. Up above the world so high like a diamond in the sky. Traduction de Bav Brillez, brillez, petite chauve-souris ! Que faites-vous si loin d'iei ? Au-dessus du mondc. vous planez, Dans le eiel. eomine un plateau a l he f isi V a Aw VJ^ ^ i ivil . U11L, /"\V_^ 1 1 V 1 1 JZ, ^ini ,Ji Brillez, brillez... (pas de modele, pas de notes de traducteur) Traduction de Remane : Tanze, tanze, Fledermaus, tummle dich zum Haus hinaus. Wie' n Tablett am Himmelszelt flieast du durch die weite Welt. (pas de modele, pas de notes de traducteur,) Traduction de Teutsch : Sah ein Knab ein Höslein stehn, ganz aus grü-hü-ner Seide... Ge-helb tetupft und wu-hunderschön ! Wie kann i-hich dir wi-hidersteehn ? Du bist mei-heine Freu-heu-de ! Höslein, Höslein, Hö-höslein grün, Mei-heine Au-haugen-wei-heide ! Modele : Sah ein Knab ein Röslein stehn, Röslein auf der Heiden, war so jung und morgenschön, lief er schnell es nah zu sehn, sah's mit vielen Freuden. Röslein, Röslein, Röslein rot, Röslein auf der Heiden. Traduction d'Ojeda: Brilla, luce, ratita alada, I en que estaräs tan atareada ? Por encima del Uni verso vuelas como una bandeja de teteras. Brilla, luce... Nota (p. 203) Esta canciön es un ingenioso juego de palabras sobre una conocida canciön infantil. Brilla, luce, pequena estrella, siempre me pregunto dönde estaräs, allä tan alta, por encima de la tierra, como un diamante en el ürmamento. Adaptation de Cunha de Giacomo : Pisca, pisca, morceguinho ! Voando alto ou baixinho, Que estaräs fazendo au leu ? Quem te vir no ceu dirä Que es tal bandeja de chä Rodopiando no ceu... (pas de modele, pas de notes de traducteur) Traduction de Bianchi : Fai l'occhietto, pipistrello ! Dimmi un po" che fai di bello ! Voli voli in cima al mondo, come in cielo un piatto tondo. Fai l'occhietto... (pas de modele, pas de notes de traducteur) Cet exemple est tire du chapitre intitule « Un the extravagant ». Apres les deux premieres lignes de la chanson, le Chapelier demande « je suppose que tu connais la chanson ? » et Alice de repondre « j'ai deja entendu quelque chose de ce genre ». Dans les traductions en allemand, Remane a choisi une traduction documentaire assez litterale, tandis que Teutsch a base sa traduction sur un modele allemand tres connu, reproduisant meme lc rythme de la melodie de Mozart sur laquelle reposent les vers de Goethe. Barbara Teutsch a systematiquement utilise des chansons et des ballades allemandes comme modele pour ses traductions des parodies de Carroll. Si, comme elle nous Fa explique, la maison d'edition a longtemps hesite avant d'accepter cette traduction, sous pretexte qu'elle ne se conformait pas au type documentaire conventionnel, la traductrice a finalement obtenu gain de cause. La traduction de Teutsch transmet indubitablement Fesprit espiegle du texte original. j - J < - D —< J 5 < >ria allemE allemR allemT j italien francais espagnol Bresilien Alice Alice Alice Alice Alice Alice Alicia Alice Ada Ada Ada Ada Ada Ada Ada Marina Mabel Mabel Mabel Mabel Mabel Mabel Mabel Elisa Pat Egon Pat Pat Pat Pat Paco Zico Bill Heinz Bill Willi Bill Bill Pepito Bilu Dinah Suse Dina Dina Dinah Dinah Dina Mi mi Mary Marie Mary Marianne Mary Mane 1 Mariana Maria Ana Ann - Ann - Ann Anne - - W Rabbit W. Kanin W. Kanin W. Kanin B. Conigho j J. Lapin B. Conejo Coelho - - - - - - - | Branco Quant au traducteur espagnol. il a prefere une traduction documentaire rimee avec une legere transformation stylistique (brilla, luce pour twinkle). A la fin de l'ouvrage, une note du traducteur ajoute le texte original anglais aceompagne d'une traduction litterale. Les traducteurs italien et bresilien ne basent pas leur choix sur un modele speeiiique connu. meme si la traduction en portugais du Bresil est decrite, sur la premiere page du livre, comme une « adaptation ». En eflfet, selon des lusophones, les chansons traduites ressemblent a des chansons d'enfants typiques, ce qui signifie, en termes plus precis, qu'elles ont ete adaptees en fonction d'un modele prototypique. A ceux qui critiquent ces adaptatioas sous pretexte qu'elles ne restent pas fideles au texte original, nous repondons qu'aucune traduction documentaire de cet extrait (meme accompagnee de notes du traducteur) ne peut pretendre justiiier la reponse d'Alice, qui s'exclame, « j'ai deja