luy crierent qu'il prist un peu haleine; mais il demeura seulement la bouche ouvertc, el quasi sans mouvement. C'est pourquoy, crainte qu'il ne mourvst autrement que par le coustcau, un luy coupa un pied, l'autre une main, et quasi en mesme temps le troisiesme luy cnleva la teste dc dessus les espaules, qu'il jetta parmy la troupe a qui l'auroit pour la porter au Capitaine Ondes-sone, auquel eile avoil este destince pour en faire feslin. Pour ce qui est du tronc, il demeura a Arontaen, au on en fist festin le mesme jour. Nous re-commandasmes son Sme a Dieu, et retournasmes chez nous dire la Messe. BARTHELEMY VIMONT (15944667) De Vimont, on pcul lire les Relations de 1642, 43, 44 et 45.11 etait 1c troisicmc supcrieur general de la mission du Canada. II vecut au pays durant 20 ans, de 1639 k 1659, mats il avait d'abord fail un court sejour au cap Breton, cn 1629, avanl la prise du pays par les Kirke. Vimont n'ecrit pas plus mal que d'aulres. Engage dans le combat missionnaire, il rend honnetement compte de ce qui se passe au pays. Une grande porte ouverte aux croix (Le discours indien hail jou£, comme sur une scene. Le passage suivant de la Relation en est un bet exemple. Fait prisannier par un Indien catholique, un Iroquois a 6t6 remis en liberty et renvoye en son pays pour Vassurer de la valonte des Frangais de /aire la palx. Deux mais plus tard, I'lroquois rcvient accompagne d'ambassadeurs. Vimont raconte Vivenement.) cinquiesme jour de Juillet, le prisonnier Iroquois mis en liberty et renvoye en son pays, comme j'ay dit au Chapilre precedent, parul aux Trois Rivieres accompagne de deux hommes de consideration parmy ces peuples, deleguez pour venir trainer de paix avecOnonlio (e'est ainsi qu'ils nomment Monsieur le Gouverneur), et tous les Francois et tous les Sauvages nos alliez. Un jcune homme, nomme Guillaume Cousture, qui avoit estc pris avee le Pere Isaac Jogues, et qui depuis ce temps-la estoit rest6 dans le pays des Iroquois, les accompagnoit; si-tost qu'il fut reeonnu, chacun se jetta a son col, on le regardoit comme un homme ressuscite qui donne de la joye a tous ceux qui le croyoient mort, ou du moins en danger de passer le reste de ses jours dans une tres-amere et tres-barbare captivite. Ayant mis pied a terre, il nous informa du dessein de ces trois Sauvages, avec lesqucls il avoit este" renvoye'. Le plus remarquable des trois, nomme Kiotscaeton, voyanl les Francois et les Sauvages accourir sur le bord dc la riviere, se leva debout sur Tavant de la Chalouppe qui l'avoit amene" depuis Richelieu jusques aux Trois Rivieres; il esloil quasi tout couvert de Pourcelaine; faisant signe de la main S3 qu'on J'escoutast, il s'escria; Mes Freres, j'ay qutttd mon pays pour vous vcnir voir, mc wila enfin arrive sur vos tcrres; on m'a dil ä mon depart que je vends chercher la morl, el que jc nc verrois jamais plus ma palrie, mais jc me suis voiontaircmcnt expose pour le bien de la paix: je viens done entrer dans les desseins des Francois, des Hurons et des Algonquins, je viens pour vous communiquer "es pensecs de tout mon pays. El cela dil, la Chalouppc tire un coup de pierrier, et le Fort respond d'un coup de canon pour marque de resjoüissancc. Ces Ambassadeurs, ayans mis pied ä terre, furcnt conduils en la chambre du sicur de Chanflour, lequcl leur fit fort bon accueil; on leur prescnla quelques pctits rat'raischisscmens, cl apies avoir mange* et petune", Kiotsaelon, qui portoit tousjours la parole, dil a tous les Francois qui 1'cnvironnoienl: Je ttouvc bien de la douceur dans vos maisons, depuis que j'ay mis ie pied dans vostre pays je n'ay veu que de la resjouissance, je voy bien que ccluy qui est au Ciel veul conclure une affaire bien importantc, les hommes onl des esprits et des pensees irop