1 LA POÉSIE AU XIXE SIÈCLE : UN SIÈCLE DE BOULEVERSEMENTS ----------------------------------------------- INTRODUCTION Alors que le XVIII e siècle a relativement peu privilégié la poésie, au profit en particulier d'une littérature d'idées, le XIX e siècle apparaît au contraire comme une période très féconde sur le plan de la création poétique. Le genre est florissant durant tout le siècle et représente le mode d'expression de bon nombre des auteurs les plus marquants de la littérature française : d'Hugo à Verlaine, de Baudelaire à Rimbaud ou Mallarmé. Si ces poètes s'affirment tous par leur singuralité et la puissance de leur création, la poésie suit l'évolution globale de la littérature au cours du siècle et se fait l'écho de plusieurs des mouvements majeurs du siècle : romantisme, Parnasse ou symbolisme. En tout cas, le genre connaît une évolution particulièrement importante durant le siècle, subit un renouvellement profond aussi bien de ses thèmes que de sa forme et ouvre la voie à la poésie moderne du XX e siècle. Ainsi, le vers lui-même est mis à mal et la distinction fondamentale entre prose et poésie vole en éclats au milieu du siècle avec l'apparition d'un nouveau genre : le poème en prose. La poésie romantique Le lyrisme romantique • L'ère qui s'ouvre au début du XIX e siècle est ponctuée de bouleversements sociaux et politiques qui aboutissent bien souvent à une suite de désillusions. La Révolution et la sensibilité rousseauiste qui la précède ont en tout cas placé l'individu et son épanouissement au centre des préoccupations. Dans ce contexte, le romantisme qui émerge et s'épanouit en France au début du XIX e siècle se traduit d'abord par une exaltation du moi, par une expression lyrique des sentiments passionnés et tourmentés de l'individu. Les romantiques choisissent pour cela tous les modes d'expression : théâtre, roman, mais aussi bien sûr poésie. Ils créent alors une poésie véritablement lyrique, dont ils reprennent les thèmes classiques en leur donnant une couleur véritablement personnelle. La poésie se fait le lieu de l'épanchement des sentiments intimes de l'individu. • Le premier recueil caractéristique de cette nouvelle conception et annonçant le début de la poésie romantique est l'œuvre de Lamartine : Méditations poétiques, parues en 1820. Le poète y trace une sorte d'autobiographie sentimentale et, sur le ton de la confidence, se laisse aller à l'expression de ses souffrances. Amour perdu, nostalgie, angoisse devant la fuite du temps sont autant de thèmes qui apparaissent dans ce premier recueil, dont un des poèmes les plus célèbres reste « Le Lac ». • La nature occupe également une place considérable dans la poésie romantique. La nature sauvage est à la fois refuge pour le poète solitaire et souffrant du mal du siècle, mais aussi reflet de ses tourments et de son exaltation dans ses débordements, ou encore source de méditation dans sa beauté mystérieuse et dans sa permanence face à l'éphémère de l'homme. Musset également dans ses Nuits se livre à un lyrisme élégiaque très poignant. Enfin, Hugo avec ses Contemplations nous laisse un chef-d'œuvre du lyrisme romantique : dans ce recueil, le poète retrace sa vie et évoque son enfance passée comme le deuil douloureux de sa fille Léopoldine – par exemple dans « Demain dès l'aube… ». Le poète comme prophète • Cependant, la poésie romantique n'est pas seulement repli sur soi et simple expression de sentiments personnels. À travers ses propres confidences, le poète romantique cherche à toucher le cœur du lecteur et à lui parler un langage universel. 