84 L'CEUVRE DE DIDEROT quine. II n'y avait aucun besoin auquel sa complaisance ne se prétat; car I'indigence est presque toujours officleuse. Un livre était-il couvert de poussiěre, un de ses pans s'offrait a I'essuyer. L'encre épaissie refusait-elle de couler de ma plume, elle pré-sentait le flanc. On y voyait traces en longues raies noires les frequents services qu'elle m'avait rendus. Ces longues raies annoncaient te litterateur, I'ecrivain. I'homme qui travaille. A present, j'ai I'air d'un riche faineant; on ne salt qui |e suis. Sous son abri, je ne redoutais nl la maladresse d'un valet, nl la mlenne, ni les éclats du feu, ni la chute de I'eau. J'etais le maitre absolu de ma vieille robe de chambre; je suls devenu I'esclave de la nouvelle. Le dragon qui surveillait la toison d'or ne fut pas plus inquiet que moi. Le souci m'enveloppe. Le vieillard passionné qui s'est livré, pieds et poings lies, aux caprices, a la merci d'une jeune folle, dit depuis le matin jus-qu'au soir : Oil est ma bonne, ma vieille gouvernante? Quel démon m'obsedait le jour que je la chassai pour celle-ci! Puis il pleure, II soupire. Je ne pleure pas, je ne soupire pas; mais a chaquc instant je dis : Maudit soit celui qui invents I'art de donner du prix a I'etoffe commune en la teignant en écarlate! Maudit soit le pré-cieux vétement que je révěre! Oil est mon ancien, mon humble, mon commode lambeau de calemande* ? Mes amis, gardez vos vieux amis. Mes amis, craignez I'atteinte de la richesse. Que mon exemple vous instruise. La pauvreté a ses franchises; I'opulence a sa gene. O Diogene! si tu voyais ton disciple sous le fastueux man-teau d'Aristippe*, comme tu rirais! O Aristippe, ce manteau fastueux fut payé par bien des bassesses. Quelle comparaison de ta vie molle, rampante, efféminée, et de la vie libre et ferme du cynique déguenillé! j'ai qultté le tonneau oú je régnais, pour servir sous un tyran. Ce n'est pas tout, mon ami, Écoutez les ravages du luxe, les suites d'un luxe consequent. Ma vieille robe de chambre était une avec les autres guenilles qui m'envlronnaient. Une chaise de paille, une table de bois, une tapisserie de Bergame, une planche de sapin qui soutenait quelques estampes enfumées, sans bordure, clouées par les angles sur cette tapisserie, entre ces estampes trois ou quatre platres suspendus, formaient avec ma vieille robe de chambre I'indigence la plus harmonieuse. SUPPLEMENT AU VOYAGE DE BOUGAINVILLE 86 Tout est desaccorde. Plus d'ensemble, plus d'unite, plus de beaute.... © @ @ W ] • La nostalgic du plébéien embourgeoisé (cf, Neveu de Kampou) (cf. aussl 1 Ex-trait 19). • L'esthetique de I'unite et de I'harmonie. • Le badinage spiritual. SUPPLEMENT AU VOYAGE DE BOUGAINVILLE i---— 1772 --—- 24. [La morale du bon sauvage.] Bougainville fit un voyage autour du monde de I76É a 1769, et en publia la relation en 1771. Diderot imagine un supplement á ce Voyage. L'aumdnier de 1'équipage vient d'expliquer au taitien Orou certaines prescriptions de la morale chrétienne. Void ce ciue lui répond Orou : Crois-moi, vous avez rendu la condition de I'homme pire que celle de I'anlmal. Je ne sais ce que c'est que ton grand ouvrier; mais je me réjouis qu'il n'ait point parlé á nos pěres, et |e souhaite qu'il ne parle point á nos enfants; car il pourrait par hasard leur dire les mémes sottises et ils feraient peut étre celle de le croire.íHier, en šoupaní, tu nous as entretenus de magistrats et de prětres; je ne sais quels sont ces personnages que tu appelles magistrats et prétres, dont 1'autorité regie votre conduite; mais, dis-moi, sont-ils maítres du bien et du mal ? Peuvent-ils faire que ce qui est juste soit injuste et que ce qui est injuste soit juste? dépend-il ďeux ďattacher le bien á des actions nulsibles, et le mal á des actions innocentes ou utiles? Tu ne saurais le penser, car, á ce compte, il n'y auralt ni vrai ni faux, ni bon ni mauvais. ni beau ni laid; du moins, que ce qu'il plairait á ton grand ouvrier, á tes magistrats, á tes prétres, de pranoncer tel; et ďun moment á 1'autre, tu serais oblige de changer ďidées et de conduite. Un jour l'on te dirait, de la part de 1'un de tes trois maTtres : tue; et tu serais oblige, en conscience, de tuer; un autre jour ; vole; et tu serais tenu de voter; ou ne mange pas de ce fruit; et tu n'oserais en manger; L'CEUVRE DE DIDEROT je te defends ce legume ou cet animal; et tu te garderais d'y tou cher. II n'y a point de bonte qu'on ne put t'interdire; point de mechancete qu'on ne put t'ordonncrjtt ou en serais-tu reduit, si tes trois maitrcs, peu d'accord entre eux, s'avisaient de te permettrel de "t'^njoindre et de te defendrc la meme chose, comme je pense qu'il arrive souvent? Alors, pour plaire au pretre, il faudra que tu te brouilles avec le magistrat; pour satisfaire le magistrat, il' faudra que tu mecontentes le grand ouvrier; et pour te rend re agreable au grand ouvrier, il faudr_a que tu renonces a la nature.|Et sais-tu ce qui en arrivera? cest que tu les me-priseras tous trois, et que tu ne seras ni homme, ni citoyen, ni pieux; que tu ne seras rien; que tu seras mal avec toutes les sortes d'autorites; mal avec toi-meme; mediant, tourmente parton cceur; persecute partes maitres insenses [...}, Veux-tu savoir.en tous temps et en tous Iteux, ce qui est bon et mau-vais ? Attache-toi a la nature des choses et des actions; a tes rapports avec ton semblable; a I'influence de ta conduite sur ton utilite particuliere et le bien general. Tu es en delire, si tu crois qu'llyait rien, soit en haut, soit en bas, dans I'uni-vers, qui puisse ajouter ou retrancher aux lois de la nature. Sa volonte eternelle est que le bien soit prefers au mal, et le bien general au bien particulier. Tu ordonneras le contraire; mais tu ne seras pas obei. Tu multipliers les malfaiteurs et les malheureux par la crainte, par les chatiments et par les remords; tu depraveras les consciences; tu corrompras les esprits; ils ne sauront plus ce qu'ils ont a faire ou a eviter. Troubles dans I'etat d'innocence, tranquilles dans le forfait, ils auront perdu l'6toile polaire dans leur chemin. ® ® 9 Photo Hachette. Le bon Sauvage. Gravüre de Simonet ďaprés Moreau le Jeune. SUPPLEMENT AU VOYAGE DE BOUGAINVILLE 87 ■ Nommer les trois codes de morale que distingue Orou. • Chercher des exemples de contradictions entre ces trois codes. (L'histoire en fournit.) • Quels sont pour Diderot les deux sources de la vraie morale 7 • Replacer la morale de Diderot dans la tradition humanists : L'Ep.curisme. Rabelais, Montaigne, Rousseau: et montrez ce qu'elle a de particulier. • Que pensez-vous du style du « bon sauvage »? 25. [Diderot au travail.] [Resume des entretiens entre Diderot et Catherine II (1773)]. Quelque idee s'offre-l-ello ,i son esprit? II se demande avant tout si quel-qu'un est capable d'en faire I'examen mieux que lui.Dans raffii mative, sans hesiter il rejette ce projel de travail. 5inon : « Lorsque j'ai pris mon parti, je pense chez moi le jour, la nuit, en société, dans les rues, ä la promenade; ma besogne me poursuit. J'ai sur mon bureau un grand papier sur lequel je jette un mot de reclame de mes pensées, sans ordre, en tumulte, comme elles me viennent. Lorsque ma téte est épuisée, je me repose; je donne le temps aux idées de repousser; e'est ce que j'ai appelé quelquefois ma recoupe*, métaphore empruntée d'un des travaux de la Campagne. Cela fait, je reprends ces reclames ďidées tumultueuses et décousues et je les ordonne, quelquefois en les chiffrant. Quand j'en suis venu lá, je dis que mon ouvrage est achevé. J'ecris tout de suite, mon äme s'echauffe de reste en écrivant. S'il se présente quelque idee nouvelle dont la place soit éloi-gnée, je la mets sur un papier séparé. II est rare que je récrive, et les différents petits papiers que Votre Majesté a entre les mains n'ont été écrits qu'une fois; aussi reste-t-il des negligences, toutes les incorrections légěres de la célérité. Je ne lis ce que les autres ont pense sur l'objet dont je m'occupe que quand mon ouvrage est fait. Si la lecture me détrompe, je déchire mon ouvrage. Si je trouve quelque chose dans les auteurs qui me convienne, je m'en sers. 20 L'CEUVRE DE DIDEROT Ce qu'on n'a jamais mis en question n'a point ete prouve. Ce qu'on n'a point examine sans prevention n'a jamais iHe bien examine. Le Scepticisme est done le premier pas vers la verite. II doit etre general tar il en est la pierre do touche. Si pour s'assurer de I'existence de Dieu le Philosophe commence par en douter, y a-t-il quelqun proposition qui puisse se soustraire i cette epreuve? Pemees pbilosophiques XXXI. C'cst a la connaissance de la Nature qu'il etait reserve de faire de vrais deisic-s. Pensees PJiilosophiques. XIX. ■ Qu'un ciron lui offre dans la petitesse de son corps des parties Incomparablement plus petites.... PASCAL. Les deux mfmis (Pensees). Montrer que, tout en lui empruntant un exemple, Diderot est ici aux antipodes de la pensee de Pascal. 