differcntes pour lomber d'accord, c'csl lc Ciel qui rciinira tout. Cc mesme jour on envoya un canot ä Monsieur le Gouverneur pour t'ini'ormer de la venue de ccs nouveaux hostes. Cependant et eux et les prisonniers qui n'estoient pas encor rendus avoient toute liberty de s'aller promener ou ils vouloient. Les Algonquins et les Monlagnais les invitoient ä leurs festins, el petit ä petit iis s'accoustu-moient a converser ensemble. Le sieur de Chanflour, les ayanl bien traittcz certain jour, leur dil qu'ils estoicnt parmy nous comme dans leur pays, qu'il n'y avoit rien a craindre pour eux, qu'ils estoient dans leur maison. Kiotsaelon repartil ä cc compliment avec une pointc asscz aigue et asscz gentile: Je te prie, dit-il ä l'lnterprete, de dire ä cc Capimine qui nous parle, qu'il uscd'une grande menterie en nostre endroit, du moins cst-i! asseurc' que ce qu'il dit n'est pas veritable. El la-dessus il fit une petite pause pour laisscr former rcstonnement; puis il adjousta: Ce Capitaine mc dit que je suis icy comme dans mon pays, cela est bien esloigne* de la vcrite: car je rse serois ny honors ny caress^ dans mon pays, et je voy icy que tout lc monde m'honore et mc caresse. II dit que je suis comme dans ma maison; c'csl une espece de men-teric: car je suis mallraittc dans ma maison, et je fais icy tous les jours bonne chere, je suis cominueilement dans les festins: jc nc suis done pas icy comme dans mon pays, ny comme dans ma maison. 11 fil quantitc d'aulrcs rcparties qui tesmoignoient asscz qu'il avoit dc 1'csprit. Enfin Monsieur lc Gouverneur estant arrive* de Quebec aux Trois Rivieres, apres avoir considers les Ambassadeurs, leur donna audience le deuxie'me Juillei, Cela se fit dans la cour du Fort oü 1'on fit estendre de grandes voiles contre l'ardeur du Soleil: voiey comme le lieu cstoit dispose. D'un cosic" cstoit Monsieur le Gouverneur, accompagne de ses gens, et du Reverend Perc Vimont, Superieur dc la Mission. Les Iroquois estoient assis a ses pieds sur une grande escorce de prusse, ils avoient tesmoigne* devant l'assembiee qu'ils se vouloient mettre de soncostc" pour marque de l'aflcction qu'ils ponoient aux Francois. A 1'opposite estoient les Algonquins, les Monlagnais ct les Altikame-gues, les deux costez estoient fermez de quelques Francois et de quelques Hurons. Au milieu il y avoit une grande place un peu plus longue que large, ou les Iroquois fireni planter deux perches, ct tirer une corde dc 1'un a 1'aulre pour y pendre cl attacher Ics paroles qu'ils nous devoienl porter, c'csl a dire, les presens qu'ils nous vouloient faire, Icsquels consistoient en dix-sept colliers dc pourcclainc, dont une partie cstoit sur leur corps; 1'autrc panic cstoit renfermcc dans un peiii sac place tout aupres d'eux. Tout le monde estant assemble, ct chacun ayanl pris place, Kiotsaelon qui estoit d'une tiaule stature se leva cl regardant le Soleil, el puis loumant ses yeux sur loute la Compagnie, ii pril un collier de porcclainc en sa main, commencanl sa harangue d'une voix forte; Onontio, preste I'orcille, jc suis la bouche de tout mon pays, tu eseoutes tous les Iroquois cnlcndanl ma parole, mon cceurn'a rien de mauvais, je n'ay que dc bonnes chansons en bouche, nous avons des tas de chansons dc guerre en nostre pays, nous les avons toutcs jetties par lerre, nous n'avons plus que des chants de resjouissance. El la-dessus il se mit a chanter, ses compatrioles respondircnl, il se pourmenoit dans eclte grande place comme dessus un theatre; il faisoil mille gcslcs, il regardoit le Ciel, il envisageoit le Soleil, il fiottoii ses bras comme s'il en eust voulu faire sortir la vtgueur qui tes anime cn guetre. Aprcs avoir bien chants, il dit que le present qu'il lenoil en main, rcmcrcioit Monsieur lc Gouverncur de