2 Surtout, le romantisme ne se désintéresse pas de l'Histoire et du sort de ses semblables. Les poètes romantiques que sont Hugo et Lamartine jouent ainsi un rôle politique et ont un engagement républicain. • Pour Hugo, le poète se voit assigner une mission ambitieuse : il doit se faire mage, c'est un « rêveur sacré » qui « jette sa flamme/ sur l'éternelle vérité ». Tel un prophète, le poète a une vision du passé, du présent comme de l'avenir, qui doit lui permettre de guider le peuple. La Légende des siècles est ainsi conçue comme une vaste épopée du genre humain, depuis ses origines jusqu'à un avenir rêvé. Le poète y exalte le peuple et blâme les injustices et l'oppression exercée par les plus puissants, en représentant la lutte incessante du Bien contre le Mal qui doit mener au progrès de l'humanité. Le poète s'engage donc dans sa vie comme dans son œuvre, et cela de façon encore plus nette avec Les Châtiments. Ce recueil est composé durant l'exil du poète qui a dû fuir la France après s'être opposé vigoureusement au coup d'État et au régime tyrannique de Napoléon III. Dans ces poèmes, Hugo livre une satire mordante de celui qu'il nomme « Napoléon le Petit ». La poésie entre romantisme et modernité Naissance du poème en prose • Les poètes romantiques respectent globalement le vers classique. Cependant, en cherchant une langue plus authentique et familière, capable d'exprimer avec sincérité leurs sentiments, ces poètes tendent tout de même à libérer le vers de certains de ses carcans et en particulier l'alexandrin, le vers noble de la poésie française. Hugo affirme ainsi dans Les Contemplations : « J'ai jeté le vers noble aux chiens noirs de la prose. » • Toutefois, c'est avec un poète romantique mineur que la poésie va connaître une de ses plus importantes révolutions. En effet, en 1842, un an après la mort de son auteur, est publié un recueil qui influencera grandement l'avenir de la poésie : Gaspard de la nuit, sous-titré Fantaisies à la manière de Rembrandt et de Callot. Son auteur, Aloysius Bertrand, crée alors un genre nouveau : le poème en prose, faisant ainsi éclater la frontière qui séparait jusque-là poésie et prose. Les courts textes de ce recueil sont écrits en prose, mais par leur rythme, par leur unité et leur densité, par leurs images, ils ont la puissance de la poésie. Évocation de rêves, portraits troublants, scènes de rue, etc., Bertrand crée ici un univers onirique, sombre et mystérieux avec une grande force de suggestion et transfigure le réel. Baudelaire se placera dans la filiation de ce poète au moment d'écrire ses Petits Poèmes en prose qui sont souvent des réécritures de poèmes en vers. Baudelaire • Baudelaire s'impose au milieu du siècle comme le premier poète moderne. En 1857, sa grande œuvre Les Fleurs du Mal essuie un procès pour atteinte aux bonnes mœurs à cause « d'expressions obscènes et immorales », l'année même où le roman de Flaubert Madame Bovary, est lui aussi attaqué pour les mêmes raisons. Mais, alors que Flaubert est acquitté, le recueil poétique est condamné et certaines pièces sont censurées. Il faudra attendre la mort du poète « maudit » pour que l'œuvre rencontre un véritable succès. • Pour Baudelaire, l'artiste doit exprimer la modernité : « le transitoire, le fugitif, le contingent, la moitié de l'art dont l'autre moitié est l'éternel et l'immuable ». À la différence des romantiques, le poète considère la nature comme un lieu de corruption et de dégénérescence. Ses poèmes des Fleurs du mal évoquent le monde urbain dans lequel vit l'homme moderne et le déchirement de celui-ci, accablé par le spleen, un sentiment de profond désespoir et de mal-être, et en même temps exalté 3 par la recherche de la beauté et de l'idéal. L'homme est partagé entre ses aspirations vers Dieu et vers Satan, entre le plaisir de la sensualité et la douleur. La femme dépeinte dans le recueil est elle-même représentative de cette dualité : tantôt source de bonheur et d'évasion pour le poète, tantôt perverse et repoussante, « abominable ». • Seule la poésie est capable d'exprimer le monde, de redonner une unité à cette fragmentation angoissante du monde moderne, par le jeu des images qui mêlent les différentes sensations selon la théorie des « correspondances » développée par le poète : « Les parfums, les couleurs et les sons se répondent. » La poésie symboliste et décadente Rimbaud • Rimbaud paraît une sorte de comète dans le paysage littéraire français. Le jeune poète n'a pas vingt-deux ans lorsqu'il cesse définitivement d'écrire, après avoir créé une œuvre magistrale et radicalement nouvelle. Les premiers poèmes qu'il publie à dix-sept ans portent déjà la marque d'un esprit libre et révolté. C'est à partir de sa rencontre avec Verlaine et de l'errance que les deux poètes vivent ensemble que sa