Œuvre de Jules Michelet : « L’Histoire est une résurrection » L’imagination de Michelet en œuvre : Eglises gothiques (Histoire de France, tome II) Le passage sur les cathédrales qui fait partie du tome II de l’Histoire de France, se compte parmi les plus belles pages que Michelet ait jamais écrites. Commentez cet extrait, comment caractérisiez-vous son style ? Quelles figures de langue emploi l’auteur, quelles tournures rhétoriques ? Quelle est selon vous le rôle de l’imagination de Michelet dont l’abus lui était reproché par plusieurs critiques ? Comment l’extrait s’inscrit dans la volonté de l’auteur de faire « la résurrection » de l’histoire ? On sait que l'Église chrétienne n'est primitivement que la basilique du tribunal romain. L'Église s'empare du prétoire même où Rome l'a condamnée. Le tribunal s'élargit, s'arrondit et forme le chœur. Cette église, comme la cité romaine, est encore restreinte, exclusive ; elle ne s'ouvre pas à tous. Elle prétend au mystère, elle veut une initiation. Elle aime encore les ténèbres des Catacombes où elle naquit ; elle se creuse de vastes cryptes qui lui rappellent son berceau. Les catéchumènes ne sont pas admis dans l'enceinte sacrée, ils attendent encore à la porte. Le baptistère est au dehors, au dehors le cimetière ; la tour elle-même, l'organe et la voix de l'église, s'élève à côté. La pesante arcade romane scelle de son poids l'église souterraine, ensevelie dans ses mystères. Il en va ainsi tant que le christianisme est en lutte, tant que dure la tempête des invasions, tant que le monde ne croit pas à sa durée. Mais lorsque l'ère fatale de l'an 1000 a passé, lorsque la hiérarchie ecclésiastique se trouve avoir conquis le monde, qu'elle s'est complétée, couronnée, fermée dans le pape, lorsque la chrétienté, enrôlée dans l'armée de la croisade, s'est aperçue de son unité, alors l'Église secoue son étroit vêtement, elle se dilate pour embrasser le monde, elle sort des cryptes ténébreuses. Elle monte, elle soulève ses voûtes, elle les dresse en crêtes hardies, et dans l'arcade romaine reparaît l'ogive orientale. Voilà un prodigieux entassement, une œuvre d'Encelade. Pour soulever ces rocs à quatre, à cinq cents pieds dans les airs, les géants, ce semble, ont sué... Ossa sur Pélion, Olympe sur Ossa...Mais non, ce n'est pas là une œuvre de géants, ce n'est pas un confus amas de choses énormes, une agrégation inorganique... Il y a eu là quelque chose de plus fort que le bras des Titans... Quoi donc ? Le souffle de l'esprit. Ce léger souffle qui passa devant la face de Daniel, emportant les royaumes et brisant les empires ; c'est lui encore qui a gonflé les voûtes, qui a soufflé les tours au ciel. Il a pénétré d'une vie puissante et harmonieuse toutes les parties de ce grand corps, il a suscité d'un grain de sénevé la végétation du prodigieux arbre. L'esprit est l'ouvrier de sa demeure. Voyez comme il travaille la figure humaine dans laquelle il est enfermé, comme il imprime la physionomie, comme il en forme et déforme les traits ; il creuse l'œil de méditations, d'expérience et de douleurs, il laboure le front de rides et de pensées, les os mêmes, la puissante charpente du corps, il la plie et la courbe au mouvement de la vie intérieure. De même, il fut l'artisan de son enveloppe de pierre, il la façonna à son usage, il la marqua au dehors, au dedans de la diversité de ses pensées ; il y dit son histoire, il prit bien garde que rien n'y manquât de la longue vie qu'il avait vécue ; il y grava tous ses souvenirs, toutes ses espérances, tous ses regrets, tous ses amours. Il y mit, sur cette froide pierre, son rêve, sa pensée intime. Dès qu'une fois il eut échappé des catacombes, de la crypte mystérieuse où le monde païen l'avait tenu, il la lança au ciel cette crypte ; d'autant plus profondément elle descendit, d'autant plus haut elle monta ; la flèche flamboyante échappa comme le profond soupir d'une poitrine oppressée depuis mille ans. Et si puissante était la respiration, si fortement battait ce cœur du genre humain, qu'il fit jour de toutes parts dans son enveloppe ; elle éclata d'amour pour recevoir le regard de Dieu. Regardez l'orbite amaigri et profond de la croisée gothique, de cet œil ogival, quand il fait effort pour s'ouvrir, au douzième siècle. Cet œil de la croisée gothique est le signe