ce qu'il avoit sauve* la vie a Tokhrahcnchiaron, le retiranl i'Aulomne passe du feu et de la dent des Algonquins; mais il se plaignil gentiment de ce qu'on 1'avoit renvoye* tout scul dans son pays: Si son canol se fust renverse, si les vents 1'cussent fait sub-merger, s'il eQt cste noye, vous eussicz long-temps attendu le rctour de ce pauvre homme abysme, el vous nous auriez accuscz d'une faute que vous-mcsmes auriez faites. Cela dil, il attacha son collier au lieu destine. En tiram un autre, il I'aitacha au bras dc Guillaumc Cousiure, en disant tout haul: C'est cc collier qui vous ramene ce prisonnicr, Je nc luy ay pas voulu dire cslant encore dans le pays: Va I'en, mon neveu, prends un canot el i'en retourne a Quebec: mon esprit n'auroit pas esie en rcpos, j'aurois lousjours pense et repense' a part moy, ne s'est-il pas perdu; en vcrite je n'aurois pas eu d'esprit si j'eusse procedtS en eelte sorte, Ccluy que vous avez renvoye a eu toutes les peines du monde en son voyage. II commenca a les cxprimer, mais si pathcliquemenl qu'il n'y a tabarin cn France si naif que ce Barbare. II prcnoil un baslon, Ie mettoil sur sa teste comme un paqucl, puis le ponoit d'un boul de la place a J'aulre, representant ce qu'avoit fait ce prisonnicr dans les saults ct dans le courant d'eau, ausquels estant arrive, il avoit transport son bagage piece a piece, il alloit ct rcvenoft representant les voyages, les lours ct retours du prisonnicr, il s'echouoit contre une pierce, i! reculoit plus qu'il n'avancoii dans son canot, ne lc pouvant soustcnir seul ponirc les courans d'eau, il pcrdoit courage, et puis reprcnoit ses forces; bref, ]c n'ay jamais rien veu de micux cxprime* que cetle action. Encore, disoit-il, si vous 1'eussicz aid6 a passer les saults et les mauvais chemins, et puis en vous arrcstam et petunant si vous 1'eussiez rcgarde de loin vous nous auriez yonsolez: mais je ne sc,ay ou cstoit vostre pensec, dc renvoyer ainsi un homme 'oui seul dans tant dc dangers: jc n'ay pas fait le mesme. Allons, mon neveu, lit-i! a ccluy que vous voyez devant vos yeux, suis-moy, je te veux rendre dans ion pays au peril de ma vie. Voila ce que disoit le second collier qu'il attacha aupres de I'autre. Le troisieme temoignoil qu'ils avoient adjouste quelque chose du leur, aux presens que Monsieur le Gouverncur avoil donnez au caplif qu'il avoit renvoye en leur pays, et que ces presens avoient este distribuez aux Nations qui leur sont alliees pour arrester leurs hachcs, pour faire tomber des mains de ceux qui s'embarquoicnl pour vcnir a la guerre, leurs armes et leurs avi-rons. II nomma loutes ces Nations. Le quatrieme present estoii pour nous asseurer que la pensee de leurs gens tuez en guerre ne les touchoit plus, qu'ils meltoient ieurs armes sous leurs pieds. J'ay pass6, disoit-il, aupres du lieu ou les Algonquins nous ont massacrez ce Printemps. J'ay veu la place du combat ou ils oni pris les deux prisanniers qui sont icy: j'ay passe" viste, je n'ay point voulu voir le sang respandu de mes gens, leuis corps sont encore sur la place, j'ay destourne mes yeux de peur d'irriter ma colere. Puis frappant la tene et prestant 1'oreille, j'ay oiiy la voix de mes Ancestres massacrez par les Algonquins, lesquels voyans que mon cceur estoit capable de se venger, m'ont crie d'une voix amoureuse: Mon petit fils, mon petit fils, soyez bon, n'enlrez point en fureur, ne pensez plus a moy, car il n;y a plus de moyen de nous retircr de la mort, pensez aux vivans, cela est d'imporlance, relirez ceux qui vivenl encore du gtatvc et du feu qui les poursuit, un homme vivant vaut micux que plusieurs trespassez. Ayant oiiy ces voix, j'ay passe outre et m'en suis venu a vous pour delivrer ceux que vous lenez encore. Le cinquiemc ful donne pour ncttoyer