poésie évolue encore. • Pour Rimbaud, le poète doit se faire « voyant » et explorer un monde inconnu, en procédant à un « immense et raisonné dérèglement de tous les sens ». Le poète doit opérer une révolution totale de tout son être car « je est un autre ». Sa poésie aboutit aux Illuminations, recueil qui regroupe des poèmes en prose, des sortes d'instantanés de paysages, de scènes qui semblent nés d'hallucinations ou de rêveries fulgurantes. La poésie classique semble radicalement renouvelée dans son œuvre. Le symbolisme • Verlaine, dont la vie est liée à celle de Rimbaud, a écrit une poésie qui annonce le symbolisme. Le poète compose de courts poèmes, teintés d'une douce mélancolie et qui jouent sur une esthétique impressionniste. Il s'agit surtout pour lui de suggérer des sensations fugitives, de susciter des impressions, loin de tout réalisme, en décrivant par exemple des paysages tristes en demi-teinte. Il privilégie également la musicalité de la poésie et pour cela préfère les vers impairs courts au traditionnel alexandrin : « De la musique avant toute chose,/ Et pour cela préfère l'Impair », affirme-t-il dans son « Art poétique ». • Cependant, le maître incontesté du symbolisme reste Mallarmé. Reprenant la théorie des correspondances développée par Baudelaire et rejetant le réalisme qui triomphe dans le roman, Mallarmé veut suggérer le monde et non le décrire, il veut saisir l'essence des choses, peindre « non la chose mais l'effet qu'elle produit ». Pour cela, la langue poétique doit être radicalement différente du langage parlé quotidiennement. Mallarmé pratique donc une poésie épurée, particulièrement exigeante, au risque de paraître parfois un peu hermétique. Le poète est hanté par la quête de l'azur, un idéal inaccessible, que seule une poésie qui tend vers le silence peut tenter d'approcher. Poètes décadents • La fin du siècle voit apparaître une génération désabusée. La modernité et les remises en question qui l'accompagnent, les crises politiques comme la défaite face à l'Allemagne, l'essor de la bourgeoisie et d'une société de plus en plus matérialiste diffusent un certain pessimisme et favorisent l'émergence du décadentisme. Les poètes expriment bien cette crise du sujet lyrique. Après Mallarmé ou Rimbaud, il semble de plus en plus difficile d'écrire à la première personne. Ces poètes décadents se réfugient alors dans la dérision et dans une distance ironique vis-à-vis 4 de leur propre poésie et de leur propre figure de poète. Laforgue ou Corbière ne peuvent faire entendre leurs plaintes qu'avec une forme de désinvolture. Zoom sur… Le Parnasse Théophile Gautier, romantique de la première heure, marque une rupture significative avec le mouvement dont il est issu en publiant un article en 1857 qui affirme la primauté de l'art pur, de « l'art pour l'art » et s'oppose donc à la conception d'une poésie engagée. C'est dans ce sillage que s'inscrit le mouvement parnassien. Le Parnasse désigne un courant qui prône une poésie impersonnelle, loin des effusions lyriques du romantisme de Lamartine ou d'Hugo. La poésie doit pour les parnassiens atteindre une beauté, une perfection formelle, résultat d'un travail minutieux, et ne doit pas véhiculer de message, mais au contraire prendre ses distances par rapport au monde. Les poètes qui se rassemblent autour de Leconte de Lisle s'inspirent en ceci de la formule de Gautier : « Il n'y a de vraiment beau que ce qui ne sert à rien. » Les parnassiens privilégient donc les scènes de l'Antiquité, un bel objet ou les paysages exotiques, comme dans le poème suivant : Le Sommeil de Leïlah « Ni bruits d'aile, ni sons d'eau vive, ni murmures ; La cendre du soleil nage sur l'herbe en fleur, Et de son bec furtif le bengali siffleur Boit, comme un sang doré, le jus des mangues mûres. Dans le verger royal où rougissent les mûres, Sous le ciel clair qui brûle et n'a plus de couleur, Leïlah, languissante et rose de chaleur, Clôt ses yeux aux longs cils à l'ombre des ramures. Son front ceint de rubis presse son bras charmant ; L'ambre de son pied nu colore doucement Le treillis emperlé de l'étroite babouche. Elle rit et sommeille et songe au bien-aimé, Telle qu'un fruit de