Clément Marot Au Roi, du temps de son exil à Ferrare Eux et leur cour, en absence et en face, Par plusieurs fois m’ont usé de menace, Dont la plus douce était en criminel M’éxécuter. Que plût à l’Eternel, Pour le grand bien du peuple désolé, Que leur désir de mon sang fût soûlé, Et tant d’abus, dont ils se sont munis, Fussent à clair découverts et punis ! O quatre fois et cinq fois bien heureuse La mort, tant soit cruelle et rigoureuse, Qui ferait seule un million de vies Sous tels abus n’être plus asservies ! Or, à ce coup, il est bien évident Que dessus moi ont une vieille dent, Quand, ne pouvant crime sur moi prouver, Ont très bien quis, et très bien su trouver, Pour me fâcher, brève expédition, En te donnant mauvaise impression De moi, ton serf, pour, après, à leur aise Mieux mettre à fin leur volonté mauvaise ; Et, pour ce faire, ils n’ont certes eu honte Faire courir de moi vers toi maint conte, Avecques bruit plein de propos menteurs, Desquels ils sont les premiers inventeurs. De luthériste ils m’ont donné le nom : Qu’à droit ce soit, je leur réponds que non. Luther pour moi des cieux n’est descendu, Luther en croix n’a point été pendu Pour mes péchés ; et, tout bien avisé. Au nom de lui ne suis point baptisé : Baptisé suis au nom qui tant bien sonne Qu’au son de lui le Père éternel donne Ce que l’on quiert : le seul nom sous les cieux En et par qui ce monde vicieux Peut être sauf; le nom tant fort puissant Qu’il a rendu tout genou fléchissant, Soit infernal, soit céleste ou humain ; Le nom par qui du Seigneur Dieu la main M’a préservé de ces grands loups rabis, Qui m’épiaient dessous peaux de brebis. O Seigneur Dieu, permettez-moi de croire Que réservé m’avez à votre gloire : Serpents tortus et monstres contrefaits, Certes, sont bien à votre gloire faits. Puisque n’avez voulu donc condescendre Que ma chair vile ait été mise en cendre, Faites au moins, tant que serai vivant, Que votre honneur soit ma plume écrivant ; Et si ce corps avez prédestiné A être un jour par flamme terminé, Que ce ne soit au moins pour cause folle, Ainçois pour vous et pour votre parole ; Et vous suppli, Père, que le tourment Ne lui soit pas donné si véhément Que l’âme vienne à mettre en oubliance Vous, en qui seul gît toute sa fiance, Si que je puisse, avant que d’assoupir, Vous invoquer jusqu’au dernier soupir. Que dis-je ? où suis-je ? O noble roi François, Pardonne-moi, car ailleurs je pensois. Rondeaux « LA GRAND AMYE » Dedans Paris Dedans Paris, ville jolie, Un jour passant mélancolie, Je pris alliance nouvelle A la plus gaie demoiselle Qui soit d’ici en Italie. D’honnêteté elle est saisie, Et crois, selon ma fantaisie, Qu’il n’en est guère de plus belle Dedans Paris. Je ne vous la nommerai mie, Sinon qu’elle est ma grand amie, Car l’alliance se fit telle, Par un doux baiser que j’eus d’elle, Sans penser aucune infamie, Dedans Paris. Le dizain de neige Anne, par jeu, me jeta de la neige, Que je cuidais froide certainement; Mais c’était feu; l’expérience en ai-je, Car embrasé je fus soudainement. Puisque le feu loge secrètement Dedans la neige, où trouverai-je grâce Pour n’ardre point ? Anne, ta seule grâce Eteindre peut le feu que je sens bien, Non point par eau, par neige, ni par glace, Mais par sentir un feu pareil au mien. Du partement d’Anne Où allez-vous, Anne ? que je le sache, Et m’enseignez avant que de partir Comme ferai, afin que mon œil cache Le dur regret du cœur triste et martyr. Je sais comment ; point ne faut m’avertir : Vous le prendrez, ce cœur, je le vous livre ; L’emporterez pour le rendre délivre Du deuil qu’aurait loin de vous en ce lieu ; Et pour autant qu’on ne peut sans cœur vivre Me laisserez le vôtre, et puis adieu.