Jerome Ceccon Universiteit Antwerpen Les ecrivains italo-quebecois dans leur rapport a la langue et a la culture ou comment se positionner comme ecrivain a part entiere dans le contexte quebecois L'italiano come terzo polo, come lingua che rompe la dualita in Canada e rappresenta tutte le altre lingue, identita, esclusa dalla comunicazione ufficiale... (...) L'italiano e una provocazione per dire che il modo migliore per raggiungere gli altri e difarlo attraverso la lingua Lamberto Tassinari Les ecrivains d'origine italienne sont, apres les Haitiens, le deuxieme groupe en importance quant a la production litteraire d'origine allophone (plus de deux cent mille italo-quebecois vivent en effet au Quebec), ce qui fait dire a Filippo Salvatore que voila venue "l'ere des trois solitudes". Ce nombre est pourtant en train de decroitre, car nombreux sont ceux qui, arrives a l'age de la retraite, retournent s'installer au pays ou bien, rejetes (parfois) par l'establishment litteraire montrealais, s'exilent au Canada anglais ou en France et, j'en terminerai, boudes par le public quebecois et francophone des best-sellers, retournent ecrire dans leur pays d'origine, a l'instar des ecrivains d'origine italienne en Allemagne, ou une forte composante turque domine la scene litteraire nationale au son tonitruant d'un exotisme ethnocentrique fort rassurant et entretenu souvent avec brio, par et pour les elites europeennes. A la difference de la plupart de leurs collegues haitiens, les ecrivains italo-quebecois ne considerent pourtant jamais le Quebec comme une etape dans leur devenir litteraire et, contrairement la aussi aux ecrivains haitiens (in primis pour des raisons linguistiques), ne s'inscrivent pas dans le champ litteraire du pays d'origine (italien en 1 l'occurrence) principalement parce qu'aucun d'entre eux (ä quelques exceptions pres) n'ecrit dans la langue de Dante. Souvent raeme, ils parleront du Quebec comme de leur nouvelle patrie. Mais pourtant, chez eux, c'est encore l'ancienne patrie qui occupe le premier plan : l'ltalie est percue comme la terre des origines, perdue pour l'eternite ; l'ltalie est la mere trop desargentee, incapable de donner ä manger ä ses enfants et qui les abandonne pour qu'ils se fassent adopter par des etrangers. Cette premiere idee nous ramene done ä une version desormais depassee d'une Italie d'avant le miracle economique des annees 80, limitee ä une realite meridionale qui ne vit qu'au travers des stereotypes culturels tres en vogue encore aujourd'hui ä l'etranger. Par ailleurs, nous dit-on, les protagonistes de ces textes font preuve de courage lorsqu'ils rechignent ä transplanter les comportements typiquement italiens dans la culture nord-americaine. Mais, ces comportements si typiques et tant decries, ne participent-ils pas de cette entreprise de categorisation des personnages litteraires tres en vogue dans la litterature italo-quebecoise? Dans sa piece de theatre Addolorata, Marco Micone nous presente un jeune couple Lolita et Jimmy (qui reprendront plus tard leur nom d'origine Addolorata et Giovanni), etabli dans le quartier Little Italy ä Montreal ; Remarquons la aussi le cliche culturel dans la representation de l'espace geographique (europeen) des Italiens de Montreal (ville nord-americaine). Dans un jeu de miroir, les deux jeunes gens reproduisent le jeu comportemental de leurs parents nes en Italie. Ce caractere hybride, notion fort utilisee par la critique litteraire et que certains ont utilise dans leur analyse des personnages de la deuxieme generation d'italo-quebecois de la piece, ne me semble ici que tres peu adaptee. L'hybridite est d'ailleurs ä nouveau mobilisee dans le recueil d'essais Le figuier enchante, une serie de textes ä forte couleur autobiographique et presente comme un excellent exemple d'ecriture metisse, par exemple, lorsque Micone fait dire ä son narrateur : "ni tout ä fait italienne, ni tout 2 á fait québécoise, ma culture est hybride". Micone nous dit réfléchir sur une réalité qui posait (et semble encore poser) l'italien et ses enfants au Quebec, devant les problěmes que connaít une minorita á 1'intérieur d'une autre minoritě francophone, dans un contexte dominé par les anglophones. Mais, c'est se placer