Pierre de Ronsard Odes Mignonne, allons voir si la rose… Mignonne, allons voir si la rose qui ce matin avait déclose Sa robe de pourpre au soleil, A point perdu cette vesprée Les plis de sa robe pourprée, Et son teint au vôtre pareil. Las ! Voyez comme en peu d’espace, Mignonne, elle a dessus la place, Las, las, ses beautés laissé choir! O vraiment marâtre Nature, Puisqu’une telle fleur ne dure Que du matin jusques au soir! Donc, si vous me croyez, mignonne, Tandis que votre âge fleuronne En sa plus verte nouveauté, Cueillez, cueillez votre jeunesse : Comme à cette fleur, la vieillesse Fera ternir votre beauté. Amours de Cassandre Comme un chevreuil… Comme un chevreuil, quand le printemps détruit Du froid hiver la poignante gelée, Pour mieux brouter la feuille emmiellée, Hors de son bois avec l’aube s’enfuit ; Et seul, et sûr, loin de chiens et de bruit, Or’ sur un mont, or’ dans une vallée, Or’ près d’une onde à l’écart recelée, Libre, folâtre où son pied le conduit ; De rets ne d’arc sa liberté n’a crainte, Sinon alors que sa vie est atteinte D’un trait meurtrier empourpré de son sang ; Ainsi j’allais, sans espoir de dommage, Le jour qu’un œil, sur l’avril de mon âge, Tira d’un coup mille traits en mon flanc. Continuation des Amours Je veux lire en trois jours… Je veux lire en trois jours l’Illiade d’Homère, Et pour ce, Corydon, ferme bien l’huis sur moi ; Si rien me vient troubler, je t’assure ma foi, Tu sentiras combien pesante est ma colère. Je ne veux seulement que notre chambrière Vienne faire mon lit, ton compagnon ni toi ; Je veux trois jours entiers demeurer à recoi Pour folâtrer après une semaine entière. Mais si quelqu’un venait de la part de Cassandre, Ouvre-lui tôt la porte, et ne le fais attendre ; Soudain entre en ma chambre et me viens accoutrer. Je veux tant seulement à lui seul me montrer : Au reste, si un dieu voulait pour moi descendre Du ciel, ferme la porte et ne le laisse entrer ! Sonnets pour Hèlène Quand vous serez bien vieille… Quand vous serez bien vieille, au soir, à la chandelle, Assise auprès du feu, dévidant et filant, Direz, chantant mes vers, en vous émerveillant : « Ronsard me célébrait du temps que j’étais belle ! » Lors, vous n’aurez servante oyant telle nouvelle, Déjà sous le labeur à demi sommeillant, Qui au bruit de Ronsard ne s’aille réveillant, Bénissant votre nom de louange immortelle. Je serai sous la terre, et, fantôme sans os, Par les ombres myrteux je prendrai mon repos : Vous serez au foyer une vieille accroupie, Regrettant mon amour et votre fier dédain. Vivez, si m’en croyez, n’attendez à demain ; Cueillez dès aujourd’hui les roses de la vie.