la riviere, pour chasser les canots ennemys qui pourroienl troubler la navigation. II faisoit mille gestes comme s'ii eust amassd les vagues, et donne" un calme depuis Quebec jusques au pays des Iroquois. Le sixieme pour applantr les saults et les cheutes d'eau ou les grands courans qui se trouvent sur les rivieres sur lesquels il faut navigcr pour aller en leur pays. J'ay pense perir, disoit-il, dans des bouillons d'eau: voila pour les appaiser. Et avec ses mains et ses bras it unissoit et arrestoit les torrens. Le septieme estoit pour donner une grande bonace au grand Lac de Sainct Louys, qu'il faut traverser: VoUa, disoit-il, pour le rendre uny comme une glace, pour appaiser les vents et temperer la colere des eaux. El puis ayant par ses gestes rendu le chemin favorable, il attacha un collier de por-celaine au bras d'un Francois, et le tira tout droit au travers dc la place pour marque que nos canots iroient sans peine en leur pays. Le huitieme faisoit tout le chemin qu'il faut faire par terre, vous eussiez dit qu'il abattoit des arbres, qu'il couppoit des branches, qu'il repoussoit des bois, qu'il mettoit de la tcrre es lieux plus profonds. Voila, disoit-il, le chemin lout net, tout poly, tout droit, il se baissoit vers la terre, regardant s'il n'y avoit plus d'epines ou de bois, s'il n'y avoit point de butte qu'on put heurter en marchant: C'en est fait, on verra la fumee de nos bourgades depuis Quebec jusques au fonds de nostre pays, tous les obstacles sonl ostez. Le neufieme estoit pour nous enseigner que nous trouverions du feu tout prest dans leurs maisons, que nous n'aurions pas la peine d'aller querir du 86 bois, que nous en trouverions dc tout fait, et que ce feu ne s'esteindroit jamais ny jour rty nuil, que nous en verrions la clarte" jusques dans nos fouyers. Le dixieme fut donne pour nous lier tous ensemble tres-estroiltement, il pril un Francois, enlaca son bras dans le sien, et un Algonquin de I'autre, et s'estanl ainsi lie avec cux: Voila le noeud qui nous attache inseparablcment, rien ne nous pourra des-unir. Ce collier estoii extraordinairemenl beau. Quand la foudre lomberoit sur nous, elle ne pourroit nous separer, car si elle couppc ce bras qui vous attache a nous, nous nous saistrons incontinent par I'autre, et la-dessus il se retournoil el saisissoit le Francois et 1'Algonquin par leurs deux aulres bras, les tenant si ferme qu'il paroissoit ne vouloir jamais quitter. Le unzieme invitoit a manger avec eux. Nostre pays est remply de pois-son, de venaison, de chasse, tout y est plcin de cerfs, d'eslans, de castors: quiuez, disoiH'l, quillez ces puans pourceaux qui courrent icy parmy vos habitations, qui ne mangent que des safetcz, ct venez manger de bonnes viandes avec nous, le chemin est fraye", il n'y a plus de danger. II faisoit les gestes conformement a son discours. II esleva le douzieme collier pour dissiper lous les nuages de l'air, afin qu'on vist tout a descouvert, que nos cceurs el les leurs ne fussent point cachez, que le Soleil et la verite donnassent jour par tout. Le trcizicme fut pour faire ressouvenir les Hurons de leur bonne volonte. II y a cinq jours, disoit-il, e'est a dire cinq annees, que vous aviez un sac remply dc porcclaine et d'autres presens tous preparez pour venir chercher la paix: qui vous a de"tournez de cette pensee? Ce sac se renversera, les presens tomberont, ils se casseront, ils se dissipcront, et vous perdrcz courage. Le quatorzieme fut pour presser les Hurons qu'ils se hastassent de parler, qu'ils ne fussent point honteux comme des femmes, et que prenans resolution d'aller aux Iroquois, ils passassent par le pays des Algonquins et des Francois. Le quinziemc fut pour tesmoigner qu'ils avoient tousjours eu envie de ramener le Pere Jogues