par lequel se classe la nouvelle architecture. L'art ancien, adorateur de la matière, se classait par l'appui matériel du temple, par la colonne, colonne toscane, dorique, ionique. L'art moderne, fils de l'âme et de l'esprit, a pour principe, non la forme, mais la physionomie, mais l’œil ; non la colonne, mais la croisée; non le plein, mais le vide. Au douzième et au treizième siècle, la croisée, enfoncée dans la profondeur des murs, comme le solitaire de la Thébaïde dans une grotte de granit, est toute retirée en soi ; elle médite et rêve. Peu à peu elle avance du dedans au dehors ; elle arrive à la superficie extérieure du mur. Elle rayonne en belles roses mystiques, triomphantes de la gloire céleste. Mais le quatorzième siècle est à peine passé que ces roses s’altèrent ; elles se changent en figures flamboyantes ; sont-ce des flammes, des cœurs ou des larmes? Tout cela peut-être à la fois. Une héroïne micheletiste et la vision symbolique de l’Histoire : Jeanne d’Arc (L’Histoire de France, tome V) L’extrait suivant se trouve dans le livre directement après le récit sur la mort de Jeanne d’Arc. Comment Michelet procède pour interpréter l’histoire de Jeanne d’Arc ? Quel est, selon lui, le lien entre son destin et celui de la France ? Comment cet extrait relève de la dimension symbolique de l’Histoire, caractéristique pour la conception de Michelet ? Quelle légende plus belle que cette incontestable histoire ? Mais il faut se garder bien d’en faire une légende ; on doit en conserver pieusement tous les traits, même les plus humains, en respecter la réalité touchante et terrible... Que l’esprit romanesque y touche, s’il ose ; la poésie ne le fera jamais. Eh ! que saurait-elle ajouter ?... L’idée qu’elle avait, pendant tout le moyen âge, poursuivie de légende en légende, cette idée se trouva à la fin être une personne ; ce rêve, on le toucha. La Vierge secourable des batailles que les chevaliers appelaient, attendaient d’en haut, elle fut ici-bas... En qui ? C’est la merveille. Dans ce qu’on méprisait, dans ce qui semblait le plus humble, dans une enfant, dans la simple fille des campagnes, du pauvre peuple de France... Car il y eut un peuple, il y eut une France. Cette dernière figure du passé fut aussi la première du temps qui commençait. En elle apparurent à la fois la Vierge... et déjà la Patrie. Telle est la poésie de ce grand fait, telle en est la philosophie, la haute vérité. Mais la réalité historique n’en est pas moins certaine ; elle ne fut que trop positive et trop cruellement constatée... Cette vivante énigme, cette mystérieuse créature, que tous jugèrent surnaturelle, cet ange ou ce démon, qui, selon quelques-uns, devait s’envoler un matin, il se trouva que c’était une jeune femme, une jeune fille, qu’elle n’avait point d’ailes, qu’attachée comme nous à un corps mortel, elle devait souffrir, mourir, et de quelle affreuse mort ! Mais c’est justement dans cette réalité qui semble dégradante, dans cette triste épreuve de la nature, que l’idéal se retrouve et rayonne. Les contemporains eux-mêmes y reconnurent le Christ parmi les Pharisiens... Toutefois nous devons y voir encore autre chose, la Passion de la Vierge, le martyre de la pureté. Il y a eu bien des martyrs ; l’histoire en cite d’innombrables, plus ou moins purs, plus ou moins glorieux. L’orgueil a eu les siens, et la haine et l’esprit de dispute. Aucun siècle n’a manqué de martyrs batailleurs, qui sans doute mouraient de bonne grâce, quand ils n’avaient pu tuer... Ces fanatiques n’ont rien à voir ici. La sainte fille n’est point des leurs, elle eut un signe à part : Bonté charité, douceur d’âme. Elle eut la douceur des anciens martyrs, mais avec une différence. Les premiers chrétiens ne restaient doux et purs qu’en fuyant l’action, en s’épargnant la lutte et l’épreuve du monde. Celle-ci fut douce dans la plus âpre lutte, bonne parmi les mauvais, pacifique dans la guerre même ; la guerre, ce triomphe du Diable, elle y porta l’esprit de Dieu. Elle prit les armes quand elle sut « la pitié qu’il y avoit au royaume de France ». Elle ne pouvait voir « couler le sang françois ». Cette tendresse de cœur elle l’eut pour tous les hommes ; elle pleurait après les victoires et soignait les Anglais blessés. Pureté, douceur, bonté héroïque, que cette suprême beauté de l’âme se soit