3. Elargissez Dieu. XXVI On nous parle trop tot de Dieu : autre defaut, on n'insiste pas assez sur sa presence. Les hommes out banni la Divinite d'entr'eux; ils I'ont releguee dans tin Sanctuaire; les murs d'un temple bornent sa vue; il n'existe point au-dela. Insenses que vous etes, detruisez ces enceintes qui r6tr£cissent vos iddes. elargissez Dieu : voyez-le partout oü il est, ou dites-vous qu'il n'est point. Si j'avais un enfant ä dresser, moi, je lui ferais de la Divinite une compagnie si reelle, qu'il lui en coQtcrait peut-etre moins pour devenir Athee que pour s'en distraire. Au lieu de lui citer I'exemple d'un autre homme qu'il connait quelque-fois pour plus mechant que lui, je lui dirais brusquement, Dieu t'entend, et tu mens. Les jeunes gens veulent etre pris par les sens : je multiplierais done autour de lui les signes indicatifs de la pr6sence Divine. S'il se falsait, par exemple. un cercle chez moi, j'y marquerais une place ä Dieu et j'accoutumerais mon eleve a dire : « Nous etions quatre, Dieu, mon ami, mon Gouverneur, et moi. » @ ® ® LETTRE SUR LES AVEUGLES 21 • Importance de cet « elargissement de Dieu » comme acheminement vers ;le pantheisms*. • Noter les accents fougueux et naturalistes* de ce deisme* (a opposer a celui de Voltaire). ■ Diderot precurseur de J.-J. Rousseau. Mais noter les differences erure les deux d^ismes. ■ O Dieu de paix. Dieu de bonte, e'est toi que j'adore! C'est de toi. je te sens, que je suis I'OuvraRe; et j'espere te retrouver au dernier jugement tel que tu paries S mon cceur durant ma vie. J.-J. ROUSSEAU. Nile Hthlse, VI, 8. ■ Me souhattfi pas, Nathanael, trouver Dieu a'tllcurs que partout. A. GIDL", Nmirriwrcs terrestres. LETTRE SUR LES AVEUGLES -----— 1749 - 4. [Transformisme* et Athéisme*.] Dialogue entre Saunderson et M. Holmes. Le ministře commenca par lui objecter les merveilles de la nature : « Eh, monsieur! lui disait le philosophe aveugle, laissez lit tout ce beau spectacle qui n'a jamais été fait pour moi! J'ai été condamné á passer ma vie dans les téněbres; et vous me citez des prodiges que je n'entends point, et qui ne prouvent que pour vous et que pour ceux qui voicnt comme vous. Si vous voulez que je croie en Dieu, i! faut que vous me le fassiez toucher. — Monsieur, reprit habilement le ministře, portez les mains sur vous-méme, et vous rencontrerez la divinité dans le méca-nisme admirable de vos organes. — Monsieur Holmes, reprit Saunderson, je vous le répěte, tout cela n'est pas aussi beau pour moi que pour vous. Mais le mécanisme animal fut-il aussi parfait que vous le prétendez, et que je veux bien le croire, car vous ětes un honnete homme trěs incapable de m'en imposer, qu'a-t-ll de commun avec un ětre souverainement intelligent? S'il vous étonne, e'est peut-etre parce que vous étes dans I'habitude de traiter de prodige 22 L'OEUVRE DE DIDEROT. [ETTRE SUR LES AVEUGLES 23 tout ce qui paraTt au-dessus de vos forces. J'ai ete si souvent u objet d'admiration pour vous, que j'ai bien mauvaise opinion de ce qui vous surprend. J'ai attire du fond de I'Angleterre des gens qui ne pouvaient concevoir comment je faisais de la geometric : il faut que vous conveniez que ces gens-la n'avaient pas de notions bien exactes de la possibility des choses. Un phenom^ne est-il, a notre avis, au-dessus de I'homme! nous disons aussit6t : c'est I'ouvrage d'un Dieu; notre vanite ne s contente pas a moins. Ne pourrions-nous pas mettre dans nos discours un peu moins d'orgueil, et un peu plus de philosophie ? Si la nature nous offre un nceud difficile a deiier, laissons-le pour ce qu'il est; et n'employons pas a le couper la main d'un etre qui devient ensuite pour nous un nouveau nceud plus indisso luble que le premier. Demandez a un Indien pourquoi le mondefc reste suspendu dans les airs, il vous repondra qu'il est porte sur le dos d'un elephant; et I'elephant, sur quoi l'appuiera-t-il > sur une tortue; et la tortue, qui la soutiendraCet Indien vous fait pitie, et Ton pourrait vous dire comme a lui : Mon sieur Holmes, mon ami, confessez d'abord votre ignorance, et faites-moi grace de I'elephant et de la tortue, » [...] Je ne vois rien, cependant j'admets en tout un ordre admirable; mais je compte que vous n'en exigerez pas davantage. Je vous le cede sur I'etat actuel de I'univers, pour obtenir de vous en revanche la liberte de penser ce qu'il me plaira de son ancien et premier etat, sur lequel vous n'etes pas moins aveugle que moi. Vous n'avez point ici de temoins a m'opposer; et vos yeux ne vous sont d'aucune ressource. Imagine* done, si vous voulez, que I'ordre qui vous frappe a toujours subsiste; mais laissez-moi croire qu'il n'en est rien; et que si nous remontions a la naissance des choses et des temps, et que nous sentissions la matiere se mouvoir et le chaos se debrouiller, nous rencon-trerions une multitude d'etres informes pour quelques etres bien organises. Si je n'ai rien a vous objecter sur la condition presente des choses, je puis du moins vous interroger sur leur condition passee. Je puis vous demander, par exemple, qui vous a dit a vous, a Leibnitz, a Clarke* et a Newton, que dans les premiers instants de la formation des animaux, les uns n'etaient pas sans tete et les autres sans pieds ? Je puis vous sou-tenir que ceux-ci n'avaient point d'estomac, et ceux-la point d'intestins; que tels a qui un estomac, un palais et des dents sem-blaient promettre de la duree, ont cesse par quelque vice du cceur ou des poumons; que les monstres se sont aneantls suc-cessivement; que toutes les comblnaisons vicieuses de la matiere nbnt disparu, et qu'il n'est reste que celles ou le mecanisme I'impliquait aucune contradiction importante, et qui pouvaient ubslster par elles-memes et se perpikuer. Cela suppose, si le iremier homme eOt eu le larynx ferm6, eOt manque d'aliments :onvenables, eut peche par les parties de la generation, n'eOt joint rencontre sa compagne, ou se fQt repandu dans une iutre espece, M. Holmes, que devenalt [e genre humain? II eut itS enveloppe dans la depuration* generale de I'univers, et cet jtre orguellleux qui s'appelle 1'homme, dissous et disperse entre es molecules de la matiere, serait rest£ peut-etre pour toujours u nombre des possibles*. [...J «Je conjecture done que, dans le commencement oil la matiere »n fermentation faisait 6clore I'univers, mes semblables etaient ort communs. Mais pourquoi n'assurerais-je pas des mondes ce ^ue je crois des animaux? combien de mondes estropies, man-u£s, se sont dissipes, se reforment et se dissipent peut-Stre a haque instant dans des espaces eloign6s, oil je ne touche point, et oil vous ne voyez pas, mais oil le mouvement continue et tontinuera de combiner des amas de matiere, jusqu'a ce qu'its ient obtenu quelque arrangement dans lequel lis puissent perse-erer! O philosophes! transportez-vous done avec moi sur les confins de cet univers, au dela du point oil je touche, et oil vous Voyez des etres organises; promenez-vous sur ce nouvel ocean, et cherchez a travers ses agitations irregulieres quelques vestiges de cet etre intelligent dont vous admirez ici la sagesse! « Mais a quoi bon vous tirer de votre element > Qu'est-ce que ce inonde, monsieur Holmes ? un compose sujet a des revolutions, qui toutes indiquent une tendance continuelle a la destruction; une succession rapide d'Stres qui s'entre-suiveni;, se poussent et disparaissent : une symetrie passagere; un ordre momentane. je vous reprochais tout a I'heure d'estimer la perfection des choses par votre capacity; et je pourrais vous accuser ici d'en mesurer la duree sur celle de vos jours. Vous jugez de ('existence successive du monde, comme la mouche ephemere de la votre. Le monde est eternel pour vous, comme vous etes eternel pour I'etre qui ne vit qu'un instant : encore I'insecte est-il plus raisonnable que vous. Quelle suite prodigieuse de generations d'eph6meres atteste votre 6ternite! quelle tradition immense! Cependant nous passerons tous, sans qu'on puisse assigner ni I'etendue reelle que nous occupions, ni le temps precis que nous aurons dure. Le temps, la matiere et I'espace ne sont peut-etre qu'un point.» © © ® @ @ L'CEUVRE DE DIDEROl ENTRETIENS SUR LE FILS NATUREL DORVAL ET MOI *"--■-----—--1757 —--.