La guerre Par chance qu'y a eu la guerre ! Quoi c'est que j'arions fait, nous autres, sans 9a ? Ah ! les temps 6tiont rendus point ais£s. Entre la depression et la guerre, y a eu un temps mort ou c'est qu'i' se passait pus rien entoute. Pus rien qu'i' se passait, en ce temps-la, et j'arions ete* capables de corver coume des betes abandoundes, droite la dans nos trous. Ben y a eu la guerre. A' s'en a venu par icitte juste a temps, c't'elle-la. Juste au bon temps pour nous sauver de la misere. Parce que si j'avions pas pu nous rendre jusqu'a la guerre et que j'avions corve" en chemin, pas parsoune s'en arait apanju. Parce que ce temps-la, apparence que meme les riches en arrachiont pour attraper les deux boutes. £a fait que nous autres... ben nous autres, je tchenions meme pas un boute dans nos mains. Je tchenions pus rien entoute. Par chance, y a eu la guerre. Ouais... une ben boune guerre, que je vous dis. Avant qu'a' s'amenit, la guerre, je crois ben que le Bon Djeu en parsoune arait 6t6 dans l'embarras si je l'avions questioune" sus les genses d'en-bas. Je crois ben qu'il arait point 616 capable de toute nous noumer. Y a pus parsoune qu'avait l'air de saouere que dans notre boute y avait encore du monde en vie. Parce que les darnieres amines, tout ce qui sortait d'en-bas, c'eHait des sarcueils d'enfants. Ceuses-la qu'arriviont pas a mouri' restiont terrds coume des mannottes dans leu trou jusqu'a 9a que le prinlcmps ressoude. Ben notre printemps, 9'a 616 la guerre. La, j'avons erssoudu, nous autres itou. lis ve-niont m6me nous qu'ri' chus nous, Ca faisait point trois mois que la guerre 6tait coumencee, qu'ils sa-viont deja le 110111 de tous les houmes d'cn bas, avcc leur age, leu pesanteur, leu couleur de cheveux, les maladies qu'ils aviont pis ceuses-la qu'ils aviont pas ; ils saviont itou ca que chacun pouvait fairc, el pis le nombre de leux femmes et de leux enfants. Tout ca dtait ecrit sus leux papiers coume si le gouvarnement en parsoune avait retention a l'avenir de s'occuper de nos affaires. C'etait tchurieux, ben je nous plaignions pas. Par rapport que 9a faisait pas de diffarence qui c'est qui pornait nos affaires en main, il pouvait pas en prendre plusse que j'en avions et j'en avions point. La darni£re chouse que j'avions lachde, je me souviens, c'etait nos lits pis nos matelas. Ah ! c'dtait point des matelas a ressorts ni des lits de plumes, faut pas se faire des accroueres. Souvent je nous fabri-quions des lits avec des planches de goelettes echouees sus les cotes. Ca sentait un petit brin I'eH-chume et pis le goemond, ben 9a pornait pas l'eau, toujou' ben. Et je les faisions assez hauts sus pattes pour pas partir a la d'rive au temps des marees hautes et a la fonte des neiges. Ben a la fin, j'avons du quitter partir nos lits avec le reste. Par rapport qu'un sommier pis des plumes, ca se mange point. Une parsoune peut dormir deboute ou dans la place, ben a' peut point manger du bois... Pas longtemps, toujou' ben... Pas toute sa vie... Par chance, y a eu la guerre. Ils s'avont amends en jeep, un bon matin, jusqu'a chus nous. J'avions pas de chemin du roi pour passer devant nos portes, nous autres, ca fait qu'ils s'avont amends en jeep. Des beaux jeeps tout mirants et assez forts qu'ils porniont meme pas la peine de d6barquer rouvrir la barriere et qu'ils passiont a tra-vers des bouchures coume si 9'avait 6t€ une ligne a hardes. Tous les houmes avont sortis ouere quoi c'est qui s'amenait et s'avont trouv6s juste en face de la circonscription. Ils les avont circonscrits juste la, devant la porte. Pis ils avont fait le tour de nos cabanes pour s'assurer ouere qu'il se cachait pas parsoune. Ben je peux pas