Les serments de Strasbourg (842) Ce premier texte en langues vulgaires romane et germanique est le résultat d’une stratégie de propagande politique. Les serments sont insérés dans le texte en latin des Historiae de Nithardus sous forme de citation, en tant que notation fidèle et témoignage d’un acte politique. L’auteur, Nithard, est le fils d’Anghilbert et de Berthe, la fille de Charlemagne, donc le petit-fils de l’empereur et le cousin des trois fils de Louis le Pieux qui se disputent le règne. Dans cette guerre civile, il est du côté des cadets – Louis le Germanique et Charles le Chauve – contre Lothaire. Son ouvrage – Historiae – en quatre volumes est une justification du partage de l’Empire selon une logique liguistique – à l’ouest la partie romane, la future France, à l’est, la partie germanique. Nithard/Nithardus (vers 800–844/845 ou 858/859) Historiarum liber III, 5 Les deux frères Louis et Charles prêtent serment devant les armées respectives de chacun. Le serment en langue romane est prononcé par Louis le Germanique, celui en langue germanique par Charles le Chauve. Les armées des deux souverains ont juré leur fidélité elles aussi chacune dans sa langue. Pour une meilleure compréhension les passages respectifs de la chronique sont accompagnés, ici, de la traduction. La langue romane qui est employée n’est sans doute pas la notation d’un dialecte précis, mais probablement une construction artificielle que l’on peut considérer comme une tentative de constituer un moyen de communication « supradialectal », accessible à tous les sujets parlants du territoire. Cumque Karolus hæc eadem verba romana lingua perorasset, Ludhovicus, quoniam major natu erat, prior hæc deinde se servaturum testatus est : Et lorsque Charles eut prononcé ces mêmes paroles en langue romane, Louis parce qu’il était l’aîné, jura le premier de les observer : Pro deo amur et pro christian poblo et nostro commun salvament, d´ist di in avant, in quant deus savir et podir me dunat, si salvarai eo cist meon fradre Karlo et in aiudha et in cadhuna cosa, si cum om per dreit son fradra salvar dift, in o quid il mi altresi fazet, et ab Ludher nul plaid nunquam prindrai, qui, meon vol, cist meon fradre Karle in damno sit. Pour l’amour de Dieu et pour le salut du peuple chrétien et notre salut commun, de ce jour en avant, autant que Dieu m’en donnera le savoir et le pouvoir, je défendrai mon frère Charles, et l’aiderai en toute circonstance, comme on doit selon l’équité défendre son frère, pourvu qu’il en fasse autant à mon égard. Et jamais je ne prendrai avec Lothaire aucun arrangement qui, de ma volonté, puisse être nuisible à mon frère Charles. Quod cum Ludhovicus explesset, Karolus teudisca lingua sic hec eadem verba testatus est : Lorsque Louis eut terminé, Charles répéta les mêmes paroles en langue tudesque : In godes minna ind in thes christiânes folches ind unsêr bêdhero gehaltnissî, fon thesemo dage frammordes, sô fram sô mir got gewizci indi mahd furgibit, sô haldih thesan mînan bruodher, sôso man mit rehtu sînan bruodher scal, in thiu thaz er mig sô sama duo, indi mit Ludheren in nohheiniu thing ne gegango, the mînan willon imo ce scadhen werdhên. Sacramentum autem, quod utrorumque populus, quique propria lingua, testatus est, romana lingua sic se habet : Et le serment que les deux peuples prononcèrent, chacun dans sa propre langue, est ainsi conçu en langue romane : Si Lodhuvigs sagrament que son fradre Karlo jurat conservat, et Karlus, meos sendra, de suo part non los tanit, si io returnar non l’int pois, ne io ne neuls cui eo returnar int pois, in nulla aiudha contra Lodhuvig nun li iv er. Si Louis respecte le serment qu’il a juré à son frère Charles, et que Charles, mon seigneur, de son côté ne le tienne pas, si je ne l’en puis détourner, ni moi ni aucun de ceux que j’en pourrai détourner, je ne lui serai en aucune aide contre Louis.