-- 9. [L'enthousiasme.j .fenthousiasme, ou I'idee veritable ne se presente point, ou fsi, par hasard, on la rencontre, on ne peut la poursuivre... Le %oete sent le moment de I'enthousiasme; c'est apres qu il a medite. II s'annonce en lui par un freniissement qui part de sa poltrine, et qui passe, d'une maniere delicieuse et rapide, jus-qu'aux extremites de son corps. Bientot ce n'est plus un fre- , . --------•■- -•<■• | em- Lendroit était solitaire et sauvage. On avait en perspective quelques hameaux répandus dans la plaine; au-dela, une chained de montagncs inégales et déchirées qui terminaient en partie' I'horizon. On était á I'ombre des chěnes, et I'on entendait le bruit sourd d'une cau souterraine qui coulait aux environs C'etait la saison oil la terre est couverte des biens qu'elle accorde au travail et á la sueur des hommes. Dorval était arrive le pre mier. J'approchai de lui sans qu'il m'apercut. II s'etait abandonné au spectacle de la nature. II avait la poitrine élevée. II respirait avec force. Ses yeux attentifs se portaient sur tous les objets. Je suivais sur son visage les impressions diverses qu'il en éprou-vait; et je commencais á partager son transport, lorsque je m'ecriai, presque sans le vouloir : « II est sous le charme. » II m'entendit et me répondit d'une voix altérée : « II est vrai. C'est ici qu'on voit la nature. Voici le séjour sacré de I'enthousiasme. Un homme a-t-íl recu du génie? il quitte la ville et ses habitants. II aime, selon I'attrait de son coeur, á mělerses pleurs au cristal d'une fontaine; á porter des fleurs sur un tombeau; á fouler d'un pied léger I'herbe tendre de la prairie; á traverser á pas lents des campagnes fertiles; á contempler les travaux des hommes; á fuir au fond des forěts. II aime leur horreur secrete. II erre. II cherche un antre qui I'inspire. Qui est-ce qui mele sa voix au torrent qui tombe de la montagne? Qui est-ce qui sent le sublime d'un lieu desert? Qui est-ce qui s'ecoute dans le silence de ia solitude? C'est lui. Notre poete habite sur les bords d'un lac. II proměně sa vue sur les eaux, et son génie s'etend. C'est lá qu'il est saisi de cet esprit, tantót tranquille et tantót violent, qui soulěve son áme ou qui I'apaise á son gré.... O Nature, tout ce qui est bien est renfermé dans ton sein! Tu bs la source féconde de toutes vérités! II n'y a dans ce monde que la vertu et la vérité qui soient dignes de m'occuper.... L'enthousiasme nait d'un objet de la nature. Si I'esprit I'a vu sous des aspects frappants et divers, il en est occupé, agité, tourmenté. L'imagination s'echauffe; la passion s'emeut. On est successivement étonné, attendri, indigné, courroucé. Sans missement; c'est une chaleur forte et permanente qui brasc, qui le fait haleter, qui le consume, qui le tue, mais qui »donnc I'ame, la vie a tout ce qu'il touche. Si cette chaleur s'ac-fcroissait encore, les spectres se multiplieraient devant lui. Sa passion s'eleverait presque au degre de la fureur. II ne connai-trait de soulagement qu'a verser au-dehors un torrent d'idees qui se pressent, se heurtent et se chassent. » ® @ @ @ @ DE LA POESIE DRAMATIQUE 45 Éludier ďaprěs ce texte les étapes successives de la creation geniale. Rapprocher ce texte des Exlraits 29 et 34. DE LA POESIE DRAMATIQUE ----- 175B----- 10. |La grande poesie.] Qu'est-ce qu'il faut au poete? Est-ce une nature brute ou cultivée, paisible ou troublée? Préférera-t-il la beauté d'un jour pur et serein á I'horreur d'une nuit obscure, oů le sifflement ininterrompu des vents se mele par intervalles au murmure sourd et continu d'un tonnerre éloigné, et ou il voit ('eclair allumer le ciel sur sa téte ? Préférera-t-il le spectacle d'une mer tranquille a celui des flots agités? le muet et froid aspect d'un palais, á la promenade parmi les ruines? un edifice construit, un espace planté de la main des hommes, au touffu d'une antique forět, au creux ignore d'une roche deserte I Des nappes d'eau, des bassins, des cascades, 4 la vue d'une cataracte qui se brise en tombant a travers des rochers, et dont le bruit se fait entendre au loin du berger qui a conduit son troupeau dans In montagne et qui I'ecoute avec effroi ? La poesie veut quelque chose ďénorme, de barbare et de sauvage. ĽCEUVRE DE DIDERC^^TRES A SOPHIE VOLLAMD 47 C'est lorsque la fureur de la guerre civile ou du fanatisJ|ort d-une roche. Ses eaux recues dans une coupe, coute" arme les hommes de poignards, et que le sang coule a granJL vont former un premier bassin; elles coulent encore flots sur la terre, que le laurier d'Apollon s'agite et verdit.Kn remplir un second; ensuite recues dans des "npx,,?)?vent en veut etre arrose. II se fletrit dans les temps de la paix et d|rendent a un troisieme bassin, au milieu duquel loisir. Le siede d'or eüt produit une chanson peut-ětre ou uni la poesie dramatique demandentjes autres, en pente, sur une élégie. La poesie épíque et d'autres mceurs. Quand verra-t-on naítre des poětes? Ce sera aprěs les tem de désastres et de grands malheurs, lorsque les peuples harassed commenceront a respirer. Alors les imaginations ébranlées des spectacles terribtes, peindront des choses inconnues ceux qui n'en ont pas été témoins. N'avons-nous pas éprouV' dans quelques circonstances, une sorte de terreur qui nous étai étrangěre! Pourquoi n'a-t-elle rien produit? N'avons-nous plil] de genie Le génie est de tous les temps; mais les hommes qui le porten, en eux demeurent engourdis, á moins que des événements extra ordinaires n'echauffent la masse et ne les fasse paraítre. Alori les sentiments s'accumulent dans la poítrine, la travaillent; e ceux qui ont un orgáne, presses de parler, le déploient et S1 soulagent. Ilii • Conception nouvelle de la poesie. • Le génie nalt de la passion; bonté de la Nature. • Determinisme social applique a la poesie. • La poesie romantique vérifie-l-elle les vues de Diderot? LETTRES A SOPHIE VOLLAND 11. [La mort du pere.] Meditation ä la promenade de Blanchefontaine (Langres). Nous avons ici une promenade charmante. C'est une grande allée d'arbres touffus qui conduit ä un bosquet d'arbres rassem-blés sans symetrie et sans ordre. On y trouve le frais et la solitude. On descend par un escalier rustique k une fontaine qui Ph. Syndicot d'initiatives de Langres. Promenade de Blanchefontaine ä Langres. est environné de vieux tilleuls. lis sont maintenant en fleurs; entre chaque tilleul on a construit des bancs de pierre. C'est la que je suis ä cinq heures. Mes yeux errent sur le plus beau paysage du monde. C'est une chaTne de montagnes entrecou-pées de jardins et de malsons au bas desquelles serpente un ruisseau qui arrose des prés et qui, grossi des eaux de la fontaine et de quelques autres va se perdrc dans une plaine. Je passe dans cet endroit des heures ä lire, ä méditer, ä contem-pler la nature et ä rěver ä mon amie. O qu'on serait bien trois1 ________ quels il tient le plus. (Cf. J.-J. Rousseau, Nouvelle Hé/olse, La Matinee ä I'anglaise.) I. Diderot. Sophie Volland et sort Mme La Gendre. sreur de Sophie, soit Grimm, les de"x amis aux- 52 UCEUVRE DE DIDEROT le coucou en les voyant, nous sommes trop heureux : notre quereile est une affaire ďoreilles; voiiá notre juge : Dieu le fit pour nous tout expres. » « Ľane broutait. II n'imaginait guére qu'un jour il jugerait de musique. Mals la Providence s'amuse ä beaucoup d'autres choses. Nos deux olseaux s'abattent devant luí, le complimen-tent sur sa gravité et sue son jugement, i Li i exposent le sujet de leuľ dispute, et le supplient tres humblement de les entendre et de decider. « Mais ľane, détournant á peine sa lourde tete et n'en perdant pas un coup de dent, leur fait signe de ses orellles qu'il aíaim, et qu'il ne tlent pas aujourďhui son lit de justice. Les oiseaux insistent; ľane continue ä brouter. En broutant, son appétit s'apaise. Ii y avait quelques arbres ptantés sur la lisiére du pré, « Eh bien! leur dit-il, allez lä : je m'y rendraí; vous chanterez, je digérerai, je vous écouterai, et puis je vous en dirai tnon avis.» « Les oiseaux vont ä tire-ďaile, et se perchent; ľane les suít, de ľair et du pas ďun president a mortier qui traverse les salles du palais. 11 arrive, il s'étend ä terre, et dit : « Commence!, la cour vous ecaute. » C'est lui qui était toute la cour. « Le coucou dit : « Monseigneur, il n'y a pas un mot ä perdre de mes raisons; saisissez bien le caractére de mon chant, et surtout dalgnez en observer ľartifice et la méthode. » Puis, se rengorgeant et battant á chaque fois des ailes, il chanta : « Coucou, coucou, coucoucou, coucoucou, coucou, coucoucou. » Et, aprés avoir combine cela de toutes les maniéres possibles, il se tut, « Le rossignoi, sans preambule, déploie sa voix, s'élance dans les modulations les plus hardies, suit les chants les plus neufs et les plus recherchés : ce sont des cadences du des tenues á perte ďhaleine; tantôt on entendaft les sons descendre et murmurer au fond de sa gorge cornme ľonde du ruisseau qui se perd sour-dement entre des callioux, tantôt on ľentendait s'élever, se renfler peu ä peu, remplir ľétendue des airs, et y demeurer comme suspendue. II était successivement doux, téger, briliant, pathétique, et, quelque caractére qu'il prít, il peignait; mais son chant n'était pas fait pour tout le monde. « Empörte par son enchousiasme, il chanterait encore; mais ľane, qui avait báillé plusieurs fois, ľarréta, et lui dit ; «Je me doute que tout ce que vous avsz chanté [ä est fort beau, mais ]'e n'y entends rien; cela me paratt bizarre, brouillé, décousu. Vous étes peut-étre plus savant que votre rival, mais il est plus méthodique que vous; et je suis, moi, pour la méthode, » LETTRES A SOPHIE VOLLAND 53 Et ľabbé s'adressant ä M. Le Roy, et montrant Grimm du doigt : « Voila, dit-il, le rossignoi; et vous étes le coucou, et moi je suis ľane qui vous donne gain de cause. Bonsoir. » Les contes de ľabbé sont bons, mais II les joue supérieure-mettt : on n'y tient pas, Vous auriez trop ri de lui voir tendre son cou en ľair, et falre la petite voix pour le rossignoi; se rengorger et prendre le ton rauque pour le coucou; redresser ses oreilles, et imiter la gravité bite et lourde de ľane; et tout cela naturellement, et sans y tácher. C'est qu'il est pantomime* lepu'ts la tete jusqu'aux pieds. Au Grandvol. 