[COLAS JÉRÉMIE (1669-1732) H y a 250 ans dčjn, il pariait des immcnses possibilités des lemtoíres dc ta baie d'Hudson. II y avail passé une quínzaine ďaimées, en sčdentaire, ä tilrc ďinter-prúte, de direcieur de commerce ct méme de gouvemeur du fort Bourbon. On n'imagme pas sans malaise celte lenle solitude. Un personnel de quclques dizaines d'hommes, la brěve saison d'été, l'invcstisscrnent de l'espacc par )es neiges, le vent, te fraid. On y fut 4 ans sans recevoir la visite d'un sen] vaisseau. Le passage des animaux constitue ľ'Évtínement essentiel. Et Jéremic parle de cc pays avee tiene, li étail né h Silíery; il svaií épousé une Indiennc que le Conscil scuveraín le forca a répudier parce qu'il n'avail pas ľäge; et c'est ľannée suivante qu'il part pour la baie. Faul-il inventer un dráme? Faut-il refuser de voir en ce depart une predilection qucbécoise pour le silence et la nature sauvage? Jérémie écríviŕ sa Relation de la Baie d'Hudson ert France, sans douíe k la demande d'un haut fonetionnaire de l'État; elle fut publjée des 1720. Charlevoix cn fit l'Éloge: « J'ai connu ľautcur qui čtait un fort honnete homme ct un habile voyageur. Sa relation est fort instructive et fort judieieusement čerite. » Feul-etrc sommes-nous en presence d'un gas de rewriting. Mais on ne peut eontester I'originalile' dc certaines images, Ja probité sans eclat liiteraire, certain vagabon-dage du discours. Le teste de Jérčmie pčnetrc progress i v em ent tout 1c lerriloire, s'adjoignant, au passage des licux, une riehe information historique et cthnogra-phiquc. Cenaines pages nc manquent pas d'etre ctonnantes. 11 1'airaait plus que les autres En 1713, Messieurs de la Compagnie cnvoyerenl un navire qui nous apporta toutcs sortes dc raffraichisscments et des marcbandiscs pour la uaite dont les Sauvages avail grand besoin. Car il y avail quatre ans qu'ils etaienl en souf-france, parce que jc n'avais plus dc marchandtscs a leur trailer; ce qui £tait cause qu'il en e"lait mort beaucoup par la faim, ayanl perdu 1'usage des fle-cbes depuis que les Europcens leur portent des armes a feu. lis n'ont d'autre res-source pour la vie, que le gibier qu'ils tucnt au fusil ou a la fleche, lis nc savenl aucunemcnt ce que e'esi que dc cultiver la terrc pour faire venir des legumes, lis sont loujours erranls, et nc reslent jamais huit jours dans un meme endroit, Lorsqu'ils sonl loul a fait presses par ia faim, le pere ct la mere tuent leurs enfants pour les manger; ensuite le plus fort des deux mangent 1'autre; ce qui arrive fort souveni. J'cn ai vu un qui, apres avoir devorc' sa femme et six enfants qu'il avail, uisail n'avoir etc altendri qu'au dernier qu'il avail mang£, parce qu'il l'aimait plus que les autres, et qu'en ouvrant la tete pour en manger la cervelle, il s'dtait senti louche du naturel qu'un pere doit avoir pour ses enfants, et qu'il n'avail pas eu la force de lui casser les os pour en suclt la moe'lle. Quoique ces gens-la essutcnt beaucoup de misere, ils vivent cependant fori vieux, cl lorsqu'ils vierment dans un age tout a fait decrCpit et hors d'etat de travailler, ils font faire un banquet, s'ils on le moyen, auquel ils convicnt toulc leur famillc. Apres avoir fail une longue harangue dans laquelle ils les invite a se hien comporlcr ct a vivre cn bonne union les uns avee les autres, il choisit eclui de ses enfants qu'il aime lc mieux, auquel il 231 presenle unc corde qu'il se passe lui-meme dans le cou, et prie cct enfant de l'6trangler pour 1c tircr dc ce monde ou il n'est plus qu'a charge aux aulres. L'enfant charitable ne manque pas aussitot d'obeir a son pere, et 1'etrangle lc plus promtement qu'il lui est possible. Les vieillards s'estiment heureux dc mourir dans cet age, parce qu'ils disenl que lorsqu'ils meurent bien vicux, ils renaissent dans 1'autrc monde comme de jeunes enfants a la mamelle, et viveni de meme touie ]'6ternite"; au lieu que lorsqu'ils meurent jeunes, ils renaissent vicux, et par consequent toujours incommodes commc sont toutes les vieilles gens. lis n'ont aucune espece de religion, ehacun se fait un Dieu a sa mode, a qui ils ont recours dans leur besoin, surtout lorsqu'ils sont malades. Ils n'implorenl que ce Dieu imaginaire qu'ils invoquent en chantant et en hcur-lant autour du malade, en t'aisant des contorsions et des grimaces capables de ]e faire mourir. II y a des chanteurs de profession parmi eux, auxquels ils ont autant de confiance que nous en avons a nos me"decins et chirurgiens. lis croient avec tant d'aveuglemenl ce que leurs charlatans leur disent, qu'ils n'osent rien les refuser; de maniere que le chanteur a lout ce qu'il veul du malade; et lorsque c'est quelque jeune femme ou fille qui demande la gu£-rison, ce chanteur ne le fait point qu'il n'en ait recu quelque faveur. Quoique ces gens-la vivent dans la demiere des ignorances, ils ont cependant une connaissance confuse de la creation du monde el du deluge dont les vieillards font des histoires tout a fait absurdes aux jeunes gens qui les ecoutent fort attenlivement. Ils prennent autant de femmes qu'ils en peuvent nourrir, et surtout toutes les socurs, parce qu'ils disent qu'elles s'accommodc mieux ensemble que si elles 6taient £trangeres.