pourpre, ardent et parfumé, Qui rafraîchit le cœur en altérant la bouche. » Leconte de Lisle, Poèmes barbares ----------- Pour aller plus loin À découvrir Peinture  Voyageur au-dessus de la mer de nuages, Friedrich ;  Impression, soleil levant, Monet ;  Le Champ de blé aux corbeaux, Van Gogh ; 5  L'Apparition, Moreau. Musique  Nocturnes, Chopin ;  Symphonie fantastique, Berlioz ;  Tannhäuser, Wagner ;  Prélude à l'après-midi d'un faune, Debussy. La Poésie De 1848 à 1900 En poésie, Victor Hugo continue à étonner le monde par sa prodigieuse imagination; mais des écoles nouvelles surgissent à l'ombre de son grand nom, dont la plus célèbre fut incontestablement l'école parnassienne. Entre cette école et l'école romantique, se placent quelques poètes d'un talent considérable dont l'oeuvre eut une action déterminante sur le mouvement poétique qui suivit : Théophile Gautier, Théodore de Banville, Charles Baudelaire et Leconte de Lisle. C'est vers 1865 que prit corps l'école parnassienne. « Vers cette époque, dit Bernardin, rimaient dans Paris un certain nombre de jeunes poètes, groupés les uns autour de M. Leconte de Lisle, comme MM. Sully-Prudhomme, José-Maria de Hérédia, Armand Silvestre et Léon Dierx, les autres autour de M. Catulle Mendès, qui ouvrait sa Revue fantaisiste aux vers de MM. François Coppée, Albert Glatigny, Villiers de l'Isle-Adam, Mérat et Valade. Le libraire Lemerre, qui venait de devenir l'éditeur du journal l'Art, rédigé par un autre poète, M. Louis-Xavier de Ricard, entra en relation avec eux et finit par leur conseiller de tranformer l'Art en un de ces recueils poétiques comme il en existait au XVIe siècle, paraissant par fascicules et pouvant plus tard former un volume. L'idée fut adoptée, et, par une sorte de défi, on voulut mettre en tète de ce recueil le mot de Parnasse, auquel la poésie du XVIIIe siècle et de l'Empire avait attaché quelque ridicule. » C'est ainsi que se forma l'école connue sous le nom de Parnasse (ou de Parnasse contemporain), à laquelle vinrent bientôt se joindre Stéphane Mallarmé, Verlaine, Lafenestre, d'Hervilly, André Theuriet, etc. Ecole de style surtout, soucieuse avant tout du rythme et de la beauté plastique, le Parnasse vit peu à peu se disperser et reprendre leur liberté les talents les plus originaux qui s'étaient momentanément groupés autour de son programme, entre autres Sully-Prudhomme, François Coppée, Stéphane Mallarmé et Paul Verlaine. L'évolution de ces deux derniers poètes eut un retentissement particulier et agit avec force sur la direction du mouvement poétique auquel on a vu prendre successivement les titres de décadent, de déliquescent, de symboliste et de roman. Un peu à l'écart de ces différents groupes, et sans s'abstraire entièrement des préoccupations courantes, nous devons citer pour terminer les noms de quelques poètes indépendants, tels que Victor de Laprade, Joseph Autran, Ackermann, Soulary, Eugène Manuel, Cazalis, Anatole France, Richepin, Paul Bourget, Gabriel Vicaire, Maurice Bouchor, Rollinat, Jean Aicard, Ed. Haraucourt, et surtout Arthur Rimbaud et 6 Guillaime Apollinaire, qui ont marqué leur place, en des genres très différents, dans la poésie de la seconde moitié du XIXe siècle. (Ch. Le Goffic). RIMBAUD Biographie de Rimbaud (1854-1891) 1854 Naissance, le 20 Octobre, d’Arthur Rimbaud à Charleville. Son père, Fréderic Rimbaud est militaire et sa mère, Vitalie Cuif, la fille de propriétaires ruraux. Arthur Rimbaud a un frère, Frédéric et aura deux sœurs Vitalie (1858) et Isabelle (1860) . Lors de son enfance, son père est le grand "absent" et sa mère, dévote, susceptible et austère incarne une attitude qu’il rejette et qu'il va chercher à fuir. L’école va lui permettre de s’éloigner de l’emprise familiale et de découvrir les plaisirs de la lecture. 1861 Séparation des parents d'Arthur Rimbaud 1865 A partir de Pâques, Arthur Rimbaud est admis au Collège municipal de Charleville Il est brillant, premier en latin et en français, et s’éveille à la poésie . Il rêve déjà d’être publié 1868 Il écrit les poèmes qui composeront les Etrennes des Orphelins. 