entendu quelque chose de ce genre » La distance culturelle Le choix d'un type de traduction ou dun autre a forcement unc influence surFeffet que produit le texte traduit sur le lecteur. La distance, ou la proximite, culturelle peut ainsi contribuer a Peffet cree par le type de traduction, ou le contrer. Lors de la premiere edition en anglais & Alice au pays des merveilles, le monde du texte etait identique a celui du lecteur, ce qui permettait 1' identification avec ce monde. Pour le lecteur contemporain, la situation n'a que legerement change. Bien que le monde reel du lecteur anglais ait certainement evolue depuis l'epoque de Lewis Carroll, ce livre fait partie du canon litteraire du lecteur qui connait la situation de l'epoque pour avoir appris a Fecole les differences entre celle-ci et sa propre situation. II nous est des lors permis de supposer que le lecteur anglais est toujours capable de s'identilier avec certains traits caracteristiques du texte et ce de diverses facons. Une traduction instrumentale cherchera a rendre egalement possible, pour le lecteur cible, cette identification avec le monde du texte, tandis quune traduction documentaire produira un effet d'etrangete et de distance culturelle Cette distance detenninera les reactions du lecteur cible : les personnages du livre sont d'origine anglaise, ils habitent l'Angleterre d'il y a plus de 100 ans, et il n'est pas surprenant qu'ils vivent, reagissent et s'expriment autrement. Le manque de familiarite avec le monde du texte est marque cxplicitement partout ou il y a allusion a l'Angleterre, aux personnages ou aux faits tires de l'histoire anglaise. Cette etrangete est marquee implicitement par des realites qui sont culturellement specifiques, ou par des conventions de comportement telles que les systemes de mesure des distances et des poids. Les noms propres servent aussi de marqueurs culturels, du moins dans les cultures cibles pourvues d'une telle convention. Dans la litterature espagnole, par exemple, les noms propres n'ont pas toujours cette fonction (voir Nord 1994 a). 11 ö L,J\ 1 K/YLJUt^ 1KJIN I U IN & 11 V1 1 H Ultf L,fc,H Dans le tableau 6, nous comparons les diverses manieres dont les differents traducteurs ont aborde la question des noms dans leurs traductions d>Alice. Notons que certains noms, comme celui d'Alice, se pretent ä une adaptation phonetique dans dautres langues, perdant ainsi la fonction de marqueur de culture etrangere, meme si la forme reste inchangee. Les noms marquent done clairement la culture du monde textuel. La traduction allemande de Christian Enzensberger (allemE) nous introduit dans un monde dont les personnages aux noms tres allemands (Heinz, Suse, Marie, Egon) co-existent avec des personnages anglais (Mabel, Ada) ou culturellement « neutres » (Alice, selon la pronunciation). La traduction de Liselotte Remane (allemR) conserve les noms anglais (meme si elle transforme Dinah en Dina afin de lui donner une forme plus allemande), indiquant par la qu'il s'agit d'un contexte culturel anglais, ou du moins d'un contexte non-allemand. La traduction de Barbara Teutsch (allemT) adapte soigneusement les noms qui risqueraient d'avoir un caractere trop etranger (Bill Mary Ann, Dinah) tandis que les noms qui seraient susceptibles de figurer dans un contexte allemand demeurent tels quels, creant ainsi des marqueurs d'un contexte « allemand ». La traduction italienne conserve tous les noms inchanges, tandis que la francaise n'adapte que le nom de la bonne (Marie-Anne). Quant ä la traductrice br^silienne, elle prefere marquer de maniere systematique un contexte familier. Le nom du Lapin Blanc, grave sur une plaque en cuivre jaune placee ä cote de la porte, constitue un bon exemple des consequences d'une adaptation incoherente et d'une reproduction identique des noms propres. II est difficile pour un lecteur allemand de croire qu'un personnage dont le nom est Weißes Kaninchen s'appelle W. Kanin (puisque le mot Kanin est un terme technique qui indique la peau du lapin). En espagnol ainsi qu'en italien, il est plutot surprenant de trouver un personnage appele Conejo Blanco ou Coniglio Bianco, designe par le nom B. Conejo, B. Coniglio, ou meme, dans une autre version en italien, W. Coniglio. La traductrice bresilienne, en