ouere pourquoi c'est qu'il s'arait cache' du monde a cause de la guerre qui se faisait dans les vieux pays a pas moins de cent milles d'icitte. C'est 9a que Gapi leur a dit; ben ils avont quand meme pass6 tous nos batiments au peigne fin, jus-qu'aux b6cosses et aux cabanes a epelans. Ils avont pas trouv6 parsoune, a part du vieux Fardinand a Jude qu'avait pas pu sortir parce qu'il a eu ses deux jambes coupees en haut du genou lors de la premiere guerre, et pis 'Tit Coq, qu'a pas sa tete a lui. II a pris la meningite 'tant jeune, 'Tit Coq, et coume ils disont, soit qu'ils en mouront ou qu'ils en venont fous. II en a gard6 la tete cobie, le pauvre esclave. Ca fait que c'est le seul qu'a eu peur de la circonscription et qui s'a cach6 dans une pontchine de m£lasse. Ils l'avont aouindu de sa pontchine et ils l'avont circonscrit avec les autres... Ben ils lui ariont trouv6 six orteils au pied gauche, a ce qu'on dit. Ils avont rel&ch6 Julien a Pierre, itou, et Tilmon c^f et le Bossu. Y en a un qu'avait ses trois pommons de parens qu'ils avont 6crit sus son rapport; et un autre qui voyait rien que d'un ceil et c'avait l'air qu'il mirait tout le temps du bord des sargents quand e'est qu'ils lui mettiont un fusil dans les mains; le Bossu, lui, il gardait point le pas, a ce qu'ils avont rapportc" : e'est malaise" de ouere droite devant toi avec les yeux de riv6s a terre. Ben, les pauvres r6chapp6s, ils s'en avont revenus la phale basse, parce que l'arm^e dou-nait des bounes gages, dans le temps, pis elle envoyait meme des cheques aux femmes qu'aviont leus houmes a la guerre. C'est la que j'avons pu regrimper la cote, nous autres. Le premier cheque qui s'a amene" dans le boute, c'est Laurette a Johnny qui l'a recu ; et par chance que le docteur 6tait la, c'te souere-la, par rapport a la vieille qu'dtait parde a rendre son darnier souffle; et qu'a pu saisir qu'i' s'agissait ben d'un cheque, parce que Laurette se pr6parait a le jeter au poele coume une annonce de cataloye. Pis la jc nous avons toute mis a en receouere chacun notre tour et pus parsoune a eu l'idee de le jeter au feu. Ah ! pour une guerre, c'6tait une boune guerre ! Et une belle guerre. Vous ariez du oudre ca ! Quand c'est que leu parade passait au chemin, je courions toute nous attoquer sus la bouchure et je restions la des heures a regarder parader les tanks, pis les jeeps, pis les canons; pis a hucher des noms apres les soldars qui souffeliont dans un cornet pis fessiont sus un tambour. Pis j'essayions de prendre le pas a cot<$ de zeux. Des beaux soldars, ben greyed en soldars ou ben en matelots, avec leux tetes de ben ras6es ben propre. I' faisiont pas zire. Pis i' vous faisiont des clins d'ceil de travers, parce que c'Stait d6fendu pour un soldar de se virer la tete dans la parade. Ca fait que je nous mettions au pas pour marcher a cot6 de zeux. Ben y avait tout le temps queque effar£e qui s'aventurait a en pincer un pour le faire rire, et je finissions par nous faire renvoyer par le capitaine. Ben au moins je pouvions ecouter la musique et regarder la parade. Ill pis des fois les dimanches, je pouvions aller ouere la Home Guard qui pratiquait la guerre derri^re l'6glise. Oui, par rapport qu'ils aviont enr616 dans la Home Guard tous les houmes qu'6tiont trop jeunes, trop vieux, ou trop estropi6s pour aller a l'armde. C'6tait l'arm^e de reserve, qu'ils l'avont appelee, et qui restait au pays pour nous deTendre nous autres si la guerre se rendait chus nous. Ceuses-la qu'6tiont forts pis ben portants, ils les envoyiont dSfendre les autres dans les vieux pays. Ah ! c'6tait une belle Home Guard, tant qu'a ca. C'6tait point aussi beau que la parade qui passait au