la dans une relation de dominant/dominé, le dominant créant une littérature majeure et le dominé une littérature mineure, voire « petite » dans le sens kafkaien du terme, c'est-a-dire dans un cercle vicieux et dans une épreuve de force dont la littérature italienne de la diaspora ne sortira qu'affaiblie. C'est, hélas, dans cette relation la que la plupart des écrivains italo-québécois se sont enfermés. Le thěme de 1'identité participe de ce sentiment ďinfériorité qui sous-tend toute la production italo-québécoise. Quoi de plus significatif alors que l'identification des italo-québécois, touches par les changements socio-économiques, aux souverainistes et á leurs options politiques! L'identite italo-québécoise n'est alors qu'un concept vidé de son sens et l'italo-québécois se noie dans une québécitude nationaliste. Rappelons toutefois qu'il existe parmi les néo-Québécois d'autres options aux fondements théoriques fort différents. A cóté de M. Micone se trouve un écrivain, scénáristé et éditeur, au cheminement intellectuel fort similaire qui se prénomme A. D'Alfonso. Ce dernier a délaissé l'usage de l'anglais pour le francais, langues qui, á cóté de l'italien représentent des lieux, des enracinements comme la maison paternelle, l'ecole et le monde du dehors. Toujours dans une optique trěs ethnique, il se demande : "qui suis-je ? je me pose la question. Moi, québécois, dois-je me dire italien ? Moi, italien, dois-je me dire québécois ? Heureusement, les réponses qu'il apportera á ces questions ontologiques ne découleront en aucune facon du concept de pays/patrie, ce qui représentera une avancée dans 1'auto-représentation de la communauté. II déclarera méme dans Avril ou l'anti-passion : " Un pays, c'est quoi au juste ? un territoire, une nation ou pire une 3 mythologie d'enracinement ?". Comme nous le voyons au travers de ces exemples, la question de l'identite nationale reste fortement liee ä l'incertitude quant ä l'espace reserve ä la langue ou aux langues. C'est d'ailleurs l'incertitude linguistique qui defait et en raerae temps (ou ä cöte) definit le caractere specifique d'une societe donnee. Dans un de ses ouvrages, L'Autre Rivage, Antonio D'Alfonso s'exclame : " quand j'ecris, j'ai en tete la memoire d'une langue et j'exprime cette memoire dans une autre langue. Un mariage de memoires". II s'agit done la d'un premier exemple d'ecriture metisse. Un autre ecrivain, Fulvio Caccia, en collaboration avec D'Alfonso empruntent pour analyser la situation de leur communaute d'origine, le modele tetralingue d'Henri Gobard et affirme : "L'utilisation d'un langage double ou triple pose ä l'immigrant la question du pouvoir entre l'anglais et le francais et du choix de Tun ou de l'autre. Mais aussi de l'italien, qui, pour les secondes generations, demeurait encore en usage dans les families. Dans cette situation, la relation au langage devient particuliere. D'abord, il existe la langue vernaculaire, d'origine maternelle, parlee dans la famille. Sa signification est celle de l'ici et maintenant, "here and now". Puis la langue vernaculaire, utilisee en ville, pour le commerce, l'industrie, etc. C'est ce langage universel qui agit comme premier agent de deterritorialisation, comme l'ont montre Gilles Deleuze et Felix Guattari. "Une litterature mineure n'est pas celle d'une langue mineure, plutöt celle qu'une minorite fait dans une langue majeure". Mais le premier caractere est de toute facon que la langue y est affectee d'un fort coefficient de "deterritorialisation", que les auteurs appellent aussi un phenomene de deracinement. En troisieme lieu, la langue referentielle, celle de la culture, du lä-bas, du "over there", du pays d'origine. Celle-ci est souvent affectee de valeurs morales et sociales du passe. Enfin, la langue mythique de la religion, de l'au-delä ou du "beyond", la langue des ancetres, chargee de tous les atours de la culture perdue ou 4 disparue, qu'elle soit nationale, provinciale ou folklorique". Le binöme linguistique se transforme des lors en trinöme. La langue vernaculaire parlee au sein du foyer familial fait partie des dialectes regionaux importes d'ltalie ; L'italien, dans sa version standard, est la langue de la culture et s'identifie ä un langage du