revanche, utilise le nom de famille tres connu dans les pays lusophones, Coelho Branco (qui signifie « Lapin Blanc ») afin de donner au texte un aspect familier. La forme et Veffet Vinfluence de la distance culturelle se fait sentir non seulement sur le contenu de la fiction Offerte par le texte, mais aussi sur le style, L'effet produit paries caracteristiques stylistiques depend du degre d'attente du lecteur typique de ce genre de texte dans une situation donnee. L'inclusion dans un texte de caracteristiques attendues donne 1'impression de conformite aux conventions, tandis que la presence de caracteristiques inattendues lui confere un effet d'originalite. Par consequent, le traducteur doit opter soit pour la methode de « documentation » de l'etrangete du texte, soit rx^ur 1'adaptation de ce dernier aux conditions de la culture cible (traduction instrumentale). II est interessant á noter que la notion ďéquivalence exige 1'invariance du contenu (ce qui, comme nous 1'avons vu, a pour effet l'impression de distance culturelle) et, en meine temps, requiert des caractéristiques stylistiques analogues en vue ďobtenir un effet identique (voir Reiss 1971 : 37 sqq.). De ce fait, Teffet de familiarité ou ďétrangeté, le caractěre attendu ou inattendu. doit étre le méme pour le lecteur du texte cible que pour celui du texte source. Ce type de probléme est particulierement evident dans le domaine des conventions textuelles. Dans la littérature en prose, onpeut souvent rencontrer differents types de textes inibriqués. Ainsi, dans Alice, on trouve une devinette, une adresse postale, une requéte formelle proposée lors d'une reunion et un paragraphe tiré d'un livre d'histoire. Si le traducteur reproduit. dans le texte traduit, la forme de ces textes imbriqués en respectant les formes conventionnelles de la culture source, le lecteur cible risque de ne pas reconnaitre le type de texte ou de s'etonner de la forme inattendue sous laquelle est présenté un acte langagier apparemment familier. Dans l'exemple qui suit, Alice, qui a grandi bien au-delá de la taille normale, pense á envoyer un cadeau de Noél á ses « pauvres petits pieds » : Texte source anglais : And how odd the directions will look : Alice's Right Foot, Esq. Hearthrug, near the Fender, (with Alices love). Traduction de Bay : Et quelle étrange adresse cela fera : Monsieur le pied droit ď Al ice Tapis du Foyer Pres de la Cheminée. (Tendrenient. Alice) Traduction de Teutsch: Nur die Anschrift wird sehr komisch : Herrn Rechterfuß v. Alice z.Z. irgendwo beim Sofa (Herzliche Grüße A.) Traduction de Remané : Und wie sonderbar sich die Adresse ausnehmen wird : An Seine 1 loch wohlgeboren den Herrn Rechten Fuß von Alice Kaminteppich Platz am Kamingitter (...Grüßen von Alice) 12U L/\ 1 KAUUL 11UJN : UNti AC 11V I 1 I'. 11 v I 11-, CJ1BLEE l'incoherence ou a des choix traductionnels non-systematiques. Nous ir avons pas cherche, dans ce chapitre, ä presenter une nouvelle theorie de la traduction liUeraire.I\)urtant,nousesperonsav^^ pas unc I brmc dart qui resiste aux approches theoriques ou methodologiques. De nos jours, le type conventionnel de traduction en prose litteraire semble etre la traduction documentaire, associee ä une demarche exotisante, exception faite des livres d'enfants (par exemple, ceux d'Enid Blyton - nous ne savons pas pourquoi) ou des pieces de theatre (par exemple, celles d'Oscar Wilde -encore une fois, nous ne savons pas pourquoi). Les lecteurs semblent setre habitues aux traductions dont la lecture ne procure franchement pas grand plaisir. Comme on a pu le voir en Allemagne dans le cadre du debat autour de la traduction de Touvrage de Lawrence Norfolk, Lemprieres Dictionary (voir Ger/y misch- Arbo gast 1994 : 154 sqq.), le public est pret ä acheter des millions d'exemplaires dune traduction que certains estiment pour le moins « problematique » simple me nt parce que certains critiques ont fait remarquer que le tradueteur avait reussi ä preserver « l'etrangete » du livre original. Comme nous venons de le souligner, le fonctionnalisme ne pröne pas, a priori, une traduction instrumentale plutöt qu'une traduction documentaire. Cependant, le fonctionnalisme peut elargir les perspectives en montrant la possibilite d*avoir un plus grand spectre de traductions litteraires.