el le Pere Bressani, que e'estoit leur pensee; que le Pere Jogues leur fut derobe, et qu'ils avoient donne le Pere Bressani aux Hollandois, pour ce qu'il l'avoit desire: S'il eust eu patience, je i'aurois ra-mene"; que scay-je mainlenanl ou il est? peul-eslre est-il mort, peut-estre est-il noye, nostre dessein n'estoit pas de le faire mourir. Si Francois Marguerie et Thomas Godefroy, adjoustoit-il, fussent restez cn nostre pays, ils scroient mariez maintenant el nous ne serions plus qu'une Nation, et moy je serois des vostres. Le Pere Jogues entendant ce discours, nous dit en sousriant: Le bueher estoit prepare, si Dicu ne m'eusl sauve, cent fois Us m'eussenl oste la vit, ce bon homme dit lout ce qu'il veut. Le Pere Bressani nous dit le mesme a son retour. Le scizieme fut pour les recevoir en ce pays icy quand ils y viendroient, el pour les metlrc a couvert, pour arrester les haches des Algonquins ct les canots des Francois: Quand nous ramenasmes vos prisonniers il y a quelqucs annees, nous pensions estre de vos amys, et nous entendismes des arquebuses et des canons sifflcr de tous costez: ccla nous tit peur, nous nous retirasmes, ct comme nous avons du courage pour la guerre, nous prismes resolution d'en donner des preuves pour le Printemps suivant; nous parusmes sur vos terres et prismes le P. Jogues avec des Hurons. 87 Lc dix-septi6mc present estoit le collier propre que Honatleuiate portoit en son pays; cc jeune homme esloit Tun des deux prisonniers derniers. Sa mere, qui estoit tante du P. Jogues au pays des Iroquois, envoya son collier pour celuy qui avoit donne" la vie a son fils; cette bonne femme, appercevant que le bon Pere qu'ellc appelloit son neveu estoit en ce pays-cy, en fut fort resjoüye et son fils encore plus; car il parut tousjours triste jusques ä tant que 1c P. Jogues fut descendu de Montreal, alors il commenca ä respirer et ä se monstrcr gaillard. Apres que cc grand Iroquois eul dit lout ce que dessus, il adjousta: Je ra'en vay passer le resle de l'estd en mon pays, cn jeux, en danses, en res-joüissances pour le bien de la paix; mais j'ay peur que pendant que nous danserons, les Hurons ne nous viennent pincer et importuner. Voila ce qui se passa en cctte assembled; chacun avoiia que cet homme estoit palhetique et eloquent. Jc n'ay recueilly que quelques pieces comme decousues tiroes de la bouche dc l'intcrprete, qui ne parloit qu'a batons rompus, et non dans la suilte que gardoil ce Barbare. II entonna quelques chansons, entre ses presens, il dansa par resjoüis-sance, bref, il sc monstra fort bon Acteur, pour un homme qui n'a d'autre estude que ce que la nature luy a appris sans regie el sans preceptes. La conclusion fut que les Iroquois, les Francois, les Algonquins, les Hurons, les Montagnets et les Attikamegues danscroicnl tous, el se resjoiiyroient avec beaucoupd'allegresse. Le lendemain, Monsieur le Gouverneur fit feslin ä tous ceux de ces Nations qui se trouverent aux Trois Rivieres, pour les exhorter tous ensemble ä bannir loutes les deffiances qui les pourroient diviser. Les Iroquois tesmoi-gnerent toute sorte de satisfaction, ils chanterent el danserent selon leurs cous-tumes, et Kiotsacton recommanda fort aux Algonquins et aux Hurons d'obeyr ä Onontio, et de suivre les intentions ct les pensdes des Francois. Le quatorzieme du mesme mois, Monsieur le Gouverneur respondit aux presens des Iroquois, par quatorze presens qui avoient tous leurs significations, el qui portoient leurs paroles. Les Iroquois les acceptercnl tous avec de grands temoignages de satisfaction qu'ils faisoient paroistre par trois grands cris, poussez ä mesme temps du fond de leur eslomach ä chaque parole ou ä chaque present qui leur estoit fait. Ainsi fut conclue la paix avec eux ä condition qu'ils