1870 En janvier, Georges Izambard entre comme professeur au Collège de Charleville. Il aura une influence libératrice sur le jeune élève. Grâce à ce jeune enseignant, Arthur Rimbaud découvre les célébrités parnassiennes (Leconte de Lisle, Banville, Verlaine) avec lesquelles il entretient une correspondance. En mai, Rimbaud adresse des poèmes à Théodore de Banville Le 29 Août, en pleine guerre entre la France et la Prusse, Rimbaud fait sa première fugue. Il est arrêté à Paris le 31 août, conduit au dépôt, puis à la prison de Mazas. Il est enfin libéré le 4 septembre. Le 7 Octobre, deuxième fugue qui le mène à Bruxelles puis à Douai. Il complète un ensemble de textes qui aura pour nom Le cahier de Douai . 1871 Arthur Rimbaud prend parti pour les Insurgés parisiens. Il adresse à Georges Izambard et Paul Demeny ses fameuses lettres du voyant, très marquées par cette épisode historique. Fin Septembre 1871, il s’installe dans le cercle familial de Verlaine. Lors d’un rituel dîner, il lira devant tout le parnasse son Bateau Ivre qui soulèvera un enthousiasme général. 1872 Début 1872, Verlaine qui a quitté sa femme Mathilde est devenu son compagnon . Ils mènent une vie d’errance entre la France, l’Angleterre et la Belgique. 1873 De janvier au début d'avril, puis du 27 mai au 3 juillet, Rimbaud et Verlaine sont à Londres. Le 3 juillet, ils se querellent et se quittent. Le 8 juillet, les deux poètes sont à Bruxelles et, le 10 juillet, Verlaine blesse son ami d'un coup de révolver. Cela lui vaudra deux ans de prison. De retour à Roche, Rimbaud termine Une saison en enfer qui sera imprimé en Belgique en Octobre 1873, seul livre à être publié de son vivant. Une page est tournée. C’est l’adieu à la poésie 1874-1878 L'homme aux semelles de vent comme l'appelle Verlaine multiplie les voyages et les petits boulots à travers l’Europe. Il séjourne à Londres avec Germain Nouveau. Puis il va en Allemagne, en Autriche, Hollande, Suède, Danemark, Suisse et Italie. 1878 Rimbaud vit à Chypre où il dirige une équipe d'ouvriers qui exploitent une carrière. 1879 En mai 1879, la fièvre typhoïde l'oblige à retourner en France. 1880 Départ pour l’Afrique où il passe les dernières années de sa vie. A Aden, il est engagé par l’agence Mazeran, Vianney Bardey et Cie spécialisé dans le commerce d’import–export. Il sera éprouvé par les fièvres et la syphillis et rejoint l’agence de Harar en Ethiopie en 1881. 1884 Publication de son rapport sur l’ogadine qui témoigne de sa curiosité ethnologique et linguistique. 1886-1887 Une expédition commerciale qui devait lui rapporter une fortune (un trafic de fusils et de cartouches pour le roi du Choa) tourne au désastre. Arthur Rimbaud est de plus en plus fatigué, égaré. Pendant cette période, le Vogue publie ses illuminations 1888-1890 Rimbaud continue à faire du commerce en Abyssinie. 1891 Au début de l'année, il souffre d’une violente douleur au genou. Il est opéré à Marseille, le 20 mai . Le 27 mai, il est amputé de la jambe droite. Il quitte Marseille pour Roche, près de Charleville. Le 23 août, il revient à Marseille. La maladie progresse rapidement. Au début d'octobre, le bras droit est paralysé et la jambe gauche est prise de tremblements. Le 9 novembre, il a des hallucinations. Le 10 novembre, mort d'Arthur Rimbaud, à l'âge de trente-sept ans. Recueils Poésies Poésies est le titre attribué aux recueils des poèmes écrits par Arthur Rimbaud entre 1869 et 1872. Les seuls poèmes publiés pendant la « vie littéraire » de Rimbaud 7 furent : « Les Étrennes des orphelins » (La revue pour tous, 2 janvier 1870), « Trois baisers » (La Charge, 13 août 1870) et « Les Corbeaux » (La renaissance littéraire et artistique, 14 septembre 1872). Le premier recueil de ses poèmes fut publié sous le titre Le Reliquaire par Rodolphe Darzens (Genonceaux, 1891) pendant que Rimbaud agonisait à Marseille. Suit : Poésies complètes, préface de Paul Verlaine (Vanier, 1895). Parmi les éditions récentes : Poésies complètes, édition de Pierre Brunel, Le Livre de poche. Une saison en enfer est un recueil de poèmes en prose d'Arthur Rimbaud, rédigé en juillet 1873, après une période de crise dans la vie du poète — l'accident de Bruxelles avec Verlaine et le retour à Roche dans la ferme familiale — à partir d'une ébauche commencée