mythe noble, eleve mais lointain voire etranger. Apres ces quelques remarques introductives et qui pourront apparaTtre ä certains comme l'expression d'opinions tranchees, rentrons ensemble dans l'analyse des textes des ecrivains italo-quebecois. Prenant le contre-pied des habitudes si souvent enracinees, c'est par les ecrivaines italo-quebecoises que nous commencerons. Auteure d'une trilogie, Lisa Carducci revient dans son oeuvre sur l'impossibilite du retour en arriere couplee avec un enracinement dans la terre d'accueil fort peu probable. Dans l'ltalie est ailleurs, la conception de la vie humaine est celle d'un sur place sans projet dans aucun sens mais, avec la conviction que cette attitude peut amener ä quelque chose de neuf. Mais rester immobile (titre d'un livre d'une autre auteure d'origine etrangere, Ying Chen), c'est essayer de se connaitre soi meme, selon l'expression consacree dans la croyance populaire, trouver une vie interieure, depasser les contingences materielles, et grace au regard interieur devenir "un introverti, un intrus". Cette "passion du retour", dont parle Nepveu, est explicitee dans un recueil de poesie (La derniere fois) de Lisa Carducci. En voici une citation : "Facte de vivre/Ulysse/est voyage sans retour". Depuis quelques annees done, des voix au feminin donnent leur version de la problematique de l'immigration vecue, dans la cas de la communaute italienne, dans l'espoir avoue ou enfoui d'un retour. Le theme d'Une femme ä la fenetre de Bianca Zagolin est d'ailleurs bien celui du deracinement, un deracinement vecu ä la premiere personne et en famille. Le cadre du roman etant defini, l'auteure nous parle, dans la premiere partie, d'exil, un double exil 5 qui prend la forme de l'"enracinement" d'une jeune veuve du Nord de l'ltalie dans la réalité québécoise et le "dépaysement" que constitue son retour au pays natal. Un dépaysement que la protagonisté vit avec ďautant plus ďintensité qu'elle est consciente de la transformation qui est en cours dans son for intérieur : l'espace Italie est un ailleurs pour elle, 1'étrangěre du Quebec. Elle refusera d'ailleurs, dans son Italie natale, de suivre un veuf emigre en Austrálie. Dans la thématique de Zagolin, on retrouve en effet, á cóté de l'impossible retour, la recherche sans espoir d'une "deuxiěme chance", d'une "deuxiěme voie/voix dans quelque lieu que ce soit. La femme de Zagolin devient nomade, une habitante du Tout-monde de Glissant. Zagolin conclut : "N'appartient á aucun lieu, aucun temps, aucun amour. L'origine perdue, l'enracinement impossible, la mémoire plongeante, le present en suspens". Ces deux auteurs femmes et surtout Bianca Zagolin nous aident á sortir des preoccupations "ethniques" avec tous ses corollaires (culture immigrée si chěre aux théoriciens italo-québécois hommes), d"'interculturalisme" ou "transculturalisme" qui reposent sur des approches édulcorées et politiques ďun sujet complexe tel que la relation entre les étres, sujet philosophique, s'il en est, et qui mériterait une etude intellectuelle plus profonde et plus honnéte. Et, comme le dit fort bien Zagolin, deux dangers sont en embuscade : "Le premier, c'est que l'"ethnicité", filtrée par les bureaucraties, a été récupérée par la culture institutionnelle (...) Le deuxiěme danger de ce que j'ai appelé le discours dominant de l'"interculturalisme", c'est qu'il tend á brouiller les limites entre littérature et société, entre, d'une part, la vie et les problěmes que forcément nos institutions doivent travailler á résoudre, et, d'autre part, la fiction narrative ou poeti que". L'exemple de l'ecriture masculine italo-québécoise tenterait, par contre, ď eloigner le postulát selon lequel entre la littérature d'immigration, que beaucoup plebiscites, et la littérature tout court il faut choisir la deuxiěme. 