rencontrée en une fille de France, cela peut surprendre les étrangers qui n’aiment à juger notre nation que par la légèreté de ses mœurs. Disons-leur (et sans partialité, aujourd’hui que tout cela est si loin de nous) que sous cette légèreté, parmi ses folies et ses vices même, la vieille France n’en fut pas moins le peuple de l’amour et de la grâce. Le sauveur de la France devait être une femme. La France était femme elle-même. Elle en avait la mobilité, mais aussi l’aimable douceur, la pitié facile et charmante, l’excellence au moins du premier mouvement. Lors même qu’elle se plaisait aux vaines élégances et aux raffinements extérieurs, elle restait au fond plus près de la nature. Le Français, même vicieux, gardait plus qu’aucun autre le bon sens et le bon cœur. L’Histoire mêlée au drame : Prise de la Bastille (L’Histoire de la Révolution française) Le 14 juillet 1789 est pour Michelet le sommet de l’histoire française, son accomplissement. Observez comment l’histoire décrit les débuts de cette journée. Comment peut-on caractériser, du point de vue narrative, l’extrait ? Quels sont les moyens linguistiques et stylistiques que l’auteur emploi pour renforcer l’effet dramatique du texte ? Selon vous, il s’agit plutôt d’un récit historique/factuel ou d’un récit littéraire ? Pourquoi ? Versailles, avec un gouvernement organisé, un roi, des ministres, un général, une armée, n'était qu'hésitation, doute, incertitude, dans la plus complète anarchie morale. Paris, bouleversé, délaissé de toute autorité légale, dans un désordre apparent, atteignit, le 14 juillet, ce qui moralement est l'ordre le plus profond, l'unanimité des esprits. Le 13 juillet, Paris ne songeait qu'à se défendre. Le 14, il attaqua. Le 13 au soir, il y avait encore des doutes, et il n'y en eut plus le matin. Le soir était plein de trouble, de fureur désordonnée. Le matin fut lumineux et d'une sérénité terrible. Une idée se leva sur Paris avec le jour, et tous virent la même lumière. Une lumière dans les esprits, et dans chaque cœur une voix : Va, et tu prendras la Bastille ! Cela était impossible, insensé, étrange à dire..... Et tous le crurent néanmoins. Et cela, se fit. La Bastille, pour être une vieille forteresse, n'en était pas moins imprenable, à moins d'y mettre plusieurs jours et beaucoup d'artillerie. Le peuple n'avait, en cette crise, ni le temps ni les moyens de faire un siège régulier. L'eût-il fait, la Bastille n'avait pas à craindre, ayant assez de vivres pour attendre un secours si proche, et d'immenses munitions de guerre. Ses murs de dix pieds d'épaisseur au sommet des tours, de trente ou quarante à la base, pouvaient rire longtemps des boulets ; et ses batteries, à elle, dont le feu plongeait sur Paris, auraient pu, en attendant, démolir tout le Marais, tout le faubourg Saint-Antoine. Ses tours percées d'étroites croisées et de meurtrières, avec doubles et triples grilles, permettaient à la garnison de faire en toute sûreté un affreux carnage des assaillants. L'attaque de la Bastille ne fut nullement raisonnable. Ce fut un acte de foi. Personne ne proposa. Mais tous crurent et tous agirent. Le long des rues, des quais, des ponts, des boulevards, la foule criait à la foule : À la Bastille ! à la Bastille !... Et dans le tocsin qui sonnait, tous entendaient : À la Bastille ! Personne, je le répète, ne donna l'impulsion. Les parleurs du Palais-Royal passèrent le temps à dresser une liste de proscriptions, à juger à mort la reine, la Polignac, Artois, le prévôt Flesselles, d'autres encore. Les noms des vainqueurs de la Bastille n'offrent pas un seul des faiseurs de motions. Le Palais-Royal ne fut pas le point de départ, et ce n'est pas non plus au Palais-Royal que les vainqueurs ramenèrent les dépouilles et les prisonniers. Encore moins les électeurs qui siégeaient à l'Hôtel de Ville eurent-ils l'idée de l'attaque. Loin de là pour l'empêcher ; pour prévenir le carnage que la Bastille pouvait faire si aisément, ils allèrent jusqu'à promettre au gouverneur que, s'il retirait ses canons, on ne l'attaquerait pas. Les électeurs ne trahissaient point, comme ils en furent accusés, mais ils n'avaient pas la foi. Qui l'eut ? Celui qui eut aussi le dévouement, la force, pour accomplir sa foi. Qui ? Le peuple, tout le monde. (…) Le gouverneur De Launay était sous les