quelques mois auparavant, le Livre païen ou Livre nègre. Chant païen halluciné, le poème est aussi une profession de foi, marquée par la quête du salut[réf. nécessaire] , les déceptions sentimentales et artistiques, et un réquisitoire contre la civilisation occidentale et ses valeurs. « Prodigieuse autobiographie psychologique, écrite dans cette prose de diamant qui est la propriété exclusive de son auteur », selon les termes de Paul Verlaine1 . Une Saison en enfer est la seule œuvre de Rimbaud dont il ait entrepris la publication, à compte d'auteur. Seuls les exemplaires d'auteur furent distribués par Rimbaud à ses amis. Un stock de quelque cinq cents exemplaires de l'ouvrage fut retrouvé en 1901 à Bruxelles2 . Les Illuminations, ou Illuminations Il est devenu usuel de mentionner le titre du recueil sans article après l’édition critique du recueil par Henri de Bouillane de Lacoste chez Mercure de France, en 1949, sous le titre Illuminations : Painted plates. Bouillane de Lacoste a choisi ce titre, après une longue correspondance avec le premier éditeur des Illuminations, Félix Fénéon2 , en raison du sens anglais possible de ce titre, tel que Paul Verlaine, ami et amant de Rimbaud, l’a évoqué : d'abord en 1878, dans une lettre à Charles de Sivry, Verlaine a écrit « Avoir relu "Illuminations" (painted plates) du Sieur que tu sais »3 ; puis en préface de l'édition originale de 1886 aux éditions de La Vogue, il a confirmé que « Le mot Illuminations est anglais et veut dire gravures coloriées, — coloured plates »4,5 . Au xxie siècle, le chercheur en littérature française Steve Murphy a plaidé efficacement pour la réhabilitation du titre complet6 . La correspondance et les notices de Verlaine, à condition de se reporter aux documents originaux, montrent que celui-ci met tantôt l'article en italique, tantôt non, et qu'il procède ainsi pour beaucoup d'autres titres. Il faut également apprécier le fait que, de 1886 à 1895, Verlaine n'a jamais protesté contre cet article. Intertextualité 8 Le titre Les Illuminations évoque un rapprochement significatif et ambitieux, de la part de Rimbaud, avec d'autres fameux recueils antérieurs, représentatifs de la modernité poétique du xixe siècle et du romantisme : les Méditations poétiques (1820) d'Alphonse de Lamartine et Les Contemplations (1856) de Victor Hugo7 . Rédaction On a longtemps cru que les poèmes en prose composant ce recueil avaient été écrits avant Une saison en enfer. Cette idée a été renforcée (et non pas créée) par le témoignage d'Isabelle Rimbaud qui voulait faire passer Une saison en enfer pour le testament littéraire d'un frère répudiant ses égarements de poète. Mais depuis 1949 et la publication de l'ouvrage d'Henry Bouillane de Lacoste (Rimbaud et le problème des Illuminations, au Mercure de France), il est établi que les copies des poèmes en prose contenus dans Les Illuminations sont postérieures à la Saison8 . Cette démonstration se fonde sur deux éléments : d'abord, l'apparition tardive d'un f bouclé sous la plume de Rimbaud ; ensuite, la présence de l'écriture de Germain Nouveau qui a recopié un des deux poèmes intitulés Villes et pratiquement les trois derniers paragraphes deMétropolitain. Hélas, Bouillane de Lacoste a minimisé le fait que sa démonstration se fondait sur des copies (et non sur des brouillons de premier jet, par exemple), tandis queBeing Beauteous et A une Raison sont de probables intertextes du poème Beams, lequel clôt les Romances sans paroles de Verlaine et est à peine antérieur à Une saison en enfer9 . Bouillane de Lacoste a également fait croire que Verlaine avait clairement soutenu la postériorité des poèmes en prose par rapport à Une saison en enfer, mais cette analyse est inexacte. Il existe plusieurs témoignages contradictoires de la part de Verlaine, dont plusieurs qui plaident, parfois explicitement, pour la composition de poèmes en prose des Illuminations dès 1872. On ne peut non plus exclure le caractère intéressé du témoignage verlainien. Celui-ci ne voulait pas passer pour responsable, à la suite de l'événement du 10 juillet 1873, du renoncement à la poésie de son ex- compagnon. Le témoignage le plus célèbre pour prétendre que Les