6 L'America retentit, dans l'inconscient collectif italien, et cela depuis bien longtemps, comme une exhortation porteuse d'un avenir radieux. Sur le continent nord-americain, les ecrivains d'origine italienne, sans compter les artistes de cinema et de theatre, les sculpteurs et les peintres, etc., ont ete les premiers a mettre en prose et en vers le reve et la deception de l'exil. Au Quebec, a cote du Canadien anglais Nino Ricci, ce sont surtout Marco Micone, Antonio D'Alfonso et Fulvio Caccia, des hommes done, qui ont represents cette recherche d'une liberte que certains considerent comme atteinte et que j'appellerai moi une recherche desesperee et vaine. Marco Micone doit ses lettres de noblesse a ses prises de position publique sur la question de l'immigrant dans la societe, se trouvant souvent en porte-a-faux par rapport aux autres voix italo-quebecoises. L'insecurite linguistique transformed en motivation d'ecriture sera dans son ceuvre l'exemple eloquent de la surconscience deja analysee par Lise Gauvin et qui vit au fin fond des entrailles de n'importe quel ecrivain dont la langue ne s'inscrit pas profondement dans un territoire reel ou imaginaire. C'est dans son activite theatrale qu'il appliquera d'ailleurs ce qu'il defend dans ses envolees theoriques et qu'il essaiera de construire a partir d'un "no man's langue - ni italien, ni francais, ni anglais » - une ceuvre centree sur l'immigration, mot qui tend d'ailleurs de nos jours a etre remplace totalement par migration. Dans sa Trilogia, nom italien qui tout en signifiant trilogie se refere au chiffre 3, tres present dans la symbolique chretienne (catholique) et qui se rapproche de la Trinita (Trinite) representant le Christ, Dieu le pere et le saint Esprit, et plus precisement dans les deux premieres pieces de cette trilogie, la question de la langue est le reflet des conflits qui opposent les personnages. Le nom raerae de Chiuso (ferme en italien) est metaphoriquement et symboliquement la representation d'une espace limite au quartier italien de Montreal "enclave entre trois carrieres de ciment et le boulevard metropolitain. Comme dit l'un des 7 personnages: "Chiuso, c'est le silence du vide et le vacarme du chaos. C'est la langue meprisee des oublies et des deracinees. C'est la revolte etouffee de l'homme ni d'ici ni d'ailleurs". Dans Addolorata, la question des langues refait surface d'abord de facon allusive quand Addolorata declare : "chez nous, apres la question de langue, c'est la sauce tomate qui cause le plus de chicanes". L'evolution de la question linguistique dans la piece nous amene jusqu'au moment ou, dans son essence patronymique meme, Addolorata Zanni decide de devenir Lolita Gomez. Quelle perte d'identite cela represente que de changer de nom et de prenom et pourquoi choisir un nom espagnol! N'est-ce pas une recherche de l'effacement, du contournement du theme identitaire, d'une fuite vers l'exotique, d'une non-acceptation de sa propre identite. Transfuge de la langue, Lolita est en terrain neutre, a l'heure d'une nouvelle construction identitaire. Mais cette construction artificielle ne s'en revelera que plus dangereuse et comme l'expression d'un desarroi profond du personnage. Mais voila qu'heureusement Addolorata son double renait pour se construire une vraie identite de femme. Par contre, Les personnages masculins de la piece s'opposent. Face au multilinguisme revendique de Jimmy qui frise le langage macaronique, ce qui est l'aveu d'une ignorance et d'une impuissance, Gianni retorque simplement : "j'aime pas melanger les langues". Jimmy, personnage loufoque typique des comedies de boulevard du repertoire francais, ne se rend meme pas compte de la meconnaissance de chacune des langues qu'il pretend parler, ce qui se materialise dans une scene de pure comedie dans laquelle il essaie, sans y arriver, de faire croire qu'il connait le pluriel de cappuccino. Quant a Gianni au travers duquel on peut imaginer l'auteur lui-meme, ses convictions qui font de la langue le vecteur de l'identite, nous empeche d'eprouver de la sympathie pour lui. Toutefois, la force de la piece est de proposer au spectateur toute une serie de categorisations humaines et, grace a cette demarche brechtienne, de 8 lui permettre de se forger une idee et d'en arriver ä une conclusion personnelle. Si Ton s'en tient maintenant ä l'analyse du Statut et de la place du francais dans le texte, on remarque aisement qu'il est l'objet d'une veritable creation qui est le resultat d'un travail linguistique. Micone declare ä ce sujet : "la recherche d'un niveau de langue que parleraient mes personnages a ete longue et penible. Les Quebecois