20 octofcre 1760. ® ® ® • Montrer que cede fable naive est toute chargee de vérité humaine (en particulier, rule de ľ amour-propre), • Sens esthétique du debat burlesque : le probléme de la technique et de ľ inspiration, (cf. Extraits 9 et 10). Ľane symbole du public moyen. m Art du conteur. Vra i sem blance et precision, facon spirituelle de presenter la dispute des oiseaux par couplets alternés, comme un chant amébée). • Rapprocher la pantomime* de l'Abbé Galiani et celle du Neveu de Rameau (Extraits 34 et 3ť>). 14. [Le Spleen.I Vous ne savez pas ce que c'est que le spleen, ou les vapetirs anglaises; je ne le savais pas non plus. Je le demandai ä notre Ecossais1 dans notre derniěre promenade, et voici ce qu'il me répondit r « Je sens depuis vingt ans un malaise general plus ou moins fácheux; [e n'ai jamais la tete libre. Elle est quelque-fois si lourde que c'est comme un poids qui vous tire en devant, et qui vous entraTnerait ďune fenétre dans la rue, ou au fond d'une riviere, si on était sur le bord. J'ai des idées noires, de la tristesse et de ľennui; je me trou ve mal partou t, je ne veux rien, je ne saurais vouloír, je cherche ä m'amuser et ä m'occuper, inucilement; la gaieté des autres m'afflige, je soufíre á tes entendre rire ou parler. Connaissez-vous cette espěce de stupiditě ou de mauvalse humeur qu'on éprouve en se réveillant aprés avoir trop dormií Voilä mon état ordinaire, la vie m'est en dégoOt; les moindres variations dans ľatmosphére me sont comme des secousses violentes; je ne saurais rester en place, il faut que j'aille sans savoir oil. C'est comme cela que j'ai fait le tour du L Le Pere Hoop, voir p. iQr 54 L'CEUVRE DE DIDEROT JTionde. Je dors mal, je manque ďappétit, je ne saurais digérer, je ne suis bien que dans un coche, Je suis tout au rebours des .mires : je me dépfais á ce qu'ifs aiment, j'aime ce qui leur déplaít; il y a des jours od je hais la lumiěre, d'autres fois elle me rassure, et si j'entrais subitement dans les téněbres je croirais tomber dans un gouffre. Mes nuits sont agitées de mille réves bizarres : imaginez que I'avant-derniere je me croyais marié á Mme Rodier. Je n'ai jamais connu un pareil désespoir. Je suis vieux, caduc, impotent; quel démon m'a poussé a cela? Que ferai-je de cette jeune femme-la? Que fera-t-elle de moi ? Voila ce que je me disais. Mais, ajoutait-il, la sensation la plus importune, c'est de connaitre sa stupiditě, de savoir qu'on n'est pas né stupide, de vouloir jouir de sa těte, s'appliquer, s'amuser, se préter a la conversation, s'agiter, et de succomber a la fin sous I'effort. Alors II est impossible de vous peindre la douleur d'ime qu'on ressent a se voir condamner sans ressource á étre ce qu'on n'est pas. Monsieur, ajoutait-il encore avec une exclamation qui me déchirait I'Sime, j'ai été gai, je volais comme vous sur la terre, je jouissais d'un beau jour, d'une belle femme, ďun bon livre, d'une belle promenade, d'une conversation douce, du spectacle de la nature, de I'entretien des hommes sages, de la comédie des fous : je me souviens encore de ce bonheur; je sens qu'il faut y renoncer. » Eh bien, avec cela, mon amie, cet homme est encore de la societě la plus agréable. II lui reste je ne sais quoi de sa gaieté premiere qui se remarque toujour* dans son expression. Sa tristesse est originále, et n'est pas triste. II n'est jamais plus mal que quand il se tait; et II y a tant de gens qui sera i en t bien comme le pere Hoop quand il est mal! Voilá des vents, une pluie, de la tempéte, un murmure sourd qui font retentir sans cesse nos corridors, dont il est désespéré. J'aime, moi, ces vents violents, cette pluie que j'entends frapper nos gouttiěres pendant la nuit, cet orage qui agite avec fracas les arbres qui nous entourent, cette basse continue qui gronde autour de moi; j'en dors plus profondément, j'en trouve mon oreiller plus doux, je m'enfonce dans mon lit, je m'y ramasse en un peloton; il se fait en moi une comparaison secrete de mon bonheur avec le triste état de ceux qui manquent de gite, de toit, de tout asilc, qui errent la nuit, exposes a toute I'incle-mence de ce ciel, qui valent mieux que moi peut-ětre que le del a distingue, et je jouis de la preference. Au Grandval, 28 octobre 1760. ® @ @ LETTR.ES A SOPHIE VOLLAND 65 • Analyser les elements physiques du spleen (— la rate, en anglais) et leurs repercussions morales. • Importance du texte pour I'histoire de la sensibilitě moderně (entre I' « ennui » qu'evoque Pascal et les reveries de « René »). • Rapprocher Baudelaire, Fleurs du Mal, pieces 74 á 80 : le cycle du spleen. Elements eorranuns et profondes differences entre ces deux formes de spleen, • Rapprocher la fin du texte de Chateaubriand, Měmoireí d'Omre-Tombe (Livre 111, la vie a Combourg), Je n'ai rien outre ä la peinture de la rnaladie du Pere Hoop. II a ete sur le point de secouer le fardeau. Un jour il disait au marquis qui lui proposait de se bittre pour se desennuyer : « Je le veux bien i condition que vous nie tuerez le premier. » Quand je lui derrrandai co qu'il estimait le plus de la vie, il me repondit : « Premierement de n'y (stre pas, secondement de se bien porter; voyez combien je suis chanceux; j'y suis et je me porte mal. » A vous parier vrai, je ne compte pas qu'il finisse naturellement. Lettre ä Sophie Volland, 10-11-1760. ■ Quam iuvat immites ventos audire tubantem. TIBULLE. Elegies, I, I, vers 45. 15. [La logon de la nature.] J'avais apporte ici1 une &me serree, un esprit obscurci de vapeurs noires. II me semble que je suis un peu mieux. Les sensations douces, lorsqu'elles sont continues, calment, sans qu'on s'en apercoive, les mouvements les plus violents. On ne se defend pas de cette paix de la nature qui regne sans cesse autour de soi. On s'en defend d'autant molns qu'elle agit imper-ceptiblement. Ce n'est point une eloquence qu'on entende, c'est une persuasion qu'on respire; c'est un exemple auquel on se conforme par une pence naturelle a se metcre a I'unisson avec tout ce qu'on voit. L'immobilite des arbres nous arrete; I'etendue d'une plaine egare nos yeux et notre ame; le bruit egai et monotone des eaux nous endort. II semble que tout nous berce dans I. Au Grandvai. 56 L'CEUVRE DE DIDEROT les champs, nous partageons la reverie de I'etre qui forma le desordre de cette scene oil rien n'est arrange nl deplac6, et celui qui me voit au loin errer ä I'aventure sur cette scene, m'y trouve fort blen. II serait rempli d'etonnement et d'effroi; I'inquietude le saisirait; je troublerais la tranquillity generale du spectacle pour lui, s'il me voyait precipiter mes pas, porter mes bras en l'air, arrSter des regards menacants vers le ciel, me rouler ä terre. Toutes les douleurs ici finissent par etre lentes et melancoliques. Les querelles dans les champs ont un aspect plus hideux que dans les carrefours des villes; c'est comme un cri percant dans le silence et l'obscurite de la nuit; c'est un contraste de guerre avec l'image d'une paix generale; et reci-proquement un homme apathique, immobile, indolent, tran-quille, dans le tumulte des villes est comme un contraste avec l'image d'une guerre universelle. Au milieu d'une foule qui s'inquiete, qui s'agite, d'instinct on se met ä rouler son tonneau1. C'est pour faire comme les autres. Ici, d'instinct, on s'assied, on se repose, on regarde sans voir, on abandomie son cceur, son äme, son esprit, ses sens a touts leur liberte; c'est-a-d!re qu'on ne fait rien, pour etre au ton de tous les etres. lis sont, et Ton est. Tout est utile, tout sert, tout concourt, tout est bon, on n'est rien sans y tächer. Est bien mal ne, est bien mediant, est bien profondement pervers, celui qui medite le mal au milieu des champs. II lutte contre l'impulsion de la nature entiere qui lui repfetea voix basse et sans cesse, qui lui murinure ä I'oreille : demeure