ne feroient aucun acle d'hostilite avec les Hurons, ou envers les autrcs Nations nos alliees, jusques ä ce que les principaux de ces Nations qui n'esioicnt pas presens eusscnt agy avec eux. Cette affaire cslanl heureusement conclue, Pieskaret se levant, fit un present de quelque pelleterie ä ces Ambassadeurs, s'dcriant que e'estoit une pierre ou une tombc qu'il mettoit dessus la fosse de ceux qui estoient morts au dernier combai, afin qu'on ne rcmuast plus leurs os, et qu'on perdist la memoire de ce qui leur estoit arrive sans plus jamais penser a la vengeance. Noel Negabamat se leva cn suilte, il mit au milieu de la place cinq grandes pcaux d'Elans: Voila, dit-il aux Iroquois, dequoy vous armer les pieds et les jambes, dc peur que vous ne vous blcssiez au retour, s'il restoit encore quelque pierre au chemin que vous avez applany. II en presenta encore cinq autres pour ensevelir les corps de ceux que le combat avoit fail mourir, et pour appaiser la douleur de leurs parens et amys qui ne les pourroient souffrir sans sepulture; qu'au reste que luy ct ses gens qui sont a Sillery, n'ayanl qu'un mesme coeur avec leur frere aisne Monsieur le Gouverneur, ils ne faisoient qu'un present avec le sien. Finaleroent on lira trois coups de canon pour chasser le mauvais air de la guerre, et se rejoiiyr du bonheur de la paix. MARIE DE L' INCARNATION (1599-1672) On ne donne qu'aux riches. Marie de I'lncarnation fut une grande mystique, « la Therese du Canada », dil Bossuet; on en fit un grand ccrivain. Certes, elle a beaucoup ecrit: 7 000 ä 8 000 lettres selon Dom Jamet qui entreprit 1'edition moderne de son ocuvrc. Ces lettres, elle les a presque toutes ecrites de Qudbec, oü eile vecut de 1639 ä 1672, fortement engagee dans les affaires de sa com-munaule et dans Celles du pays. Elle avail « un bon sens superieur », dit Jean LeMoyne qui la considere comme « la mere par excellence de la colonie ». Femme d'affaires et grande mystique, elle semblc avoir vecu simultanement une double vie dc geant. Son action mat6rielle n'est peut-6lre que le corps visible de Taction mystique; ses ecrits historiqucs dc mcme peuvent ne trouver leur vrai sens que dans les ecrits spirituels. Sans doule, on ne sait plus toujours oü se trouve le texte auihentique de Marie de I'lncarnation ni comment exnetement elle ecrivait puisque ses ecrits hisloriques sont souvent entrecoupes de longs passages empruntes ä la Relation de l'annee el que, surtout, Dom Martin, son fils, qui fut son premier dditeur, a souvent edulcore le texte original. Les histo-riens ont fait I'eloge de son action et dc son torture epislolaire; les litteraires devraient sans doute aller davantage ä ses ecrits spirituels. lis pourraient y de-couvrir un grand style, une permanence des images et des themes, la rare aventure humainc d'une äme de feu. H venait ä moi Des mon enfance, la divine Majesty voulant mettre des dispositions dans mon amc pour la rendre son lemple el le receplacle de ses misericordieuses faveurs, je n'avais qu 'environ sept ans, qu'une nuit, en mon sommcil, il me sembla que j'etais dans la cour d'une ecole champfitre, avec quelqu1 une de mes com-pagnes, oil jc faisais quelque action innocente. Ayanl les yeux leves vers le cicl, je le vis ouvert ct Notre-Seigneur Jdsus-Christ, en forme humaine, en sorlir et qui par l'air venait a moi qui, le voyant, m'ecriai a ma compagne: « Ah! Voila Notrc-Seigneur! C'est a moi qu'il vient! » Et il me semblait que cette fille ayant commis une imperfection, il m'avait choisie [plut6t qu'] elle qui 6tait neanmoins bonne fille. Mais il y avail un secret que je ne connaissais pas. Cette suradorable Majestd s'approchant de moi, mon coeur se sentit tout embrase' de son amour. Je commengai a dtendre mes bras pour l'embrasser. 89