d'origine italienne n'ont pas encore une langue francaise bien ä eux. On ne peut pas les faire parier comme des personnages quebecois francophones puisque la premiere generation parle encore de facon tres imparfaite le francais, la deuxieme generation est surtout anglicisee. Je ne voulais pas non plus les folkloriser et les ridiculiser en soulignant les lacunes linguistiques. Finalement, j'ai opte pour une langue populaire non fixee". A ce francais s'ajoutent des phrases en italien et en anglais. Nous sommes lä devant une inscription de la "biscripturalite" dans la litterature, d'une ecriture metissee ou interculturelle. Sans oublier la fonction de l'interlangue telle qu'elle a ete definie par J.M. Moura dans un de ses recents ouvrages, nous voyons des situations d'heterolinguisme se glisser dans le recit litteraire et theätral. C'est d'ailleurs plutöt la semantique et non le simple lexique de la langue etrangere que les Italiens, ä la maniere des Creoles, vont aller chercher. Sur le plan de l'expression, Micone invente une nouvelle langue d'ecriture, entre passage d'une langue ä l'autre et creations lexicales ä la frontiere des trois langues. Contrairement aux codes switchings utilises au theatre, il s'agit d'un jeu entre les registres langagiers et aussi d'un rapport complexe et personnel entre le signifiant et le signifie. Ne nous parle-t-on pas de regali (cadeaux), de nevasse pour neige fondante, sachant que neige en italien est neve? Encore plus forte egalement est la creation lexicale tel "amigre", mot-valise venant de "ami" et "emigre" ou bien la creation phonetico-linguistique "Aloviou" ou "Aouariou". Micone se rattache lä ä une tradition quebecoise qui trouve en Ferron son 9 representant le plus illustre. L'italien servant dans ce jeu ä "decrisper le francais". Jean Cocteau ne disaient-ils pas d'ailleurs que les Italiens sont des francais heureux! Ou bien etait-ce que les francais sont des italiens de mauvaise humeur? Pierre L'Herault ira, et ä juste titre, jusqu'ä voir en Micone un ecrivain-conteur. Marco Micone aura d'ailleurs recours dans son premier recit (Le figuier enchante, 1992) ä l'autobiographie. Dans cette evocation d'une Italie qui n'a rien ä envier ä l'enfer de Dante, la seule evasion est representee par le reve d'un eldorado americain que represente la ville de New York. Ce fantasme nord-americain entrera rapidement en conflit avec la realite du quartier italien de Montreal. Pour l'enfant qu'est Nino, l'experience du deracinement et de l'exil s'avere traumatisante. II vit une situation dans laquelle il se sent muet, la parole perdue. Comme son pere qui trouve dans l'ecriture le seul moyen de communiquer avec une vie passee, Nino se reapproprie la parole pour parier de sa vie, de son experience. Pour lui, comme le dit tres bien Emile Ollivier dans son livre Reperages lorsqu'il nous donne la definition de l'ecrivain public, qu'il etait d'ailleurs, Nino veut parier au nom de sa communaute et devenir l'ecrivain public, le porte drapeau de sa communaute. Cette volonte ferme et affichee de devenir une bouche pour les sans voix fait que la narration miconienne se transforme rapidement en discours (parfois de propagande). Dans sa description des espaces europeen et americain, Micone arrive fort rapidement ä une superposition presque parfaite de l'image qui n'en fait plus qu'une. Une fois cette identification faite entre les deux espaces, l'exil devient plus supportable, si ce n'est surmontable. Apres son retour ä Lofondo, le paese natal de la famille, Nino devore aussi bien les plus belles pages de la litterature quebecoise que les fruits du figuier. Dans une conception tres conservatrice et tres eurocentrique du lieu comme fondement de l'identite, le personnage de Micone s'enracine dans cette terre qui n'est pas la sienne. Cette greffe 10 n'est-elle pas pour autant artificielle et entretenue par le politique qui, surtout dans la réalité canadienne, entend, á travers le multiculturalisme que certains comme N. Bissoondath ont tenté de décrypter, "exotiser" 1'écriture migrante? Pour le deuxiěme auteur italo-québécois, Antonio D'Alfonso, on parle souvent par contre ďidentité diffractée. Dans ses livres, Antonio D'Alfonso, qui est aussi poete, essayiste