en repos, demeure en repos, reste comme tout ce qui t'environne, dure comme tout ce qui t'environne, jouis douce-ment comme tout ce qui t'environne, laisse aller les heures, les journ6es, les annees, comme tout ce qui t'environne, et passe comme tout ce qui t'environne; voilä la lecon continue de la nature. @ # @ ® • Comparer I'apaisement de Diderot et celui qu'eprouve Saint-Preux pendant son excursion dans le Valais (Nouvetle-Héto7se. Lettre XXIII). • Opposer la mélancolie de Diderot et le spleen du Pere Hoop (Extrait 14). • Distinguer dans ch texte la poesie vraie et 1'éloquenca dadarnatoire. I. Rabelais dans le Prologue du Tiers Livre, raconte d'apres Lurien cumment Diogene* « roulait son tonneau » pour ne pas paraitre inoccupé au milieu des Corinthiens assíésés. LETTRES A SOPHIE VOLLAND & 16. |Une journee de Diderot.] Voici comment ma journee se passe, et vous allez voir qu'elle n'est guere moins penible que la vötre. Ma tete s'est 6chauffee sur une question importante qui me tyrannise sans cesse. Elle me suit dans les rues. Elle me rend distrait en societe. Elle m'in-terrompt dans mes occupations les plus essentielles. Elle m'öte le sommeil pendant la nuit. Vous souvenez-vous de la farce de Patelin l je ressemble trait pour trait ä M. Gulllaume qui brouille sans cesse dans son plaidoyer son drap et ses moutons. Ma question, c'est mon drap. Le reste est moutons pour moi. Quand on me parle de moutons, j'en parle aussi; mais je n'en saurais parier un peu de temps que mon drap ne vlenne se fourrer ä travers. La matinee, je suis done ä mon drap; je garde la maison; j'eleve l'enfant; je soigne la mere, quand le domestique est absent; au milieu de cela s'ebauclie une feuille pour Grimm. J'en ai fait deux charmantes, I'une sur la pelnture; I'autre sur la religion. La premiere est partie, ainsi vous ne la verrez pas. Je vous enverrai la seconde. J'oubliais de vous dire que cette maudite question me donne des souleurs* continuelles; il me sembie toujours que je me suis trompe en quelque endroit. J'ai des doutes sur les propositions les plus claires; d'un instant ä I'autre tout me semble detruit, ou refait, et me voilä revenu de mes moutons a mon drap. Mais ce terme de sou/eurs, qui signifle dans notre patois langrois ce serrement d'äme qu'on eprouve subitement par quelque terreur panique, est-il ou n'est-il pas francais? Francais ou non, peu m'importe, il dit bien ce qu'il veut dire. A trois heures, je suis chez Le Breton. J'y tra-vaille jusqu'ä sept, sept et demie. Mon ouvrage fait ou non je me häte de deloger. Je ne veux pas que ces gens-lä m'invitent ä souper, parce que j'ai jur6 que je n'y mangerais plus, pour une raison que je vous dirai mais qui ne vaut pas la peine d'etre ecrite. Elle revient ä ce qu'ils sont avares, et qu'ils mettent trop d'lmpor-tance a un mechant repas pour qu'on puisse I'accepter a ce prix. Entre huit et neuf, je vais sur le quai des Miramionnes chercher une lettre que je n'y trouve point. Je fais un tour au coin de la rue de la Femme-sans-t§te. II esc a peu pres dix heures quand je rentre chez moi, 15 octobre I762. ® ® % @ @ 74 L'CEUVRE D£ DIDEROT gération de tous les traits dans la gravure qu'on a faite ďaprěs le crayon de Greuze, je serais infiniment mieux. J'ai un masque qui trompe I'artiste, soit qu'il y ait trop de choses fondues ensemble; soit que les impressions de mon äme se suecédant trés rapi-dement et se peignant toutes sur mon visage, ľceil du peintre ne me retrouvant pas le méme ďun instant ä ľautre, sa táche devienne beaucoup plus difficile qu'il ne la croyait. Je n'ai jamais été bjen fait que par un pauvre diable appelé Garand, qui m'at-trapa, comme il arrive á un sot qui dit un bon mot. Celul qui voit mon portrait par Garand, me voit :« Ecco il vero Pulchi-nella*. » ® © © © • Diderot critique dart. Sa severite. Precise2 ce qui manque a Van Loo pour etre un grand peintre aux yeux dc Diderot (Cf. Extrait 17). • Le sens de la complexity. Diderot « etre ondoyantet divers » (surtout par sa sensibilite). • Sur quel ton Diderot parle-t-il de lui meme ? Precisei-en les nuances exactes en le comparant au ton de Montaigne et de Rousseau. • Sens de la dignite personnels chez Diderot, philosophe bourgeois malgre tout. [On notera qu'en 1767 Houdon et Fragonard n'avaient pas encore represents Diderot (illustration p. i;. Voir la gravure d'aprds Greuie, p. 118.] ■ II ava, quelque chose de tumuftueux et de grandiose dans Tallure La tftta haute et un peu cha.ve, le front vaste, les tempes decouvertes" la d,t rfebrorfie, /e dos bon et rW, les bras tendus vers lavenir, melange de grandeur et de triviality d'emphase et de natUrel, d'empone ment fougueux et d'humaine sympathie; tel qu'il etait et non xTZ I avaient gate Falconet et Van Loo.... q SAINTE-BEUVE. Portraits litteraires. 1831. SALON DE 1767 76 SALON DE 1767 20. I Les Ruines.] O les belles, les sublimes ruines! Quelle fermeté, et en méme temps quelle légěreté, sůreté, facilité de pinceau! Quel effet! quelle grandeur! quelle noblesse! Qu'on me dise á qui ces ruines appartiennent, afin que je les vole : le seul moyen ďacquérir quand on est indigent. Hélas! elles font peut-ětre si peu de bonheur au riche stupide qui les posséde; et elles me ren-draient si heureux!... Avec quel étonnement, quelle surprise je regarde cette voůte brisée, les masses surimposées a cette voQte! Les peuples qui ont élevé ce monument, oti sont-llsi que sont-ils devenus? Dans quelle énorme profondeur obscure et muette mon ceil va-t-il s'egarer? A quelle prodigieuse distance est renvoyée la portion du ciel que j'apercpis a cette ouvertuře! L'etonnante degradation de lumiěre! comme elle s'affalblit en descendant du haut de cette voQte, sur la longueur de ces colonnes! comme ces téněbres sont pressées par le jour de I'entree et le jour du fond! on ne se lasse point de regarder. Le temps s'arrete pour celui qui admire. Que j'ai peu vécu! que ma jeunesse a peu dure! Cest une grande galerie voútée et enrlchie intérleurement d'une colonnade qui rěgne de drolte et de gauche. Vers le milieu de sa profondeur, la voůte s'est brisée. et montre au-dessus de sa fracture les debris d'un edifice surimposé. Cette longue et vaste fabrique* recoit encore la lumiěre par son ouvertuře du fond. On voit a gauche, en dehors, une fontaine; au-dessus de cette fontaine, une statue antique assise; au-dessous du pié-destal de cette statue, un bassin élevé sur un massif de pierre; autour de ce bassin, au-devant de la galerie, dans les entre-colonnements, une foule de petltes figures, de petits groupes, de petites scenes trés varices. On puise de I'eau, on se repose, on se proměně, on converse. Votla bien du mouvement et du bruit, je vous en dirai mon avis ailleurs, monsieur Robert; tout a I'heure. Vous ětes un habile horume. Vous excellerez, vous excellez dans votre genre. Mais étudiez Vernet. Apprenez de lui á dessiner, á peindre, a rendre vos figures intéressantes, et puisque vous vous étes voué a la peinture des ruines, sachez que ce genre a sa poétique. Vous 1'ignorez absolument. Cherchez- 7fl L'CEUVRE DE DIDEROT la. Vous avez le faire, mais I'id6al vous manque. Ne sentez-vous pas qu'il y a trop de figures ici; qu'il en faut effacer les trois quarts? II n'en faut reserver que celles qui ajouteront a la solitude et au silence. Un seul homme, qui aurait erre dans ces tenebres, les bras croises sur la poitrine et la tete penchee, m'aurait affecte davantage. L'obscurite seule, la majeste de I'^difice, la grandeur de la fabrique, I'etendue, la tranquillity le retentissement sourd de I'espace m'aurait fait fremir. Je n'au-rals jamais pu me defendre d'aller rever sous cette vofke, de m'asseoir entre ces colonnes, d'entrer dans votre tableau. Mais il y a trop d'importuns. Je m'arrete. Je regarde. J'admire et je passe. Monsieur Robert, vous ne savez pas encore pourquoi les ruines font tant de plaisir, independamment de la variete des accidents qu'elles montrent; et je vais vous en dire ce qui m'en viendra sur-le-champ. Les idees que les ruines r6veillent en moi sont grandes. Tout s'aneantit, tout perit, tout passe. II n'y a que le monde qui reste. II n'y a que le temps qui dure. Qu'il est vleux ce monde! Je marche entre deux eternites. De quelque part que je jette les yeux, les objets qui m'entourent m'annoncent une ftn et me tesignent a celle qui m'attend. Qu'est-ce que mon existence ephemere, en comparaison de celle de ce rocher qui s'affaisse, de ce vallon qui se creuse, de cette foret qui chancelle, de ces masses suspendues au-dessus de ma tete et qui s'ebranlent? Je vois le marbre des tombeaux tomber en poussiere; et je ne veux pas mourir! et j'envie un faible tissu de fibres et de chair a une loi generale qui s'execute sur le bronze! Un torrent entraine les nations les unes sur les autres au fond d'un ablme commun; moi, moi