Illuminations sont postérieures à Une saison en enfer n'est pas exempt de contradictions patentes. En 1873, Rimbaud n'a fait que de courts séjours en Belgique et il n'avait pas la possibilité de composer10 . Du 25 au 27 mai, il ne fait que traverser la Belgique de Bouillon à la mer du Nord, pour rejoindre l'Angleterre. Du 9 juillet au 20 juillet, il est pris dans la tourmente du drame de Bruxelles et maintenu à l'hôpital, avec une blessure au poignet dont la minute du procès fait à Verlaine le huit juillet prétend qu'elle empêchait l'homme de lettres Rimbaud de travailler, c'est-à-dire d'écrire ! On peut raisonnablement penser que Rimbaud n'a pas composé à tour de bras à ce moment-là, d'autant qu'il s'intéresse alors à la finition du livre Une saison en enfer et il n'existe aucun document permettant de dire que Rimbaud, qui n'avait pas d'argent, est resté à Bruxelles au-delà du 20 juillet. Le 24 octobre, il ne fait que récupérer quelques exemplaires de son livre et en déposer un exemplaire à la prison des Petits-Carmes où Verlaine est détenu. Un rapport de police précise que Rimbaud est très vite reparti. En 1874, Rimbaud ne revient plus séjourner en Belgique. Par conséquent, le témoignage de Verlaine selon lequel Rimbaud a composé Les Illuminations de 1873 à 1875, en Belgique, en Angleterre et en Allemagne, est au mieux approximatif. Si Rimbaud a composé des Illuminations en Belgique, ce ne peut être qu'en juillet-août 1872, ce qui coïncide avec la fin de sa production en vers. Verlaine ne peut plus être considéré comme un témoin privilégié pour tout ce qui a suivi son incarcération. Rimbaud a pu composer 9 des Illuminations en France comme en Angleterre en 1873 et 1874. Ajoutons à cela le fait que si les manuscrits furent récupérés en février à Stuttgart, Rimbaud n'étant en Allemagne que depuis un mois, la thèse de poèmes en prose composés « dans toute l'Allemagne » est peut-être à renvoyer intégralement au néant. En résumé, Les Illuminations ont été composées pour l'essentiel avant juin 1874, peut-être et même probablement dès 1872. Certaines des Illuminations ont pu être composées après juin 1874, du moins pour celles qui ne font pas partie du dossier numéroté de 24 pages, mais nous sommes loin de toute certitude. En tout cas, tous les poèmes étaient composés avant le milieu de l'année 1875, date à laquelle Verlaine transmet le dossier à Germain Nouveau. En revanche, Bouillane de Lacoste n'a prouvé que deux choses. D'abord, les manuscrits que nous connaissons des poèmes en prose des Illuminations n'ont été recopiés que tardivement, peu avant le mois de juin 1874. Ensuite, les copies des poèmes en prose des Illuminations sont plus tardives que les copies des poèmes en vers seconde manière, bien qu'un tel dossier de poèmes en vers fut inclus dans le recueil Les Illuminations du vivant de Verlaine, sans que celui-ci ne proteste. Publication L'ensemble de ces poèmes aurait été remis à Verlaine en février 1875 à Stuttgart. Quelques mois plus tard, Verlaine transmet ce dossier de poèmes en prose qu'il n'appelle pas encore Les Illuminations à Germain Nouveau, selon le témoignage d'une lettre de Verlaine à Ernest Delahaye. En 1886, Les Illuminations rassemblaient non seulement les poèmes en prose que nous connaissons sous ce titre, mais encore l'ensemble dit des Derniers vers. En 1895, c'est cet ensemble de proses et de vers que Verlaine a préfacé. Paterne Berrichon a commencé à publier Les Illuminations, en deux parties, une en vers, une contenant le recueil en prose et vers libres actuel. Enfin, Bouillane de Lacoste a décidé d'extraire la partie en vers du recueil des Illuminations, sous prétexte que Verlaine privilégiait la partie en prose de ce recueil et sous prétexte que les manuscrits des poèmes en prose formaient un ensemble de copies distinctes de l'ensemble des copies de poèmes en vers. Les copies des proses ont été faites en 1874, celles des poèmes en vers datent de 1872 sinon de 1873. Toutefois, Rimbaud avait très bien pu décider finalement de conjuguer les deux dossiers sous le seul titre Les Illuminations. La première édition des Illuminations parut dans cinq livraisons de la revue La Vogue, à Paris, en 