Libération Začátek formuláře Konec formuláře Začátek formuláře Konec formuláře 1 Promis, demain, jarret Tu mitonnes ! Promis, demain, jarret Par Jacky Durand — 26 mai 2011 à 00:00 Tu mitonnes. Chaque jeudi, passage en cuisine et réveil des papilles. Aujourd’hui, un p’tit bout de veau braisé. Difficile de rester ferme sur ses jarrets lorsqu'on doit nettoyer une chambre d'hôtel. Christophe Maout Je suis femme de ménage dans un hôtel. Pas un palace, loin s’en faut. C’est juste l’un de ces établissements que l’on trouve à la périphérie des villes. Propre, confortable mais très ordinaire. Cela dit, la nature de l’hôtel ne changerait pas grand-chose à mon propos. Car pour vous, ce ne sont que quatre murs où vous allez dormir lors d’une halte dans une semaine de travail ou lors d’une pause sur la route des vacances. Pour vous, je suis la plupart du temps invisible. Au mieux, je suis une ombre dans un couloir derrière le chariot des piles de draps ou passant l’aspirateur dans l’entrebâillement d’une porte. De toute façon, comment pourrait-il en être autrement ? Évier. Je m’explique : l’autre matin, j’écoutais la radio en déjeunant avant d’aller travailler. Il était question de l’affaire DSK et de la femme de ménage. Je ne sais plus comment elle s’appelle mais la journaliste qui était à New York disait d’elle qu’avant cette histoire, elle était inconnue, la femme de chambre, qu’elle n’avait jamais fait parler d’elle. Alors là, j’ai failli m’étrangler avec ma tartine. Je me suis dit : «Ils sont formidables les journalistes, ils utilisent les mêmes mots pour cette femme que lorsqu’ils parlent d’un voleur de Mobylette ou d’un gars qui s’est battu un samedi soir à la sortie d’une boîte de nuit et dont ils disent qu’il était inconnu auparavant des services de police.» En rangeant mon bol dans l’évier, je me suis dit que j’en connaissais un rayon au chapitre invisibilité. Pensez donc, j’ai été caissière dans un hyper, femme de service dans une clinique, plongeuse dans un restaurant. J’ai même fait le ménage dans un laboratoire d’analyses. Qui s’intéresse à nous ? Personne. Sauf quand il s’agit de nous coller une «tuile» sur le dos. C’est le type qui passe à la caisse sans vous dire bonjour, sans lever le petit doigt quand il faut chercher le code-barres d’un article trop lourd et qui se met à éplucher sa note comme un expert-comptable, histoire de vérifier si vous avez bien tapé le bon de réduction sur ses tartinettes. Et quand il voit que vous avez fait votre boulot, il se casse, ni au revoir ni merde. Je pourrais vous en raconter des tas comme ça. Trente ans d’entraînement à jouer les petites mains dans la vie des autres. Sans la ramener. Ma mère était déjà comme ça. Elle m’a toujours dit : «Ne te fais pas remarquer.» Alors la plupart du temps, je me tais. Sauf quand des hommes se font trop pressants. Ce n’est pas tant dans l’hôtellerie que je les redoute. C’est plutôt lors des «extras» de fin de semaine, les mariages, les banquets où je vais servir, faire la vaisselle. Là, il y a toujours des mecs un peu pompettes pour venir vous coller. Eux, ils ont picolé, ils passent une bonne soirée. Tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil. Et il faudrait que l’on soit leurs jouets. Moi, je coupe court : «Stop», «Ça suffit», «Allez, retournez danser».«Vous comprenez, il a un peu bu», m’a sorti l’autre jour une guincheuse. J’avais envie de lui dire : «Te gêne pas ma cocotte, vas-y fonce, il demande que ça le mec qui vient de me chauffer.» Alors forcément, il y a des jours quand je commence à 6 heures à l’hôtel, je suis contente que personne ne me voie. Au mieux, j’aurai le droit à un «bonjour». Au pire à un client ronchon qui va râler sur les serviettes de bain trop rêches à son goût ou sur les piles à plat de la télécommande ; le plus dur à supporter étant la mauvaise foi. La semaine dernière, je suis tombée sur un blanc-bec qui ne retrouvait pas son iPhone. Dans son costume Hugo Boss et ses chaussures