chemin, ben c'Stait une mani6re de semblant de guerre pareil qu'i' faisiont la dans le champ de l'6glise. Y avait la-dedans 'Tit Coq avec ses six orteils, pis Julien a Pierre avec ses pommons parens, et Tilmon, le Bossu, et tous les vieux traineux de forge qu'aviont accoutume de fumer autour de l'enclume, des jornees durant. La, ils 6tiont tout enrolls dans la Home Guard. Pis ils aviont un sargent pour les guider et leu montrer coument deTendre le pays en cas que les Allemands d6barqueriont par icitte, sans avarti'. C6-tait Telex qu'avait fait 1'autre guerre, la premi6re, et qui pouvait pas retorner au front par rapport qu'il avait 616 gaze" la-bas, apparence. II en avait rest6 tout jongleux, T61ex, et quasiment chavire\ Ben ce que les filles de par chus nous avont le 1 / plusse aim6 de la guerre, je crois ben que c'est les Flat Foot: c'est coume ?a que j'appelions les Anglais qu'aviont travorse" de l'autre bord pour s'en venir pratiquer la guerre par icitte ou c'est qu'i' seriont a l'abric. Par rapport que c'dtait malaise" pour uu jcunc soldar, qu'ils avont dit, de pratiquer ses excrcices de guerre quand c'est qu'il est tout le temps derange" par les bombes et les canons qui... Ah ! la Gapi a eu de quoi a dire. Une guerre ca se pratique au front, qu'il a dit, pas derri6re l'6glise. Et un soldar qui se tchcnt a l'abric, qu'i' dit, je m'y fierais point, moi. Ben tant qu'a 9a, Gapi, i' counait ca. Pis surtout que les Flat Foot, ben... ...I' regardiont ben, ouayez-vous, et ils aviont belle mine. Ca fait que chaque fille de par icitte voulait sortir avec son Anglais. Meme les filles d'en haut. Ca se genait pas. Ben ils 6tiont rien que venus pour pratiquer, les Flat Foot, et ils s'en avont retorn6s. Et y a ben des filles qu'avont reste" avec leu peine... pis un petit ou deux de plusse sus les bras. Ah ! ben, c'avait dure" quand meme queques mois, ou qucqucs annees ; et j'ai pour mon dire qu'une parsounc doit pas rechigner sus un bounheur de vie, meme si i' dure rien que quequc temps. C'est coume la guerre, qu'a rien que dure queques annees ; ben e'etait une boune affaire, une ben boune affaire ! La meilleure affaire depuis la depression et le naufrage de la dune. Ben, oui, durant la depression, les temps sont venus assez mauvais qu'une parsoune pouvait point descendre pus bas. Ben quand c'est que t'es bas assez, la, ils se decidont de faire queque chouse pour pas te laisser corver. Durant la depression, par exemple, ils avont invent6 la soupe. A partir de ce temps-la, j'a-vons coumenc6 a etre ben. J'avions tous les mois notre sac de farine et notre cruchon de mdlasse et des fois meme de la boqouite pour des crepes. La d6pres- sion nous a sauvös de la misere, nous autres. Le pire temps pour le pauvre monde, c'est quand c'est qu'i' se passe rien : pas de guerre, pas d'inondation, pas de crache ecumunique... pas rien pour rappeler au monde qu'y en a qu'avont pas de quoi ä manger. C'est les temps les plus malaisös. Par chance que ca dure pas trop longtemps. D'accoutume, y a queque sorte de crise ä tous les dix ou vingt ans, et je pouvons coume ca prendre notre respire d'un dix ou vingt ans ä l'autre. La darni^re fois, c'6tait le naufrage de la dune. Y a passe" soixante houmes qu'etiont partis pecher la morue au large, c'te matin-lä. Apparence que le radio avait annonce de l'orage, mais nos houmes ä nous-autres aviont pas de radio ä bord, y en a meme qu'aviont pas d'engin et qui pechiont ä la rame. Ca fait qu'ils s'avont apercu de l'orage qu'ils l'aviont sus le dos et c'6tait trop tard pour rentrer au goulet. Apparence que les lames aviont passe" soixante pieds de haut et y en a qu'6tiont en döre" lä-dedans. La plupart avont echoue" sus