seul, je pretends'm'arreter sur le bord et fendre le flot qui coule a mes c6tes! Si le lieu d'une ruine est perilleux, je fremis. Si je m'y promets le secret et la s£curite, je suis plus libre, plus seul, plus a moi, plus pres de moi. C'est la que j'appelle mon ami. C'est la que je regrette mon amie. C'est \i que nous joulrons de nous, sans trouble, sans t^moins, sans importuns, sans jaloux. C'est la que je sonde mon cceur. C'est la que j'interroge le sien, que je m'alarme dt me rassure. De ce lieu, jusqu'aux habitants des villes, jusqu'aux demeures du tumulte, au sejour de I'interet, des passions, des vices, des crimes, des prejuges, des erreurs, il y a loin. Si mon ame est prevenue d'un sentiment tendre, je m'y livre-rai sans gene. Si mon cceur est calme, je gouterai toute la douceur de son repos. ENTRETIEN ENTRE D'ALEMBERT ET DIDEROT 77 Dans cet asile desert, solitaire et vaste, je n'entends rien; j'ai rompu avec tous les embarras de la vie. Personne ne me presse et ne m'ecoute. Je puis parler tout haut, m'affliger, verser des larmes sans contrainte. @ @ @ qč! ■ Merites et insufflsances d'H. Robert (cf. P. id l'esth£tinue humaniste de Diderot), • Sens de l'eternel etoulement (cf. L'EccIesiaste, Heradite, Lucrece. Montaigne, Pascal). * Meditation moderne sur les ruines (Avant : Du Bcllay. Apres ; Volney, Chateaubriand). il. L'HOMIVJE DANS LA NATURE .--_-----■----1 ENTRETIEN ENTRE D'ALEMBERT ET DIDEROT ---- 1769 - 21. [Un materialisme dynamique.] Nous citons intégralement le debut de l'£ntr«ien. D'Alembert. J'avoue qu'un etre qui existe quelque part et qui ne correspond ä aucun point de l'espace; un étre qui est inétendu et qui occupe de I'etendue; qui est tout entler sous chaque partie de cette étendue; qui dlffěre essentiellement de la mattere et qui lui est uni; qui la suit et qui la meut sans se mouvoir; qui agit sur eile et qui en subit toutes les vicissitudes; un ětre dont je n'ai pas la moindre idée; un étre ďune nature aussi contradictoire est difficile ä admettre. Mais d'autres obscu-rités attendent celui qui la rejette, car enfin cette sensibilitě que vous lui substituez, si c'est une qualité generale et essentielle de la matiěre, il faut que la pierre sente. Diderot. Pourquoi non ? D'Alembert- Cela est dur ä croire. Diderot. Oui, pour celui qui la coupe, la taille, la broie et qui ne l'entend pas crier. zi6 DIDEROT 10 pas par Eui-mSme, croyez-vous qu'un changementjquel qu'il aoit, puiase tvti donner de la vie ? II n'en est pas de vivre comme de se mouvoir j c'est autre chose. Un corps en mouvement frappe tin corps en repos, et celui-ci se meut ; mats arrStez, accelerez un corps non vivant, ajoutez-y, retranchcz-en, organisez-le, c'est-k-dire disposez-en les parties comme vous I'iniaginerez ! si elles sont mortes, elles ne vivront non pius dims une position que dans une autre 3, Sup poser qu1 en mettant a cote d'une partkule morte, une, deux ou trois particules rnortes, on en formers un systeme de corps vivant, c'est avancer, ce me semble, une absurdity trcs forte, Oil je tie m'y connais paa. Quoi 1 la parttcule A placee a gauche de la particule B n'avait point la conscience de son existence, ne sentait point, etait inerte et morte ; aa et voila que celle qui etait a gauche mise & droits, et ceile qui etait k droite mise a gauche, le tout vit, se connalt, se sent1! Cela ne se peut. Que fait id la droite ou fa gauche ? Y a-t-il un cfltt; et un autre dans 1'espace ? Cela serait, que le sentiment et la vie n'en dipendraient pas. Ce qui a ces qualites les a toujours eues et les aura toujours. Le sentiment et la vie sont etemels. Ce qui vit a toujours vecu, et vivra sans fin. La seule difference que je connaisse entre la mort et la vie, c'est qu'a present vous vivez en masse, et que, dissous, epars en molecules, dans vmgt ans d'ici vous vivrez en details. — Dans vingt ans, c'est bien loin I « LE GRAND TRAVAIL DE LA NATURE Dans cette page aasisissante du Rth:e. de d'Alembert, Diderot a 1'intuition de Is transformation des (spices (cf. Buffon, p. 250), bien avant lea travaux de Lammick (1744-1829) et Dahwin (1809-1882 j. Du i grand sediment inerte 1 naissent spontanement les diverses especes, qui nous paraissent fixes ä nous etres ephemeres, mais que nous verriona evaluer sftna cesse si nous pouvions embrasser Virnrnensitfc du temps. S'sgit-il d'une kypothhe scientifique geniale, ou bien d'un. mythe, de la vision d'un poete? La presentation de ces idies est significative : c'est d'Alembert qui est cense parle* en rive, apres avoir ezarnine cca probiertes avec- Diderot ; mays, precise 1'autetir, n il Wy a nucule different^ entre un ntedecin (un homme de science) qui veille et un philosophy qui rive >. Qui sait si la fermentation et ses produits 1 sont epuisesf Qui sait ä quel instant de la succession de ceö generations animales nous en sommes ? Qui sait si ce bipede deforme, qui n'a que quatre pieds de hauteur, qu'on appelte encore dans le voisinage du pole un homme, et qui ne tarderait pas a perdre ce nom en se defcrmant un pen davan-tage, n'est pas l'image d une espece qui passe 8 ? Qui sait s il n'en est pas ainsi de toutes les especes d'animaux ? Qui sait si tout ne tend pas a se reduire ä un grand sediment inerte et immobile? Qui sait quelle sera la duree de cette inertie ? Qui sait quelle race nouvelle peut resulter to derechef d'un amas aussi grand de points sensibles et vivants ? Pourquoi — 3 II faut done que les particules de maiiire dont &c competent les etres organises suient tdvatitts par elles-memes. — 4 Ces particules sont done doueoa non seuleroent de vie, mais de sensibilite et de conscience, — 5 Cf. Rh'e de d'AIembert: « Vivant, j'agia et ie resets en masse mort, j'agis et je reagia en molecules... Je ne meurs done point:..' Non, sans doute, je ne meurs point en ce sens' ni moi, ni quoi que ce aoit... Nsitre. vivre et passer, e'est ehsnss^r de formes —' 1 A cense date, Diderot croir a la generation epontsnee : cf. L 17 et 34. — 2 Centre 1' anthropocentrisme. RĚVE DE D'ALEMBERT 217 pas un seul animal ? Qu'etait 1'éléphant dans son origine ? Peut-ětre I'animal énorme tel qu'il nous paralt, peut-étre un atome, car tous les deux sont également possibles ; ils ne supposent que le mouvement et les propriétés. diverses de la matiěre... L elephant, cette masse énorme, organisée, le produit subit de la fermentation 1 Pourquoi non ? Le rapport de ce grand quadrupeds ä sa matrice premiere est moindre que celui du venxusseau ä la molecule de farine qui Ta produit ; mais le vermisseau n'est qu'un vermisseau... C'est-ä-dire que la petitesse qui vous dérobe son organisation lui öte le merveilleux... Le prodige, c'est la vie, c'est la 30 sensibilitě ; et ce prodige n'en est plus un... Lorsquc j'ai vu la matiěre inerte passer ä Tétat sensible 3, nen ne doit plus m'etonner. Quelle comparaison d'un petit nombre ďéléments mis en fermentation dans le creux de ma main, et de ce reservoir immense ďéléments divers épars dans les entrailles de la terre, ä sa surface, au sein des mers, dans le vague des airs * 1... Cependant, puisque les mémes causes subsistent, pourquoi les effets ont-ils cessé 5 ? Pourquoi ne voyons-nous plus le tauréau percer la tetre de sa come, appuyer ses pieds contre le sol, et faire effort pour en dégager son corps pesant*?,.. Laissez passer la race présente des animaux subsistants ; laissez agir le grand sediment inerte quelques 3° millions de siécles. Peut-ětre faut-il, pour renouveler les espéces, dix fois pius de temps qu'il n'en est accordé a leur durée. Attendez, et ne vous hátez pas de prononcer sur le grand travail de la nature. Vous avez deux grands phénoraénes, le passage de l'etat d'inertie ä 1'état de sensi-bihté, et les generations spontanées ; qu'ils vous sufnsent: tirez-en de justes consequences 7, et dans un ordre de choses oü il n'y a ni grand ni petit, ni durable ni passager absolus, garantissez-vous du sophisme de 1'éphémére a. i, 11 ťssgit d'un reve : comment ct(a ie trarfutt-ii dans te atjle et le rythme des idées du visions? x. Bxpliquer la voIébt symbolique de cette utilisation du Ave. 3. Expose* la théorie de Diderot á porta des traits épars dans ce texte et l'extrait ci-dessous. 