et éditeur (on lui doit entre autres la creation des editions Guernica), melange le reel et la fiction et son livre Avril ou l'anti-passion (reference religieuse á la passion du Christ) ressemble ainsi plus á des confessions écrites sur un mode romanesque, á la Rousseau avec un saupoudrage de chape catholique bien pensante. Dans sa structure l'ceuvre est parsemée de documents, journaux intimes, photographies, correspondances qui concourent á donner une patině de vérité á l'histoire. Comme chez Micone, l'autobiographie est présente car, le personnage de Fabrizio est en fait l'alter ego de l'auteur. Fabrizio, né á Montreal, fils ďémigrés nous raconte l'histoire de sa famille á la recherche de "una vita nuova" - claire allusion au canon littéraire italien, á la vita nova de Dante Alighieri. Dans un parcours en rien linéaire, truffé d'anecdotes, le héros-narrateur qui est le fruit de l'exil, d'une "divalence" comme l'appelle Emile Ollivier, navigue entre ces trois langues, le dialecte molisan, l'anglais de 1'école et le francais dans la rue. Cest un voyage mouvementé entre trois univers culturels qu'il effectue ; Aucun univers ne réussissant á représenter 1'entiěreté de sa personne. Dans le cas de Fabrizio et á la difference de Nino, le probléme n'est pas le manque, mais bien le trop plein de langues et ďidentités. Entre québécois/italien, francais/anglais, dialecte/italien, latin/américain, la dualité n'est que le reflet du stereotype réducteur et rassurant. Quant á l'aspect langagier, chaque expression linguistique n'exprime qu'une partie de soi. Fabrizio utilise le dialecte pour évoquer le quotidien, passe d'une langue á l'autre pour évoquer 11 une passion : "We spent the afternoon fucking our brains out. On a baisé tout l'apres-midi á nous faire éclater la cervelle. In un'altra lingua. Dans une autre langue. Pour d'autres gens". Ce roman autobiographique trouve en fait toute sa force postmoderně dans l'acception que lui donne le philosophe turinois G. Vattimo, dans le désapprentissage décousu du héros finissant qui abandonne les moděles pour clamer haut et fort un statut mouvant qui ne correspond á aucun genre ni á aucune etiquette. Dans des textes beaucoup plus polémiques, les deux auteurs utilisent la langue comme outil de distanciation qui ébranle le lecteur/spectateur et 1'aměne á donner son avis. Ce procédé, déjá present dans Babele de Micone qui rend de facon caricaturale le multilinguisme, se retrouve en plus "violent" dans "Babel" de D'Alfonso qui commence ainsi : "Nativo di Montréal/élevé comme Québécois/forced to learn the tongue of power/vivi en Mexico como alternativa". Non seulement, aprěs l'identite comme dans Addolorata, on pense le lieu comme transcendé dans une neutralitě tout artificielle et faussement salvatrice. Dans "Speak What", reprise transformée du "Speak White" de Michěle Lai onde", les vers sont la autant de questions que l'auteur pose de facon polémique et parfois tranchée, comme ce besoin que le francais soit une langue imposée : "Imposez-nous votre langue" rétablissant ainsi une dialectique dominant/dominé. Ce poěme qui, lors de sa publication lanca une polémique sur le plagiát, s'inscrit á 1'intérieur du discours de l'intertextualite jusqu'a aller vers une hypertextualité, c'est-a-dire vers une relation unissant un nouveau texte á un texte antérieur sur lequel il se greffe, relation qui, d'apres Genette, serait le type veritable du palimpseste. Lorsque Micone réécrit le poěme-manifeste de Lalonde tout comme Zagolin dans une Femme á la fenétre qui nous présente le personnage d'Aurora sous les traits suggérés de Maria Chapdelaine, le veritable dialogue des cultures, dans sa relation dialogique entre texte et intertextualité est rendu alors quant au niveau 12 littéraire, dans la convocation de textes, dans la citation de passages, dans 1'allusion á ďautres ceuvres, á ďautres cultures. L'intertextualite est alors un des principaux elements du métissage. Si, chez certains auteurs á la fibre ironique comme Dany Laferriěre, les prises en compte de 1'intertexte québécois sont á mettre en relation avec une certaine « captatio benevolentiae», ďautres auteurs vont au-delá du simple frottement des univers culturels. Bianca Zagolin donne un