la dune. Les mats, les dores, et les reins cassis en deux. Y en avait peri cinquante-trois d'un seul coup. Les pretres avont pas fait de facon, c'te fois-lä, pour les enterrer en terre sainte. Tes paques ou pas tes päques, si tu peris dans un naufrage qu'en empörte cinquante-trois d'un coup, ils t'enter-ront avec les autres dans le cimetchere des senestres. Ah ! e'etait point un jour ben joyal quand fallit entendre souner cinquante-trois glas la meme jornöe. Ben, ca nous a remis sus pied pour encore un boute, c'te naufrage-lä. Par rapport que la gazette, et le radio, et le preche du dimanche, tout ca s'a mis ä parier de nous autres et ä organiser des collectes pour nous faire A 00 oublier. Ben ga nous a fait oublier notre faim, toujou' ben, pour un boute. Pis y a eu la guerre. Je crois ben que g'a 6i6 pour nous autres la meilleure affaire. La ineilleure affaire avec le naufrage et la depression. Parce qu'ils avont pas arrets de nous envoyer nos cheques tout le temps que nos houmes avont 6t6 de l'autre bord. Et les femmes des soldars qui sont pas revenus avont continue" de receouere leux cheques de veuves. Et Caillou qu'a laisse" l'une de ses jainbes en Angleterre a regu plusse de quoi pour c'te jambe pardue que pour toute l'ouvrage qu'il arait pu faire avec l'autre. Et Jos Chevreu qu'est revenu avec deux trous a la place des yeux... ben i' y avont paye" des lunettes noueres, une canne blanche pis une pension. Et le jeune gars du deTunt Pit Motte" qu'avait pas meme dix-huit ans quand ils l'avont signe\ et pis qu'avait 616 le soutien de sa m£re depuis la deTunte mort de Pit, ils l'avont trouve" dans le fond des campagnes de France, deux ans apres la guerre, et qui savait pas ou c'est qu'il 6tait par rapport qu'il avait pardu toute sa souvenance, le pauvre enfant de Djeu, a cause d'une balle de fusil a poudre qu'avait reste" pris la, entre le cagouette et le niteau de l'6chine. Ils l'avont ramene" a sa m6re, le soldar ; ben apparence qu'il 1'a pas encore recounue a l'heure qu'il est. H6 ben, il s'en a revenu, toujou ! La Sainte peut pas en dire autant de son gargon : il s'a marie" par la, et pis elle l'a pus jamais revu, meme si a' sait ben qu'il est encore en vie. Ils contont qu'il s'en reviendra pus jamais par icitte. Je crois ben que c'est a cause de la fille a Jeffrey. II1'avait ben aimee, la fille a Jeffrey, et apparence qu'elle l'a point oubli6. Ils Stiont promis. Je crois ben qu'il peut pas se decider a ramener une femme qui pourrait aussi ben coume pas se promener sous les chassis a Jeffrey pour narguer sa fille. Non, c'est sur et sartain que la Sainte reverra pus jamais l'ombre de son gargon. Et pis c'est peut-etre aussi ben coume ga. Depis ce qu'est arrive" au pauvre Joseph a Maglouere a Louis... Ils l'aviont rapport6 mort. £a fait que sa veuve a point pardu de temps: elle a sacrifie" sa pension de veuvage et s'a mis en manage avec le deuxieme des gargons a Damien qu'6tait bel houme dans le temps, et qu'avait point frette aux yeux. Quand c'est que le pauvre Joseph a ressoudu de la guerre coume un revenant et qu'il a vu le gargon a Damien dans son lit... pauvre Joseph ! Ils l'avont repeche" au printemps avec les huitres. ...£a fait passe" vingt ans de ga. Je sons encore dans la misere jusqu'au cou. Une guerre, ga apporte de l'ouvrage, et pis de quoi a se mettre dans l'estou-mac. Ben ga dure cinq ou six ans et pis ils signont la paix. Apres, il faut retorner nous autres a nos huitres, pis nos coques, pis nos palourdes. Et les temps rede-venont durs. Et la misere reprend. Et j'avons pus rien qu'une chouse a faire : c'est de guetter qu'il s'en vienne une autre guerre qui nous ressortira encore une fois du trou.