4- Dans ces t textes, Diderot ttppUque-t-il la mithode erpérimentak telle qu'il l'a défoúe (p. zu) f 5. Tenter d'onalyser ďaprěs cés a textes ['imagination cicatrice de Diderot, Chercher id Fapplitation de sa conception du génie (nj. p. 2o^t I. &3-Q4J. Diderot s Me permettriez-rous d'anrieiper de quelques milliers d'annees sur les temps t D'AliMJSEUt : Pourquoi non ř Le temps n'est rien pour la nature, Diderot : Vous oonsentez done que j'eteigne notre soled ř D'AtKMBERT : D'autant plus volontier! que ce ne sera pas le premier qui se soit éteint. Diderot : Le soled éteint, qu'en arrivera-t-d ? Les plajiles périront, les animaux peril out, ct voiia la tetre solitaitc et mtiette, Rallumez eet astre, et ■■- rinstant vous rétabiiiez \a cause necessaire d'une infinite de generations nouvelles entre Lesquelles je- n^oserai assurer qu'ä la suite des siécles nos plantes, nos animaux d'aujourd'liui se reproduiront ou ne se feproduiront pas. D'AiiMsEHT ; Et pourquoi lea mémes elements épars venant i se réuiúr ne rendraient-ils pgs les mémes résultats ř Diderot : Cest que tout se dent dans la nature, et que celui qui suppose ma nouveau phenomena ou ramene un instant passé, reerée un nouveau monde. (Bntretien entre d'AIembert el Diderot}. — 3 Cf. p. til- — 4 Comraenter le ton. S Contra ire ment a. l'une des regies formulees par Bacon ; cf. p. aao, 1. ie-13. — 6 Vision saisissante, digne de Lucr&cg, mais la chose est inconcevable du point de vue scientinque. — 7 S'agit-il de consequences rigoureuses, ou d'une hypothise hatdie i — 8 Les Stres ephemeres (i'homme en roccurrence) ae trompent larsqu'ils croient eterne) tout ce qut depasse leur propre duxe« ; ainsi cette rose qui disait que de memoire de rose on n'sviit vu mourir un jardinier (I-ontertcUe). 20Ů DIDEROT LE N EV EU DE RAMEAU UN SINGULIER PERSONNAGE Le neveu de Rameau est un bohéme, une « espece » comme on disait alors. Diderot le connait c de longue main », et il éprouve á son égard des sentiments contradictoires : U ne I'estime pas, nous dit-il, et pourtant il est irh attiré par lui : c'est que dc tels originaux agissent commc un ferment et obligcnt á réagir contre le conformisme et la tyrannie des conventions sociales. La présente rencontre a lieu au café de la Régence, place du Palais-Royal, rendex-vous des joueurs ďéchecs, Un aprés-díner, j'etais Já, regardant beaucoup, parlant peu et écoutant le moins que je pouvais lorsqueje fus abordé par un des plus bizarres personrjages de ce pays oú Dieu n'en a pas laissé manquer. Cest un compose de hauteur et de bassesse, de bon sens et de déraison. II faut que les notions de 1'honnéte et du déshonnéte soient bien étran-gement brouillées dans sa téte, car il montre ce que ia nature lui a donné de bonnes qualités sans ostentation, et ce qu'il en a recu de mauvaises sans pudeur. Au reste, il est doué ďune organisation forte, ďune chaleur ďimagination singuliére, et ďune vigueur de poumons peu commune. Si vous le rencontrez jamais et que son originalitě ne vous arréte 2 pas, ou vous mettrez vos doigts dans vos oreilles, ou vous vous enfuirez. Dieux, quels terribles poumons ! Rien ne dissemble 3 plus de lui ue lui-méme. Quelquefois il est maigre et háve comme un malade au ernier degré de la consomption ; on compterait ses dents á travers ses joues, on dirait qu'il a passé plusieurs jours sans manger, ou qu'il sort de la Trappe 4. Le mois suivant, il est gras et replet comme s'il n'avait pas quitté la table ďun financier, ou qu'il eůt été renfermé dans un couvent de Bernardina. Aujourd'hui en linge sale, en culotte déchirée, couvert de lambeaux, presque sans souliers, il va la téte basse, il se dérobe, on seraít tenté de l'appeler pour lui donner 1'aumóne. Demain poudré, chaussé, frisé, bien vetu, il marche la téte haute, il se montre, et vous le prendriez á peu pres 6 pour un honnéte homme 6. II vit au jour la journée ; triste ou gai, selon les circonstances. Son premier soin 7 le matin, quand il est levé, est de savoir oů il dinera ; aprés diner, il pense oú il ira souper. La nuit aměne aussi son inquietude : ou il regagne, á pied, un petit grenier qu'il habite, a moins que 1'hótesse ennuyée d'attendre son loyer, ne lui en ait redemandé la clef ; ou il se rabat dans une taverně du faubourg oú il attend le jour entre un morceau de pain et un pot de biěre. Quand il n'a pas six sous dans sa poche, ce qui lui — i Farce que les joueurs ďéchecs som mement severe. Les Bernanlim passaient au parfois des sots. — i Retienne. — 3 Verbe contraire pour de bona vivantB. — s Com- forgé par Diderot, ďaprés ressembler et dissem- menter cettc restriction. — 6 Préciser íe sens. — bhbtc. — 4 Couvent dont la regie eat extrfi- 7 Souci. jo arrive quelquefois, il a recours soit ä un fiacre 8 de ses amis, soit au cocber d'un grand seigneur qui lui donne un lit sur de la paille, ä côté de ses chevaux. Le matin il a encore une partie de son matelas dans ses cheveux". Si la saison est douce, il arpente toute la nuit le Cours 10 ou les Champs-Élysées. II réparaít avec le jour ä la ville, habillé de la veille pour le lendemain, et du lendemain quelquefois pour le reste de la semaine. Je n'estime pas ces originaux-lä ; d'autres en font Ieurs connaissances familiéres, méme leurs amis. Iis m'arrétent unc fois ľan, quand je les rencontre, parce que leur caractére tranche avec celui des autres, et qu'ils rompent cette fastidieuse uniformite que notre education, nos 40 conventions de société, nos bienséances d'usage, nnt introduite. S'il en paraít un dans une compagnie, c'est un grain de levain qui fermente et qui restitue ä chacun une portion de son individualite naturelle u. II secoue, il agite ; il fait approuver ou blámer ; il fait sortir la vérité, il fait connaitre les gens de bien ; il démasque les coquins ; c'est alors que ľhomme de bon sens écoute et déméle son monde. 1. Indiquer Us differentes parties du tcxte. Examiner de prh ^'organisation du portrait de Rameau ; manlrer comment sont lies 1'aspect physique et I'aspect moral du fiersonnage. z. Quel est le trait dominant du he'ros? En quoi son caractire et ses avatar; font-ils sonyer a ceux de Diderot? (cf. p. 193, iq5, 106). 3. Preciser et commenter le jugement que Vauleur parte sur son heros, tes sentiments qu'il traduil, les idees et tendances de Diderot qu'il revile. 4. Relever des expressions et des comparaisons parliculiirement pittoresques. Tenter d'indiquer en quoi ellei sont e'vocatrices et font vivre le personnage sous nos yeux. 5. Motttrer en quoi le rythme des phrases conlribue lui aussi a dessiner la silhouette de Rameau. L'homme orchestre Entrc autres talents, ie neveu de Rnmeau pmsáde, a un degré rare, celui tie la pantomime : il faut le voir exécuter un morceau de musique sans violon ni clavecin ! Un peu plus loin il se surpassera, " faisanr lui seul les danseurs, 3es dnn3euses, tes chanteurs, les chanteuses, tout un orchestre, tout un theatre lyrique ». Diderot a su peindre avec une vie étonnante cette gesticulation forcenée, mais infiniment expressive. On verra (p. 220) ^importance qu'il attachait a la nnmique des acteurs. En méme temps, il se met dans l'attitude d'un joucurde violon ; il fredonne de la voix un allegro 1 de Locatelli s, son bras droit imite le mouvement de l'archet, sa main gauche et ses doigts semblent se promener sur la longueur du manche ; s'il fait un faux ton, il s'arrete, il remonte ou baisse la corde ; il la pince de I'ongle pour s'assurer si eile est juste ; il reprend le morceau oil il l'a laissé. Il/bat la mesure du pied, il se déměne de la téte, des pieds. des mains, des bras, du corps, comme vous avez vu quelquefois, au concert spirituel s, Ferrari ou Chiabran *, ou quelque autre virtuose dans les mémes convulsions, — S Cocher de fiacre. — o Commenter ■— i Mouvement vif et gai dune sonate. — cette expression plaisante. — 10 Le Cours-la- 2 Virtuose et compositeur italien. — 3 Concert Reine. — 11 Or Diderot nime les individualites de musique religieuse, fonde par Philidor en bien marquees, les caract^res tranches. 17^5- — 4 Violonistes italiens. 3 208 DIDEROT JACQUES LE FATAL JSTE m'offrant 1'image du meme supplice ct me causant a peu pres la meme peine ; car n'est-ce pas une chose penible a voir que le tourment dans celui qui s'occupe a me peindre le plaisir ? Tirez entre cet homme et moi un rideau qui mc le cache, s'il faut qu'il me montre un patient applique a 5 la question. Au milieu de ses agitations et de ses cris, s'il se presentait une tcnue 6, un de ces endroits harmo-nieux oil l'archet se meut lentement sur plusieurs cordes a la fois, son visage prenait I'air de l'extase ; sa voix s'adoucissait, i! s'ecoutait avec ravissement. I! est sur que les accords resonnaient dans ses oreilles et dans les miennes. Puis remettant son instrument sous son bras gauche de la mSme main dont il le tcnait, et laissant tomber sa main droite avec son archet r Eh bien, me disait-il, qu'en pensez-vous ? Moi : A merveille 1 Lui : Cela va, ce mc semble ; cela resonne a peu pres comme les autres. Et aussit6t il s'accroupit comme unmusicien qui se met au clavecin 7. « Je vous demande grace pour vous et pour moi », lui dis-je. Lui : Non, non ; puisque je vous tiens, vous m'entendrez. Je ne veux point d'un suffrage 9 qu'on m'accordc sans savoir pourquoi. Vous tne louerez d'un ton plus assure, et cela me vaudra quelque ecolier. Moi : Je suis si peu repandu et vous allez vous fatiguer en pure perte. Lui : Je ne me fatigue