Etienne Jodelle Amours et Contr’amours Des astres, des forêts, et d’Achéron l’honneur, Diane, au Monde haut, moyen et bas préside, Et ses chevaux, ses chiens, ses Euménides guide, Pour éclairer, chasser, donner mort et horreur. Tel est le lustre grand, la chasse, et la frayeur Qu’on sent sous ta beauté claire, prompte, homicide, Que le haut Jupiter, Phébus, et Pluton cuide Son foudre moins pouvoir, son arc, et sa terreur. Ta beauté par ses rais, par son rets, par la crainte, Rend l’âme éprise, prise, et au martyre étreinte : Luis-moi, prends-moi, tiens-moi, mais hélas ne me perds. Des flambants, forts, et griefs, feux, filets, et encombres, Lune, Diane, Hécate, aux cieux, terre, et enfers Ornant, guêtant, gênant, nos Dieux, nous, et nos ombres. *** Comme un qui s’est perdu dans la forêt profonde Loin de chemin, d’orée, et d’adresse, et de gens ; Comme un qui en la mer grosse d’horribles vents, Se voit presque engloutir des grands vagues de l’onde ; Comme un qui erre aux champs, lors que la nuit au monde Ravit toute clarté, j’avais perdu long temps Voie, route, et lumière, et presque avec le sens, Perdu long temps l’objet, où plus mon heur se fonde. Mais quand on voit (ayant ces maux fini leur tour) Aux bois, en mer, aux champs, le bout, le port, le jour, Ce bien présent plus grand que son mal on vient croire. Moi donc qui ai tout tel en votre absence été, J’oublie en revoyant votre heureuse clarté, Forêt, tourmente, et nuit, longue, orageuse, et noire. *** O traîtres vers, trop traîtres contre moi Qui souffle en vous une immortelle vie, Vous m’appâtez et croissez mon envie, Me déguisant tout ce que j’aperçois. Je ne vois rien dedans elle pourquoi A l’aimer tant ma rage me convie : Mais nonobstant ma pauvre âme asservie Ne me la feint telle que je la vois. C’est donc par vous, c’est par vous traîtres carmes, Qui me liez moi-même dans mes charmes, Vous son seul fard, vous son seul ornement, Jà si long temps faisant d’un Diable un Ange, Vous m’ouvrez l’œil en l’injuste louange, Et m’aveuglez en l’injuste tourment. *** Comment pourrais-je aimer un sourcil hérissé, Un poil roux, un œil rouge, un teint de couperose, Un grand nez, plus grand’bouche, incessamment déclose Pour gêner mon esprit de ces lèvres sucé ? Une gorge tannée, un col si mal dressé, Un estomac étique, un tétin dont je n’ose Enlaidir mon sonnet et, qui est pire chose, Une bouquine aisselle, un corps mal compassé, Un dos qui ressemblait d’une Mort le derrière, Le ventre besacier, la cuisse héronnière, Et même quant au reste… Ah, fi ! sonnet, tais-toi ! C’est trop pour démontrer à tous quelle Déesse, Tant le Ciel, se moquant de l’Amour et de moi, Dévorait les beaux ans de ma verte jeunesse.