armes, dès le 13, dès deux heures de nuit. Il n'avait négligé aucune précaution. Outre ses canons des tours, il en avait de l'Arsenal, qu'il mit dans la cour, chargés à mitraille. Sur les tours, il fit porter six voitures de pavés, de boulets et de ferraille, pour écraser les assaillants. Dans les meurtrières du bas, il avait placé douze gros fusils de rempart qui tiraient chacun une livre et demie de balles. En bas, il tenait ses soldats les plus sûrs, trente-deux Suisses, qui n'avaient aucun scrupule de tirer sur des Français. Ses quatre-vingt-deux invalides étaient pour la plupart dispersés, loin des portes, sur les tours. Il avait évacué les bâtiments avancés qui couvraient le pied de la forteresse. Le 13, rien, sauf des injures que les passants venaient dire à la Bastille. Le 14, vers minuit, sept coups de fusil sont tirés sur les factionnaires des tours. Alarme ! Le gouverneur monte avec l'état-major, reste une demi-heure, écoutant les bruits lointains de la ville ; n'entendant plus rien, il descend. Le matin, beaucoup de peuple, et, de moment en moment, des jeunes gens (du Palais-Royal ? ou autres) ; ils crient qu'il faut leur donner des armes. On ne les écoute pas. On écoute, on introduit la députation pacifique de l'Hôtel de Ville, qui, vers dix heures, prie le gouverneur de retirer ses canons, promettant que, s'il ne tire point, on ne l'attaquera pas. Il accepte volontiers, n'ayant nul ordre de tirer, et, plein de joie, oblige les envoyés de déjeuner avec lui. Comme ils sortaient, un homme arrive, qui parle d'un tout autre ton. Un homme violent, audacieux, sans respect humain, sans peur ni pitié, ne connaissant nul obstacle, ni délai, portant en lui, le génie colérique de la Révolution... Il venait sommer la Bastille. La terreur entre avec lui. La Bastille a peur ; le gouverneur ne sait pourquoi, mais il se trouble, il balbutie. L'homme, c'était Thuriot, un dogue terrible, de la race de Danton ; nous le retrouverons deux fois, au commencement et à la fin ; sa parole est deux fois mortelle il tue la Bastille, il tue Robespierre. Il ne doit pas passer le pont, le gouverneur ne le veut pas, et il passe. De la première cour il marche à la seconde ; nouveau refus, et il passe ; il franchit le second fossé par le pont-levis. Et le voilà en face de l'énorme grille de fer qui fermait la troisième cour. Celle-ci semblait moins une cour qu'un puits monstrueux, dont les huit tours, unies entre elles, formaient les parois. Ces affreux géants ne regardaient point, du côté de cette cour, n'avaient point une fenêtre. À leurs pieds, dans leur ombre, était l'unique promenade du prisonnier ; perdu au fond de l'abîme, oppressé de ces masses énormes, il n'avait à contempler que l'inexorable nudité des murs. D'un côté seulement, on avait placé une horloge entre deux figures de captifs aux fers, comme pour enchaîner le temps et faire plus lourdement peser la lente succession des heures. Là étaient les canons chargés, la garnison, l'état-major. Rien n'imposa à Thuriot. Monsieur, dit-il au gouverneur, je vous somme au nom du peuple, au nom de l'honneur et de la patrie, de retirer vos canons et de rendre la Bastille. Et, se tournant vers la garnison, il répéta les mêmes mots. (…) Un charron, ancien soldat, sans s'amuser à ce parlage, se mit bravement à l'œuvre. Il s'avance, la hache à la main, monte sur le toit d'un petit corps de garde, voisin du premier pont-levis, et, sous une grêle de balles, il travaille paisiblement, coupe, abat les chaînes, fait tomber le pont. La foule passe ; elle est dans la cour. On tirait à la fois des tours et des meurtrières qui étaient au bas. Les assaillants tombaient en foule et ne faisaient aucun mal à la garnison. De tous les coups de fusil qu'ils tirèrent tout le jour, deux portèrent : un seul des assiégés fut tué. (…) La rage du peuple fut inexprimable. Depuis le matin, on disait que le gouverneur avait attiré la foule dans la cour pour tirer dessus ; ils se crurent trompés deux fois et résolurent de périr ou de se venger des traîtres. À ceux qui les rappelaient ils disaient, dans leur transport : Nos cadavres serviront du moins à combler les fossés !Et ils allèrent obstinément, sans se décourager jamais, contre la fusillade, contre ces tours meurtrières, croyant qu'à force de mourir ils pourraient les renverser.