1886, avant d'être republiée en volume la même année (accompagnée d'une présentation de Verlaine). Elle était incomplète tant au niveau des poèmes en vers que des poèmes en prose. Il fallut attendre 1895 pour que l'intégralité du dossier connu soit publié. Nous ignorons si des poèmes en vers et des poèmes en prose se sont perdus entre 1886 et 1895. Nous savons seulement que les manuscrits des poèmes Dévotion etDémocratie ont disparu, faisant peut-être les frais d'une publication sauvage (querelles au sein de la Vogue, non consultation d'un auteur encore en vie, etc.). Les poèmes en vers seconde manière qui furent publiés entre 1886 et 1895 ne le furent qu'à partir de versions manuscrites uniques à l'exception notable du texte Enfer de la soif dont la provenance est inconnue et dont la découverte est probablement postérieure à 1886, puisque la Vogue a préféré publier la version sans titre et moins soignée du même poème. Nombre de poèmes 10 Onconsidère que ce recueil se compose de 57 poèmes, mais ce chiffre est approximatif. En effet, à la différence des sections numérotées Enfance, Veillées et Jeunesse, les trois parties de Vies ne sont comptées que comme un seul poème, tandis que le titre Phrases rassemble en huit subdivisions plusieurs poèmes brefs considérés comme distincts. En général, onestime que Phrases se compose d'un premier poème en trois temps qui figure sur un premier feuillet manuscrit avec le titre en mention et de cinq poèmes réunis sur un second feuillet sans titre, mais visiblement inscrit dans la continuité du feuillet intitulé Phrases. Ainsi, on obtient le chiffre total de 57 poèmes en considérant que Vies n'est qu'un seul poème et non trois, que Phrases n'est pas un poème, mais une suite de six poèmes, et que Being Beauteous est bel et bien suivi d'un poème bref sans titre. Genre Deux poèmes des Illuminations, « Mouvement » et « Marine », qui ne sont pas à proprement parler des poèmes en prose, sont considérés par certains comme des textes fondateurs du vers libre français moderne. Les symbolistes ont affirmé que la paternité des vers libres revenait à Rimbaud, mais ils n'ont pas tenu compte de la possibilité d’une influence de la métrique et du décompte des syllabes, étant donné que Rimbaud n'a pas indiqué de règles de composition du vers libre. Mais au-delà des vers libres pour les textes « Mouvement » et « Marine », il n'est pas prouvé qu'il faille écarter les poèmes en vers du recueil des Illuminations. Quand ils sont datés, les poèmes en vers des Illuminations renvoient à la période mai-août 1872, plusieurs sont datés de mai ou juin. Sur un autre plan, d'autres témoignages de Verlaine disent explicitement que Rimbaud n'a pas composé de vers au-delà de 1872, ni même au-delà de ses dix-huit ans (20 octobre). La théorie actuelle qui veut que les poèmes en prose des Illuminations soient postérieurs à la composition du recueil Une saison en enfer laisse à entendre que Rimbaud n'a pratiquement rien composé de juillet 1872 à avril 1873, à savoir pendant la plus grande partie de son compagnonnage quasi exclusif avec Verlaine. Selon cette thèse, la composition même des vers et celle des poèmes en prose seraient nettement séparées dans le temps. Cette thèse laisse également supposer que, dans Alchimie du verbe, le poète répudie sans ambiguïté ses vers de 1872 qui relèveraient d'un état d'esprit incompatible avec les poèmes en prose. Et donc cette thèse s'interdit de penser que le dossier des dits « Derniers vers » a pu être constitué après la rédaction du livre Une saison en enfer. Toutefois, le cheminement des manuscrits de l'ensemble aujourd'hui appelé « Derniers vers » pose problème. Nous n'avons aucun témoignage selon lequel Rimbaud aurait remis à Verlaine, dès 1872, les versions publiées dans la Vogue et dans la première édition des Œuvres complètes en 1895. Nous n'avons aucune preuve que l'envoi de « poèmes en prose » à Nouveau en 1875 coïncide avec le recueil au titre Illuminations qui n'apparaît en mention qu'à partir de 1878. Un dossier de poèmes en vers a pu être ajouté aux poèmes en prose entre l'envoi de ces derniers à Germain Nouveau et la première mention du titre Illuminations en 1878.