jamais. Comme je vis que je voudrais inutilement avoir pitie de mon homme, car la senate sur le violon 1'avait mis tout en eau, je pris le parti de le laisser faire. Le voil& done assis au clavecin, les jambes flechies, la t&te elevee vers le plafond ou Ton eflt dit qu'il voyait une partition notee, chantant, preludant, executant une piece d'Alberti ou de Galuppi 10, je ne sais lequel des deux. Sa voix allait comme le vent et ees doigts volttgeaient sur les touches, tarvtSt laissant le dessus 11 pour prendre la basse, tantot quittant la partie d'accompagnement pour revenir au dessus. Les passions se succedaient sur son visage On y distinguait la tendresse, la colere, le plaisir, la douleur ; on sentait les piano, les forte ls, et je suis sur qu'un plus habile que moi aurait reconnu le morceau au mouvement, au caracterc, a ses mines et a quelques traits 14 de chant qui lui echappaient par intervalle. Mais ce qu'il y avait de bizarre, e'est que de temps en temps il tStonnait, se reprenait comme s'il eut manque, et se depitait de n'avoir plus la piece dans les doigts., Jacques le fataliste Le.JVeueu de Rameau etait une « satire », Jacques It fataliste (compose en 1773) est un conte philosophique, oil Diderot pose, sous une forme apparemment desinvolte et grace au procede du dialogue, le probUme de la liberty (cf. p. 213 et p. 218-220). II s'inspire de Tristram Shandy, roman dc Tironiste Sterne (1713-1768), qu'il appelait le Rabelais des Anglais, mais Sterne ne lui fournit guire qu'un stimulant, et une confirmation de ses proprcs tendances. Diderot Be moque des romans d'avetitures : il affecte d'arreter Taction au moment pathetique, de montrer que les choses auraicnt tourne autrement dans une histoire inventee a plaisir, d'affirmcr qu'il respecte scrupuleusement la verite. En fait ces conetantes interventions du mencur de jeu nous rappellent sans cesse qu'il s'agit d'unc fiction, et l'illusion qui fait le charme d'un vrai roman ne peut pas nakre. D'ailleurs le « recit des amours de Jacques 1 n'est pas le sujet de t'a:uvre, ce n'est qu'un pretexte. Pourtant, a Vinterit philosophique de l'ensemble se joint VinUrit romanesque et humain d'une foule dCipisodes et ricits secondares. ~-----— — 10 Compositeurs italiens. — 11 Les notes — S Soumis a — 6 Note soutcnue pendant aigues. — 12 Comme dans la musique qu'il deux ou plusieurs mesures. — 7 Instrument a mime. — It Mots italiens indiquant, sur une clavier et a cordes, remplace depuis par le partition, qu'il faul adoucir ou tenforcer le piano. — 8 6loge. — 9 J'ai si peu de relations. son. — 14 Passages caracteristiques. LE PARDON DV MARQUIS DES ARCIS La trame tres lache de Jacques le fataliste est constamment coupee par des recits secondares- : voici le denouement du plus important de ces episodes, qui constitue a iu: seul un bref roman. Par amour pour le marquis des Arcis, la marquise de La Pommeraye a com-promis sa reputation ; mais elle s'apercoit que le marquis se detache d'elle ; pour le lui faire nvouer, elle feint elle-rvicme de desirer reprendre sa liberie : ils ne s'aiment plus, que cela ne les empeclic pas de rester bona amis. En fait, cruellement blessee, eile lirule de se venger, et prepare longucment, lucidement sa vengeance avec uti machiavelisme qui annonce les Liaisons dangereuses (cf. p. 404). Elle amine une lille de mauvaise vie, la d'Aisnon, a feindre [a vertu et a mener avec sa mere une vie irrepruchable ' puis elle menage une rencontre entre cette fille et le marquis, et manoeuvre si bien que M. des Arcis tombe dans le piege, s'^prend eperdument de la d'Aisnon qu'il emit honnete, et 1'epouse. AussitSt apres le manage, la marquise lui apprend la verite. M. des Arcis fait alors une scene violente a sa fcmmc, puis il s'abscnte pendant quinze jours. A son retour, le marquis s'enferma dans son cabinet, et ecrivit deux lettres, Tune a sa femme, l'autre a sa belle-mere. Celle-ci partit dans la meme journec, et se rendit au convent des Carmelites de la ville pro-chaine, ou elle est morte il y a quelques jours. Sa fille s'habilla, et se 1 traina 1 dans Tappartement de son mari oil il lui avait apparemment enjoint de venir. Des la porte, elle se jeta a genoux, « Levez-vous » a, lui dit le marquis... Au lieu dese lever, elle s'avanca vers lui sur ses genoux ; elle tremblait de tous ses membres ; elle etait echevelee ; elle avait le corps un peu 10 penchc, les bras portes de son cote, la tete relevee, le regard attache sur ses yeux, et le visage inonde de pleurs. « II me semble », lui dit-elle, un sanglot separant chacun de ses mots, « que votre cceur justement irrite s'est radouci, et que peut-etre avec le temps j'obtiendrai misericorde. Monsieur, de grace, ne vous hatez pas de me pardonner 3. Tant de filles honnetes sont devenues de malhonnetes femmes, que peut-etre serai-je un exemple contraire. Je ne suis pas encore digne que vous vous rappro-chiez de moi ; attendez, laissez-moi seulement 1'espoir du pardon. Tenez-vous loin dc moi ; vous verrez ma conduite ; vous la jugerez : trop heureuse mille fois, trop heureuse si vous daignez quelquefois m'appeler ! io Marquez-moi le1 recoin obscur de votre maison ou vous permettez que j'habite ; j'y resterai sans murmurc. Ah ! si je pouvais m'arracher le nom et le titre qu'on m'a fait usurper *, et mourir apres, a 1'instant vous seriez satisfait! Je me suis laisse conduire par faiblesse 5, par seduction8, par autorite, par menaces, a une action infame ; mais ne croyez pas, monsieur, que je sois mechante 7 : je ne le suis pas, puisque je n'ai pas — S Ce terme est-il sur le meme plan que les — 1 Commenter le choix de ce terme. — suivants ? Préciser. — 6 Séduire.- tromper, 2 Cf. 1. 41-49. — 3 Cette priere n'est-etlc pas induire cn erreur. —- 7 On peut agir mal sans mattendue f Quel sentiment traduit-elle ? — étre fonciérement « méchant ■ : Rousseau fait 4 Quelle circonstance attenuante apparait ici ? la mime distinction. 2 [o DIDEROT LE PHILOSOPHE au balance 8 a paraitre devant vous quand vous m'avcz appelée, et que j'ose á present lever les yeux sur vous et vous parler. Ah ! si vous pouviez líre au fond de mon eceur, et voir combien mes ťautes passées sont loin de moi ; combien les mceurs de mes pareilles me sont étrangěres I La jo corruption s'est posée sur moi ; maís elle ne s'y est point attachée. Je me connais, et une justice que je me rends, c'est que par mes gouts, par mes sentiments, par mon caractére, j'etais néc digne de I'honneur de vous appartenir. Ah ! s'il m'cut été libře de vous voir 9, il n'y avait qu'un mot á dire, et je crois que j'en aurais eu le courage. Monsieur, disposez de moi comme il vous plaira ; faites entrer vos gens : qu'ils me dépouíllent, qu'ils me jettent la nuit dans la rue : je souscris a tout. Quel que soit le sort que vous me préparez, je m'y soumets : le fond d'une campagne, I'obscuritc ďun clottre pcut me déruber pour jamais a vos yeux : parlez, et j'y vais. Votre bonheur n'est point perdu sans ressources, et vous pou- 40 vez m'oubliez... — Levez-vous, lui dit doucement le marquis ; je vous ai pardonné 10 : au moment méme de I'injure j'ai respecté ma femme en vous ; il n'est pas sorti de ma bouche une parole qui I'ait humiliée, ou du moins je m'en repens, et je proteste 11 qu'elle n'en entendra plus aucune qui l'humilie, si elle sc souvient qu'on ne peut rendre son époux malheureux sans le devenir. Soyez honnete, soyez heureuse, et faites que je le sois. Levez-vous, je vous en prie, ma femme, levez-vous et cmbrassez-moi ; madame la marquise, levez-vous, vous n'etcs pas a votre place ; madame des Arcis, levez-vous... » so Pendant qu'il parlait ainsi, elle était restée le visage cache dans ses mains, et la téte appuyée sur les genoux du marquis ; mais au mot de ma femme, au mot de madame des Arch, elle se leva brusquement, et se précipita sur le marquis, elle le tertait embrassé, a moitié suffoquée par la douleur et par la joie ; puis elle sc séparait de hri, sc jetaít á terre, et lui baisaít les pieds. « Ah ! lui disait le marquis, je vous aí pardonné ; je vous l'ai dit ; et je vois que vous n'en croyez rien. — II faut, lui répondit-elle, que cela soit, et que je ne le croic jamais 12. » 1. Indiquer la suite des idees darts la tirade de Mrne des Arcus. Muntrer qu'il s'a^it ä la foil d'un pLaiduyer et d'urt acte d'humiiite. 1. Mnte des Arcis Vitus putuli-eUe. sincere ? Son plaidoyer est-il habile ? Precisez en quoi. j. Comment expliquez-vous que M. des Arcis pardonne? 4. Suuligner et appretier le pathctique des geiles, des altitudes de Mme des Arris. 5. Manner que Diderot ftmrnit tous Its elements qui permettraieni de jouer id sc+ne et que sa technique est ici celtt (Tun dramaturge ptutöt que d'itn romander. — s Puisque j, cessons dc considerer I'lioninie comme une entile morale, voyons d'abord en lui un organisme.