italiennes, il m’a jaugée comme une vache de réforme avant de devenir carrément soupçonneux quand je lui ai dit que je n’avais rien trouvé dans sa chambre. Le patron de l’hôtel a été carré et lui a dit que ses employés ne «mange[aient] pas de ce pain-là». Baignoire. Alors forcément, quand je tombe sur un mec bien, ça m’arrive de trouver ça suspect. Cet hiver, on avait un habitué. Il travaillait sur le chantier de la ligne TGV. Un matin, que je montais au travail à pied sous la pluie, je l’ai croisé au volant de sa voiture. Il est allé faire demi-tour au rond-point et est revenu à ma hauteur : «Vous n’allez pas marcher avec un temps pareil. Montez, je ne suis pas à deux minutes près.» J’étais tellement épatée que je l’ai raconté mes deux collègues en arrivant à l’hôtel. C’est un couple de Tamouls. Eux, ils sont pas mal comme invisibles. Dès que quelqu’un les aborde dans les couloirs de l’hôtel, ils sursautent. Moi, dans ma vie, j’aurais bien aimé faire un métier plus visible. Je ne dis pas que ça doit être tous les jours simple d’être cadre, ingénieur, institutrice ou journaliste. Mais franchement faire le lit et nettoyer la baignoire des autres, ça ne vous protège pas de grand-chose dans la vie quand vous êtes une femme. Heureusement, il y a mes gosses. Le grand est à la fac. Prof qu’il veut être. Le petit peine un peu plus à l’école, mais il s’est pris de passion pour la cuisine. Alors, je l’encourage. Il se met aux fourneaux quand je fais deux journées en une pour pouvoir tout payer : l’hôtel le matin et le ménage dans des bureaux le soir. L’autre dimanche, mes garçons se sont mis en cuisine. Avec des livres de recettes empruntés aux voisins. Ils ont cuisiné le «jarret de veau braisé au citron confit et aux légumes nouveaux» de Cuisines paysannes (1). Il faut : 1 jarret de veau ; 50 g de beurre, 4 cuillères à soupe d’huile de tournesol, 1 cuillère à soupe rase de cassonade, 2 citrons confits, 1,5 kg de légumes de printemps : navets, carottes, pommes de terre nouvelles, jeunes oignons, petits pois, fèves… Dans une cocotte en fonte, faites fondre le beurre avec l’huile et dorez bien le jarret à feu vif sur toutes ses faces au moins dix minutes. Saupoudrez-le de cassonade, salez, ajoutez les citrons confits coupés en quatre et 25 cl d’eau. Couvrez la cocotte et enfournez-la à 150 degrés pendant deux à trois heures, la viande étant cuite quand elle se détache de l’os. Si besoin, rajoutez de l’eau. Epluchez les légumes et, si nécessaire, coupez-les en gros quartiers. Faites-les cuire séparément à l’eau bouillante salée dix à quinze minutes, en les gardant un peu croquants. Retirez la viande et gardez-la au chaud. A l’aide d’une cuillère, retirez l’excédent du gras. Ajoutez les légumes et réchauffez doucement dix minutes. Servez avec le jarret. En dessert, ils ont préparé une «tarte aux cerises et amandes» dénichée dans un délicieux petit livre sur les fruits rouges (2). Pour la pâte, il faut : 120 g de farine, 30 g de poudre d’amande, 30 g de sucre, 60 g de beurre. Pour la garniture : 500 g de cerises, 80 g d’amandes effilées, 30 g de beurre, 40 g de sucre. Préparez la pâte : versez la farine, la poudre d’amande et le sucre dans un saladier et mélangez. Incorporez le beurre mou coupé en dés et un peu d’eau puis pétrissez et faites une boule. Mettez un film et laissez reposer au réfrigérateur pendant trente minutes. Lavez, équeutez et dénoyautez les cerises. Etalez la pâte et foncez un moule à tarte. Piquez-la avec une fourchette. Répartissez la moitié des amandes effilées sur la pâte, puis recouvrez avec les cerises. Parsemez du reste d’amandes et de noisettes de beurre, saupoudrez de sucre et enfournez 180 degrés durant environ trente minutes. Laissez refroidir avant de servir. (1) «Cuisines paysannes» de Julien Fouin, Blandine Boyer. Photographies de Marie Henechart, Rouergue Keribus éditions, 25 euros (2) «Fruits rouges, je vous aime», de Béatrice Vigot-Lagandré, éd. Le Sureau, 10 euros