exemple de métissage littéraire dans lequel deux imaginaires culturellement différents se rencontrent de facon spontanée et liběrent un message authentique. Du cóté des écrivains québécois, certains répondront á l'appel du « Speak What» de Micone. Francine Noěl reprendra en exergue de son roman une strophe de « Speak What» et instaurera un dialogue avec les gens du silence, dialogue amplifié par la thématique du roman qui présente la diversité linguistique de Montreal et les problěmes rencontres par les différentes communautés. Le message humanisté est d'ailleurs déjá present dans le titre Nous avons tous découvert 1'Amérique. Les deux codes littéraires - code switching et code-mixing qui caractérisent les écritures migrantes en general et 1'écriture italo-québécoise en particulier, comme nous 1'avons vu dans ces exemples, ont bien évidemment des implications identitaires fortes et il serait possible de reprendre cette analyse de la poétique chicano pour nos écritures migrantes au Quebec : "Chicano literary production can be read as the response to such discursive activity. Chicano poetry has opted for hybridization, a linguistic mestizaje, incorporating the languages and discourses at play in America. It tends to reject the monologue of either autocolonial, assimilationist, English-only verse or the monologue of nationalist Spanish-only verse. Instead, it opts for a multiple tongue, multivoiced literature of the border. The hegemony of Anglo-American representation and subjectification is dialogized by a mestizaje of heteroglot texts that assert Chicano 13 heterogeneity and American heteroglossia". A l'interieur de ces codes litteraires, une analyse plus fine des oeuvres des auteurs serait ä faire (voir J.Ceccon : les codes litteraires chez M. Micone e A. D'alfonso, Studi francesi, hiver 2003). Le meilleur des resultats de cet etat de fait se retrouve en tout cas dans la Schizophrenie heureuse d'Emile Ollivier. Pour conclure, il convient de dire que bien qu'avec un recul inegal, souvent raerae limite, ces auteur(e)s ont tente de se departir de la vacuite du simple recit anecdotique pour parier de la condition humaine. Mais, contrairement ä d'autres auteurs migrants, leurs ecrits fictionnels n'ont pas toujours ete ä la hauteur de leur pretention theorique et de leur implication dans la "vraie" vie. Bibliographie limitée á la contribution italo-québécoise (Euvres étudiées D'Alfonso, Antonio, Avril et 1'anti-passion, Montreal, VLB éditeur, 1990, 198 p. Micone Marco, Le Figuier enchanté, Montreal, Boreal, 116 p. Textes théoriques et analytiques Caccia, Fulvio et D'Alfonso Antonio (dir), Quétes. Textes d'auteurs italo-québécois, Montreal, Guernica, 1983, 280 p. Caccia, Fulvio, Sous le signe du phénix : entretiens avec 15 créateurs italo-québécois, Montreal, Guernica, 1985, 305 p. - "Le roman francophone de l'immigration en Amerique du Nord et en Europe : une perspective transculturelle", dans Metamorphoses d'une Utopie, Paris/Montreal, Presses de la Sorbonne nouvelle/Editions Tryptique, 1992, p.91-103 - La republique metis, Montreal, Balzac-Le Griot editeur, 1997, 156 p. Caucci, Frank, "Topo'i de la transculture dans I'imaginaire italo-quebecois", Quebec Studies, n°15, 1992-1993, p.41-50 D'Alfonso, Antonio, "Identite et culture d'un village ä l'autre. Lettre ä un ami italien vivant äParis", Vice Versa, n°39, octobre-novembre 1992, p.29 Micone, Marco, "Integration et transformation culturelle", Quebec francais, ete 1993, n°90, p.99-101 - "L'identite immigree", Les ecrivains du Quebec, Paris, A.D.E.L.F, 1995, p.204-205 - "Speak what. N'ayons pas peur des mots : Jacques Lanctöt m'accuse de plagiat", Le Devoir, 12 Janvier 1994, p.A-7 Nepveu Pierre, "La passion du retour : Ecritures italiennes au Quebec", dans Winfried Siemerling (dir.), Writing Ethnicity, Toronto, ECW Press, 1996, p. 105 Tassinari, Lamberto, "Ethnicite, inaccomplissement et transculture", Vice Versa, n°40, janvier-mars 1993, p. 10-11 - "SansItalie", Vice Versa, n°16, 1986, p.4 Zagolin, Bianca, "Litterature d'immigration ou litterature tout court?", Possibles, vol.17, n°2, printemps 1993, p.57-62. - "L'histoire d'un deracinement", Ecrits du Canada francais, n°68, Montreal, Hurtubise HMH, 1990, p.175-192 15